Critique de Baki's Groeszten Türkischen Lyriker Divan ; Divan de Baki... traduit pour la première fois en allemand, par M. J. Hammer, in-8, L et 142 pages, Vienne, 1825
Parue dans Bulletin des sciences historiques..., tome V, 1826
"Ceux qui ne connaissent les Turcs que par quelques articles passionnés, les considèrent comme des barbares ; les voyageurs, au contraire, qui ont séjourné dans leur pays, et les amateurs de leur langue, qui ont pu lire leurs auteurs, en ont une toute autre idée. De tous les peuples de l'Orient, le Turc est celui qui aime le plus des études sérieuses, les sciences utiles. Il méprise généralement les vaines frivolités, qui ont occupé les autres peuples musulmans. Il met l'érudit historien, l'habile jurisconsulte, le profond mathématicien, bien au-dessus du poëte médiocre, qui a le faible talent de savoir aligner des mots et chercher des rimes dans un dictionnaire. Aussi parmi les livres turcs imprimés à Constantinople [Istanbul], on ne trouve pas un seul poëme, un seul roman ; mais de fidèles annales, des écrits scientifiques.
Par la même raison, les Ottomans ont traduit les ouvrages arabes de cette nature, et ont dédaigné les poëtes, même les plus illustres : ainsi ils peuvent lire dans leur idiome le Montesquieu de l'Orient, Ibn Khaldoun, tandis que Moténabbi n'est connu chez eux que des savants qui se sont livrés à l'étude de la langue de Mahomet.
Il ne faudrait pas croire cependant que les Turcs ont négligé l'art des vers : comme tous les peulples musulmans, ils possèdent, dans les divers genres usités chez eux, un grand nombre de poésies, dont plusieurs seraient dignes de passer dans nos langues d'Europe. Cependant on n'avait traduit jusqu'ici que quelques courts fragments.
M. de Hammer, qui avait déjà enrichi le littérature allemande de productions remarquables de l'Asie, a voulu faire aussi connaître à ses compatriotes les oeuvres du plus estimé des lyriques turcs Abd-ulbaki (serviteur de l'Eternel) ou simplement Baki, le seul poète ottoman, selon M. Hammer, qui méritât d'être traduit dans une langue d'Europe.
Dans sa préface, M. de Hammer dit entre autres choses, qu'après avoir traduit Hafiz et Moténabbi, il lui restait encore à donner aux Allemands la traduction de Baki, enfin de rendre complète l'alliance des trois souverains poétiques des trois principales langues musulmanes, lesquels ont été reconnus par leurs concitoyens comme des princes, les rajahs et les empereurs de la Perse, et les Khans et Khacans de la poésie de leurs nations.
Puis vient la traduction de neuf différentes biographies de Baki par des auteurs turcs.
Il suffira d'en extraire ce qui suit : Abd-ulbaki [Baki] naquit à Constantinople en 933 [de l'Hégire](1526) et mourut en 1008 (1599). Il était fils d'un muezzin de la mosquée de Mohammed. Dans sa jeunesse, il fut d'abord sellier ; mais ses dispositions pour la poésie ne tardèrent pas à se développer prodigieusement, et bientôt, protégé par des gens de mérite, il put se livrer entièrement à son goût.
Il fut ensuite nommé professeur dans le collège de Mourad Pacha, à Constantinople, puis chef de celui de Sélivrée, enfin Caziasker de Roumélie. Soliman le Grand sut distinguer son mérite et le protégea singulièrement. Ses successeurs, Selim II, Murat III et Mohammed III le comblèrent aussi de leurs faveurs.
Les oeuvres de Baki se composent de 14 casidah, sorte de chant héroïque, de 204 gazelles [ghazel] ou odes érotiques, et de quelques vers détachés. M. de Hammer a traduit ces différents morceaux en vers allemands ; mais souvent inintelligibles pour le lecteur peu accoutumé aux figures orientales. C'est surtout dans le premier genre que Baki a excellé. Sa casidah sur la mort du grand Soliman est, dit-on, la plus belle que possède la littérature turque.
Les gazelles sont rangées selon l'ordre alphabétique de leurs rimes, ainsi les pièces dont les rimes se terminent par a forment la 1ere section, celles qui se terminent par b, la 2e, et ainsi de suite. La série des différentes pièces de vers dont les rimes se terminent alternativement par les lettres de l'alphabet arabe, est ce que les Musulmans nomment spécialement Divan. Leurs poètes aspirent tous à l'honneur d'écrire une composition de ce genre. Là, leur imagination prend un libre essor, elle n'est retenue par aucun sujet déterminé. La tendre gazelle (qui a donné son nom à ce genre de poésie), le rossignol et la rose, tous les êtres de la nature, images de Dieu ou de l'homme, viennent apparaître dans ces chants en brillantes allégories. Une courte gazelle de Baki suffira pour faire connaître ce genre au lecteur.
"Le tendre rossignol gémit auprès de la rose dans les jardins émaillés de fleurs. Voici le printemps, saison du plaisir : Va t'y livrer dans la campagne, où la nature déploie tous ses charmes. Fais disparaître dans ton coeur les brèches de la haine, comme sous la main d'un aiguiseur habile l'acier ébréché reprend son fil tranchant. L'air des champs est pur comme la conscience de l'homme de bien. Les fleurs qui y sont éparses en forment le plus bel ornement : elles ressemblent aux étoiles brillantes qui parent la voûte des cieux. Viens, ouvrons notre coeur à la félicité, le bonheur nous attend dans ces coteaux pittoresques."
G. T.
Baki traduit par Hammer, une critique, 1826
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