Cours du célèbre orientaliste Barbier de Meynard, qui donne une brève, mais intéressante introduction à la littérature turque.

Extrait de la Revue des cours littéraires de la France et de l'étranger, Ière année (1863-1864)

Langues orientales. Cours de M. Barbier de Meynard. (Bibliothèque Impériale.)

Considérations sur l'histoire philologique et littéraire de la Turquie

[Nous avons ajouté les intertitres]

Par suite d'un préjugé malheureusement trop répandu parmi nous, l'étude des travaux scientifiques et littéraires du peuple ottoman a toujours été un peu négligée par cette ardente curiosité, qui depuis le commencement de ce siècle suit et étudie l'Orient dans ses transformations diverses. Sans parler des langues de famille aryenne qui, dans une certaine mesure, réclamaient la priorité par les droits d'une parenté de jour en jour plus évidente, les deux grandes littératures dues à l'influence civilisatrice du Koran ont, jusqu'à présent, obtenu les préférences de l'érudition européenne.
La langue arabe se recommandait par son étroite affinité avec l'idiome à l'aide duquel l'élément sémitique a formulé sa croyance monothéiste ; par la mission d'initiateurs qu'exercèrent au moyen âge les sectateurs du prophète ; par une poésie sublime dans ses premiers bégayements, polie, raffinée, subtile dans sa maturité ; par cet inépuisable trésor d'ouvrages traduits du grec ; enfin, par des documents sans nombre, auxquels l'histoire et la géographie doivent plus d'une heureuse découverte.
Le persan moderne, indépendamment de l'intérêt philologique que lui donne sa filiation linguistique, justifiait notre prédilection par le charme infini de sa langue poétique, par sa grande épopée nationale, par la saine raison et le tact de ses moralistes, par les délicieuses rêveries de ses poètes mystiques, chez qui l'exaltation religieuse revêt les formes de la passion la plus tendre.

Langues turques
Au contraire, le turc osmanli, de formation plus récente et moins homogène, se présentait à nous avec un caractère d'infériorité marquée : aux yeux de bien des savants, il était et il est encore uniquement la langue des transactions commerciales et des pourparlers diplomatiques, la langue des capitulations et des mémorandum. C'est pour répondre à cette prévention et tâcher de la faire disparaître, que je veux jeter un coup d'œil rapide sur l'histoire de la langue turque. L'idiome actuellement parlé à Constantinople et dans la Turquie d'Europe, le turc osmanli, appartient à la grande famille des langues tartares, avec lesquelles il devait se confondre entièrement dans le principe. Deux ou trois mots d'explication sur ces langues sont donc indispensables pour compléter la physionomie primitive de la langue turque proprement dite. Sur les dix dialectes dont les travaux ethnographiques et linguistiques les plus récents ont constaté l'existence, quatre surtout se recommandent à notre attention par leur importance historique et littéraire : 1° l'ouïgour ; 2° le tchagatéen ou dialecte de Boukhara ; 3° le dialecte du Kiptchak parlé sur les territoires de Razan et d'Astrakhan ; 4° le turc osmanli. Nous ne parlerons que pour mémoire des dialectes des Kirghiz ; des idiomes mixtes, plus ou moins mélangés d'afghan et de persan ; des dialectes spéciaux des Yakoutes, des Tchouvaches, etc.
D'après les plus anciens souvenirs nationaux, l'ouïgour, encore usité parmi les peuplades établies entre Kaschgar et Kamoul, serait le représentant le plus pur de ce groupe de langues. Mais on ne possède aucun document positif ayant trait à une antique littérature nationale ; la même incertitude règne à propos des origines de l'écriture ouïgour, que les uns rattachent aux systèmes graphiques dérivés du zend, et que les autres considèrent comme une importation due aux missions Nestoriennes du XIIe siècle. Les ouvrages écrits en ouïgour sont en nombre fort restreint et d'une date relativement moderne ; la plupart sont des traductions ou des imitations du persan et de l'arabe (le Bakhtiar-namè, recueil d'apologues ; le Tezkéreï Evlia, mémorial des saints ; le Miradj, récit de l'ascension de Mahomet au ciel, etc.). La différence qui existe entre la langue de ces anciens livres et le turc actuellement parlé consiste en quelques variantes de prononciation, et surtout dans les procédés de construction et de phraséologie. Tandis que dans la langue des Ottomans lettrés, la période s'arrondit et se développe majestueusement, groupant toutes les circonstances accessoires à l'aide de gérondifs et de particules agglutinées au verbe, dans l'ouïgour, au contraire, la phrase est courte, nerveuse, concise, et sinon harmonieuse, du moins extrêmement nette et intelligible.
Le tchagatéen, ainsi appelé du nom de Tchagataï, un des fils de Tchenghiz-Khan, s'éloigne peu de l'ouïgour, dont il se distingue par quelques différences lexicologiques peu nombreuses et par un emploi plus fréquent d'expressions arabes et persanes. Le tchagatéen n'est au fond qu'une transformation normale de l'ouïgour : il n'est en quelque sorte que la première évolution du vieil idiome nomade qui tend à se civiliser et à s'assouplir, et qui, en passant encore par deux ou trois phases successives, aboutira plus tard au turc osmanli. Le tchagatéen nous offre plusieurs livres intéressants à divers titres. En première ligne, nous citerons les piquants mémoires de Baber, qui nous initie lui-même à sa vie politique et aux détails les plus intimes de son existence domestique. Ces mémoires, le modèle le plus parfait de la langue tchagatéenne, sont un véritable trésor de renseignements sur l'histoire et la géographie de l'Asie centrale au commencement du XVIe siècle. Vient ensuite le célèbre Ali-Schir-Névayi, qui fut un des écrivains les plus distingués et les plus féconds de son époque. L'histoire, la morale, la poésie, ont successivement occupé sa plume. Il écrivait de préférence en turki, ou langue tchagatéenne, quoique cependant, à ce moment, le persan fût la langue officielle, littéraire et élégante, seule reçue à la cour.
Il est inutile d'insister sur les dialectes du Kiptchak, mélange de tartare et de finnois [NDLR : la réalité linguistique est différente, on parle de parenté, et non de mélange]. Je me hâte de passer sur celui de Kazan, que nous ne connaissons que par deux ou trois ouvrages d'un mérite inégal, publiés dans cette ville, et j'arrive enfin à la langue des conquérants de Constantinople, à la langue ottomane.

Turc moderne de l'Empire ottoman
A proprement parler, le turc moderne ne doit pas être considéré comme un dialecte s'éloignant de ceux dont nous venons de donner un aperçu sommaire ; il constitue seulement un âge différent, l'âge mûr de cette famille de langues dans la progression desquelles il marque le point culminant : c'est en quelque façon l'épanouissement du rameau tartare. Les radicaux sont les mêmes ; les principes qui présidente la formation des. mots sont restés immuables ; l'impératif n'a pas cessé d'être le radical qui donne naissance à tous les temps. Cet ingénieux mécanisme qui, à l'aide d'une ou deux lettres intercalées entre le radical et la terminaison, modifie d'une façon si complexe le rôle et les fonctions du verbe, ce mécanisme aussi simple et plus riche que les formes dans le verbe des idiomes sémitiques, nous le retrouvons dans la bouche des Osmanli, tel que nous l'avions vu en germe dans les écrits plus anciens et plus purs d'éléments étrangers.
Les petites tribus tartares qui vivaient obscurément sous la suzeraineté de khans isolés ou rivaux, se sont concentrées sous le commandement d'un seul chef, et par leur agglomération sont devenues un peuple fort, compacte, homogène, redoutable. Dirigés par des princes ambitieux et intelligents, les Turcs, traversant l'Asie, font irruption dans les plaines de Nicomédie, s'emparent de Brousse, soumettent la Grèce ainsi qu'une partie des pays slaves, et enfin, guidés par Mahomet II, s'emparent de Constantinople, la seconde capitale de l'ancien monde ; dès lors ils prennent rang parmi les nations avec lesquelles l'histoire doit désormais compter. La langue du Tartare nomade qui vivait sous la tente, et menait l'existence aventureuse et peu compliquée de tout être sauvage, ne répondra évidemment plus aux besoins du nouveau peuple, brusquement initié à toute une série d'idées qui lui étaient absolument inconnues auparavant. Une révolution est inévitable : la race conquérante, incapable de trouver en elle-même les éléments nécessaires à cette immédiate transformation, sera, par la force des choses, obligée de s'adresser au peuple vaincu, dont clic adoptera la religion, et auquel elle empruntera une partie de son idiome. Celte assimilation du vaincu par le vainqueur,.ou plutôt peut-être du vainqueur par le vaincu, est un fait permanent dans l'histoire de l'humanité. C'est en vertu de la même loi que le khalifat, en tombant, impose sa croyance aux hordes turques. Le Koran et toute la littérature sacrée dont il est le point central, sont adoptés comme base de l'enseignement officiel ; les chefs-d'œuvre de la littérature arabe et persane en deviennent le complément indispensable. L'idiome primitif trouve dans cette mine féconde tout ce qui lui manquait pour comprendre et pour parler à son tour le langage de la poésie, de la morale, de la philosophie et des sciences. Au lieu de petites phrases heurtées et saccadées, au lieu d'intonations sourdes ou gutturales, la période se développe lente, harmonieuse, parée de toutes les richesses du dictionnaire arabe, des expressions composées, des épithètes sonores de la poésie persane ; elle poursuit ainsi sa marche grave, mesurée, embarrassée même de tant de butin, jusqu'au mot final, le verbe tartare, qui termine et précise le sens.

Sciences
Le même principe qui a déterminé cette révolution linguistique du peuple turc, présidera en même temps à ses destinées littéraires: la proportion de l'élément arabe et persan est exactement la même dans la littérature que dans la langue ; il pourrait presque se formuler mathématiquement.
Nous n'insisterons pas sur les travaux scientifiques exécutés par les Turcs, parce qu'ils ne sont pour la plupart que des traductions de traités arabes sur la médecine, la géométrie, etc., traités qui ne sont eux-mêmes que des reproductions des travaux de l'antiquité, et qui n'offrent plus qu'un intérêt historique et purement rétrospectif. L'astronomie seule donna lieu à quelques recherches plus originales ; il suffira de rappeler les noms de Kadi-Zade Roumi, qui collabora à l'exécution des tables astronomiques d'Oloug Beg ; de Moustafa, fils d'Ali, qui laissa des traités où se trouvent consignées plusieurs observations intéressantes ; de Mehemet Darandeli, qui joignait aux superstitions de l'astrologie quelques connaissances astronomiques, ainsi qu'on peut le voir dans ses Rouz-namè ou éphémérides, remplacés de nos jours parles Sal-namè, qui répondent assez exactement à nos almanachs et à nos annuaires administratifs. Sous Mahomet II, Soliman et leurs successeurs, les études des sciences mathématiques et philosophiques furent suivies, non sans succès. De cette époque datent les traductions d'Euclide et de Plutarque, inaugurant cette série d'emprunts faits aux langues étrangères, qui viendront considérablement grossir le bilan littéraire de l'empire ottoman. Notre langue est une de celles qui ont été soumises le plus fréquemment à cette sorte de contribution.

Historiens
Si nous passons aux historiens, je devrais dire aux chroniqueurs, nous trouvons une liste fort longue d'auteurs d'un mérite inégal, qui ont amassé des matériaux sans jamais songer à les coordonner et à en faire un livre digne du nom d'histoire. Djelal-Zadè, Selaniki, Naïma, Subhi, Izzi et autres, sont des fonctionnaires publics, des courtisans timorés, des historiographes sans critique, qui tiennent le journal du Serai avec une sécheresse et une minutie faisant involontairement penser aux volumineux mémoires de Dangeau. Cependant trois auteurs se recommandent à notre attention. Le premier est Saad-ud-Din, le précepteur et l'historiographe du sultan Murad III, et l'auteur pompeux du Tadj-ut-tevarikh (Couronne des chroniques), que les Ottomans considèrent comme un modèle de diction pure et élégante. Notre goût occidental n'est pas tout à fait de cet avis à ce sujet et accepte difficilement comme valables les artifices de la rhétorique orientale. Toutefois, au milieu de ces fleurs un peu fanées, de ces brillants de faux aloi, nous trouvons des aperçus si vrais, si ingénieux sur la raison secrète des événements politiques, des observations si justes sur les mœurs musulmanes, que nous pardonnons presque à l'auteur l'admiration dont il est l'objet parmi ses compatriotes. Le second, Vaçif Efendi, continuant la tradition d'Ibn-Khaldoun, a tenté avec succès, en laissant de côté le style ampoulé de Saad-ud-Din, d'introduire dans l'histoire politique le libre examen et la critique indépendante. La chronique de Vaçif s'arrête à la paix de Kaïnardjè, en 1774. Vaçif a fait école ; et, de nos jours, Djevdet Efendi, reprenant le récit où Vaçif l'avait laissé au XVIIIe siècle, promet de le conduire jusqu'aux dernières années du règne de sultan Mahmoud. Cinq volumes de celte curieuse publication ont paru, et déjà nous pouvons constater un progrès réel dans les travaux historiques de Constantinople (1). Si aux yeux d'une critique rigoureuse, Djevdet n'est pas constamment à l'abri des reproches, il faut cependant lui tenir compte de son innovation courageuse, de son érudition et de sa science puisées, la plupart du temps, aux sources originales, et enfin de son style sans apprêt, mais pur et châtié, une sorte de moyen terme entre l'emphase orientale et la simplicité européenne. Le troisième historien, dont il faut encore faire une mention sérieuse, est le savant compilateur Hadji-Khalfa, beaucoup plus connu chez nous que les deux précédents, par son immense Dictionnaire bibliographique et biographique, et par son traité de géographie, Djiban-numa (Miroir du monde). Citons encore le récit émouvant des courses aventureuses de l'amiral Kiatibi Roumi, et des voyages à Evlia Efendi.

La composition des traités de morale, ou Edeb, n'a pas été négligée non plus par les Turcs. Le Gulistan de Saadi, écrit en persan, est resté le modèle du genre. Le Humayoun-namè, ou Livre impérial, composé par Ali Tchelebi pour Soliman Ier, rentre dans cette catégorie d'ouvrages. L'auteur, employant alternativement le vers ou la prose, a su broder, sur les vieux motifs des fables de Bidpaï, de nouvelles et charmantes variations qui font de ce livre une œuvre presque originale.

Poètes
Le grand reproche que l'on adresse toujours à la poésie turque, c'est de manquer de caractère et de spontanéité, de s'en tenir à l'imitation ou tout au plus à la paraphrase de quelques modèles de convention, empruntés à l'arabe et au persan. Nous ne chercherons pas à l'en disculper, et nous avouerons même que, parmi les deux mille rimeurs dont parle de Hammer, il y en a un bien petit nombre méritant le nom de poètes. Si l'on excepte Baki le lyrique, Nabi Efendi, Fithnet, qui a reçu le surnom un peu ambitieux de Sapho musulmane, Fuzouli, et trois ou quatre autres, le reste a copié servilement la Perse, jusque dans remploi des figures, des allitérations, des jeux de mots et de pensées, etc. Un écrivain turc, excellent poêle, Nabi Efendi, a signalé ces défauts mieux que nous ne saurions le faire :
« Que voit-on, dit-il, dans toutes les productions des poètes sans génie? Il y est toujours question de jacinthes, de boucles de cheveux, de rossignol, de vin et de » coupe. Ils ne peuvent sortir de la description d'un beau visage, des tresses embaumées, de la lèvre, de l'œil humide. Ils n'oseraient parcourir des roules nouvelles ; ils sont incapables d'errer dans des sentiers inexplorés. Une composition vide de sens n'est qu'un anneau sans cachet, une tulipe sans odeur. Mieux vaut se taire que de tomber dans de tels écarts, puisque le principal but, c'est de parler à l'imagination et au » cœur. »

Quelques écrivains privilégiés, hâtons-nous de le dire, ont su cependant parler ce langage, et trouver des accents émus en dépit du faux goût et du parti pris que la mode imposait à toute production poétique. Citons à l'appui une strophe d'une élégie qu'un poète presque moderne, Akif Efendi, a composée sur la mort de sa petite fille.
« Charmante enfant, en vain les mois, les jours se succéderont, je ne pourrai jamais t'oublier. Ton départ a rempli mon cœur d'amertume. Hélas ! j'entends encore ta voix si douce, si caressante. Ces membres si délicats qu'on osait à peine effleurer des lèvres, que sont-ils devenus ? Quoi! la mort a brisé ce corps d'argent et » rendu livide ce front si pur. Ces cheveux aux tresses d'or sont répandus en désordre. Ces boucles parfumées n sont dispersées dans la poussière. Ah ! colère du ciel, impitoyable dans ses coups ! Quoi ! les rosés de les joues sont fanées sans retour, et tes mains de velours, si douces à caresser, sont maintenant réduites en poudre ! »
Malgré l'élégance de cette traduction due à la plume de mon savant ami et confrère M. Pavet de Courteille (2), elle est loin de rendre le charme et la douceur de l'original, et c'est là encore une des disgrâces de cette poésie, d'un tissu si fin et si délicat, de s'évanouir en passant dans une des langues du Nord, comme ces fleurs des tropiques qui, transplantées sous notre ciel brumeux, perdent leur éclat, leur parfum, et meurent desséchées.
Il me serait facile de multiplier ces exemples en les demandant, non pas aux courtisans beaux esprits, aux rimeurs officiels, mais à la muse populaire, aux charkis, ou chansons à refrains, où se déploie à l'aise l'imagination chaude et colorée d'un peuple naturellement poète. Mais il est temps de clore ces réflexions que nous a suggérées l'étude de la langue et de la littérature turques.

Il nous resterait cependant à examiner une question pleine d'intérêt, d'un intérêt vivant et actuel, et dont la réponse nous sera donnée dans un avenir peut-être prochain. Quelle influence les réformes, dues à l'initiative hardie de sultan Mahmoud et de ses successeurs, ont-elles exercée sur le génie et les destinées des musulmans ? Doivent-elles sauver un empire que tant de périls menacent, ou en précipiter la chute? Il y a là toute une série de considérations bien dignes de notre examen, mais que nous n'oserions aborder, parce qu'elles nous entraîneraient loin de la sphère paisible des questions littéraires, que nous ne devons pas franchir. Nous nous bornerons à constater qu'aujourd'hui la conquête de l'ancien monde par notre civilisation est accomplie, sinon de fait, au moins moralement. La régénération ou la mort de l'élément asiatique dépend de l'exercice que l'Europe fera de sa conquête. Elle peut, ou développer en lui les germes producteurs qu'il récèle encore, ou agir sur lui d'une façon violente et destructive. Elle peut lui rendre la science qu'il a perdue et lui donner l'indépendance intellectuelle que la recherche de la vérité amène tôt ou tard. Mais cette influence bienfaisante et régénératrice, elle ne peut l'exercer qu'à une condition : c'est qu'elle apprendra à connaître ceux qu'elle veut sauver ; c'est qu'elle étudiera leur histoire et leurs institutions anciennes pour mieux apprécier leurs besoins et leurs aspirations nouvelles.
Or, s'il est vrai que la langue est un miroir dans lequel se réfléchissent le génie d'un peuple, ses instincts, ses qualités et ses défauts, c'est en Orient surtout que cette vérité trouve son application. Aride et difficile à ses débuts, assujettie à la connaissance de deux autres idiomes, l'étude de la langue ottomane s'ennoblit par l'importance de ses résultats. Étudions-la à la fois dans son état moderne et dans ses monuments littéraires, afin d'y chercher la solution de ce problème si complexe. Fonctionnaires et voyageurs, nous saurons ainsi nous mettre en communication directe avec une race non privilégiée, mais douce, hospitalière, honnête, et que la corruption des hautes classes n'a pas encore viciée ; nous l'étudierons sur le vif, et gagnerons ses sympathies en dissipant ses préjugés. Érudits et penseurs, nous demanderons aux débris du passé le secret de l'avenir.
C'est en ne perdant jamais de vue ces considérations élevées que la science philologique, par une voie détournée, mais sûre, contribuera à l'œuvre morale, qui est le devoir et l'honneur du haut enseignement en France.

(1) Djevdet Efendi est l'auteur désigné par M. Barbier de Meynard pour servir de texte d'explications à ses cours. Ce choix est d'autant plus heureux, que l'histoire de Djevdet offre à la fois un exercice excellent au point de vue linguistique proprement dit, et un thème fécond qui provoque de la part de l'éminent professeur une foule de digressions du plus haut intérêt sur différentes questions d'histoire, d'ethnographie, d'archéologie, etc.
(2) Histoire de la campagne de Mohacz, publiée par Kémal-pacha-zadeh, avec le texte et la traduction, par M. Pavet de Courteille, professeur au Collège de France (Paris, Imprimerie impériale, 1859).


N. B. Resserrés dans les limites étroites de ce compte rendu, nous avons été obligés, non sans regrets, d'abréger, de résumer, de sacrifier même certains passages qui venaient heureusement développer la pensée du professeur. Malgré ces suppressions inévitables et la sécheresse qui en résulte en quelques endroits, nous espérons que cette analyse rapide, mais sincère, suffira pour donner aux lecteurs une idée précise du mouvement littéraire de l'empire ottoman, et une haute opinion de la parole élégante et facile, de l'érudition sobre, mais solide, de M. Barbier de Meynard. — Charles Ganneau.

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