CHAPITRE XVIII Au feu ! - En route pour les Iles des Princes. - Prinkipo. - Un mariage grec. - Nous nous mêlons à la foule des invités. - Le monastère de Saint-Georges. - La terrasse de l'hôtel de Giacopo. - Entre Italien et Allemand. - La vieille gaieté française.
[Au feu !]
Cette nuit, nous avons été réveillés en sursaut par un événement qui ne se reproduit que trop fréquemment à Constantinople, c'est-à-dire par un incendie. Les aboiements furieux des chiens se mêlaient au bruit des cannes des gardiens frappant le pavé, et au tumulte des passants qui se dirigeaient en courant dans la direction signalée. Sous toutes les latitudes ce mot sinistre : Au feu ! fait passer le même frisson jusque dans la moelle des os : des images poignantes se sont dressées devant notre esprit et il ne nous a plus été possible de fermer l'œil de toute la nuit.
Aussi ne nous faisons-nous pas prier pour sauter au bas du lit de bonne heure, d'autant plus que nous devons aller aujourd'hui aux Iles des Princes, ce qui est presque un voyage.
Avant de partir pour gagner le bateau, nous voulons déjeuner plus ou moins sommairement ; mais l'hôtel est si bien gouverné que nous avons toutes les peines du monde à nous faire servir un peu de jambon, du poulet froid et une tasse de café au lait.
[En route pour les Iles des Princes]
En route, nous rencontrons un autre de nos compagnons de bateau à vapeur, l'Anglais qui se rendait à Constantinople pour voir son frère gravement malade. Celui-ci est mourant, et notre infortuné compagnon, dont la mine pâle et défaite trahit les inquiétudes, s'éloigne en nous serrant silencieusement la main.
Sur le pont de la Validéh, un superbe break, attelé de quatre chevaux blancs, se dirige vers la Pointe du Sérail. Il appartient sans doute à quelque gros pacha de la Corne d'Or.
Mme Larrey se passe la fantaisie d'une ombrelle canne, qui ressemble à une houlette de berger avec ses flots de rubans de soie gris. Rien d'oriental ! Cette ombrelle vient directement de Paris; du reste, les modes parisiennes sont plus répandues à Constantinople qu'en Bretagne ou dans le Bourbonnais.
Enfin nous voici sur le quai. Des marchands ambulants circulent déjà, offrant au passant du nougat et des petites couronnes de ce pain saupoudré de grains de millet dont les Turcs sont si friands.
Il est neuf heures (c'est-à-dire deux heures, suivant la manière de compter ici) lorsque le bateau démarre. Au dernier moment, à l'instant même où on relève la planche qui sert à embarquer les passagers, quelques retardataires arrivent encore et se précipitent à bord.
Quand le vapeur a doublé la Pointe du Sérail et dépassé la Colonne de Théodose, le vent s'élève et fraîchit. Nous passons devant le kiosque d'Abdul Medjid où nous prîmes le café l'autre jour, et devant le commencement des vieux murs avec leurs créneaux qui attendent toujours des canons.
Peu à peu le vieux Kospoli s'efface à l'horizon. Une brume épaisse descend au loin sur les eaux. Des dauphins jouent et folâtrent dans le sillage du bateau. C'est un vrai plaisir de regarder paraître et disparaître leurs dos rugueux et huileux.
Puis ce sont les bateaux de pêche qui rentrent dans la Corne d'Or, avec leurs voiles triangulaires qui ne ressemblent en rien à la misaine de nos bateaux pêcheurs. Rien d'amusant et de curieux comme de voir ces caravelles et ces tartanes glisser sur l'eau bleue avec leurs larges antennes déployées.
La mer se calmant tout à fait, de nombreuses parties de tric-trac et de dominos s'organisent sur le pont.
A la hauteur de Kadi-Keui, nous apercevons un véritable campement dans une prairie, et, tout autour, une foule nombreuse vêtue de couleurs disparates. Est-ce une caravane ? Et d'où vient-elle ? Descend-elle de la montagne ? Où bien sont-ce des pèlerins qui arrivent de la Mecque ?
Peu après, le bateau accoste à Kadi-Keuï. Un grand nombre de passagers descendent et cèdent la place à un nombre à peu près égal d'autres amateurs. Une véritable nuée de feredjés de toutes nuances envahit le pont.
Nous entrons ensuite dans la mer de Marmara. L'air fraîchit tout à fait. Le steamer tangue et roule. Cependant nous ne quittons guère la côte. Mal Topé, où nous stoppons un instant, est une escale sans importance. Personne ne descend.
Les Iles des Princes défilent, les unes après les autres, devant nous : Proti, d'abord, terre assez basse pleine de pêcheries et de maisons de campagne ; Khalki, dont les lignes onduleuses fuient au contraire à l'horizon. Elle a un collège théologique, un collège de marine et un collège commercial. Outre ces établissements scientifiques, on nous montre de nombreux cafés bâtis sur pilotis et un vaisseau-école mouillé en rade.
[Prinkipo]
Enfin Prinkipo. C'est là que nous descendons en face de l'hôtel Giacopo, tout pavoisé de pavillons multicolores. Ce n'est pourtant pas la saison des bains de mer.
La ville est bâtie en amphithéâtre, et la population remplit les rues tout entière en habits de fête comme s'il s'agissait de célébrer quelque solennité. Les dames surtout sont couvertes de parures qui me rappellent les bijoux de la via Condotti à Rome. Elles ont le type italien, du reste, avec un gros nez et des yeux noirs pleins de feu. Autour de leur cou s'enroule un collier de velours noir.
Un pacha avec un turban de mousseline et un caftan vert, très petit de taille, se promène ou plutôt se traîne, paresseusement entouré de plusieurs domestiques.
Il s'agit maintenant de trouver à se procurer des ânes pour grimper au monastère de Saint-Georges. On nous demande un medjidié par âne. C'est assez cher, d'autant plus qu'il faut déjà un certain courage pour grimper deux heures, sous un soleil torride ! Tout cela pour voir un monastère !
Larrey, que nous n'appelerons plus qu'Achille-Bey, et Mme Larrey, se décident pourtant. Ils choisissent chacun leur âne, piquent des deux et disparaissent dans un chemin escarpé.
Quant à celui qui écrit ces lignes, il se résigne, sans le moindre regret, à passer ces deux heures à flâner tout simplement avec sa femme, sans songer à autre chose. Nous allons tout droit devant nous, à l'aventure, sur les falaises de la côte, et nous nous retrouvons bientôt en face du débarcadère, où descendent déjà les passagers du bateau qui est parti un peu après le nôtre.
De la terrasse de Giacopo, où nous allons savourer quelques rafraîchissements, la vue est splendide. On embrasse dans toute son étendue la mer de Marmara, dont les eaux sont d'une merveilleuse limpidité, et sur lesquelles les îles se détachent en sombre.
Autour de nous, beaucoup de consommateurs. Prinkipo est un lieu de plaisance, où l'on vient souvent faire des parties fines, comme partout aux environs des villes. Les déjeuners que l'on sert aux tables voisines nous paraissent copieux et appétissants. Je demande un beafsteack. On va me le faire, mais il paraît qu'il faudra que j'attende quelque temps.
Pendant que nous sommes assis tranquillement au frais, en face de ce merveilleux spectacle, notre pensée va charitablement vers nos pauvres amis qui rôtissent en ce moment sous les rayons d'un soleil tropical.
Le beafsteack expédié, tout d'un coup des pétards éclatent au milieu de la rue. Nous nous précipitons pour voir défiler un cortège, précédé par deux enfants portant à la main des cierges entourés de couronnes en mousseline blanche.
[Un mariage grec]
Deux chantres, coiffés du fez, viennent ensuite ; puis trois prêtres grecs à barbe longue et forte. Ils ont un haut bonnet sur la tête, et, sur le dos, les ornements sacerdotaux ordinaires. Enfin vient une mariée tout en blanc, avec une couronne de fleurs d'oranger derrière laquelle flotte un voile de tulle. Elle donne le bras au marié, qui est vêtu à l'Européenne; redingote noire, chapeau de feutre, gants blancs.
Les invités ferment la marche. Les dames sont en robe de mousseline blanche, ou bien en soie noire ou bleue : elles portent des gants blancs et, sur la tête, des coiffures pyramidales avec des fleurs dans les cheveux.
C'est un mariage grec, paraît-il.
[Nous nous mêlons à la foule des invités]
Nous nous mêlons à la foule en vrais badauds, et nous entrons à sa suite dans l'église, en nous faufilant même jusqu'aux stalles, où nous serons très bien placés pour ne rien perdre de la cérémonie.
L'Evangile est dressé au milieu, sur un haut pupitre. De chaque côté, deux prêtres. En face de l'Évangile, les deux mariés, sur la tête desquels le patriarche, revêtu des habits sacerdotaux, passe à plusieurs reprises, en chantant, le livre saint qu'il leur fait ensuite baiser, au centre d'abord, puis aux quatre angles.
Il trace ensuite plusieurs signes de croix sur leur front, et leur pose à chacun une couronne sur la tête. Inutile d'ajouter que, sous cette virginale guirlande de fleurs d'oranger, le marié fait une figure assez singulière. Quant à la mariée, qui est fort jolie, elle baisse modestement les yeux.
Le prêtre prend ensuite les couronnes et les change de tête, faisant passer celle de la mariée sur la tête du marié et réciproquement. Pendant ce temps-là, les deux conjoints lui baisent respectueusement les mains. A ce moment, quelques jeunes gens, suivant la coutume, lancent à la volée des pois chiches sur les époux.
Toute l'assistance entonne alors en chœur des chants et des prières, pendant que les mariés font trois fois le tour du pupitre qui supporte l'Évangile.
Enfin la cérémonie se termine par une accolade générale. Prêtres, mariés, parents, tout le monde s'embrasse; puis on se rend en cortège à la sacristie, pour les compliments d'usage.
Le père de la mariée, un homme âgé, est tellement ému que ses yeux se remplissent de larmes. Cette très naturelle et très respectable émotion est touchante à voir.
Néanmoins la gaieté ne tarde pas à reprendre le dessus. Embrassades et joyeux propos recommencent de plus belle. Tous, jeunes gens et jeunes filles, viennent à la file embrasser les nouveaux époux. Des malins glissent, en passant, dans l'oreille du marié des propos plus ou moins lestes, qu'il accueille avec un sourire de complaisance.
C'est maintenant une affaire terminée; l'union est consacrée définitivement pour la vie. Le cortège se reforme pour sortir de l'église, musique en tête et précédé des prêtres en habits sacerdotaux qui continuent leurs chants. On fait ainsi le tour de la ville, au bruit des pétards que l'on allume sur le passage du cortège.
Bien entendu, le marie s'est débarrassé de sa couronne virginale. Il s'avance d'un air crâne, très fier et très heureux de sa nouvelle situation.
Toutes les fenêtres s'ouvrent et se remplissent de têtes curieuses.
Nous avons réussi à nous faufiler au beau milieu des invités; mais, une fois devant la maison de la mariée, les choristes, les prêtres, les mariés, les parents et la suite, tout le monde disparaît instantanément dans l'intérieur comme par un coup de baguette magique, et nous demeurons seuls, ma femme et moi, au milieu de la rue.
Nous prenons gaiement notre parti de la mésaventure et, toutes réflexions faites, nous allons prendre une tasse de moka sur la terrasse d'un café qui borde la route, juste en face de la station des ânes qu'on loue pour monter au monastère.
Nous assistons même à une scène assez grotesque entre un loueur d'âne et un énorme Turc au ventre ballonné, qui pèse au moins deux cents kilos et veut absolument hisser sa ventripotente personne sur le dos d'un de ces infortunés quadrupèdes.
[Le monastère de Saint-Georges]
Enfin voici Larrey et sa femme, qui reviennent de leur promenade au monastère de Saint-Georges. De là haut, nous disent-ils, on jouit d'une vue splendide, incomparable, sur les côtes d'Asie. La végétation est extraordinairement luxuriante; il y a surtout des forêts de pins parasols qui répandent dans l'air un parfum délicieux.
Il vient plus de trois mille personnes par an en pèlerinage à ce monastère, et d'Asie aussi bien que d'Europe : il y a un grand tableau de Saint-Georges devant lequel les pèlerins défilent à tour de rôle, et qu'ils baisent pieusement en passant. Nos amis ont vu là haut quelques femmes vêtues de costumes très pittoresques.
[La terrasse de l'hôtel de Giacopo]
Nous revenons tous les quatre nous asseoir chez Giacopo, et nous nous faisons apporter du pale ale. A côté de nous un vieux Turc à barbe blanche, à mine souffreteuse et malingre, fume sa pipe que vient de lui remettre un domestique. Il porte un caftan jaune bordé de fourrures, un turban de mousseline, de larges pantalons de soie brune et des bottes jaunes.
Mais, ce qui est bien plus intéressant, c'est le panorama vraiment féerique qui se déroule sous nos yeux et dont nous ne pouvons nous lasser. La mer est unie comme un miroir avec des reflets argentés. On dirait d'un lac suisse. Quelques navires à l'ancre se balancent doucement et, tout à fait au loin, dans la brume, se détachent les maisons blanches de la côte d'Asie.
Mais il est trois heures et demie. C'est l'instant de reprendre le bateau.
Sur la jetée, où nous attendons le moment d'embarquer, nous avons l'occasion d'examiner quelques types bien orientaux : une très belle Grecque, dont Praxitèle n'eût pas renié les formes sculpturales. Elle a le nez grec dans toute sa pureté et une véritable forêt de cheveux qui retombe en grappes sur ses épaules. Sa mise très simple consiste en une robe brune. Pour le quart d'heure, elle s'est assise à la turque sur la jetée, a ouvert une jolie ombrelle bleue pour se garantir du soleil et allumé une cigarette dont elle rejette la fumée par les narines.
A côté, une vieille Arménienne, qui a tout à fait l'aspect d'un homme avec son turban vert étroitement serré autour de sa tête, de manière à ne pas laisser dépasser le moindre cheveu. Elle est enveloppée, en outre, d'une pelisse marron, qui fait encore paraître plus masculine sa vieille figure toute moustachue.
Cependant notre vapeur arrive de la côte d'Asie. Il accoste à quai et, le pont à peine posé sur la jetée, tout le monde se précipite à la fois pour monter à bord. C'est une cohue indescriptible, et, pour se faire place, il faut terriblement jouer du coude. La vieille Arménienne de tout à l'heure veut absolument passer la première. On crie, on se dispute, on s'écrase. Les gens qui descendent bousculent ceux qui montent et réciproquement. Fez et turbans se croisent et se heurtent. Des femmes, obligées à des mouvements violents, laissent apercevoir le bas de leurs jambes. Hélas ! où êtes-vous, bas blancs si bien tirés des grisettes parisiennes ? Mais tout d'un coup la comédie menace de tourner au drame. Un Grec, furieux, tire son poignard ; on n'a que le temps de se précipiter sur lui et de le désarmer. Les maris se jettent devant leurs femmes, pour les protéger. Puis, c'est un Circassien un peu gris qui tombe à l'eau, au milieu de la bagarre. Heureusement qu'il réussit à s'agripper à un cordage.
Enfin, tout finit tant bien que mal par s'arranger. Trois cents personnes au moins ont réussi à s'embarquer, non sans quelques horions ; et nous filons sur Khalki, notre première escale. Là, même scène de désordre et de bousculade qu'à Prinkipo.
Au départ de Khalki, on nous salue de la rive par des fusées qui viennent tomber dans la mer à quelques mètres seulement du pont.
Le vapeur passe ensuite entre Antigone et Khalki et s'ouvre un chemin à travers un véritable archipel de rochers.
A Antigone, nouvelle escale. La plage est encombrée de baigneurs et de cabanes. S'il y avait quelques anfractuosités de rochers, ce serait tout à fait un tableau de Léopold Robert.
[Entre Italien et Allemand]
Il n'y a plus d'arrêt maintenant avant la Pointe du Sérail. Pour charmer les loisirs de la traversée, un Italien, quelque peu pris de vin, fait une scène abominable à un Allemand qui lui a enlevé sa chaise, paraît-il, pendant qu'il avait le dos tourné.
Rien d'amusant comme de voir le péninsulaire, un grand brun avec de fortes moustaches, son chapeau de travers sur la tête, invectivant avec la dernière violence le Germain qui demeure assis, le nez dans son Guide, sans plus souffler qu'un mort.
« Canaille ! Ladrone ! Voleur ! » hurle l'Italien.
Le capitaine intervient, mais le forcené ne veut rien entendre. Plus l'Allemand demeure impassible, plus ce calme l'exaspère. Il brandit sa canne comme pour la briser sur la tête de son adversaire. Enfin, à force de se démener, il fait tomber son chapeau à la mer. On comprend que cette dernière mésaventure achève de le mettre hors de lui. Ce n'est plus de la colère, c'est de la rage. Il écume littéralement. Comment tout cela finira-t-il, à l'arrivée du bateau ?
En attendant, l'Allemand immobile comme une statue, continue à lire son Bedecker [le guide Baedeker].
Il ne faut pas croire cependant que le fracas de cette querelle trouble beaucoup les autres passagers, habitués sans doute à des scènes de ce genre.
Le tableau, qu'offre en ce moment le pont du bateau, est réellement curieux. Tous les pays s'y trouvent plus ou moins représentés. On y boit du café, on y mange des châtaignes, des œufs, des gâteaux, etc. Le plancher est couvert de détritus de tous genres. Des enfants crient, d'autres pleurent; il y en a même qui têtent. Ce ne sont pas les motifs amusants ou curieux qui manqueraient à un peintre.
Enfin voici la Pointe du Sérail. Au moment où le vapeur accoste, la même bousculade qu'au départ de Prinkipo se reproduit. Tout le monde se précipite à la fois par dessus le tambour. On aperçoit, dans la bagarre, des bouts de mollet sous les jupons à demi relevés; — ils n'appartiennent pas, bien entendu, à des femmes turques.
En arrivant sur le quai, nous remarquons l'Italien aux moustaches qui attend son ennemi au passage. Mais celui-ci, plus malin, a réussi à se dérober, en filant discrètement dans la direction de Stamboul.
Quelques affiches attirent nos regards en regagnant l'hôtel :
« Ce soir à l'Alhambra Mlle Finette. Entrée libre. Loge pour famille. »
« Chanteurs béarnais en costume national de la vallée d'Andorre. »
Bien curieux aussi devant leur poste les factionnaires immobiles sur leur petite planchette, comme si leur unique consigne était de ne pas bouger d'une ligne.
[La vieille gaieté française.]
Dans Péra, les rues sont calmes et silencieuses. Rien d'extraordinaire du reste : c'est dimanche aujourd'hui, tous les magasins sont fermés. Le dîner se passe sans incident notable, et nous allons nous coucher, après une bonne causerie intime sur les manies des collectionneurs. A peine endormi, je suis réveillé en sursaut par un cri bien connu, qui me fait croire un instant que je n'ai jamais quitté le sol de ma chère patrie : « A deux sous tout le paquet ! »
Je me lève et regarde par le balcon. Ce sont des Français de joyeuse humeur qui se mettent ensuite à attaquer d'une voix martiale le refrain de la Marseillaise. Pauvre Marseillaise! nous ne pouvons plus l'entendre maintenant sans tristessse, et pourtant c'est à ses accents valeureux que les armées françaises ont fait jadis le tour du monde.
Comme ces mâles accents font tressaillir autrement la fibre patriotique que la voix fluette et nasillarde des Orientaux !
Allons ! entre la nostalgie des habitants de Constantinople et la gaieté française, c'est encore celle-ci que je préfère !
Et, sur cette belle réflexion, je me recouche et me rendors. Bonsoir !