Au XIXe siècle, Smyrne (Izmir) est un port où aboutissent de nombreux produits de l'arrière-pays et qui se développe rapidement. Nombre d'européens y séjournent et y commercent : français, anglais, italiens… comme l'auteur de cette lettre.
La lettre est écrite sur un papier très fin, un peu comme ces aérogrammes que l'on utilisait pour la correspondance envoyée par avion. Elle ne porte aucun cachet et a probablement été remise en main propre aux destinataires.
Nous n'avons pas réussi à lire le nom du signataire de cette lettre avec certitude : Ferroud ou Serrond ?
L'auteur a gagné beaucoup d'argent, écrit-il, grâce au ver à soie ; les graines de soie dont il parle désignent les oeufs de vers à soie, destinés à la sériculture, qui font l'objet d'un commerce vers l'Europe.
Comme l'explique le Journal d'agriculture pratique en 1857, l'Anatolie est réputée pour ses oeufs de vers à soie et "le voyage récent exécuté par M. Bourlier, pharmacien aide-major, dans l'Asie Mineure, dont M. le maréchal Vaillant nous a communiqué la relation, permet de considérer l'Asie Mineure comme un pays producteur de bonnes graines, quant à présent."
L'auteur a aussi représenté la maison Clossmann (installée à Bordeaux) en Turquie et, après avoir quitté ses anciens associés, souhaite continuer avec un nouvel associé, Auguste Albrecht qui est à Izmir depuis 1850.
Il cherche également un agent à Bordeaux pour vendre des couleurs (qui désigne probablement des teintures, peut-être la garance de Smyrne, alors très réputée ou la noix de galle), des produits médicinaux et des fruits secs d'Izmir, probablement des figues et du raisin, très appréciés et exportés jusqu'aux États-Unis.
"Aujourd'hui [Smyrne] compte encore 160,000 habitants, presque tous occupés au négoce ; aujourd'hui elle est encore le grand comptoir de l'Asie, le point principal vers lequel convergent tous les Orientaux qui veulent échanger leurs cotons, leurs tapis, leurs châles, leurs cachemires, leur bois d'aloès, leurs noix de galle, leur opium, leurs fruits secs et leurs plantes médicinales de toute espèce contre les draps légers, les toiles peintes, les galons d'or, les mousselines, et surtout la bijouterie, l'horlogerie et la quincaillerie de l'industrie européenne." (Encyclopédie du dix-neuvième siècle : répertoire universel des sciences, des lettres et des arts, 1870)
Notre agent smyrniote cherche aussi de nouveaux débouchés en étendant son réseau avec des agents à Moscou et à St-Pétersbourg grâce à la famille Clossmann.
Dans la seconde partie du XVIIIe siècle, cette famille émigre de Manheim en Allemagne à Bordeaux. Elle se lance dans le négoce du vin, habite le quartier des Chartrons à Bordeaux, devient un important négociant et acquiert même des vignobles. Elle a effectivement des contacts dans beaucoup de pays, dont la Russie. De nos jours, la famille Clossmann s'occupe toujours de la production et du négoce du vin.
Pierre Paul Clossmann né en 1796, mort après 1867 (Consul du Grand Duché de Bade et de Haïti) a épousé Jeanne Fréderica Albrecht. Auguste Albrecht est un associé de l'auteur de la lettre. Peut-être s'agit-il de la même famille.
Personnes citées dans la lettre
Clossmann, famille de négociants bordelais
Pepiton, ex-associé à Smyrne
Fontanas, ex-associé à Smyrne
Achille Dupuis, agent, en relation avec la famille Clossmann
Auguste Albrecht, nouvel associé de l'auteur
Texte de la lettre, 1862
Smyrne, le 2 Sept[em]bre 1862
Messieurs Clossmann & Cie
Bordeaux
Comme je vous ai déjà fait part que je me retire le 15 Oc[to]bre de mes associés M. M. Pepiton & M. Fontanas permettez moi que je vous confie aussi mes projets pour l'avenir, connaissant l'intérêt que vous me portez & désirant que vous me le continuiez, me proposant de ne rien négliger pour mériter votre entière estime et confiance.
La Providence m'ayant aidé dans les deux campagnes que j'ai faites dans l'intérieur de l'Asie mineure pour les opérations de graines de vers à soie, j'ai ramassé un capital suffisant pour m'établir pour mon propre compte en formant sur cette place une maison de commerce ayant pour but la commission pour l'exportation de produits de ces contrées, & en même temps la représentance à Smyrne des maisons étrangères, sans cependant // rien changer aux rapports qui nous ont liés ensemble jusqu'à ce jour, pouvant parfaitement visiter dans les mois de calmes d'affaires & démarcher les villes que j'ai parcourues par le passé pour les affaires de votre respectable maison. Il me sera d'autant plus facile de continuer l'honneur de vous représenter, Messieurs, en Turquie, attendu qu'un de mes bons amis M. Auguste Albrecht de cette ville négociant établi ici depuis 12 ans, m'offre de s'associer avec moi en me portant un capital égal au mien, ses relations & la connaissance de la place qui à juste titre possède mieux que moi encore nouveau de ce pays. Nous mettrons en cours nos circulaires le 1er janvier 1863 ; mais en attendant, nous préparons mutuellement le nouveau terrain à [?] l'avenir.
A cet effet, je me prends la liberté, Messieurs, de mettre à contribution votre bonne amitiée en vous priant de vouloir bien me procurer un honnête et capable agent pour me représenter à Bordeaux dans le but de me procurer des ordres parmi les bons négocians des MM [?] pour les articles de droguerie médicinale, & couleurs comme aussi pour les fruits secs de Smyrne. //
Si vous, Messieurs, ou votre sieur Achille Dupuis, auquel vous voudrez bien me rappeler à son bon souvenir, pourriez me procurer un pareil agent à St Pétersbourg & à Moscou, vous me rendriez un immense service. Je crois qu'il vous sera facile, attendu les relations d'affaire que vous entretenez en Russie.
Veuillez me pardonner mon indiscrétion, & dans l'attente du plaisir de vous lire, agréez, Messieurs, les sentimens de la plus haute estime en considération, avec les remerciemens sincères de votre tout dévoué
H. Serroud [ ou Perroud]