Le Grand Bazar était une étape, et l'est toujours, de la visite d'Istanbul. C'est un vaste marché où l'on ne vend pas seulement, mais où les artisans travaillent encore. C'est aussi un fabuleux labyrinthe où il fait bon se perdre.
Carte postale du début du XXe siècle souvent éditée à cette époque
Extrait de H. Barth, Constantinople, 1913
Dirigeons maintenant nos pas vers le Bazar, le bâtiment le plus oriental de Stamboul ; il forme à lui seul tout un quartier: c'est un labyrinthe gigantesque de rues, de ruelles, de passages se coupant et s'entre-croisant, entouré de toutes parts de murs percés de portes ; la nuit, celles-ci sont fermées et ces lieux ne sont parcourus que par les veilleurs. La lumière tombe dans les grandes halles voûtées par une quantité de coupoles posées sur le toit plat. Nous y sommes entourés d'une clarté diffuse, au milieu d'une demi-obscurité caressant la vue et rendant d'autant plus désirables les objets qui y sont exposés. Après que le bazar, qui fut de tout temps une des curiosités principales de la ville, eût été détruit par un incendie en 1894, ensevelissant sous ses décombres des centaines de victimes, on le reconstruisit de nouveau en excluant seulement quelques ruelles et en lui donnant une solidité plus grande par la pose de poutres de fer. Les rues portent les noms des corporations qui y exerçaient autrefois leurs métiers ; mais cette dénomination n'est aujourd'hui plus justifiée par la réalité. Dans de grands et de petits magasins sont offertes toutes les marchandises possibles, depuis les pierres précieuses et les ornements d'or jusqu'aux ustensiles de cuisine déjà ébréchés : des filigranes d'or et d'argent du Caucase et de l'Egypte, des diamants de Golconde, des turquoises de Nichapour, des rubis, des perles de Bahrein, des coraux, des bracelets, des colliers de perles et des boucles d'oreilles témoignant de la passion des Orientales pour les bijoux ; de ravissantes petites pantoufles brodées richement de fils d'or, des robes de chambre, des châles perses, des manteaux de soie pour femmes, des voiles, des velours aux couleurs éclatantes artistiquement brodés, des étoffes de Brousse et du Liban, d'autres de l'Inde recouvertes de dessins peints, des mousselines, des cachemires, des mérinos aux ornements ravissants faits â la main, des laines délicatement tissées, des fourrures, des bourses de tabac en soie claire et brillante, brodée d'or, des couvertures de tables brodées également, des tapis lourds, des housses précieuses; des porcelaines chinoises et perses, de petits miroirs perses, des nécessaires de toilette en bois odorant, d'ébène ou de cèdre, aux ornements peints ; des curiosités de toutes sortes, des ivoires travaillés, des pupitres incrustés de nacre et d'écaillé, des meubles, des vases de métal ornés d'arabesques et d'inscriptions gravées, des lanternes turques en métal percé â jour, des brûle-parfums, des faïences émaillées, des essences de rose, de jasmin et de musc, des chapelets d'ambre et de néphrite, des antiquités et de la quincaillerie. Ce lieu, consacré exclusivement aux marchands, possède sa mosquée propre, où ceux-ci vont faire leurs prières prescrites par la loi.
Carte postale envoyée en 1926, l'entrée du grand bazar vu par un peintre européen
Le Bedesten
Au milieu de l'enchevêtrement des ruelles se trouve le Bézesten, le quartier le plus intéressant et le plus beau, fondé par Ahmed III en 1704, véritable musée d'armes fermé à la nuit tombante par des portes de fer. On y trouve des cimeterres étincelants, aux inscriptions arabes, des fusils à pierre plaqués d'argent et ornés d'incrustations. des poignards à double tranchant aux fourreaux enrichis de perles, des épées de Damas très anciennes, des pistolets couverts d'agathe et de jaspe, des boucliers, des cuirasses, des masses d'armes, des écus, des lances, des haches du moyen âge, des arcs et des flèches du Soudan, des mors et des selles en cuir de Cordoue, enfin des vases de toute beauté, ornés d'incrustations, de vieilles pendules, des glaces de Venise, des peaux de panthères et de lions. Les marchands turcs siègent, gravement assis sur leurs nattes, sans presque faire attention à l'acheteur qui, étonné, circule au milieu de toutes ces choses précieuses, où l'oeil d'un amateur découvrirait des objets rares, impossibles à trouver ailleurs.
Du côté de la mosquée de Bajazet [Beyazit] se trouvent, au bazar, toute une série d'échoppes et de boutiques ; c'est ici le marché des friperies, appelé ironiquement par les Turcs le Marché aux Poux [NDLR : Marché aux Puces serait plus approprié] : on y voit toutes sortes de vieilleries dont on ne peut se faire une idée, des choses qu'aucun homme chez nous ne regarderait encore, des tasses brisées, de vieux papiers jaunis et tachés, de vieilles images et pourtant tout ce bric-à-brac trouve encore acheteur.