L'imprimerie de Scutari

« …Nous arrivâmes au pont qui traverse le port à Kyat-Kana. Ce nom signifie littéralement « la maison de papier », et les circonstances qui s’y rapportent lui donnent de l’intérêt. C’était originairement un kiosk impérial, résidence d’été de la famille des sultans ; mais le bienveillant, l’excellent Sélim, oncle et prédécesseur du monarque actuel,  en fit l’abandon pour qu’on y établît des manufactures au moyen desquelles il se proposait d’introduire dans l’empire turc les arts et les sciences de l’Europe occidentale.
L’imprimerie et la circulation des livres étaient au nombre des améliorations qu’il désirait le plus établir. Par ce motif il fonda une magnifique imprimerie à Scutari, de l’autre côté du Bosphore, et donna ce kiosk, ainsi qu’un autre, situé vis-à-vis Buyukdéré, pour y établir des fabriques de papier qui devaient en approvisionner l’imprimerie.

On a supposé que le sultan Sélim avait le premier introduit l’art de l’imprimerie dans la Turquie ; mais cela n’est pas exact.
Des presses grecques et arméniennes étaient employées depuis longtemps dans la demeure des patriarches à Constantinople.
Les premières furent connues dès l’an 1530, et les secondes en 1697 ; l’établissement pour imprimer des livres turcs et une papeterie à Kyat-Kana furent formés par un renégat nommé Ibrahim, sous le règne d’Achmet III, en l’an; il fut encouragé par le grand-vizir et le muphti Abdala-Effendi. Le mufti déclara par un fetwa que l’entreprise était grandement utile ; et,  dans un hatti-schérif 1727 [15 zilkadè 1139 = 5 juillet 1727], le sultan se félicita de ce que la Providence eût réservé un aussi grand bienfait pour son règne.
Les ulémas manifestèrent la même opinion, mais ils déclarèrent expressément que le koran et les livres contenant la doctrine de Mahomet devaient être exceptés de ceux que l’on voulait imprimer. Ils dirent  que ce serait une impiété que de fouler et de mettre ainsi en presse l’ouvrage de Dieu. Mais la vérité était qu’ils retiraient un grand profit en faisant des copies de ces livres, et qu’ils craignaient d’en être totalement frustrés si l’on prenait le parti de les imprimer. Comme les Turcs, en général, n’ont aucun goût pour d’autres livres, l’imprimerie cessa bientôt d’être occupée du moment où il lui fut défendu d’imprimer les seuls livres qui soient lus par les Turcs.
Cette entreprise paraissait être entièrement abandonnée, quand le sultan Sélim lui redonna une nouvelle vie.

Lorsque je vins pour la première fois à Constantinople, en 1821, je visitai ces établissements : ils étaient dignes de leur généreux fondateur. La manufacture de papier était disposée avec magnificence. Les réservoirs étaient des bassins de marbre, et tout avait l’aspect d’un palais du sultan. L’établissement de Scutari était dans le même genre ; c’était un  édifice très spacieux ; quatre presses étaient en activité quand je le visitai. Des compositeurs, assis les jambes croisées sur un coussin, avaient devant eux des casses qui formaient un demi-cercle, et pouvaient travailler fort à leur aise. Les presses étaient disposées de manière à demander très peu d’efforts de la part des ouvriers.
J’achetai quelques livres, qui me parurent fort nettement et fort correctement imprimés.
Mais, après la mort de leur protecteur, ces établissements languirent et déclinèrent, et avant mon départ de Constantinople il ne restait plus des moulin à papier et de l’imprimerie que le nom de Kyat-Khana, pour indiquer le lieu où l’un de ces édifices avait été construit. »

Extrait de « Voyage en Turquie et à Constantinople » par R. Walsh, Paris, 1828.

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