L'abbé Bignon permit, au début du XVIIe siècle, à la Bibliothèque royale d'acquérir de nombreux manuscrits turcs, arabes et persans.
extrait de l'Essai historique sur la Bibliothèque du roi, aujourd'hui Bibliothèque impériale... de Nicolas Thomas Le Prince, ... [revu par] Louis Paris, 1856
M. l'Abbé Bignon, à l'exemple de Messieurs Colbert et de Louvois, signala de nouveau son zèle pour la Bibliothèque Royale, en faisant faire au Levant de nouvelles recherches.
L'établissement d'une Imprimerie Turque à Constantinople lui fit naître, en 1727, l'idée de s'adresser pour avoir les livres qui sortiraient de cette imprimerie, à Zaïd Aga, lequel, disait-on, en avait été nommé le Directeur, et pour obtenir aussi le catalogue des manuscrits grecs et autres qui pourraient être dans la Bibliothèque du Grand Seigneur. M. l'Abbé Bignon l'avoit connu en 1721, pendant qu'il étoit à Paris à la suite de Mehemet Effendi son père, Ambassadeur de la Porte. Zaïd Aga promit les livres qui étaient actuellement sous presse; mais il s'excusa sur l'envoi du catalogue, en assurant qu'il n'y avait personne à Constantinople d'assez habile pour le faire. M. l'Abbé Bignon communiqua cette réponse à M. le Comte de Maurepas, qui prenait trop à cœur les intérêts de la Bibliothèque du Roi pour ne pas saisir avec empressement et avec zèle cette occasion de la servir ; il fut arrêté que la difficulté d'envoyer le catalogue demandé n'étant fondée que sur l'impuissance de trouver des sujets capables de le composer, on feroit passer à Constantinople quelques savans, qui, en se chargeant de le faire, pourraient voir et examiner de près cette Bibliothèque.
Ce n'est pas qu'on fût persuadé à la Cour que la Bibliothèque tant vantée des Empereurs Grecs existât encore ; mais on vouloit s'assurer de la vérité ou de la fausseté du fait. D'ailleurs, le voyage qu'on projettait, avoit un objet qui paroissait moins incertain; c'était de recueillir tout ce qui pouvait rester des monumens de l'antiquité dans le Levant, en manuscrits, en médailles, en inscriptions, etc.
M. l'Abbé Sevin et M. l'Abbé Fourmont, tous deux de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, furent chargés de cette commission. Ils arrivèrent au mois de Décembre 1728, à Constantinople ; mais ils ne purent obtenir l'entrée de la Bibliothèque du Grand Seigneur ; ils apprirent seulement, par des gens dignes de foi, qu'elle ne renfermait que des livres Turcs et Arabes, et nul manuscrit Grec ou Latin, et ils se bornèrent à l'autre objet de leur voyage. M. l'Abbé Fourmont parcourut la Grèce, pour y déterrer des inscriptions et des médailles; M. l'Abbé Sevin fixa son séjour à Constantinople: là, secondé de tout le pouvoir de M. le Marquis de Villeneuve, Ambassadeur de France, il mit en mouvement les Consuls et ceux des Echelles qui avaient le plus de capacité, et les excita à faire chacun dans son district quelques découvertes importantes. Avec tous ces secours et les soins particuliers qu'il se donna, il parvint à rassembler en moins de deux ans plus de six cents manuscrits en langues orientales ; mais il perdit l'espérance de rien trouver des ouvrages des anciens Grecs, dont on déplore encore aujourd'hui la perte. M. l'Abbé Sevin revint en France, après avoir établi les correspondances nécessaires pour continuer ce qu'il avait commencé ; et en effet la Bibliothèque du Roi reçut plusieurs envois de manuscrits, soit grecs, soit orientaux. On est aussi redevable à M. le Comte de Maurepas de l'établissement des Enfants ou Jeunes-gens-de-langues, qu'on élève à Constantinople aux dépens du Roi ; ils ont ordre de copier et de traduire les livres Turcs, Arabes et Persans ; ces copies et ces traductions sont adressées au Ministre, qui, après s'en être fait rendre compte, les envoie à la Bibliotheque du Roi : les traductions, ainsi jointes aux textes originaux, forment déjà un recueil considérable.