Victor Langlois
Rapport sur l’exploration archéologique de la Cilicie et de la Petite-Arménie pendant les années 1852-1853.

Paris, Imprimerie impériale, 1854
56 pages

Le récit intégral de cette expédition parut sous le titre suivant :
Voyage dans la Cilicie et dans les montagnes du Taurus, exécuté dans les années 1852-1853...Paris, Benjamin Duprat, 186, 484 pages

♦♦ Description assez complète de la Cilcie et de ses monuments. Ce texte doit être remis dans le contexte de cette période où Napoléon III, comme nombre d'Européens, considère que les minorités chrétiennes sont opprimées par l'Empire ottoman. L'auteur lui-même a du mal à prendre ses distances avec ses propres préjugés et privilégie certaines cultures tout en se montrant condescendant avec les autres.
Nous ajoutons entre crochets [  ] le nom actuel des sites décrits et quelques commentaires. 

A lire sur le sujet l'excellente synthèse d'Olivier Casabonne, La Cilicie à l'époque achéménide, De Boccard, 2004, 330 pages.

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Par un arrêté du 7 mai 1852, Votre excellence a bien voulu me charger de l’exploration de la Petite-Arménie, royaume fondé au Moyen-Âge dans la partie de l’Asie mineure connue sous le nom de Cilicie.

Dans un espace de huit mois, j’ai parcouru tous les points accessibles de cet ancien royaume chrétien, qui, par suite de la conquête musulmane sur les princes français de la maison des Lusignan, forma le pachalik d’Adana, et, pour partie seulement, ceux d’Itschil [Içel], de Konieh [Konya] et de Marach [Maraş].

Dans le cours de mes excursions, j’ai visité successivement les points historiques de la Petite-Arménie, et par un examen attentif, j’ai pu me mettre en mesure de décrire à Votre Excellence ce qui reste des villes et monuments des temps anciens.

Je commencerai par la Cilicie Trachée, et j’ajouterai à la suite de la notice, dont diverses cités feront le sujet, quelques-unes des inscriptions que j’ai découvertes, tant sur les restes des monuments anciens que sur des fragments de marbre ou de pierres épars dans les ruines.

Si plusieurs de ces inscriptions sont incomplètes, ce n’est pas seulement à l’action des siècles qu’il faut attribuer la cause, mais encore aux musulmans, qui, lors de la conquête, et pour faire disparaître ce qui leur rappelait la domination étrangère, en martelèrent un assez grand nombre.

Holmi (Cheyr-Housan)

Holmi est le nom ancien d’une ville située au bord de la mer, sur un golfe, et au sud de Sélefké [Silifke]. Ses décombres, qui couvrent le littoral et, jusqu’à certaine hauteur, le rocher sur lequel elle était construite, démontrent qu’elle avait une grande importance.

Les matériaux employés dans ses constructions consistent en blocs de marbre, les uns verts, les autres rouges, veinés de blanc. Quelques murs de maisons sont encore debout ; mais il ne reste des édifices de cette ville antique que des débris amoncelés qui ne m’ont offert aucun vestige d’inscriptions.

C’est de la ville d’Holmi, suivant Strabon, que sortirent les premiers habitants de Sélefké, qui abandonnèrent leur cité pour venir s’établir dans la nouvelle ville fondée par Séleucus Nicator, sur les rives du Calycadnus, au commencement du Ier siècle avant l’ère chrétienne.

A une petite distance d’Holmi, dans la direction de l’est, et toujours sur les bords de la mer, on voit les ruines d’un monastère byzantin bâti sur un rocher. J’ai trouvé en cet endroit les restes de mosaïques qui pavaient ce monument, et jusque dans le ravin, que je n’ai pu me rendre compte des sujets qu’elles représentaient.

Le promontoire Sarpédon

En avant du cap Cavalier et des ruines d’Holmi se trouve le cap Sarpédon, formé d’une sorte de marbre blanc dont les couches, partout horizontales, y ont infléchies et brisées de la manière la plus extraordinaire. Selon Strabon, il y avait en cet endroit un temple et un oracle de Diane Sarpédonie.

J’ai fait des recherches infructueuses le long du rivage, afin de découvrir quelques vestiges du fameux temple d’Apollon Sarpédonien, qui, selon Basile de Séleucie, occupait une jetée ou  langue étroite sur le bord de la mer : Epiteicizei de eauthn tw daimoni, tw Sarphdoni, tw katalabonti men thn epi thn qalattns celhn.

Sélefké iskelessi (Echelle)

L’Echelle de Sélefké n’est éloignée que d’une heure des ruines du monastère de Cheur-Houran. C’est une petite bourgade composée de quelques maisons et magasins. Les habitants, grecs pour la plupart, chargent en cet endroit les grains de l’intérieur sur des bâtimants arabes qui transportent les marchandises à Alexandrette (Iskanderouna) [Iskenderun] et dans les autres ports de la Syrie.

J’ai remarqué sur ce point les ruines d’une petite chapelle byzantine, assise sur des rochers qui bordent la mer et au milieu desquels on voit quelques sarcophages creusés dans le roc. Ils ont été brisés, et ce n’est que difficilement que j’ai pu distinguer un reste d’inscription gravée sur l’un de ces sarcophages. Une voie romaine, dont on voit encore les traces, conduisait de Sélefké-Iskelessi à la ville de Séleucie, par Mériamlik.

Entre l’Echelle et Sélefké se trouvent les ruines d’un autre monastère byzantin d’une grande étendue, et placé, comme l’indique son nom, sous l’invocation de la vierge Marie (Mériamlik, lieu de Marie). Ce monastère couvrait tout un monticule. J’y ai compté cinq églises des VIIIe et IXe siècles, dont les débris jonchent le sol, et trois réservoirs où se jetaient les eaux qu’un aqueduc amenait des montagnes. Quelques arches de ce monument se voient des hauteurs qui dominent Sélefké.

Des nombreux sarcophages dont les débris étaient épars, un seul, caché sous d’épaisses broussailles, conservait encore la trace d’une inscription rappelant la mémoire de l’un des religieux du monastère.

Séleucie-Trachée (Sélefké) [Silifke]

De l’ancienne Séleucie il ne reste que des décombres qui couvrent une certaine étendue de terrain à l’ouest de la ville actuelle, ce qui paraît démontrer que l’antique cité avait de l’importance.

Les ruines qui se voient à Sélefké accusent les trois époques, romaine, byzantine et arménienne ; celles de l’époque romaine sont :  le Poecile, large escalier taillé dans le roc, que Strabon décrit dans sa Géographie. On aperçoit, à quelques distance de là et sur le Calycadnus, un pont à cinq arches qui donne accès à Sélefké. Ce pont, de construction romaine, est menacé d’une prochaine destruction.

Un aqueduc qui amenanit les eaux de la montagne dans la ville et formait angle droit avec le pont, est complètement ruiné. Un autre aqueduc, destiné à amener les eaux de Meriamlik dans un grand réservoir entouré d’arcades et situé au centre de de Sélefké, non loin du rocher de Tékir-Hambar, n’a pas plus que le premier échappé à la destruction ; cependant quelques-unes de ses arches, encore debout, se voient dans la plaine à l’ouest de la ville .

Le réservoir entouré d’arcades dont je viens de parler a la forme d’un parallélogramme ; on y descend par un escalier tournant de vingt-cinq marches.

Les monuments de l’époque byzantine consistent en une église dont la rotonde et quelques colonnes ne se sont pas encore affaissées. Cette église, qui peut donner une idée de l’importance de la ville au moyen-âge, était primitivement un temple dont on voit encore çà et là, gisant sur le sol, les fragments de la frise qui était ornée de guirlandes que reliaient entre elles des génies ailés tenant d’énormes grappes de raisin. Les chrétiens, lorsqu’ils changèrent la destination de ce temple, firent pratiquer dans l’hémicycle deux ouvertures séparées par une colonnette de marbre rouge semblable à celui qu’on trouve à Holmi et dans les environs.

A peu de distance de cet édifice est la nécropole appelée Giawour-Sini (cimetière des chrétiens) ; elle consiste en chambres sépulchrales et en sarcophages creusés dans le rocher. J’y ai copié un assez grand nombre d’inscriptions sur des sarcophages dont les ornements et le style révèlent l’époque chrétienne.

Une autre nécropole, peu éloignée de la précédente, m’a fourni des inscriptions de la même époque ; elle est connue des habitants sous le nom de Tékir Hambar.

La ville de Sélefké, composée d’une soixantaine de cabanes, est bâtie en amphithéâtre au pied d’une montagne que couronne un vaste château entouré d’un double mur d’enceinte. Deux bris d’inscriptions grecques m’ont donné l’assurance que cette forteresse était de construction byzantine.

Sur la porte d’entrée du château et dans l’intérieur, on voit deux inscriptions arméniennes, qui paraissent avoir été mutilées avec intention.

Ces inscriptions sont une preuve de l’occupation de la forteresse par les Arméniens, qui durent en restaurer quelques parties après que les successeurs de Roupène Ier eurent étendu leur territoire à l’ouest de la Cilicie. 

Kalo-Coracésium (Perschendé)

Kalo ou Pseudo-Coracésium est une ancienne ville dont les ruines, belles encore, sont un indice de sa grandeur passée ; elle était situés sur les deux versants d’un rocher qui, en cet endroit, limite la mer et se divise en deux chaînes séparées par une rivière. L’un de ces rochers vient aboutir à Sélefké, qu’une journée de marche sépare de ce point , et l’autre à Lamas. Cette première chaîne de rochers borde une belle plaine qui s’étend de sa base à la mer, et est coupée par des cours d’eau.
On voit à Kalo-Coracésium les débris d’un aqueduc romain de dix-sept arches et de plusieurs églises byzantines. Je n’ai trouvé sur ce point aucune inscription, ce qui me fait supposer que celle qu’a publiée l’amiral Beaufort, et que rapportent MM. Letronne et Boeckh, a été brisée par de récents éboulements.
Sur le bord de la mer et dans l’intérieur du rocher, on remarque des cuves larges, mais peu profondes, qui, sans doute, étaient les salines de la cité, aujourd’hui déserte, et dont les ronces et de hautes broussailles couvrent les restes.

Tatli-Sou

Tatli-Sou (eau douce), ancienne étape romaine, est le nom donné à une source qui verse ses eaux dans un petit réservoir construit au bord de la mer, à trois heures environ de Kalo-Coracésium (Perschendé). On remarque sur ce point plusieurs puits comblés, sur lesquels passe le chemin qui conduit des ruines de Kalo-Coracésium à Gorighos, et uns construction carrée, dont deux pans de muraille seulement sont debout. Il est permis de croire que là était un petit temple consacré à la divinité protectrice des eaux.
C'est dans les environs de ce point que se trouvait la fontaine de Nus, dont les eaux, selon Varron, avaient la singulière propriété de donner à ceux qui en buvaient un esprit plus fin et plus subtil.

Corycus (Gorighos)

Les ruines de cette ville antique sont à une journée et demie de marche et à l'est de Sélefké, sur le bord de la mer, dans une plaine rocailleuse entourée par des rochers qui se lient à la chaîne taurienne. Cette ville, grecque dans l'origine, puis romaine, occupe une large place dans les diverses phases de l'histoire de la Cilicie. De l'époque romaine, il reste un bain pratiqué dans le rocher qui borde la mer ; une nécropole sans inscriptions, se composant de chambres sépulchrales aussi creusées dans le roc, et dans lesquelles on pénètre par une ouverture haute d'environ deux mètres ; enfin les restes d'une route qui traversait la ville et conduisait à Pompéiopolis et à Tarsous [Tarse].

La ville byzantine a dû se maintenir à la hauteur de la cité romaine, à en juger par les restes de plusieurs églises de l'époque grecque, d'un  monastère et d'une vaste nécropole composée de chambres sépulchrales, et qui a été dévastée, comme toutes celles que j'ai visitées en Cilicie ; néanmoins j'y ai trouvé des inscriptions assez bien conservées au milieu de beaucoup d'autres qui portent des traces de mutilation.

Sous la domination arménienne, les Thakavors de la Cilicie comprirent que Gorighos, placée aux extrémités de leur royaume, devait leur servir de rempart. Ils y firent construire seux châteaux forts, dont ils confièrent la garde à des princes de leur famille. De ces deux monuments, qui ont échappé à une complète destruction, l'un, le plus ancien, est bâti sur le rocher qui borde la mer et entouré d'une solide muraille ; l'autre est situé sur un îlot, en face du premier et sur l'emplacement de la forteresse dans laquelle Archélaüs renfermait ses trésors [Strabon, Géog. Liv. XIV, ch. V]. Il est aussi entouré de bonnes murailles flanquées de tours. Cette forteresse était reliée au château de terre par un aqueduc qui y amenait les eaux de la ville de Gorighos et qui est aujourd'hui détruit ; on voit seulement, près du château de terre, les fondations que les vagues de la mer minent et feront bientôt disparaître [cf Viaggi del S. Barbaro, ed. Ald. Ven., p. 28 v° et 29].

Sur la porte de la grande tour de ce château, j'ai copié deux inscriptions arméniennes, dont je donne ici le texte avec la traduction :

"Dans l'année des Arméniens 700…..
Par le pieux roi Héthum………
….. ce château princier a été construit…..
….. le grand Prince fils d'Héthum ….."

L'an 700 de l'ère arménienne correspond à l'an 1251 de l'ère chrétienne, sous le règne d'Héthum Ier.

" Dans l'année 637 de l'ère arménienne ; du Christ 1206…
D'Adam….. d'Alexandre ….. des Arméniens 160 …..
Et dans l'année 1078 de l'ère des Séleucides…..
Le roi Léon a bâti ce château …..
….. les fils du Baron…..
………………………."

L'année 1206 de Jésus-Christ correspond à la 25e année du règne de Léon II, qui gouverna l'Arménie de 1181 à 1219.

Au temps du voyage de Kennedy Bailie en Cilicie (1846), on voyait encore dans l'île de Corycus une inscription que ce voyageur a publiée dans son Fasciculus inscript. Graecarum (Dublin, 1846, in-4°, t. II, n° 115, a, p. 90-92).

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Antre corycien

Au nord de Gorighos, et après deux heures et demie d'une marche difficile à travers des rochers escarpés et couverts de ronces, de houx, de myrtes et de pins, on arrive à une profonde vallée par de hautes montagnes rocheuses. Sur un point de cette vallée, et à la base de deux rochers dont les sommets se joignent, se trouve une grotte naturelle d'où s'échappe une eau assez limpide.

Cette vallée est connue sous le nom de Val des démons (Cheïtanlik), allusion aux anciens habitants de l'antre, dont Strabon et Pomponius Méla nous ont parlé longuement.

Le safran, krokos, qui, peut-être, a donné son nom à Corycus, croît dans le Val des démons, où quelques malheureux Turcomans le récoltent pour le vendre à Sélefké et à Tarsous. 

Elaeusa-Sébaste (Ayas)

De Corycus à Lamas, tout le rivage n'offre qu'une suite continuelle de ruines. Les habitants donnent le nom d'Ayach à un assemblage de huttes entourées des ruines d'une ville qui a occupé une étendue considérable. Les plus remarquables sont celles d'un théâtre et d'un temple situé sur le penchant d'une colline ; les colonnes sont d'ordre composite, cannelées et d'environ quatre pieds de diamètre. Les travaux entrepris pour la conduite et la conservation des eaux sont dignes de la grande époque qui présida à la construction des aqueducs de Sébaste, qui sont au nombre de trois, dont deux, traversant un vallon, sont soutenus par deux rangs d'arcades ; le troisième a une longueur de plus de cinq mille.

La ville de Sébaste porta d'abord le nom d'Elaeusa, et Oppien nous la représente comme une île quand il dit : "Ecoutez d'abord avec quelle adresse la pêche des anthias est fait par ceux qui habitent mon heureuse patrie, au-delà du cap Sarpédon, soit la ville de Mercure, Corycée, célèbre par ses vaisseaux, soit l'île d'Elaeusa." Toutefois elle était devenue une presqu'île lorsque Etienne de Byzance écrivait ; maintenant elle forme une péninsule réunie au continent par un isthme fort bas.

La voie romaine qui, ainsi que je l'ai dit, allait de Séleucie à Tarsous [Tarse], traversait Elaeusa, où elle est encore en assez bon état. Si elle n'a pas été détruite, comme toutes celles que les Turcs ont parcourues sans les entretenir, c'est que ceux-ci ont abandonné cette direction pour suivre un chemin longeant les bords de la mer.

La plupart des sarcophages que j'ai vus dans cette ville sont revêtus de bas-reliefs, mais sans inscriptions. Trois des plus remarquables sont d'un bon travail, et ornés de guirlandes reliées entre elles, sur le premier, par des têtes de chèvre ; sur un autre, par deux lions affrontés ; enfin, sur le troisième, par deux génies et un aigle aux ailes éployées. On lit sur les sarcophages sans bas-reliefs diverses inscriptions.

Aucune des nombreuses ruines de cette antique cité ne paraît avoir appartenu à une église et cependant il y a là des inscriptions chrétiennes.

A l'ouest des débris de Sébaste, et dans un champ cultivé, se trouve le tombeau d'un santon vénéré des Turcomans du pays ; c'est un petit monument carré surmonté d'un toit conique, et sur la porte duquel on lit une inscription en deux lignes, qui fait connaître le nom du cheik, à qui ce monument est consacré.

Kannidali (Ancienne ville ruinée) [Kanlidivane]

Sur l'un des nombreux rameaux de la chaîne taurienne, et à deux heures environ d'Ayach, se trouve une ville en ruines comme celle-ci, et dont les débris couvrent tout un plateau de la montagne. Quelques Turcomans ont bâti, au milieu de ce décombres, un village qu'ils habitent et qu'ils nomment Kannidali [Kanlidivane, Kanytelis] . Les ruines de cette antique cité appartiennent à deux âges distincts : époque romaine et époque byzantine.

Les plus anciens monuments qui remontent à l'époque romaine consistent en murailles d'enceinte, mausolées, chapiteaux détachés de leurs colonnes, sarcophages, et en un bas-relief sculpté sur un rocher situé dans l'intérieur d'une carrière que renferme la ville. Ce bas-relief représente six personnages, les uns assis, les autres debout, tous vêtus de longues robes flottantes ; au-dessus d'eux est une inscription dont je n'ai pu tirer que quelques mots.[Illustration ci-dessous]

kanlidivane_langlois.jpg

Les sarcophages, disséminés sur tous les points de la ville, mais en plus grand nombre au nord et à l'ouest, portent des inscriptions à peine lisibles.

Au milieu des décombres de cette ville, on remarque plusieurs églises grecques, dont deux offrent d'assez beaux restes, qui, par leur forme, semblent appartenir aux VIII et Ixe siècles. L'une est situés au nord et près de la carrière dont il est question plus haut ; la seconde est au sud-ouest ; enfin trois autres, qui sont de moindre importance, sont situées au nord et au sud.

Les débris de cette vieille cité sont envahis par de hautes broussailles qui en rendent l'exploration difficile, et qui même en dérobent la vue au voyageur passant dans son voisinage.

 

Route de Aïasch à Lamas, par le bord de la mer

Ak-Kalah-Lamas

Le château de ce nom a une grande étendue ; il est de forme ovale et situé sur les bords de la mer et à petite distance de ce dernier. Ces deux monuments présentent l'iamge de la plus complète destruction.

Route de Kannidali [Kanlidivane] à Lamas, par les montagnes

Une voie romaine pratiquées dans les rochers, et longeant un des chaînons du Taurus, conduisait, de la ville ruinée sur l'emplacement de laquelle se trouve Kannidali, à Lams, autre ville antique. Une marche de quatre heures les sépare. On remarque sur cette voie les restes de ces tours d'observation citées par les auteurs byzantins, et d'où l'on faisait, au moyen de feux, des signaux qui se transmettaient à Constantinople. Cette télégraphie avait pour objet de faire connaître les incursions des barbares et de demander des secours.

A mi-chemin de Kannidali à Lamas, la route passe sous un arc en pierre de roche, peu élevé, d'un travail assez grossier, et dont l'attique est orné de plusieurs figues empruntées à la mythologie.

M. Guigniaut, membre de l'Institut, à qui j'ai montré le dessin de cet arc, y a reconnu les emblèmes particuliers aux Cabires de Samothrace, dont le culte s'était répandu en Asie mineure et en Phénicie, après l'établissement des colonies grecques. 

Lamas

Lamas n'est aujourd'hui qu'une médiocre bourgade, composée de quelques maisons bâties sur une petite éminence et à une demi-heure de la mer. De la ville antique, il ne reste qu'un aqueduc romain en partie conservé, reliant deux rochers, et qui amenait l'eau du Lamas-Tschai [Lamas-çay] à une forteresse située à l'ouest, et sur l'emplacement de laquelle les Grecs élevèrent un château dont les Arméniens prirent possession lors de la conquête.
Un château byzantin, qui était assis sur les bords de la mer, ne présente plus que des amas de décombres.

Téfing-Kalessi (Château du fusil)

A une heure de Lamas, au nord, et en suivant le cours du Lamas-Tschaï, qui serpente entre deux rochers, dont l'un, haut de plus de trois cents mètres, présente à sa base, et vers son sommet, des débris de constructions, on arrive à une courbe d'où les eaux s'écoulent en cascades.

En escaladant le rocher situé sur la rive gauche du torrent, on parvient à un petit tertre qui se trouve vers son centre ; et de ce poste on aperçoit, fixés dans une cavité du rocher de la rive droite, à égale hauteur, et à la distance d'environ cinquante mètres, trois objets dont les traditions locales font un fusil et un sabre ; de là le nom de Tefing-Kalessi ou Dagh donnés à cet endroit. Il est difficile de s'expliquer comment il a été possible d'arriver à ce point élevé du rocher, qui a la forme d'un dôme coupé par son centre, sans aspérités ni branches d'arbustes propres à faciliter l'ascension, pour y loger des armes de guerre. Au moyen d'une excellente lunette et grâce à une attention soutenue, je crus reconnaître que ces prétendues armes n'étaient autre chose que le bois d'un arc paraissant orné d'incrustations d'ivoire et deux objets ayant la forme de flèches garnies de leurs pennes.

Dans l'impossibilité où j'étais de me fixer d'une manière certaine sur ce dépôt mystérieux, je tirai à balles sur le point du rocher où il était fixé, et touchai l'arc qui, en se déplaçant, se montra distinctement et démasqua un quatrième objet qui me parut être la poignée d'une épée. Là durent se borner mes tentatives pour me procurer ce faisceau, et, comme un touriste anglais qui avait dépensé d'assez fortes sommes pour atteindre le même but, je renonçai à mon projet.

Olba [Uzuncaburç]

[Ce site  a été restauré et permet de découvrir de beaux monuments]

A l'est de Lamas, et à une heure de marche dans les rochers, non loin des rives du Lamas-Tschaï [Lamas-çay], je découvris des monceaux de pierre et autres matériaux en partie cachés par des broussailles, qui me prouvèrent que, sur ce point, une ville d'une grande étendue s'était élevée dans l'antiquité.

Sur un rocher assis au milieu de ces décombres, je vis deux signes gravés assez profondément et dont je ne reconnus pas d'abord la valeur ; néanmoins je les dessinai très exactement, espérant que plus tard, et par des recherches et des comparaisons, il me serait possible d'établir des rapports entre ces signes et d'autres représentations.

En effet, à quelque temps de là, je me procurai une médaille de Polémon, toparque d'Olba ; et sur cette médaille en cuivre, d'un beau module et bien conservée, je trouvai les deux signes que m'avait présenté le rocher. Ces rapprochements me démontrèrent que les ruines dont je viens de signaler l'existence étaient bien celles de la ville d'Olba, omise dans la carte de Kiepert et placée, dans celle des Mekhitaristes, au nord, entre Lamas et Sélefké, sur une montagne assez élevée.

Suivant Strabon, Olba était assise sur une chaîne de montagnes au-dessus de Soli et du fort de Cyinda dont je parlerai tout à l'heure. Cette indication manque de précision, je pense qu'il conviendrait de marquer la place d'Olba sur la rive gauche du Lamas-Tschaï, là où sont les ruines dont je viens de parler, et le rocher où sont gravés les signes identiques à ceux de la médaille de Polémon, toparque d'Olba.

Route de Lamas à Pompeiopolis

En quittant Lamas et en se dirigeant à l'est, sans s'écarter du rivage, on arrive à un château (Ak-kalah [Ak kale]), d'une grande étendue.
Vient ensuite Erdemlu [Erdemli], village sans importance, bâti sur l'emplacement de Calanthea, et à peu de distance de la mer. On y voit les ruines d'un autre château dont les matériaux ont été employés dans les constructions du village. La rivière d'Erdemlou limitait à l'ouest les possessions égyptiennes, et Ibrahim Pacha, qui les avait conquises, y fit construire une redoute dont il ne rest aujourd'hui que peu de choses.
Deux châteaux se trouvent dans la direction d'Erdemlou à Pompeiopolis : le premier est connu sous le nom d'El-Bourbour-Arbasch ; l'autre, du nom de Cheyr-Boghaz [Şehir boğaz] défilé de la ville), vient ensuite, et, comme le premier, ne présente que des ruines sans intérêt.

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Soli-Pompeiopolis (Akmoun) [à Mersin]

Les auteurs ne sont pas d'accord sur la fondation de Soli, que les uns attribuent aux Rhodiens de Lindus, d'autres aux Achéens, divergences qui ne permettent pas d'en fixer l'époque ; néanmoins, les médailles qu'on a de cette ville sont une preuve de son antiquité.
Pompée, qui restaura et embellit Soli en lui donnant son nom, l'assigna pour résidence aux pirates qu'il avait vaincus. Il l'entoura de fortes murailles, y fit creuser un port, et éleva des colonnes que reliaient entre elles des arcades, qui conduisaient des portes de la ville à ce port.
Un théâtre, des bains, divers édifices et les magnifiques colonnes du dromos, dont quarante-trois [voir les photos] se dressent encore au milieu des ruines, témoignent de tout ce qu'a fait Pompée pour la splendeur de cette ville.
Je n'ai trouvé à Pompeiopolis qu'une seule inscription, que le voyageur anglais Bailie a publiée dans son recueil et que j'ai donnée depuis dans la revue archéologique :

"Sous Alexandre, fils d'un tel, archonte pour la deuxième fois, l'appariteur et secrétaire, ayant été deux fois archonte, a fait faire seul, à ses frais, pour le salut de sa famille, ce siège, avec la tribune, les degrés et les …"

Hors du mur d'enceinte et à l'est, on voit sur une petite éminence les restes d'un monument qui a dû être consacré au poète Aratus. C'est une construction en poudingue dont un côté est resté debout, et qui entourait un sarcophage profané et renversé. J'ai dit, dans un autre travail, que j'avais vu dans ce monument le tombeau d'Aratus : la description de Pomponius Mela et l'examen du terrain, ne pouvaient, en effet, me laisser de doutes. Voici le passage du géographe latin (De situ orbis, ch. XIII, Cilicia) :

"Deinde urba est olim à Rhodiis Argivisque, post piratis Pompeio assignante possessa ; nunc Pompeiopolis, tunc Solae : juxta in parvo tumulo Arati poetae monumentum ; ideo referendum quia ignotum qua mob causam jacta in id saxa dissiliunt."

De Pompeiopolis à l'embouchure du Cydnus

A une heure et demie de Pompeiopolis et à l'est, se trouve Mersine (Zephyrium) [Mersin], aujourd'hui port de Tarsous [Tarsus]. En creusant, il y a quelques années, les fondations de cette petite ville, dont la population est, en grande partie composée d'européens, on découvrit des tombeaux  faits de larges briques, appartenant à l'époque romaine, mais dont il ne reste rien, aucune importance n'ayant été donnée à cette découverte.

Il y avait à Mersine une église grecque placée sous le vocable de Saint Georges ; près de l'arbre consacré à ce saint, on a découvert un fragment de plaque en marbre où il est représenté à cheval, avec le monogramme  "o aghios Georgios".

Au nord et à l'est de Mersine se trouvent plusieurs châteaux byzantins, gênois ou arméniens, ce sont Elhabellieh-kalessi, Goudbès-Kalessi, Turmell'-kalessi...

Le village de Karadowar, qui vient après, referme les restes  d'un bain, dans lequel se voit une belle mosaïque que j'ai dessinée.

Kasanlié est un autre village situé à une heure du précédent. J'y ai trouvé deux inscriptions : l'une, grecque, est gravée sur un marbre noir ; la seconde, qui se lit sur le côté d'un chapiteau, est latine et rappelle le nom d'un gouverneur de la province de Cilicie vers la fin du IIIe siècle.

....CIPIIVENTVTISDNO....IOVALERIO
CONSTANTIONOBELLISSIMOCAESARI
AIMILIVSMARCIANVSVPPRASCILICIA
DICATISSIDVSNVMINIMAIESTATIOVEORUM

[Prin]cipi ju[v]entutis, d[omi]no [nostro] Julio Valerio
Constantio, nob[i]lissimoCaesari,
Aemilius Marcianus v[ir] p[erfectissimus] praes[es Cilicia[e]
dicatissi[m]us numini majestati [q]ue[e]orum.

"A prince de la jeunesse, notre seigneur Julius Valerius Constantius, nobilissime césar ; l'homme très parfait Emilius Marcianus, gouveneur de Cilicie, dévoué à leur divinité et à leur majesté."

A part un ancien bain, il ne reste rien de Rhegma (Ieni-Koï). Les chantiers dont parle Strabon n'ont laissé aucune trace ; et le lac s'est transformé en marais infects qui, pendant les ardeurs de l'été, répandent des miasmes qui déciment la population de Tarsous [Tarsus] et de la plaine.

Au nord des villages cités plus haut, et dans la montagne, se trouve Ichma (lieu où l'on boit) ; là est une source d'eau chaude sulfureuse sortant d'un rocher. Les Romains y avaient construit un bain dont on voit les restes ; quelques sarcophages creusés dans les rochers voisins sont une preuve que dans l'antiquité il y avait des habitations sur ce point ; aucune inscription ne donne le nom de cette source.

Ichma est habité l'été par des Européens, qui vont y planter leurs tentes pour échapper aux fièvres de Tarsous.

Au nord de Kasanlié et sur la route de Tarsous se trouve un monticule qui rappelle l'endroit indiqué par Strabon, où était assis le fort de Cyinda choisi par les rois de Macédoine pour y déposer leurs trésors.

Anchiale

Il est vraisemblable, d'après le témoignage d'Etienne de Byzance, qu'Anchiale ne formait avec Tarsous [Tarsous] qu'une même cité, comme je le dirai en parlant du Dunuk-Dasch. Au surplus, le témoignage de cet auteur se trouve corroboré par l'examen des rives de la mer, à l'embouchure du Cydnus, où ne se voit pas le plus léger vestige propre à marquer l'emplacement d'une ville des temps anciens.

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Tarsous (Tarsous)  [Tarsus]

L'antique cité de Tarsous est située dans une plaine, à petite distance  d'un monticule du nom de  Kusuk-Kolah, et à deux haures environ  de la mer. Ni les auteurs anciens ni les traditions ne sont d'accord sur son origine, de sorte qu'il serait difficile de déterminer l'époque à laquelle remonte sa fondation et de désigner ses fondateurs.

Suivant Strabon, Tarsous aurait été bâtie par les Argiens qui suivirent Triptolème dans la recherche d'Io.

Ammien Marcellin indique Persée, fils de Jupiter, comme son fondateur ; assertion confirmée par Lucain. :

"Deseritur Taurique nemus, Perseaque Tarsos."

Enfin, d'après une tradition, Sardanapale aurait bâti Tarsous et Anchiale en un jour.

Tarsous, aux diverses époques de son histoire, porta des noms différents : elle fut appelée Anchiale, Crana, Parthénia, Hiera et Antioche, du nom d'Antiochus Epiphane, roi de Syrie.

Le Cydnus longe la ville à l'est ; mais ne la traverse pas comme à l'époque de Strabon ; on peut inférer de là qu'elle a beaucoup perdu de son étendue dans les temps modernes.

Tarsous renferme de beaux monuments, soit anciens, soit du moyen âge ; le plus remarquable est le Dunuk-Dasch, édifice bien conservé, dont la vaste enceinte a dû être consacrée à la sépulture d'un roi des temps anciens.

Le Kusuk-Kolah, monticule qui domine Tarsous, et nécropole des Grecs et des Romains, est un point important sur lequel ont été faites de curieuses découvertes, par suite des fouilles qui y ont été pratiquées, et qui en promet de nouvelles.

Le Dunuk-Dasch [Donuktaş, la pierre gelée]

I. Description du monument

Le Dunuk-Dasch est le plus ancien monument de Tarsous et il est vraisemblable qu'il ne le cède à aucun autre de l'Asie en antiquité ; il est situé au sud-est de cette ville, au milieu d'un jardin planté d'arbres fruitiers qui en masquent la vue, et sur la rive droite du Cydnus.[Des fouilles modernes ont montré qu'il s'agit du soubassement d'un temple romain d'époque impériale. cf O. Casabonne, La Cilicie à l'époque achéménide, page 11]

C'est un vaste parallélogramme (I K L M) ayant en surface 87 mètres de longueur, non compris les ouvrages extérieurs, 42 mètres de largeur et 7 mètres 60 centimètres de hauteur, ainsi que l'indique le plan ci-après ; il est construit en poudingue, mélange de petits cailloux, de chaux et de sable, lié par un ciment qui a fait de ses murailles des masses compactes.

Dans l'intérieur de ce parallélogramme se trouvent deux blocs de forme cubique (A et B), dont le sommet correspond à la hauteur des murailles, aussi construits en poudingue, ayant acquis une telle solidité, que l'aiguille du mineur n'y peut pénétrer sans se briser ; ils sont situés aux deux extrémités du parallélogramme, à une distance de 42 mètres, et séparés des murailles par un espace comblé de terres, pour celui qui a le plus d'étendue, et vide pour l'autre. Celui-ci présente, dans sa partie supérieure et jusqu'au tiers de sa longueur, une entaille de 75 centimètres de profondeur (C) et qui fait retour vers les deux extrémités de sa largeur (C'C''). L'autre cube ne présente ni entailles ni ouvertures anciennes sur aucune de ses faces.

Vers le sommet, et dans le bord intérieur du mur d'enceinte qui entoure ces masses cubiques, et au sud-est seulement, on remarque, sur une même ligne et à d'égales distances, un grand nombre de trous, qui devaient servir d'assises à la voûte de ce vaste monument, dans lequel on pénétrait par une seule ouverture pratiquée au nord-ouest du parallélogramme (D) et faisant face au cube entaillé.

En dehors du monument et en face du cube principal situé au nord-est, est une muraille parallèle (E), qui devait se relier, d'un côté, avec la construction principale par une voûte qui couvrait un passage ; et, d'un autre côté, à une troisième muraille (G) élevée parallèlement aux deux autres, par une autre voûte écroulée comme la première, ce que paraissent démontrer les décombres étagés de la base au sommet de ces constructions, qui sont de même hauteur que les murailles du parallélogramme.

En arrière de la troisième muraille est une masse de terre (H), légèrement inclinée jusqu'au niveau du sol.

On remarque que les matériaux composant le poudingue employé dans ces constructions forment des couches horizontales d'environ 50 centimètres d'épaisseur.

A la base et au pourtour du parallélogramme et des monuments qu'il renferme, se trouvent, en grand nombre, des morceaux de marbre blanc de la plus grande beauté, et de différentes dimensions. Des fragments de ce même marbre, ou très-petits, ou même pulvérisés, couvrent la partie supérieure des murs d'enceinte. Dans l'épaisseur de ces mêmes murs et à certaine hauteur, on a ménagé des cavités symétriques où paraissent avoir adhéré autant de plaques de marbre.

Aujourd'hui le marbre a entièrement disparu et le Dunuk-Dasch n'offre plus que des masses semblables à des rochers taillés ; néanmoins les constructions sont dans le meilleur état et ce qui reste du monument est et sera longtemps encore d'une remarquable solidité.

II. Plan et dimensions

Après avoir donné une description exacte du Dunuk-Dasch, je crois utile d'en présenter le plan, qui pourra présenter une idée plus complète encore de cette gigantesque construction, dont j'ai noté les dimensions avec une précisison rigoureuse.

  Image

 

Longueur totale du monument, y compris les constructions extérieures (M N)

115 m
Longueur du parallélogramme seul (K M) 87
Largeur (IK) 42
Hauteur des murs et massifs  7,60
Epaisseur des murailles (D) 6,50
Longueur du grand cube(P Q) 23
Largeur du grand cube (R S) 16,50
Longueur du petit cube (C T) 18
Largeur du petit cube (C' C'') 11
Hauteur des deux cubes 7,60

 

III. Fouilles faites au Dunuk-Dasch [Dönek Taş]

Vers le commencement de l'année 1836, alors que les Egyptiens occupaient le pachalik d'Adana, qu'ils avaient conquis, M. Gillet, consul de France à Tarsous, profitant de l'offre que lui avait faite Ibrahim-Pacha, de mettre à sa disposition des mineurs et des ouvriers pour sonder les Dunuk-Dasch, fit attaquer le cube principal par son centre supérieur, dans lequel il fit creuser un trou qu'il remplit de poudre. L'explosion n'ayant produit aucun effet, et l'aiguille s'étant cassée plusieurs fois dans les tentatives faites pour la faire pénétrer plus profondément, M. Gillet abandonna son entreprise, mais pour faire miner ce même cube à sa base et du côté qui fait face à l'autre monument. A 1 mètre au-dessous du sol, les ouvriers trouvèrent un rang de pierres de taille d'environ 80 centimètres d'épaisseur sut 150 de largeur, et pénétrant dans le massif de 35 centimètres environ.

M. Gillet voulant s'assurer si la base du cube entaillé était semblable à celle qu'il venait de mettre à découvert, y fit creuser un puits de 5 mètres et reconnut que sa construction différait en ce sens qu'aucun rebord saillant n'y avait été trouvé.

Contrarié de l'inutilité de ses efforts, M. Gillet fit reprendre ses travaux au point où il avait découvert des pierres de taille en saillie ; au moyen de coins en fer, il fit pratiquer dans le massif une galerie de 1 mètre 80 centimètres d'élévation sur 150 de largeur, et arriva ainsi jusqu'au centre ; puis il fit creuser en cet endroit un puits de 3 mètres de profondeur au-dessous du sol. ces nouvelles tentatives n'amenèrent pas de meilleurs résultats.

Enfin, M. Gillet, excité par le désir de reconnaître la destination du monument, fit fouiller le terrain entre les deux cubes et trouva, mêlé à des débris de marbre blanc et à des fragments de poterie rouge, un doigt en marbre blanc d'une assez grande dimension, découverte qui lui fit supposer que, sur ce point, une statue colossale avait dû orner le monument.
A compter de ce moment, M. Gillet, qui attendait une suvention du ministre de l'intérieur pour continuer ses travaux, cessa ses recherches et quitta Tarsous en 1839, sans avoir pu découvrir le mystère que cache le Dunuk-Dasch.
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IV. Opinion des voyageurs sur le Dunuk-Dasch [Dönek Taş]
La plupart des voyageurs qui ont visité Tarsous ont essayé de donner une destination au Dunuk-Dasch. Paul Lucas, le premier qui en fait mention, le présente comme la base d'un édifice renversé.
Longtemps après Pierre Lucas, Macdonal Kinneir, qui consacra plusieurs jours à l'exploration de Tarse, examina aussi le monument et dit que ce pouvait être le tombeau de Julien, dont les cendres furent apportées de Perse à Tarse où on éleva à ce prince un mausolée magnifique.
Le consul Dizaut, suivant une lettre qu'a publiée M. Bapt. Poujoulat, n'hésite pas à voir dans le Dunuk-Dasch un tombeau assyrien.
Quand, en 1836, M. Ch. Texier passa à Tarsous, le consul de France, M. Gillet, le conduisit au Dunuk-Dasch, où il faisait des fouilles. Le savant voyageur rapporta, de cette visite, une opinion qui se trouve développée dans son "Voyage en Asie Mineure", et qu'il résume ainsi : "Peut-être ce lieu était la résidence de l'un de ces oracles si répandus dans la Cilicie et la Cataonie."
Le colonel Chesney, chargé par le gouvernement anglais de l'exploration des bords de l'Euphrate, visita le Dunuk-Dasch la même année, et dans une lettre qu'il écrivit à M. Gillet, consul de France à Tarsous, exprima ainsi son opinion : "C'est le monument ancien le plus remarquable et le plus extraordinaire que j'aie jamais vu, tant par la force de sa construction que par la simplicité apparente de ses divisions. Je crois qu'il a été construit pour y loger des tombeaux, et que c'est un temple druide (sic)."
Plus tard le colonel Chesney, écrivant encore à M. Gillet, modifia son opinion, mais pour donner du Dunuk-Dasch une explication basée sur un passage de Strabon qu'il n'avait pas compris. "Je trouve dans Strabon, dit le colonel Chesney, un passage intéressant relatif aux guerres de Mopsus et d'Amphiloque, qui vinrent à Tarsous après la guerre de Troie et s'y tuèrent en combat singulier. Ils furent enterrés dans une même enceinte, mais de manière qu'ils se fissent encore la guerre après leur mort."
Cette traduction est erronée et ne répond en aucune manière au texte de Strabon, qui dit que c'est aux environs de Mégarse que les deux héros avaient été enterrés, et que l'on y voyait leurs tombeaux élevés à une distance qui ne permît pas de voir du tombeau de l'un le tombeau de l'autre.
M. le comte de Laborde, dans l'opinion qu'il a émise et que rapporte M. Gillet dans une lettre à M. le ministre de l'intérieur, a, le premier, jeté un peu de lumière sur le Dunuk-Dasch, en disant que c'était "une vaste sépulture appartenant à un âge héroïque, et où la civilisation grecque a pu faire, lorsqu'elle s'établit dans ces contrées, des additions et des embellissements."
M. Raoul-Rochette, au nom d'une commission de l'Académie, a été appelé à donner son opinion sur ce même monument ; mais comme il n'avait pas de données suffisantes pour traiter ce sujet, le savant académicien se contenta de dire que "ce pourrait être un grand mausolée exécuté à l'époque grecque d'après les données locales et les traditions plus anciennes." Plus tard le même savant ajouta que "des fouilles pourraient procurer des découvertes prouvant que c'est un de ces monuments d'un art gréco-asiatique qui doivent se rencontrer sur un sol tel que celui de Tarsous."
Enfin, M. Koehler, voyageur allemand, qui leva le plan du Dunuk-Dasch en 1851, corrobora l'opinion des savants qui l'avaient précédé dans l'étude du monument et dit que "les deux cubes ne pouvaient être que des tombeaux."
Il est utile de faire connaître ici la légende qui a cours, parmi les habitants de la contrée, sur le Dunuk-Dasch, mots qui signifie, en turc, "pierre renversée".
D'après la légende "ce sérail (c'est ainsi qu'elle qualifie le Dunuk-Dasch) était situé sur une éminence dominant la ville et qu'on nomme Kusuk-Kolah (belvédère). Le prince qui habitait ce palais avec sa fille s'étant attiré la colère du grand prophète, celui-ci, pour les punir, lança leur sérail d'un coup de pied à l'endroit où il se trouve aujourd'hui ; et où il tomba sens dessus dessous, pour y ensevelir les deux personnages."

V. Le Dunuk-Dasch considéré comme monument funéraire
Les savants et les voyageurs sont d'accord sur ce point, que le Dunuk-Dasch est un tombeau ; et la tradition locale confirme cette opinion en le plaçant primitivement sur le Kusuk-Kolah, au milieu de la nécropole que j'ai découverte, et en faisant ensuite de ce monument le tombeau de deux personnages, qui se voit à Tarsous.
Le Dunuk-Dasch révèle, soit par sa forme, soit par le genre de ses constructions, un art purement asiatique ; toutefois, on peut supposer qu'il a été embelli à une époque postérieure à sa fondation, lorsque la civilisation grecque s'est introduite dans ces contrées, supposition que confirment les médailles autonomes de Tarsous, des Séleucides et les Impériales grecques frappées dans cette ville, et sur lesquelles ce monument est représenté orné de guirlandes funéraires etsurmonté d'une pyramide au milieu de laquelle est Sardanapale, vêtu du costume assyrien et debout sur un animal, symbole de son apothéose.

VI. Position d'Anchiale
Plusieurs historiens et des géographes font d'Anchiale et de Tarsous deux villes distinctes : ainsi Eustathe dit qu'Anchiale, ville de la Cilicie, est située près de Tarsous, à l'embouchure du Cydnus ; et il ajoute que le Cydnus, qui traverse Tarsous, reçut le nom de Cydnus, fils d'Anchiale, fille de Japhet.
D'autres auteurs attribuent la fondation d'Anchiale à Sardanapale ; et c'est près des murs de cette ville que Strabon et Arrien placent son monument, qui portait en caractères assyriens l'inscription qui suit :
[...]
Inscription que Cicéron (Tuscul. V) a rendue par :
Haec habeo, quae edi, quaeque exsaturata libido
Hauserat, illa jacent multa, et praeclara relicta.
Strabon est né en Asie Mineure, et il paraît évident que si le cénotaphe de Sardanapale et le Dunuk-Dasch eussent été des édifices distincts, il n'eût pas manqué de mentionner celui-ci comme il a parlé de ces masses monumentales, et que s'il n'en a rien dit, c'est que, par monument de Sardanapale, il entendait ce même Dunuk-Dasch.
L'anniversaire funèbre de la mort de Sardanapale, que célébraient les Tarsiotes par des fêtes et, en élevant un bûcher pyramidal dont il occupait le centre, ainsi que je l'ai dit, est, sinon une preuve, au moins un indice que le tombeau de ce roi et le Dunuk-Dasch ne font qu'un seul et même monument.
Etienne de Byzance, plus précis que les historiens dont je viens de parler, dit qu'Anchiale, comme Parthénia, serait l'ancien nom de Tarsous. S'il en était ainsi, et il est permis de le croire, Anchiale et Tarsous ne feraient effectivement qu'une seule et même ville, comme le cénotaphe de Sardanapale et le Dunuk-Dasch, ne feraient qu'un seul édifice.
En effet, on n'a pas trouvé de médailles avec les noms de Parthéna et d'Anchiale ; et celle attribuée à cette dernière ville par Mionnet (Descrip. supp. VII, page 188) et portant le type d'Esculape, doit être reportée à Anchiale de Thrace.
En admettant les assertions d'Etienne de Byzance, fortifiées par le silence qu'a gardé Strabon sur l'existence du Dunuk-Dasch, il faut écarter celle d'autres auteurs qui placent le cénotaphe de Sardanapale à l'embouchure du Cydnus, où ne se trouve d'ailleurs aucun vestige d'un monument antique, rien enfin qui puisse donner la plus légère idée de l'érection sur ce point, que j'ai minutieusement exploré, du cénotaphe dont il s'agit.

VII. Confusion des monuments de Sardanapale Ier et de Sardanapale II
Aux environs de Ninive, et sur un tertre, était un tombeau élévé à Sardanapale II, sous le règne duquel fut détruit l'empire. Sur une colonne de ce tombeau, échappée à la destruction, on lisait une inscription en caractères assyriens, dont le cynisme rappelait la vie dissolue de ce roi, inscription dont Athénée a conservé trois traductions, l'une de Charile, les deux autres de Phénix de Colophon et de Chrysippe (cf Athénée, VIII, 14).
Le tombeau de Sardanapale Ier portait une autre inscription rapportée par Cléarque, disciple d'Aristote et ainsi conçue :
"Sardanapale, fils d'Anaxyndarax, a bâti à Tarse et Anchiale en un jour, et maintenant il n'est plus."
Clitarque, Aristobule, Callisthène, Hellanicus et Apollodore ont rapporté cette épitaphe, mais ils ont dû la confondre avec celle de Sardanapale II, mort à Ninive ; et les historiens grecs, sans éclaircir les faits, ont accrédité cette confusion, qui, lors du passage à Tarsous d'Alexandre se rendant à Issus, s'est en quelque sorte confirmée par les acclamations de l'armée du héros macédonien, défilant devant le monument qu'elle croyait être celui du prince dont le cynisme a fait la célébrité.
Dans un ouvrage cité plus haut (Recherches sur la chronologie des empires de Ninive, de Babylone, etc), M. de Saulcy dit que le prince qui, après avoir été renversé du trône par Bélésis et Arbace, se serait retiré en Cilicie où il aurait fondé Tarsous et Anchiale, ne peut être Sardanapale Ier, dont l'inscription est ci-dessus.

Les écrivains grecs que je viens de citer ont dû ajouter à la teneur de cette inscription, les mots : Su dè xénos esthié, pine, paide, qui ont fait confondre les tombeaux de deux Sardanapale, monuments parfaitement distincts, ainsi que je l'ai établi dans le cours de ce mémoire.

VIII. Conclusion
En l'absence de textes précis et d'inscriptions qui fassent connaître l'origine et la destination du Dunuk-Dasch, on ne peut, de ce qui précède, tirer que des conjonctures très-vraisemblables d'ailleurs.
Suivant l'opinion commune aux savants qui se sont occupés de cet édifice, et aux voyageurs qui l'ont visité, ce serait un vaste tombeau ; et les médailles de Tarsous qui représentent sa figure et celle de Sardanapale semblent faire de ce monument le cénotaphe de ce prince.
Des historiens, il est vrai, faisant de Tarsous et d'Anchiale deux villes distinctes, placent le cénotaphe dans cette dernière cité ; mais Etienne de Byzance, appliquant ces deux noms à la même ville, renverse les assertions de ces écrivains.
Ainsi, en s'arrêtant à l'opinion des savants, aux types des médailles de Tarsous et à la tradition qui s'est perpétuée en s'embellissant des couleurs des couleurs de la fiction, le Dunuk-Dasch, monument colossal qui a défié le temps et les révolutions dont Tarsous a été le théâtre, et qui se dresse encore presque intact, serait bien le cénotaphe de Sardanapale Ier, réfugié en Cilicie après la perte de son royaume, et qui y mourut dans un âge avancé.

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