La description d'Ankara par Hamilton est très partielle. Il s'intéresse surtout aux monuments antiques, mais ne dit rien des autres monuments ; il nourrit par ailleurs de solides préjugés à l'encontre de la population turque. Quelques passages sont cependant plus inattendus comme les légendes racontées sur les souterrains d'Ankara.

extrait de Hamilton, Researches in Asia Minor, 1842 (adapté de l'Anglais)

La population d'Ankara est importante, et on dit parfois qu'elle dépasse celle de Tokat. Mes estimations ont beaucoup varié : l'une recense 6000 foyers turcs, 4000 arméniens catholiques (dont Ankara est le centre en Asie Mineure, où ils ont fui lorsqu'ils ont été chassés de Constantinople, il y a quelques années), 300 Arméniens schismatiques, 300 grecs, et environ 150 foyers juifs, en tout environ 11 000, ce qui donnerait une population comprise entre 50.000 et 60.000 habitants. Les estimations fournies par les Arméniens catholiques, bien que presque identiques pour le total, varient considérablement dans le détail, et sont probablement plus corrects. Selon eux, Ankara abrite 9000 foyers Turcs, 1500 arméniens catholiques, 300 arméniens schismatiques, et 300 grecs.

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Entrée de la citadelle d'Ankara

Comme exemple des modes de communication et de la manière de faire des affaires en Turquie, je dois mentionner, qu'à mon arrivée à Ankara, j'ai reçu un sac d'argent que j'avais demandé par courrier depuis Amasya à un ami à Constantinople. Il a été porté par un Tatare du gouvernement, qui était arrivé la veille. Craignant que les fonds avec lesquels j'étais parti de Trébizonde s'avèrent insuffisants avant d'atteindre Smyrne, et étant dans l'impossibilité de me procurer de l'argent chez les banquiers arméniens ou autres, sauf à des taux exorbitants, j'ai écrit à Constantinople pour 10.000 piastres, ou 100 livres, à me faire parvenir ici, qui m'ont donc été transmis en or.

Le lendemain de mon arrivée, j'ai rendu visite au Kaimakan, ou adjoint du pacha, qui était à Constantinople, et reçut de lui une promesse d'assistance dans mes recherches, et un chavasse [un soldat ?] pour m'accompagner dans la ville. Le Kaimakan affirmait ressentir une grande hostilité envers les Russes, avec qui il avait hâte d'être en guerre. Il passait la moitié de la journée à entraîner un corps de 200 fantassins et 80 cavaliers, avec l'aide d'un officier européen, un Polonais, dit-on, et qui lui avaient été envoyés de Constantinople. Le Kaimakan avait servi à Schoumla, où, selon ses dires, à la tête de 700 Delhis, il avait chargé et dispersé un corps de 10.000 Russes.

[Temple d'Auguste]

Ma première visite fut pour le temple d'Auguste, dont l'inscription, le célèbre Monumentum Ancyranum, est l'un des témoignages les plus intéressants sur l'époque et sur l'oeuvre de cet empereur. J'ai été bien heureux de constater que la rumeur que j'avais entendu à Smyrne, selon laquelle ce bâtiment avait été détruit par un Turc dans le but de construire un bain avec ses matériaux, était tout à fait fausse. Une petite portion de la paroi d'un côté de la cella, d'environ dix pieds de largeur, a été supprimée, ce qui n'a pas eu de grande conséquence. L'inscription latine qui est à l'intérieur de l'ante n'a pas été touchée, mais elle a souffert de la dégradation ou de rupture de la pierre, qui ne semble pas être le résultat d'un acte délibéré. Tournefort et Chishull supposaient que les trous qui ont abîmé les inscriptions ont été faits par les indigènes, afin de récupérer le métal des agrafes. Ce n'est pas le cas : en premier lieu, ces agrafes n'ont pas été utilisées et, d'autre part, les trous ne sont pas assez profonds que cela aurait été nécessaire pour placer ces agrafes. Par contre, la dégradation semble avoir été causée par le fait que le ciment n'a pas été utilisé dans la construction du bâtiment, une pratique courante dans bon nombre des plus beaux des anciens édifices.

[Négociations pour une inscription]

Le mur à l'extrémité nord de la cella a également été détruit et remplacé pendant le moyen âge par un bema [zone réservée au clergé dans les sanctuaires paléo-chrétiens] semi-circulaire, d'où l'on peut conclure qu'il a été utilisé comme une église grecque. Dans le quartier du temple plusieurs grandes colonnes cannelées, probablement prises au péristyle du temple, ont été intégrées dans les murs de différentes maisons. J'ai passé deux jours à copier l'inscription latine, même si elle avait déjà été copiée par les voyageurs anciens. Texier, quand il était ici, a découvert ce qui avait déjà été mentionné par Pococke, une inscription en grec sur la paroi extérieure de la cella, dont il ne voyait que la colonne de conclusion, le reste étant caché par les maisons construites contre le temple. Il conclut à juste titre, cependant, avec son prédécesseur, que c'était une traduction du latin, mais il ne semble pas avoir copié une partie de celui-ci, et comme il me semblait être dans un meilleur état de préservation que le latin, je suis entré en négociation avec le propriétaire de la maison, qui était heureusement inoccupée à l'époque, afin d'obtenir sa permission de démolir le mur, qui était construit contre le temple. J'ai envoyé Hafiz Agha le trouver et négocier, et en deux jours, il eut la satisfaction d'obtenir son accord. J'avais à peine osé espéré qu'un mahométan eût permis à un giaour d'abattre le mur de sa maison à une telle fin.

En examinant mon acquisition, [...] il est apparu cinq colonnes de plus avec l'inscription grecque presque parfaite, et elle comblait beaucoup de lacunes dans le latin, dont la dernière partie est très incomplète : malheureusement, ces six colonnes ne contiennent pas plus d'un tiers de l'ensemble, le reste était encore caché derrière deux autres maisons qui sont habitées, et quand, après le départ des éléments féminins de la famille, j'ai été admis, j'ai constaté que l'inscription n'avait pas été protégé par un mur de boue comme dans le premier cas, mais que le mur nu du temple avait été exposé à l'intérieur de la maison, de sorte que l'inscription avait été dans beaucoup d'endroits entièrement effacée.
Parmi les faits intéressants révélés par cette découverte de la traduction en langue grecque se trouve le catalogue presque complet des nouveaux bâtiments construits par Auguste, qui dans la version latine est extrêmement défectueux. Ces nouveaux bâtiments étaient : "les temples de Mars, de Jupiter tonnant et triomphant, d'Apollon, de Julius Quirinus, de Minerve, de Junon, de Jupiter Eleuthère, des héros du pays, de la Juventus, de la Mère des Dieux , le Chalcidique, le Forum Augustum , le Théâtre de Marcellus, la basilique Julia, le bosquet des Césars, le portique sur le Palatin, le portique de l'Hippodrome de Flaminius". Il a aussi restauré le Capitole, quatre-vingt deux temples, la Via Flaminia, des aqueducs, et d'autres bâtiments pour des spectacles publics, sans compter les cadeaux aux villes coloniales et italiennes, qui avaient été détruites par les tremblements de terre et par les incendies.

[Une autre inscription grecque]

Il y a une autre inscription grecque intéressante sur le devant de l'un des antes, d'où il ressort que le temple a été dédié à Auguste et à Rome. Le fait qu'il ait été ainsi consacré rend très probable que c'est le temple auquel il est fait allusion dans le décret d'Auguste, cité par Josèphe, [...]  Cette inscription contient également une liste de nombreux rois et des tétrarches de Galatie et d'autres royaumes voisins, qui avaient fait des sacrifices ou des jeux en l'honneur de l'empereur, ou à la dédicace du temple. Certains des noms sont curieux et intéressants pour leurs formes gauloises [NDLR : les galates sont d'origine gauloise] et même gothiques.
La collecte des inscriptions faites au cours de mon séjour à Ankara a été très fructueuse, beaucoup d'entre elles n'ayant jamais été publiées. On les rencontre dans toutes les parties de la ville, dans les portes d'entrée et dans les cours des maisons privées, mais surtout dans les murs de la citadelle.

[La citadelle]

La citadelle est défendue par une triple ligne de fortifications, toutes les portes sont fermées la nuit. Le mur extérieur entoure un espace très grand, dans lequel sont plus de 4000 ou 5000 habitants, dont beaucoup sont des Arméniens, et on y trouve de nombreuses inscriptions, mais c'est le mur de la deuxième ligne ou ligne centrale, appelé le Kaleh Outch, qui en contient le plus. Il est renforcé de nombreuses tours carrées, qui, sont, dans certains cas construites de haut en bas avec des fragments de marbre blanc, avec des portions de bas-reliefs, des inscriptions, des cippes funéraires avec des guirlandes et la tête de boeuf [voir photo ci-dessous], des cariatides, des colonnes et des fragments d'architraves, avec des parties de dédicaces, qui font ressembler les murs à un riche musée.

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Le château supérieur sur le sommet de la roche est appelée Ak Kaleh (Ak kale, le château noir), il ne contient que quelques blocs de marbre, est construit presque entièrement de pierre porphyrique sombre [voir photo ci-dessous], dont la colline se compose, mais certains blocs énormes de cette pierre semblent avoir appartenu à des bâtiments anciens. Ici, j'ai également vu deux statues gigantesques de lions, couchés comme ceux de Kalaijik.

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Pendant mon séjour à Ankara, je n'eus aucune raison de me plaindre du manque d'hospitalité de la part des Turcs ou des Arméniens ; ces derniers m'ont admis librement dans leurs maisons pour copier les inscriptions, et dans un cas, j'ai été obligé d'avoir recours à une maison arménienne pour lire la fenêtre une longue inscription sur le mur du château opposé au moyen d'un télescope. J'étais généralement accompagné par un médecin allemand du nom de Riga, au service du pacha, qui était installé depuis de nombreuses années à Ankara, et qui était marié à une arménienne, mais son salaire payé par le Pacha n'était que de 500 piastres par mois. Il est contraire à toutes les habitudes et aux pratiques de la société turque ou dans la vie domestique de rémunérer ses sulbalternes, qui sont simplement logés et nourris, et reçoivent de temps en temps une gratification. Le mode habituel par lequel un pacha, un agha, ou le gouverneur rémunère ses subalternes, est de les envoyer dans une ville voisine ou du district, pour transmettre un ordre, pour recevoir des impôts, ou pour régler un différend ; dans ce cas, la ville, le village, ou le district sont chargés du paiement d'une certaine somme au porteur, selon la distance et l'importance de l'entreprise, le montant étant généralement indiqué sur l'ordre. C'est ce qui explique la façon dont les gouverneurs turcs peuvent soutenir tant de si grands établissements.

[Un rescapé de la Bérésina]

Sur notre chemin vers les jardins, nous fîmes halte dans le vignoble d'un marchand arménien, où les chevaux étaient gardés par un pauvre polonais, dont la vie avait été une série d'aventures tristes et intéressantes. Servant sous Bonaparte dans la campagne de 1812, il fut fait prisonnier par les Russes à la bataille de la Bérézina, et après avoir passé quelque temps en Sibérie, il avait été placé dans un régiment russe, et envoyé dans le Caucase pour lutter contre les Circassiens. Là, il avait déserté, et avait été vendu et revendu comme esclave pendant plusieurs années, jusqu'à ce qu'il tombe entre les mains d'un Turc, qui l'avait emmené à Ankara, où il avait travaillé comme jardinier pendant un certain temps. Il y a deux ans son maître turc lui avait donné sa liberté.

[Un ermite]

Au jardin, où nous avons trouvé une retraite tranquille à l'abri du soleil, et apprécié le luxe turc couchés sur des tapis près d'un petit ruisseau, nous avons rencontré un autre personnage remarquable, un ermite arménien, qui vit ici seul et cultive son jardin lui-même. On dit que le Pacha d'Ankara a une grande estime pour lui, et lui rend visite sans cesse dans sa retraite. Il était auparavant l'un des plus riches banquiers arméniens à Constantinople et directeur de la Monnaie. Malgré son énorme richesse, ses extravagances et sa générosité lui ont permis de se débarrasser de toute sa fortune ; il a depuis pris sa retraite dans ce lieu, où il mène la vie d'un ermite, ne sortant en la ville que pour vendre les produits de son jardin.

[Souterrains d'Ankara]

Les plus grandes curiosités à Ankara aux yeux des habitants sont les nombreux passages souterrains, qui s'étendent au loin dans différentes directions . On dit que l'un va de la citadelle à la rivière, mais, même si j'ai eu la permission du pacha de la visiter, les clefs de la porte de fer restèrent introuvables, et je perdis l'occasion d'examiner cette curieuse relique de l'antiquité et de profiter du point de vue depuis le château. Cependant je suis entré dans un des passages dans la ville, qui était voûté avec des briques, mais comme il était bloqué par des éboulements de pierres, je n'eus aucun moyen de connaître sa longueur. Je ne pouvais pas souscrire à la crédulité de M. Riga, qui déclara que certains d'entre eux étaient longs de plusieurs miles à l'extérieur de la ville. Un des prêtres arméniens que j'ai rencontré chez l'évêque catholique a déclaré qu'ils avaient huit lieues de long, et un autre, excité par ce sujet mystérieux, ajouta aussitôt qu'il y en avait un que l'on parcourait en deux journées. Le médecin m'a assuré que le passage que j'avais visité avait été bloqué à cause d'un taureau qui avait perdu son chemin, qu'il en était sorti plusieurs miles plus loin, et avait surgi tout à coup dans une cave, terrifiant le propriétaire et sa famille, qui, voyant cette énorme bête à cornes dans la cave, l'avait pris pour Satan en personne, et avait immédiatement bloqué l'entrée. En bref, les histoires que l'on raconte sur ces passages étaient aussi extraordinaires que les fables, auxquelles Arméniens et Turcs croient, dans le respect des trésors cachés. [...]

J'ai été retenu à Ankara plus longtemps que je ne voulais à cause d'une maladie sans gravité, et j'ai passé une soirée au cours de mon séjour dans la maison d'un autre médecin européen, le Dr Leonardi. Il habite depuis de nombreuses années dans ce pays, a épousé une femme arménienne, et porte le costume oriental. Il a une grande famille, et plusieurs filles jeunes et belles ; je fus frappé de la richesse et l'élégance de leur costume, car elles étaient vêtues de leurs plus beaux et plus riches atours pour faire honneur à la visite d'un Beyzadeh anglais. La robe se composait d'une jupe longue et serrée de brocart d'or, sur laquelle était une veste de velours étroitement ajustée, couverte de broderies d'or, avec de grandes manches ouvertes. Autour de leurs têtes, elles portaient des bandeaux de perles et autres bijoux, avec des chaînes de pièces d'or, en plus de brassards et de bracelets de la même nature, et de longues chaînes de sequins autour du cou ; l'aînée avait également plusieurs chaînes de pièces d'or entrelacées dans ses longs cheveux, ou fixées à leur extrémités ; celles-ci ont généralement été donnés, et en accumulant peu à peu, sont considérés comme leur propriété, et quand elles se marient constituent leur dot. Le Dr Leonardi lui-même était agréable et plein d'anecdotes : il racontait des histoires merveilleuses d'aventures qui lui étaient arrivées en Syrie, lorsque il voyageait avec Achmet Agha de Hadji Kieui, dont le nom chrétien que j'ai appris depuis est Achille Guerra.

[Electricité statique]

Un des phénomènes les plus remarquables que j'ai observé dans Ankara était la grande quantité d'électricité qui semblait envahir tout. Je l'ai observé en particulier dans les mouchoirs de soie, le lin, et les étoffes de laine. Parfois quand je suis allé au lit dans le noir les étincelles émises par les couvertures lui donnaient l'apparence d'une feuille de feu ; quand j'ai pris un mouchoir de soie, le crépitement ressemblait au froissement d'une poignée de feuilles sèches ou d'herbe, et à une ou deux reprises j'ai clairement senti dans les mains et dans les doigts des picotements dus au fluide électrique. Je ne pouvais l'attribuer à l'extrême sécheresse de l'atmosphère, et à la friction momentanée. Je n'ai pas observé d'influence du vent, les phénomènes sont les mêmes que ce soit par jour ou de nuit, avec ou sans vent. Pas un nuage ne fut visible pendant toute la durée de mon séjour.

Photos et adaptation © JMB, 2011-02

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