Le système éducatif turc au XVIIIe siècle vu par Toderini, une description assez bien documentée.
Extrait de De la littérature des Turcs
CHAPITRE PREMIER
Académies des Turcs et leurs constitutions
Quoique les académies des turcs, principalement celles de Constantinople, dont nous parlons, n'aient jamais eu l'éclat des académies des arabes et des persans, elles n'en font pas moins considérables pour le nombre, dirigées par de sages lois, et composées de professeurs instruits, enfin dotées de riches fondations, et en état de loger et à nourrir dans des collèges séparés, un grand nombre d'écoliers. C'est par cet air de libéralité et de grandeur qu'elles semblent se distinguer et surpassent peut être encore toutes celles des nations européennes.
Avant même la prise de Constantinople les princes ottomans firent éclater cette généreuse inclination, en fondant, sur un plan aussi noble, parmi le tumulte des armes et au milieu de la férocité des guerres, beaucoup d'académies de littérature et de religion. C'est de ces écoles que l'on tire les muderis [müderris, professeur ou directeur de medrese], les cadis [kadi, juge], les ollahs, les kadiel, eschers, les mutis et les ulemas ou gens instruits dans la loi, sans parler d'autres charges encore plus considérables de l'empire.
Le premier qui en donna l'exemple fut Orcan [Orkhan], sultan de la maison ottomane, qui l'an 736 de l'ère de Mahomet, ou 1335 de notre ère, fonda à Burse [Bursa], sa. ville capitale, une nouvelle Mosquée et une académie, avec une magnificence vraiment royale. Il l'établit dans un monastère, et elle devint fameuse pour la culture des arts libéraux. Les habiles professeurs qui y enseignaient, attiraient des «écoliers en grand nombre, du fond de la Perse et de l'Arabie ; de façon que ces peuples, qui jusqu'alors avoient passé pour être les, maîtres du genre humain, ne dédaignaient pas de. venir s'instruire à l'école des ottomans [note : Voyez Cantemir tom. 1, liv. 1, Pag. 71].
Avant d'en venir aux académies de Constantinople, je dois remarquer en passant que Bajazet premier du nom, dans la famille ottomane, ne crut pas pouvoir mieux employer l'or enlevé aux chrétiens dans.la ligue de Sigismond, roi de Hongrie, qu'en élevant une académie à Burse et à Andrinople ; ce sultan , au rapport des historiens turcs, fondait chaque année une grande école publique. Je ne saurais non plus passer sous silence Amurat II [Murat II] [note : Cantemir, t. I , l2, p. 266 ,267], qui après avoir conquis une ville ne manquait pas d'y ériger incontinent une mosquée, un imaret [note : Hospice où on loge et nourrit gratis les pèlerins pendant trois jours, et où l'on entretient les maîtres et les écoliers des académies.], un khan [note : Lieu destiné à recevoir les voyageurs et leurs montures. Dans les villes, et surtout à Constantinople, ce font de grandes halles de pierre, où les artisans et les marchands de toute nation, ont leurs ateliers, leurs magasins et leurs boutiques.], et un medressé ; c'est ainsi qu'ils appellent les académies où les étudiants ont le logement, l'entretien et la nourriture, et où les professeurs et les maîtres reçoivent des appointements, pour enseigner les lettres et les sciences, à commencer par les principes de la langue arabe.
CHAPITRE II
Académies fondées par Mahomet II, à Sainte Sophie, et dans la Mahomédie.
Mahomet II le conquérant [Mehmet II] passe chez les turcs, pour un des premiers sages de leur religion, pour le protecteur déclaré des lettres, et un de leurs plus illustres mécènes. Ami des savants, il assistait à leurs disputes, donnait de l'argent aux plus habiles et récompensait les poètes et les orateurs distingués [note : Herbelot, au mot Mohammed].
Sitôt qu'il eut enlevé l'empire aux Grecs, il tourna ses vues du côté de l'avancement des études et de la culture de sa nation à Constantinople. Aussi dès l'an 857 de l'hégire, qui répond à l'an 1453 de l'ère chrétienne, il ouvrit une académie brillante à Sainte-Sophie, avec grand nombre de chambres, pour loger les étudiants, et de riches revenus, pour entretenir les maîtres et les élèves.
D'après les notes que j'ai vues de divers endroits, avec de l'argent, et par le moyen des turcs instruits, notes que je me procurai en 1784 et que j'ai revues et corrigées avec soin, il y a dans cette académie, six collèges, de même que six chojas [hoca en turc moderne, hodja] ou professeurs, sans compter le lecteur ou interprète de l'alcoran et le muderis, qui est le préfet des études académiques. Le nombre des pensionnaires étudiants a été évalué, après bien des recherches, à cent cinquante. Mais beaucoup d'écoliers externes et même des hommes faits viennent entendre sa leçon. Le savant turc Hagi Calfah, après s'être trouvé au siège d'Erzerum, venait entendre en 1045 de l'hégire, (de notre ère 1637) les leçons de Sainte Sophie, sous le professeur turc Kurud Abdulla Effendi, homme assez savant, et le disciple l'était déjà beaucoup lui même. C'est ce qu'on apprend dans sa vie imprimée par Ibrahim Effendi, à la tête des tables chronologiques d'Hagi Calfah.
Mahomet II, fonda une autre académie plus vaste et plus magnifique, quelque temps après celle de Sainte Sophie. Il détruisit l'église des Saints-Apôtres, monument de la piété de Justinien, pour bâtir une mosquée qu'il appela Mahomédie de ton propre et qui fut l'ouvrage d'un architecte grec; c'est un des monuments le plus vaste qu'on puisse voir après Sainte Sophie.
C'est un usage constamment pratiqué par les ottomans, de joindre aux mosquées royales des édifices pieux, et assez souvent parmi le nombre, une académie de lettres et de sciences. De là, Mahomet II, pour élever un monument qui eut véritablement de la grandeur, fit bâtir un vaste édifice solidement construit en pierres de taille, avec une grande quantité de chambres pour les étudiants. Cette académie, que nous pouvons aussi appeler université, comprend maintenant seize collèges, huit grands, et huit petits. Les professeurs qui y enseignent, font au nombre de seize, sans compter les trois dont l'emploi particulier est d'expliquer l'alcoran. Les étudiants montent à trois cent, et peut être y a t il un pareil nombre d'externes qui viennent profiter des leçons.
Cette académie impériale fleurit encore aujourd'hui parmi les plus considérables et les plus illustres ; il en sort des ottomans assez instruits. L'ensemble superbe des bâtiments de la Mahomédie, que l'on peut comparer avec les plus magnifiques de l'antiquité, selon les expressions de Cantemir, fut achevé l'an 868 de l'hégire au mois Redgeb, qui répond à l'an 1471 de l'ère chrétienne.
Au couchant, prés de la porte de la grande cour, on a fait une grande salle, surmontée d'un dôme, pour recevoir les jeunes élevés qui n'ont point leur demeure dans les collèges.
CHAPITRE III
Académie du Sultan Bajazet II.
Le Sultan Bazajet II [Beyazıt II], était somptueux en bâtiments, et libéral envers les gens de lettres. Tous ceux qui avaient le bonheur d'en être connus, trouvaient en. lui un protecteur qui savait pourvoir à leurs besoins noblement, selon leur fortune et leur condition. Il leur donnait des habits de soie ou de laine, selon Cantemir, qui le rapporte dans son Histoire des ottomans. Il faisait plus, il leur donnait des pensions annuelles de dix mille akcé ou aspres dont cent vingt équivalent à un Leonin ou piastre comme nous parlons aujourd'hui. Ce prince cultivait la poésie et avait étudié les sciences qui ont rapport à la religion des musulmans. Il savait les mathématiques et l'astronomie, où il avait été formé par Scellahuldin son précepteur, homme habile, qui lui avait donné encore une teinture des autres arts. Aussi il fonda à Constantinople l'an 911 de l'hégire (1505) une académie considérable. Ce fut après avoir bâti dans le marché au cuivre, sa grande et belle mosquée, connue sous le nom de sultan Bajazet.
Sitôt que quelqu'un est agrégé au corps des ulemas, il est logé dans cette académie où il poursuit ses études. Il y est entretenu avec le droit de remplacer à son gré, un mudéris ou un cadi, quand il y a un poste vacant qui n'est pas des premiers en rang, et des plus considérables.
Il y a trois collèges et autant de professeurs. Il y en a un aussi pour expliquer l'alcoran. Le nombre des écoliers est de cent vingt. Ils sont tous logés et entretenus aux frais de l'académie.
CHAPITRE IV
Académie du Sultan Selim I.
Le sultan Selim I, est compté parmi les savants ; c'est une justice que lui rendent les écrivains ottomans et même ceux d'Europe. Il possédait toutes les sciences qui font en honneur chez les turcs : il était fort dans les langue arabe et turque, dans lesquelles il composait de fort jolis vers [note : Posock, dans la continuation des dynasties]. Il éleva la mosquée impériale, nommé sultan Selim, l'an 945, et il y joignit une académie d'études qu'il dota de bons revenus, pour l'entretien des maîtres et des élèves, selon la généreuse coutume des turcs dans leurs universités et dans leurs académies. Celle-ci a deux collèges, où font aussi deux chojas, outre celui de l'alcoran, et le mudéris qui est le principal de toutes les académies un peu distinguées. Mes notes ne portent le nombre des étudiants qu'à quatre-vingt dix au plus.
CHAPITRE V
Académie du Sultan Soliman I.
Soliman I, empereur de Constantinople, nommé Canuni, de son code de législation , très estimé chez les turcs, savait parfaitement sa langue naturelle, l'arabe et le persan ; il fut politique, guerrier et poète [note : Cantemir, hist. ott., tom. 1, pag. 342, Pocock a dit de lui, qu'il faisait très bien des vers turcs, arabes et persans]. Pour éterniser la mémoire d'un fils chéri, dont la mort lui fit répandre beaucoup de larmes, il construisit la mosquée royale de Scieh Zadé Iamisi [Şezade Camii], sur le chemin qui conduit à la porte d'Egri Capu, et il y joignit une académie d'études.
Une autre université des sciences plus renommée et plus illustre, fut établie par le sultan Soliman, l'an 954 de l'hégire mahométane, avec des bâtiments considérables pour les étudiants ; après que ce prince eût élevé la mosquée vraiment digne d'admiration, qu'il appela Solimanie [Suleymaniye], de son propre nom, et que j'ai vue avec autant de plaisir que d'étonnement. Grelot qu'on peut regarder comme l'auteur le plus authentique, à l'égard de quelques mosquées, parle ainsi de la Solimanie. « Ce temple fait connaître mieux que tout autre l'architecture musulmane. Il est aussi beau dedans que dehors, et il est surmonté d'un dôme superbe, qui ne le cède en beauté ni en grandeur au dôme de Sainte Sophie [note : Rel. nouv. d'un voyage de Constantinople, pag. 272, à Paris, 1689]. Pour revenir à l'académie, le principal ou mudéris, a le pas sur tous les autres, et de la préfecture. Il monte au poste, honorable de mollah ou de cadi [note : Histoire ottomane, par Cantemir, tom.1, pag. 427.].
CHAPITRE VI.
Académie de la Sultane Mihru Mah.
Miru Mah qui signifie, soleil et lune, était le nom de la sultane, fille de l'empereur Soliman le grand. Ce prince mêlant la piété avec la générosité, voulut fonder une académie en 980 de l'ère mahométane, et lui donner le nom de sa fille chérie, Mihru Mach, sultane pour le faire passer à la postérité et en perpétuer la douce mémoire. On voit cet édifice [ Edirnekapi Mihrimah Külliyesi] à Edrené Capu [Edirne Kapı], c'est-à-dire, près de la porte qui mené à Andrinople. Quelques étudiants sont logés et entretenus dans cette académie des fonds laissés par Soliman ; mes notes en font monter le nombre à quatre vingt.
CHAPITRE VII
Académie de Kilig Ali Bacha.
Kilig'Ali bacha [Kılıç Ali Pacha], qui avait appris sous le corsaire Barberousse [note : On voit le tombeau de Barberousse, dans la mosquée qui est située sur le bord de la mer] le métier de la mer, devenu amiral de la marine d'Alger, aborda à Constantinople, après avoir passé parles différents hasards de la guerre. Sa politique et sa valeur, qui l'avoient rendu célèbre, lui méritèrent le grade de grand amiral de la marine ottomane. Ce fut alors qu'il prit le nom de Kilig [Kılıç], qui signifie épée, et qui était un favorable augure de ses victoires Il laissa son ancien nom d'Ulug, sous lequel il était connu auparavant. Parmi les ouvrages illustres et mémorables qui le signalèrent, ou pour parler le langage des Musulmans, parmi ses oeuvres pies et méritoires, on doit compter la belle mosquée de Top hana [Tophane], avec un imaret et une académie de littérature. Elle a deux collèges où environ cent étudiants sont entretenus et logés dans des chambres séparées.
Ces écoles s'ouvrirent l'an 785, de l'ère mahométane. Kilig'ali bacha, mort en 995 de l'hégire, fut enterré dans la place intérieure de la mosquée. Voyez les guerres maritimes d'Hagi Calfah, qui fait une mention distinguée de ce brave vizir.
CHAPITRE VIII
Académie du Sultan Achmet I.
Ce sultan n'avait pas encore atteint trois lustres, selon les tables d'Hagi Calfah, lorsqu'il monta sur le trône, l'an 1012 de l'hégire (de notre ère 1600).
Occupé d'affaires de guerre et d'intrigues politiques, libéral et magnifique, dans sa dépense, il aima: passionnément les constructions publiques et les édifices superbes. Un monument immortel de son goût, en ce genre, est le temple qu'il éleva dans l'Hippodrome, au commencement du dix-septième siècle, et où il dépensa des sommes immenses ; son ambition était d'éclipser la splendeur de Sainte Sophie. Cet édifice ottoman est un prodige. de magnificence et d'architecture ; je fus singulièrement surpris en le voyant. Je n'aurais jamais cru que les turcs eussent pu faire rien de si noble et de si somptueux même avec le secours des grecs modernes. » La mosquée du sultan Achmet [Sultan Ahmet ou mosquée bleue], dit Grelot, peut passer pour un des plus beaux temples, quant au dehors, que jamais les turcs aient élevé. Pour l'orner encore davantage, et le rendre plus magnifique, le sultan voulut ajouter six clochers ou minarets, en forme de tours. Mais comme c'était là le caractère distinctif de la mosquée de la Mecque, ce dessein, éprouva des oppositions de la part du Mufti., Le prince eut l'adroite et sage politique de respecter les remontrances du chef de la loi, et n'en accomplit pas moins son projet, en faisant ajouter à la mosquée de la Mecque, un septième minaret. Le temple est précédé d'une grande place entourée de portiques, avec de superbes colonnes de granit et de belles arcades, dont chacune soutient une coupole élégante, couverte en plomb. Au milieu d'un bassin, pavé de grands carreaux de marbre, s'élevé une fontaine, qui est aussi de marbre, et qui sert aux ablutions ; elle est entourée d'un beau parapet surmonté d'une balustrade de fer doré.
Une mosquée si somptueuse ne devait point manquer de son medresé, ou grande école de littérature. Aussi le sultan Achmet, qui avait eu Mustapha Effendi pour précepteur, et qui avait du goût pour les lettres, prit plaisir à les encourager, en fondant près de la nouvelle mosquée, une académie des sciences, selon la coutume des ottomans.
Les softa, ou pensionnaires étudiants, font au nombre de 48 ; ils ont chacun leur habitation séparée dans 18 chambres, distribuées dans tout l'édifice, qui est de. deux étages ; outre les 18 softa, il y a encore autant de ciomes qui y font entretenus. On appelle ainsi des jeunes gens qu'on instruit et qu'on forme aux lettres, en récompense des services que chacun d'eux rend à son softa.
Le muderis, qui est gradué dans cette mosquée, préside aux études, et gouverne la maison. Il donne deux leçons par semaine, le jeudi matin, et un autre jour, de la semaine à son choix ; il a sa maison à part. Outre cela, il y a deux choja ou maîtres, l'un pour l'alcoran, qu'on nomme cura effendi ou lecteur, l'autre pour le ferais ou science des lois, sur les partages des biens de l'hérédité et des successions. Celui ci s'appelle ferais khojasi ; il donne ses leçons le matin, et le cura, les siennes, après les prières de midi.
Le mudéris enseigne l'arithmétique, le tessir, l'hadis., la physique, l'astronomie les autres sciences difficiles. Le cura effendi va une fois la semaine donner ses leçons, le lundi ; le ferais khojasi, enseigne le mercredi et un autre jour.
CHAPITRE IX
Académie du Sultan Osman III
L'Osmanié [Osmaniye], mosquée charmante avec des galeries dorées, et de belles inscriptions en or, me parut un joli bijou. Elle fut bâtie par le sultan Mahamud, qui entendait le dessin, et qui avait du goût pour la belle architecture. Il avait fait venir d'Italie, d'Angleterre et de France les dessins et les modelés des édifices les plus fameux en ce genre, et il dressa un plan de mosquée, qu'il communiqua aux ulémas, Ceux ci jugèrent qu'il ressemblait plus a un temple de chrétiens, qu'à une mosquée, et conseillèrent à l'empereur de lui donner une forme plus mahométane, pour ne point indisposer le peuple, et éviter un soulèvement. Sultan Mahamud, forcé de se prêter aux insinuations du mufti fit un dessin qui se sentait de la manière européenne et de la turque; c'est à dire, léger et majestueux tout ensemble Osman III, qui mit la dernière main à cet édifice, et qui en acheva la construction, ayant consulté le mufti et obtenu un fetfa [fatwa], put en sûreté de conscience lui donner son propre nom, en l'appelant Osmanié, au lieu du nom du sultan Mahamud. Car, comme raisonnaient les gens de loi, c'était un bâtiment qui était resté incomplet, et qui n'avait point été consacré à Dieu ; d'où il arrivait que la mosquée entrait, comme les autres biens, dans l'hérédité et la possession d'Osman. Ce fait connu à Constantinople, a été touché par le savant M. Peyssonnet.
Le sultan fonda près de cette mosquée, une académie d'études d'après le système bienfaisant et généreux des ottomans. Les collèges sont au nombre de trois, avec beaucoup de chambres pour les étudiants, qui y font nourris et entretenus. Il y a trois chojas, outre le professeur interprète de l'alcoran, et le mudéris de l'académie. Le nombre des écoliers est entre 150 et 170.
CHAPITRE X
Académie du sultan Mustapha III.
Le sultan Mustapha III, ami et protecteur 'des sciences et des arts, avait coutume de tenir des assemblées académiques de poètes, comme j'ai appris d'Abdelrah man Reefet [note : J'ai connu ce poète dans les prairies de Boujuck Déré, le jour qu'on lança un ballon aérostatique, au milieu du concours et des battements de mains de toutes les nations. Reefet m'honora d'une visite avec Ibraim Effendi, et Risa Effendi, savants ottomans, au palais du Baile. Je le priai de faire quelque chose sur la nouvelle expérience de l'aérostat ; mais peu de jours après, j'appris avec douleur qu'il était mort à la fleur de l'âge. A l'avènement d'Abdulahmid, il l'avait emporté sur tous les poètes qui avoient fait des vers en l'honneur du sultan.], le meilleur poète et improvisateur de Constantinople, Ce prince voulant encourager les bonnes études à dans la nation, fit construire l'an de l'hégire 1178 (de J. C. 1764 ), à Laleli, l'université des sciences, avec divers collèges ; il y établit cinq maîtres et deux professeurs en particulier, pour lire et expliquer l'alcoran. Les écoliers se trouvent portés dans mes notes au nombre de cent .ou cent trente, environ.
CHAPITRE XI
Académie de la sultane Validé.
C'est ainsi qu'on appelle l'académie érigée et ouverte l'an de l'ère mahométane 1194, (de J. C. 1780) par Aldullahmid, empereur régnant, parce qu'elle se trouve près du giami [cami, mosquée] de la Validé, ou sultane mère de Mahomet IV. Le collège que j'ai été à portée de bien voir, y étant entré plusieurs fois, est bâti en forme de cloître, avec des arcades et.des colonnes. Le principal est un mudéris qui fait de la géométrie, de l'astronomie, est habile dans la loi, et a l'esprit orné de beaucoup d'érudition ; d'ailleurs, homme grave, qui a des manières douces et polies, que j'ai été voir plusieurs fois, et qui m'a fourni beaucoup de notes pour mon ouvrage.
Quarante softa ou étudiants sont logés et entretenus dans la validé. En outre, chaque softa a son ciomes, ou jeune homme qui reçoit l'instruction, et qui est entretenu par l'imaret, condition de servir le softa, Ils ont tous leurs chambres à part, pour s'appliquer tranquillement aux sciences, chose nécessaire aux étudiants, me disait le mudéris, comme aussi de n'avoir point de femme, et de ne prendre qu'un repas en vingt quatre heures. Les écoliers qui fréquentent cette académie font au nombre de cent quatre vingt, d'après la note que j'en ai eue. Je me suis trouvé deux fois dans la chambre du mudéris, tandis que dix jeunes turcs entraient chez lui pour prendre une leçon de géométrie, science qui s'enseigne en particulier. J'ai vu la salle où les professeurs donnent leçon à différentes heures du jour ; c'est un beau vaisseau rectangle ; le plancher est couvert de nattes sur lesquelles on étend de bons tapis ; au milieu de la salle on voyait quelques lampes suspendues, à la manière des turcs. On va de cette académie, à la bibliothèque publique du sultan Abdullahmid dont nous parlerons en son lieu.
Je dois remarquer, en l'honneur de la littérature des turcs, que ces académies, et toutes celles dont nous avons parlé subsistent de nos jours à Constantinople.
CHAPITRE XII
Autres notices sur les grandes et les petites Ecoles.
Les premières, comme nous l'avons dit, s'appellent medresé, les secondes mechteb, ou écoles pour apprendre à écrire ; car tel est le genre d'instruction que l'on y donne aux enfants : ils y apprennent à lire et à écrire. On leur enseigne encore une espèce de catéchisme, nommé Birghilu risalé ou petit abrégé des principes de la religion et des prières. Quand on a passé par les petites écoles, ceux qui désirent d'entreprendre leur cours d'études et de devenir softa, ou séminaristes entrent dans les medresé. Ces écoles auxquelles les petites font ordinairement unies, n'ont aucune communication entre elles pour éviter la confusion et le désordre Dans quelques medresé les softa mangent dans leur, chambre ; il y en a d'autres où ils mangent au réfectoire. Dans l'imaret les plus forts appointements des professeurs des medresé ne vont point à mille piastres par an, ou deux cens de nos sequins. Les jours de vacances dans la semaine, sont le mardi et le vendredi dans l'année, les dix jours du bairam, sans compter le mois entier du jeune du ramazan et les deux autres mois précédents.
D'après les notes de l'Istambol Effendi que je m'étais déjà procurées, avant l'horrible incendie de 1782, les collèges montaient au nombre de 518. Les mechteb répandus dans Constantinople, et établis par des legs pieux, font au nombre de douze cent cinquante cinq d'où il est aisé de comprendre combien le gouvernement et les particuliers mettent de zèle à l'éducation là culture de la nation.
Les mudéris, comme je l'ai appris de celui de la validé, et comme de savants turcs de mes amis me l'ont confirmé, passent le nombre de quatre cents. Quelques jours après que le ramazan est commencé, ils se rassemblent au nombre d'environ soixante devant le sultan, par pelotons de dix ou douze, et agitent différents points de l'alcoran, où il entre beaucoup de science et d'érudition. Il n'y a que les mudéris qui n'ont que peu de fortune, qui se trouvent à ces disputes et on leur donne tous les jours une gratification de cent sequins de Turquie.
A la rigueur, les gens de loi ne peuvent arriver a aucune charge, sans avoir d'abord fait leur cours d'études dans les académies turques après avoir occupé le poste de mudéris ou principal de collège avec des lettres du souverain, ensuite celui de nazib ou premier clerc, de mollah ou de juge, il faudrait parcourir successivement les différents grades de judicature, devenir juge de la Mecque, islamboul effendi, ou lieutenant général de police à Constantinople, kadilescher ou grand prévot de l'armée d'Europe et d'Asie, pour arriver enfin au rang suprême de mufti ou grand pontife.
Mais les familles nobles et riches du corps des uilémas, comme les duri zadé, les piri zadé, les damas zadé, et beaucoup d'autres dans lesquelles les dignités sont en quelque forte héréditaires sont souvent dispensées, par une faveur particulière du sultan, de passer par les degrés de judicature dont nous avons déjà parlé. Elles n'en sont pas moins obligées de se munir de; tous les diplômes qui constatent qu'elles ont passé successivement par toutes ces charges. Cet abus qui s'est introduit depuis plusieurs années, fait languir dans la pauvreté et ramper dans la paresse, les gens à talents, au grand préjudice de la littérature turque.