Extrait de l'ouvrage "Les Jeunes voyageurs en Turquie" destiné aux jeunes et paru en 1851, consacré à la Bulgarie et à la Serbie.

LA BULGARIE – LA SERVIE [Serbie]

BULGARIE.

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La Bulgarie est bornée à l'est par la mer Noire, et située entre les monts Balkans au sud et le Danube au nord. C’est un des pays les plus favorisés de la nature. Il produit du blé, du vin, des fruits du tabac et de la soie; on y élève de nombreux troupeaux de bêtes à cornes. Les chevaux y abondent : les Tartares répandus dans la Bulgarie en mangent la chair. Il y a dans les montagnes de gros aigles dont les plumes servent à empenner les flèches. Les Bulgares sont laborieux, paisibles et hospitaliers. 

La Bulgarie, sous les Romains, était nommée Mœsia inferior ; elle prit le nom des Bulgares, peuple composé de tribus nomades qu'on suppose d'origine slave, et avoir habité autrefois les bords du Volga, où leur ville principale existe encore sous le nom de Bolgary. Ils poussèrent leurs incursions jusqu’à Benévent, en Italie, et soutinrent des guerres contre les empereurs d'Orient, qui, dans le onzième siècle, les rendirent vassaux de leur empire, en leur laissant toutefois le droit de nommer leur chef.  

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Dans le treizième siècle, Etienne IV, roi de Hongrie, conquit leur pays qui bientôt après tomba sous la puissance des Turcs qui l`ont conservé jusqu'a ce jour. Les principales villes de la Bulgarie sont : Widdín, chef-lieu d'un sandjak, sur la droite du Danube, siège d'un évêché grec. C’est la seule ville de Turquie fortifiée à l'européenne; les fortifications consistent en deux enceintes dont l'une est circulaire et a des redoutes et des batteries de distance en distance. Il y a de petits bazars mal fournis ; les rues de Widdin sont plus larges que celles des autres villes turques. Le peuple y déteste les étrangers. La population s'élève à environ vingt-cinq mille habitants, tant Musulmans que Grecs et Arméniens. Les Musulmans habitent l'intérieur de  la ville; les chrétiens sont relégués dans les faubourgs. Nikopoli, aussi sur la droite du Danube, est située un peu au-dessous du confluent de ce fleuve avec l'Aluta et l'0sma. Cette ville est le siège d'un évêché grec et d'un évêché catholique. Elle est sur une hauteur, entourée de remparts et défendue par un ancien château fort; plusieurs faubourgs l’environnent. On y remarque quelques maisons d`assez belle apparence, plusieurs mosquées et trois bains. La navigation du Danube rend cette place très commerçante. Les faubourgs sont principalement habités par des Grecs et des Bulgares: les environs, sur la rive gauche, sont couverts de jardins. La ville contient une population d'environ dix mille âmes. Roustchouv, sur le Danube, est dans une plaine élevée de trente à quarante pieds au-dessus du fleuve ;

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elle a une enceinte en terre précédée d'un fossé, et s`appuie à ses extrémités sur le Danube, que bordent des rochers escarpés, dont quelques-uns sont visibles seulement dans les basses eaux. Une partie du littoral forme un rentrant où l'on place les barques employées à la navigation, et terminé par un cap que couronne un vieux château dont la construction est attribuée aux Génois ; sur la gauche est un chantier de construction. Toutes les rues sont bordées de trottoirs formés de grosses pierres mal jointes et sont très sales. Les maisons bâties en bois sont basses, et presque toutes entre cour et jardin. Il n'y a que le palais du gouverneur qui ait quelque apparence extérieure; cependant plusieurs mosquées, surmontées de minarets blancs d'une forme élégante, donnent à cette ville, vue de loin, un aspect assez agréable. Elle a des bains, des bans et des bazars garnis de petites boutiques fournies d'étoffes du pays , de drogues, de couleurs, de pipes, de tabac, de fruits et autres objets. On y fabrique des étoffes de laine, de soie et de coton, des toiles, du tabac; c'est un entrepôt considérable pour diverses marchandises d'Allemagne, et surtout de Vienne, où on les embarque sur le Danube. On compte dans cette place trois mille maisons habitées partie par des Turcs, partie par des Grecs, des Arméniens et des Juifs. Les Russes, après avoir échoué contre cette place en 1811, et y avoir perdu dix à douze mille hommes, la prirent quelques mois plus tard, faute de vivres et de munitions; ils en brûlèrent une grande partie en l’abandonnant. Les portes leur en furent ouvertes dans la guerre de 1822.

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Silistrie , située au pied d'une colline, sur la droite du Danube, au confluent de la petite rivière de Missovo, est une place forte, environnée de fossés de dix à douze pieds de profondeur, garnis de distance en distance de redoutes palissadées. La citadelle, placée à l'extrémité occidentale de la ville, est ceinte d'un double rang de murs très hauts, précédés, du côté de la terre, d'un fossé large et profond. Les rues de cette ville sont étroites, tortueuses, mal pavées et sales; les maisons basses et sombres. On remarque cinq mosquées, la plupart assez belles; deux bains publics et une douane, dont les vastes bâtiments servent d'entrepôt pour le grain et la farine. Il y a peu d'industrie, mais des ouvriers de différentes professions. Le commerce y est peu actif. On fournit du bois et des bestiaux aux parties les plus voisines de la Valachie, qui donnent en échange du sel et du chanvre. La population de cette ville s'élève à environ vingt mille habitants. Le territoire est assez bien cultive le long du Danube, et il y a quelques vignobles; mais plus loin, à plusieurs lieues à la ronde, les terres sont incultes. La riche plaine de la rive gauche du fleuve est immense : on y prend pour ainsi dire en pension les nombreux troupeaux de moutons que les Transylvains envoient pendant l'hiver dans les paturages de la Valachie. Sophia. ville bâtie par l'empereur Justinien sur les ruines de l'ancienne Sardica, est la capitale de la Bulgarie. Elle est située dans une plaine près et au nord des monts Balkan, sur la Bogana, affluent de l'lsker. Un archevêque grec et un évêque catholique y font leur résidence. La ville est grande, mais les rues en sont étroites, inégales, et les maisons médiocrement bâties.  

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L’eau y est abondante et l`air malsain. On y voit plusieurs mosquées, de beaux bains publics, et des hans très vastes. Le commerce, qui est très étendu, se trouve entre les mains des Grecs et des Arméniens. On compte cinquante mille habitants dans cette ville, dont les environs jouissent de l’avantage de deux sources d'eau thermale. Le climat sous lequel Sophia se trouve placée est très doux dans les vallées, et le sol est fertile en vin, en blé, en riz,  en tabac et en lin ; le bois abonde sur les montagnes; les boeufs et les moutons sont nombreux ; les abeilles et les vers à soie sont une véritable et importante richesse, pour le pays, où l'on exploite encore des mines d’argent, de fer et de plomb.

SERVIE.

La Servie, autre province de la Turquie d'Europe, ayant le titre de principauté, est bornée au nord par l'Esclavonie, vers laquelle elle a pour frontière la Save, et par la Hongrie dont elle est séparée par le Danube, à l'est par la petite Valachie dont ce même fleuve la sépare et par la Bulgarie; au sud par la Romélie et l'Albanie; à l’ouest par la Bosnie, vers laquelle elle est en partie limitée par le Drin. Le climat de la Servie est généralement sain, mais moins doux qu'il ne devrait l'être eu égard à sa latitude peu élevée, ce qui est attribué aux montagnes et aux nombreuses forets qui couvrent l'intérieur. L'hiver y est long; les vents du sud-ouest amènent des pluies en juin; de grandes chaleurs règnent durant juillet et août ; 

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septembre est souvent pluvieux; octobre et novembre sont assez agréables. Ce pays, dont la surface offre une grande variété de montagnes, de collines et de vallées, est très pittoresque et un peu sauvage dans quelques parties. Les forêts et les landes incultes sont nombreuses; cependant le sol est partout fertile, et il le serait davantage si les guerres et le despotisme des Turcs n'eût pas nui considérablement aux progrès de l'agriculture. Les parties cultivées produisent en abondance du blé. de l'orge, de l'avoine, du riz, du chanvre, du lin, du tabac. Et dans les vallées les plus chaudes du coton. On cultive la vigne dans les meilleures expositions ; le bois de charpente est très abondant ; l'éducation des bestiaux est considérable ; plusieurs mines de fer, de sel et autres minéraux, exploitées avec négligence, pourraient être d'un grand produit chez un peuple plus industrieux. L'industrie se réduit ti la fabrication de grossières étoffes de laine, de toile de colon et de grosse quincaillerie. Les lieux habités ne sont pour la plupart que des villages mal bâtis et faiblement peuplés. On remarque dans plusieurs endroits des châteaux qui ressemblent à des forts, et qu'on prétend avoir été construits par les Romains. Ce pays compte environ un million d'habitants. Il n'y a maintenant de Turcs que ceux qui composent les garnisons de quelques villes. On y voit aussi quelques Juifs. On croit que les Serviens sont une tribu Slave, et par conséquent de la même race que les Russes. Leur langue a beaucoup de ressemblance avec celle de ces derniers.  

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Les Serviens sont actifs, belliqueux et d'un caractère indépendant; ils professent la religion grecque avec ferveur; on leur reproche de la superstition.

La Servie formait dans l’antiquité une partie de la Mœsie supérieure et de la Dardanie. À la chute de l’empire Romain,  elle fut envahie par une tribu appelée Serbis ou Serbi, dont elle tient son nom actuel. Dans le moyen age, elle forma un état indépendant gouverne par des chefs qui prirent le titre d'empereur et despote. Ces chefs résistèrent longtemps et avec énergie aux forces supérieures des Turcs; mais enfin ils succombèrent, et la Servie fut soumise en 1365.

Le joug de ces conquérants ne fut jamais porté qu'avec peine. Laswan-Oglou fut le premier des chefs Serviens qui arbora l'étendard de la révolte; après lui, Czerni-George devint assez puissant pour s'emparer de Belgrade en 1806, et chasser les Turcs du pays. Cet état d’indépendance ne fut pas de longue durée. Belgrade fut rendue en échange de grands privilèges accordés aux Serviens. Une guerre étant survenue entre la Russie et la Turquie, les Serviens prirent parti contre la Porte; mais la Russie, menacée par les armées françaises, se hâta de signer la paix de Bucharest, en 1812, en abandonnant les Serviens qui ne tardèrent pas à retomber sous la domination turque.

Les Serviens s'insurgèrent de nouveau en 1815, sous les ordres du prince Milosch Obrenowitch qui, par sa prudence et sa valeur, a terminé glorieusement son entreprise. La Servie n'est plus maintenant que tributaire de la sublime Porte, et s'administre d'une manière indépendante. 

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Elle s'est donné un souverain dans la personne du prince Milosch, Servien de naissance, qui a été reconnu en 1850 par la Porte. L’intégrité de l'ancien territoire de la Servie a été confirmée. Et les parties qui en avaient été séparées ont été restituées. Défense a été faite aux Turcs de résider en Servie, à l'exception de ceux qui font partie des garnisons établies dans certaines places. Les Serviens administreront les propriétés turques qui sont dans leur pays, et feront librement le commerce dans tout l'empire Turc, avec des passeports serviens. Le souverain a convoqué une assemblée nationale, la laquelle il a présenté un code de lois ayant pour base le code français. Belgrade est la capitale de la Servie, et la seule ville vraiment importante. Située sur la rive droite du Danube, au confluent de la Save, elle est composée de trois parties. La première est la citadelle, sise sur un rocher qui s'élève au centre de la place, et commande le Danube; elle est entourée d`un triple fossé et renferme un palais, résidence du pacha de Servie lorsque cette place était au pouvoir de la Porte. On y voit une belle mosquée, et une source très profonde, à laquelle on descend par trois marches. Hors des murs de cette forteresse est le Topkhaneh, lieu où l'on fabrique des lances, des fusils et des gibernes. La ville inférieure forme la deuxième partie de Belgrade; elle est jointe d'un coté à la citadelle, et s'étend, de l'autre, jusqu'au Danube, au moyen d'un mur qui longe la Save ; elle est aussi entourée de murailles et de fossés. C'est la résidence d'un archevêque grec. Il y a quatorze mosquées, un grand marché au poisson, près du confluent des deux fleuves, un arsenal et des casernes. Les faubourgs, la ville Rascienne, ainsi nommée à cause de ses habitants, et la Palanka forment la troisième partie. 

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La ville Rascienne s'étend le long de la Save et est entourée de murailles et de palissades. La Palanka est adossée à I'est et au sud de la montagne sur laquelle est placée la citadelle. C'est dans les faubourgs que se trouvent les maisons les mieux bâties. Il y a plus de cent églises et mosquées, dix bains publics, beaucoup de khans, et deux magnifiques bésestans [bedestens], entourés de Jardins. Au-dessus de la ville sont trois petites îles, au milieu du Danube, qui forment un port sûr. À l’embouchure de la Save et vis-à-vis de la ville Rascienne, est située l'île des Zingaris. On fabrique à Belgrade beaucoup de tapis, des armes, des étoffes en soie et coton, des cuirs, et divers objets en fer. Le commerce est très actif. La population s'élève à trente mille habitants, et est composée d'un nombre à peu près égal de Serviens, d’Osmanlis, de Grecs, d'Arméniens, de Juifs.

Belgrade, sous les Romains, portait le nom de Singidunum, elle faisait partie de l’empire d’Orient. Elle passa successivement au pouvoir des Visigoths, des Goths et des Huns. Cette place importante était occupée par les troupes de Charles-Quint lorsque Soliman, empereur des Turcs, s'en empara en 1522. Les impériaux, sous l'électeur de Bavière, la reprirent en 1688, et la perdirent de nouveau en 1690. En 1717, le prince Eugène s’en rendit maître, après avoir anéanti une armée Ottomane sous ses murs, et la paix de Passarowitz en assura la possession à l'empereur d'Allemagne. En 1739, les impériaux la rendirent aux Turcs, la reprirent en 1789, et la gardèrent jusqu'à la paix de 1791.  [36]  En 1807, les Serviens insurgés sous le commandement de Czerni-Georg la prirent; en 1813, ils firent sauter la citadelle et brûlèrent les faubourgs. Depuis cette époque, tout a été rétabli, et Belgrade est redevenue une place importante, mais n'est plus, ainsi que la Servie sous la puissance des Turcs, qui ont consenti l'indépendance de cette province, restée tributaire de la Porte, et gouvernée par le prince Milosch. 

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