L’éducation n’était pas centralisée à l’époque ottomane. Elle était avant tout l’affaire des religieux avec leur réseau de medrese et de mekteb. Les premières écoles séculières furent créées sous le règne de Mahmut II (1808-1839). C’est surtout après 1840, avec les réformes des Tanzimat, que l’état fait un véritable effort pour développer l’éducation. 

“Entre 1876 et 1909, le nombre d'écoles primaires (iptidaiye), dans l'espace de la Turquie actuelle, passe de 200 à 4 ou 5000. “(Georgeon François. Lire et écrire à la fin de l'Empire ottoman : quelques remarques introductives. In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°75-76, 1995).

Il ne faut cependant pas sous-estimer l’éducation en Turquie à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Les recherches historiques ont souvent négligé les écoles religieuses et l’absence de statistiques officielles sur ce sujet rend difficile les estimations. Après avoir exposé les différentes études sur ce sujet, l’historien François Georgeon conclut : “Il faut considérer comme probable qu'en 1914 entre 10 à 15 % d'Ottomans savaient lire et écrire“, tout en soulignant qu’un grand nombre de ces alphabètes ont été tués pendant la Ière guerre mondiale (Georgeon François. Lire et écrire...). Ce qui explique qu’en 1927, sur 13 648 270 habitants, seuls 1 111 496 savaient lire et écrire l’alphabet arabe, soit 8,14 % (chiffre cité par Ali Arayici, Les instituts de village en Turquie (1937-1952), Presses Universitaires de Vincennes, 1986).

Dans les écoles primaires (ibtidaiye), on enseignait l’arithmétique, l’histoire ottomane, la géographie et la religion.

Mais ces écoles étaient encore peu nombreuses face aux écoles religieuses où enseignaient les imams et dont l’enseignement n’était pas contrôlé.

On ne sait pas si c’est l’une d’elles qui est l’objet de la carte postale que nous reproduisons.

école turque, vers 1900

Si la carte est légendée “Ecole turque dans un village”, le bâtiment qui est en arrière-plan semble trop grand pour appartenir à un village : il s’agit d’un grand village ou plutôt d’une petite ville.

On y voit deux groupes d’enfants dont les vêtements semblent témoigner d’une origine modeste (on ne voit pas d’ensemble veste et pantalon) : celui des garçons qui sont une trentaine et celui, bien plus restreint, des filles qui sont huit. Ils sont encadrés par deux hommes adultes au premier plan et deux autres au second plan.

Ecole turque, vers 1900

Ecole turque, vers 1900

Ecole turque, vers 1900

Les élèves ont la paume de la main orientée vers le ciel, comme s’ils priaient, attitude que nous avons déjà vue dans une photographie d’un groupe d’élèves (en uniforme) avec leurs professeurs d’une école pour sourds et muets publiée dans le magazine Servet-i Fünun n° 494, 19 août 1316, 1er septembre 1900 (Camera Ottomana, Istanbul, Koç University Press, 2015).

Servet-i Fünun, élèves sourds-muets

Documents sur l'enseignement

L'enseignement en 1853

Revue des revues, 1853, traduit de The Athenaeum, 1853

Le système de l'éducation publique fut remanié en 1847. Avant cette époque, il n'y avait que deux sortes d'institutions, les écoles élémentaires (mekteb) et les hautes classes (medresseh), sans lesquelles il était impossible de parvenir aux postes importants de l'Eglise ou du gouvernement. Il n'y avait aucune école transitoire pour le commerce, l'industrie ou l'agriculture, et les classes moyennes qui ne pouvaient parvenir aux emplois élevés étaient entièrement privées. d'instruction. Aujourd'hui l'éducation se divise en trois classes :

1° Instruction élémentaire, qui comprend la lecture, l'arithmétique et la religion. Les parents sont forcés d'envoyer dans ces écoles leurs enfants dès l'age de six ans. L'instruction est gratuite, et si ces établissements ne peuvent se suffire par leurs propres ressources, le gouvernement leur vient en aide.

2° Les écoles transitoires (mekteb i rushdié). Il y a aujourd'hui, à Constantinople, six de ces écoles renfermant 870 élèves, et le gouvernement doit en créer huit nouvelles. Les élèves apprennent l'arabe, l'orthographe, la composition, l'histoire religieuse (Islam), l'histoire turque et universelle, la géographie et les mathématiques. L'instruction est aussi gratuite et les frais sont supportés par le gouvernement.

3° Des collèges divisés en plusieurs sections : a. les deux collèges des mosquées des sultans Achmed et Sélim, pour les jeunes gens qui se destinent aux emplois civils; b. le collège de la sultane mère, fondé en 1850 pour l'étude des plus hautes branches de la diplomatie et de l'administration; c. une école normale qui sert de modèle aux écoles des provinces; d. l'école de médecine de Galata-Serai, fondée par Mahmoud II, e. le collège militaire impérial; f. le collège impérial d'artillerie; g. le collège de marine; h. le collège des agriculteurs; i. le collège des vétérinaires.

Eloge d'Abdul-Hamid II

Comment on sauve un empire. S. M. I. Le Sultan Ghazi Abdul Hamid Khan II et son oeuvre, 2° édition revue. Corrigée et augmentée. Par le baron Edouard Le Jeune, ancien consul de Belgique, etc. Paris, Georges Carré, éditeur, 3, rue Racine, 1895

Même si cet ouvrage est une oeuvre assez outrancière de propagande pour Abdul Hamid II, il contient des informations sur l’empire ottoman et montre l’importance accordée à l’enseignement à la fin du XIXe siècle. L’école primaire obligatoire et gratuite qui y est évoquée (et qui rappelle la France de Jules Ferry) est assez surprenante quand on connaît le taux d’illettrisme vers 1900.

« SOMMAIRE : État de l'instruction publique avant 1876. Les réformes de S. M. le Sultan Ghazi Abdul Hamid . - Réorganisation de l'instruction publique - Ecoles Sibian, Ibdadié et Ruschdiyeh. - Ecoles Idadié et Sultanié. - Lycée de Galata - Ecole des Seraï. - Ecole Mulkié. Ecole ottomane de filles . L'Université impériale . - L'enseignement supérieur et les écoles spėciales . Ecoles normales . Ecole Hamidié. Ecole de langues. - Ecole des beaux-arts. - La renaissance artistique. - Ecole des hautes études diplomatiques. - Les Médressés - Les bibliothèques de Constantinople. - Ecoles grecques. - Ecoles arméniennes . - Ecoles israélites . - Ecoles étrangères en Turquie. - Munificence de S. M. le Sultan.

[Page 137]

CHAPITRE VI

L'INSTRUCTION PUBLIQUE SOUS LE RÈGNE DU SULTAN GHAZI ABDUL HAMID KHAN

Au premier rang des conditions essentielles de la grandeur morale d'un peuple figure la culture intellectuelle.

Plus dans un pays la diffusion de l'instruction publique est grande, plus les citoyens de ce pays sont aptes à se pénétrer du sentiment bien défini des devoirs qui leur incombent, plus ils sont en bonne situation d'apprécier les bienfaits dont chaque progrès de la civilisation est la source bénie et par cela même de contribuer, dans la mesure de leurs forces, à la marche en avant de la nation. Si faire l'éducation d'un peuple est une des plus nobles tâches qui existent, c'est en même temps une entreprise hérissée de tant de difficultés de toute sorte que bien peu de réformateurs qui l'ont tentée y ont réussi.

Ce ne sera pas un des moindres titres de gloire de S. M. le Sultan Ghazi Abdul Hamid que d'avoir inscrit parmi les grandes œuvres dont l'Empire Ottoman lui est redevable la renaissance des lettres et des arts. 

Autrefois l'enseignement en Turquie était entièrement concentrée dans la mosquée : les médressés de Constantinople jouissaient d'une réputation universelle, car, selon une sentence célèbre, l'étude de la science était un précepte divin pour les vrais croyants. 

Deux sortes d'écoles existaient alors : les méktébs, ou écoles élémentaires, confiées aux (imams) religieux des quartiers ; et les médressés, ou écoles de théologie, de jurisprudence et de philosophie, annexées aux grandes mosquées ; toutes étaient entretenues par l'administration des Vakoufs. 

Il n'y avait point d'écoles moyennes ; en sorte que les élèves quittaient l'école primaire sans être suffisamment préparés pour aborder convenablement des études d'un ordre plus élevé. 

La sécularisation de l'instruction publique substitua dans les écoles l'enseignement de l'État à celui de la mosquée, sauf pour les médressés qui restèrent toujours dans la sphère des attributions du Scheikh-ul-Islamat. 

De pareilles transformations ne peuvent s'accomplir d'un seul coup ; une période de tâtonnements et d'essais est toujours nécessaire pour réaliser pratiquement les réformes décrétées sur le papier. 

Sans une bonne méthode d'application, la théorie, même la meilleure, est condamnée à la stérilité. 

Or, cette méthode manquait, et quelque sécurité et quelque zèle que déployât le Gouvernement Ottoman, le résultat ne répondait pas à ses efforts. Enfin, S. M. le Sultan Ghazi Abdul Hamid monta sur le trône, et l'enseignement public, restreint et languissant sous les règnes précédents, a pris tout à coup un essor considérable, non seulement au point de vue relatif, mais au point de vue absolu. 

Avant 1876, sauf quelques rares établissements d'instruction supérieure entretenus par l'État à Constantinople, l'instruction publique pour la population musulmane était réduite aux proportions les plus exiguës. 

Organisées d'une façon tout à fait primitive, les écoles primaires ne pouvaient donner à la jeunesse musulmane qui venait leur demander de l'instruire qu'un enseignement des plus rudimentaires et partant on ne peut plus imparfait et incomplet.

On y apprenait tout juste à lire et à écrire, surtout dans les provinces où les notions élémentaires de la géographie et de l'histoire n'étaient généralement l'objet d'aucune préoccupation. 

L'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur ne se présentaient pas sous un jour plus favorable. 

Sans doute, à Constantinople, les jeunes gens appartenant à de bonnes familles avaient la faculté de se faire admettre dans les écoles spéciales du gouvernement ou dans les écoles étrangères ; mais, dans les écoles primaires, les ressources de ce genre étaient nulles. 

Aujourd'hui la situation est changée complètement : l'instruction publique rayonne en Turquie ; sa clarté a dissipé les ténèbres et elle illumine jusqu'aux régions les plus éloignées de l'Empire. 

Convaincu que répandre la science c'est augmenter sa puissance, S. M. le Sultan Ghazi Abdul Hamid, mettant en pratique le précepte du Prophète : Cherchez la science, fût-elle en Chine ! a fait monter l'Empire Ottoman à un très haut degré de culture intellectuelle. 

La loi organique de l'instruction publique divise, en principe, les écoles de l'Empire en deux catégories : les écoles publiques, dont l'administration appartient exclusivement à l'État ; les écoles privées, placées seulement sous la surveillance du Gouvernement, qui sont fondées et gérées directement par des particuliers ou par des communautés. 

A cette dernière catégorie appartiennent les médressés et les écoles non musulmanes. L'enseignement dans les écoles publiques comprend trois degrés primaire, secondaire et supérieur. 

Enseignement primaire.

Il comporte trois sortes d'écoles : les mukiatibi sibian [sıbyan mektebi, lieu où l'on donnait une éducation de base aux enfants] qu'on peut comparer aux asiles d'enfants en Europe ; les ibdadiés [ibtidaiye] ou écoles primaires ; les ruschdiyehs [rüşdiye] ou écoles primaires supérieures.

Dans les écoles ibdadiés la durée des cours est de quatre années et les études roulent sur les matières suivantes : Syllabaire turc, versets du Koran, lecture en langue turque, numération parlée, calligraphie, grammaire turque, arithmétique, géographie, histoire. 

Chez les musulmans, l'enseignement primaire est gratuit et obligatoire. 

Tous les pères de famille sont astreints par la loi à se présenter devant le chef de la municipalité du quartier (moukhtar) pour faire inscrire leurs enfants des deux sexes, à l'âge de six ans, sur les registres des sibians ou des ibdadiés, à moins qu'ils ne justifient de leur intention et de leurs moyens de faire donner à domicile l'instruction primaire à leurs enfants.

Les écoles ruschdiyéhs reçoivent des enfants à l'âge de dix ou de onze ans, qui y passent quatre années. Le programme des études roule sur : la grammaire et la syntaxe arabe, turque et persane ; l'orthographe, la composition et le style, l'histoire ottomane et l'histoire universelle, la géographie, l'arithmétique, les éléments de géométrie, le dessin linéaire, la langue d'une des communautés non musulmanes de la localité. 

Pour les filles, l'enseignement comprend : l'instruction religieuse, la grammaire turque, les éléments de la grammaire arabe et persane, des notions de littérature, d'histoire et de géographie, l'arithmétique, l'économie domestique, les travaux à l'aiguille, le dessin et la musique, cette dernière facultative.

Chaque agglomération de 500 maisons musulmanes doit avoir une école ruschdiyéh. 

L'enseignement primaire supérieur est gratuit sans être obligatoire.

Toutes les dépenses, entretien des écoles, traitement des professeurs, achat des livres et des instruments de travail pour les élèves, etc., sont à la charge du Trésor public.

D'après les dernières statistiques remontant à quelques années qui ont été publiées, l'enseignement primaire comprenait dans la capitale :

Écoles Sibian : 263, dont 142 pour garçons et 123 pour filles, fréquentées par 6,909 enfants du sexe masculin et 4734 enfants du sexe féminin. 

Écoles Ibdadié : 40, dont 32 pour garçons et 8 pour filles, fréquentées par 1601 garçons et 93 filles. 

Écoles Ruschdiyeh : 29, dont 19 pour garçons et 10 pour filles fréquentées par 1180 garçons et 353 filles.

Dans les provinces, chaque village, si petit qu'il soit, possède une école Sibian ; les villages de quelque importance ont une école Ibdadié.

Les écoles primaires sont des plus fréquentées et on peut dire que, sous le règne de S. M. le Sultan Abdul Hamid, sur 100 enfants musulmans, 98 au moins reçoivent une bonne instruction élémentaire. [Ce chiffre paraît bien gonflé, compte tenu du nombre d’illettrés au début du XXe siècle.]

Les écoles Ruschdiyeh en province sont au nombre de 371 dont trois de filles, deux à Beyrouth et une à Brousse avec 14914 élèves. 

Aujourd'hui ce nombre a encore sensiblement augmenté.»

Pour approfondir

Georgeon François. Lire et écrire à la fin de l'Empire ottoman : quelques remarques introductives. In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°75-76, 1995. Oral et écrit dans le monde turco-ottoman, sous la direction de Nicolas Vatin . pp. 169-179. DOI : https://doi.org/10.3406/remmm.1995.2621, www.persee.fr/doc/remmm_0997-1327_1995_num_75_1_2621

Georgeon François. La formation des élites à la fin de l'Empire ottoman : le cas de Galatasaray. In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°72, 1994. Modernités arabes et turque: maîtres et ingénieurs. pp. 15-25. DOI : https://doi.org/10.3406/remmm.1994.1649, www.persee.fr/doc/remmm_0997-1327_1994_num_72_1_1649

Talim-i kıraat, un livre d'école ottoman, 1892, https://www.turquie-culture.fr/pages/langues-turques/livres-en-turc/talim-i-kiraat-un-livre-d-ecole-ottoman-1892.html

 

Verso de la carte postale

Ecole turque, vers 1900, verso

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