Depuis qu'on n'utilise plus ni l'âne ni le cheval pour voyager, ce sont seulement les promenades à pied ou en vélo qui permettent de goûter les paysages échappant aux voyageurs trop pressés. On connaît les barres grises de béton en bordure de mer. Il faut aller dans l'arrière pays pour trouver d'autres décors. Si par hasard, vos pas vous ont conduit en Méditerranée, entre Mersin et Mezitli, il suffit pour se dépayser un peu, de se rendre à l'adresse, écrite ici en toutes lettres.

 

 

 C'est une résidence paisible, à l'écart des grandes voies, composée d'une vingtaine de maisons à un étage, avec de confortables terrasses. Pelouses bien entretenues, tuyas et palmiers. Allées pavées et bordées, aux décors géométriques. Éclairage au sol et à mi-hauteur.
Mais, ce qui fait la différence, se sont les façades peintes à chaque fois avec des motifs différents.

 

La mer n'est pas loin. La silhouette d'un homme semble courir sur la plage au sable rose. Avec un éclat de soleil. Sur la droite, déliée comme une algue marine, une femme se laisse porter par le bonheur de nager, sans voile, en toute liberté.
Les amateurs d'histoire de l'art croiront retrouver ici la grâce des papiers découpés de Matisse, le peintre de la Méditerranée.

 

 Le décor ne manque parfois pas d'ironie. Plus fortes que les barres de béton, coquelicots et « nazar boncuk » poussent à qui mieux mieux, comme happés par un ciel d'azur. Bien rangés, tissus et vêtements sèchent à l'air libre, sans gêner les voisins, qui utilisent de même des fils tendus sur leurs balcons. 

 

Au pied des silhouettes d'arbres, que l'hiver a dépouillé, coquelicots, tulipes, oeillets, iris et bluets déjà prolifèrent. Le sommet des branches sert de reposoir à des papillons de rêve et à des oiseaux multicolores. Le printemps sourd. Et par surprise l'on songe au poète : «Les plus beaux de nos jours sont ceux que nous n'avons pas encore vécus».

  

Immense cadran, donnant une heure factice. Rempli d'objets venus d'un univers lilliputien où se bousculent un fatras de dessins enfantins ne respectant pas même une échelle commune : un vélo plus grand qu'un immeuble ; des lunettes plus petites qu'une enveloppe ; un voilier moins visible qu'un crayon.
Et par ironie cette inscription à peine déchiffrable : "Şimdi saat kaç."

  

Le peintre-décorateur s'en est donné à coeur-joie. Un mélange audacieux d'Adami et de Picasso, qui respire le bonheur de vivre. On peut bien sûr se livrer au petit jeu du déchiffrage : le rebord d'un piano à queue ; une jarre peut être plus belle que l'eau ; les seins d'une femme ; un déjeuner sur l'herbe. Les volutes n'en finissent pas, les boules gaiement s'éparpillent. Mais pour le bonheur du passant, comme par miracle, tout s'équilibre et tient le coup.

  

D'une maison à l'autre les différentes saisons sont évoquées. 
Ici, l'été avec son soleil joufflu et bienveillant, se détachant d'un ciel bleu uniformément sans nuages. Celui dont les rayons nourrissent les vignes dont les sarments s'enroulent sur les grilles et qui, à l'automne, donneront, pour ceux qui savent attendre quelques grappes d'un raisin savoureux.
Promesse d'un bonheur simple à partager avec les enfants.

 

Les gens mal intentionnés n'ont qu'à rebrousser chemin. Il ne s'agit pas ici de l'amulette qu'on coud au berceau du nouveau-né pour écarter le mauvais oeil, du gri-gri accroché au pot d'échappement de la voiture, du pendentif qui garde l'entrée de la maison.

Mais d'un immense « nazar boncuk » qui s'épanouit sur tout le mur de façade, plaçant l'ensemble de la cité dans un climat protégé de quiétude et de bien-être.

JJB 2017

 

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