Extrait de l'ouvrage "Les Jeunes voyageurs en Turquie" destiné aux jeunes et paru en 1851, consacré à la Roumélie (la Turquie d'Europe, Salonique, Thrace, Edirne et Istanbul).

LA ROUMELIE ou ROMELIE

La Roumélie, ou l'ancienne Thrace [Trakya], est une province considérable; son nom vient de ce qu'elle fut le dernier pays que les Romains possédèrent en Orient. Les parties montagneuses y sont froides et stériles, les plaines sont très fécondes; et les villes sont les plus importantes de la Turquie d'Europe.

Salonique [Thessalonique, Selanik], l'une d'elles, chef-lieu d'un sandjak de son nom, résidence d'un pacha à trois queues, et siège d'un archevêque grec, est bâtie en amphithéâtre sur le penchant et au pied d'une chaîne de montagnes qui la domine à l'est. Ses dômes, ses minarets élevés, ses maisons entourées de jardins plantés de beaux arbres, ses remparts, ses tours, son château, lui donnent vue de la mer, un aspect très imposant.

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Son enceinte est en briques, flanquée de tours et percée de cinq portes. Trois de ces tours, plus considérables que les autres et situées sur le bord de la mer, ont le nom de forteresse. Le château des Sept-Tours, qui occupe le haut de la montagne du côté du nord-est, est mal armé et commandé par des hauteurs voisines. Salonique, quoique considérée comme une des plus belles villes de la Turquie, n'en est pas moins très irrégulière; les maisons y sont mal bâties. La propreté s'y fait remarquer. L'air n'y est pas sain. L'eau potable est amenée par des canaux d`une montagne située à une demi-journée de la ville; les petits lacs qui sont au sommet, et qui gèlent en hiver, approvisionnent cette ville de glace pendant l'été. On compte dans Salonique dix grandes mosquées et quelques petites, dont les sept principales furent toutes d'anciennes églises, plusieurs églises grecques, près de trente synagogues, neuf bains publics, un beau bezestan [bedesten]. L'école dans le quartier juif où se trouve une belle bibliothèque, occupe un édifice remarquable. Salonique offre beaucoup d'antiquités : les plus intéressantes sont les propylées de l'ancien hippodrome, la rotonde sur le modèle du Panthéon à Rome, et les arcs de triomphe d'Auguste et de Constantin. Cette ville fut connue sous le nom de Therma jusqu'au règne de Cassandre. qui l'agrandit et lui donna le nom de sa femme, Thessalonique, sœur d'Alexandre. Après avoir été prise par Guillaume, roi de Sicile, elle revint au pouvoir d'Andronic Paléologue, empereur grec, qui la cela aux Vénitiens en 1813 ; ceux-ci en furent bientôt chassés par les Turcs sous Amurat II.  

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Salonique n'a point de port proprement dit, mais elle a une rade excellente. Elle a peu de manufactures, mais elle est le centre d'un grand commerce, et est considérée comme la ville la plus importante de la Turquie après Constantinople.

Elle reçoit de toutes les parties de l’empire des productions brutes qu'elle répand ensuite dans toute l'Europe. On compte dans cette ville environ soixante-dix mille habitants, Turcs, Juifs, Grecs, Européens ou Francs.

Le sandjak dont Salonique est le chef-lieu correspond à une partie de l`ancienne Macédoine, et c’est un des plus peuplés de la Turquie. Le sol en est généralement sablonneux: il a perdu un peu de la fertilité qu'il avait jadis, mais ses productions y seraient encore considérables si l’agriculture ne s'y trouvait pas dans un état déplorable.

Andrinople (Adrianopolis) [Edirne], au confluent de la Tondja et de l'Arde avec la Maritza, est dans une belle position, au nord d`une grande plaine entourée de collines, sur l'une desquelles s’élève une partie de la ville. On distingue deux parties : le château et les faubourgs. Le château est la ville ancienne, et occupe le centre d'Andrinople, il est entouré de murs de pierre construits par les Grecs du bas-empire, et qui tombent en ruines. De vieilles murailles flanquées de douze tours, et défendues par une citadelle, entourent les faubourgs. Andrinople a onze portes; elle est divisée en plusieurs quartiers, et renferme deux sérails et quarante mosquées, parmi lesquelles on remarque celle de Selim Il, qui est considérée comme la plus belle de l'empire ottoman.  

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Sa vaste coupole est soutenue par des colonnes de porphyre, que l'on croit avoir appartenu à des temples romains. Ses minarets ont seuls résisté aux divers tremblements de terre qui ont eu lieu dans cette ville. Une école supérieure, ou medresséh, dépend de cette mosquée. On compte vingt-quatre autres médresséhs à Andrinople, et trois établissements destinés à la lecture du Coran, vingt -huit chapelles, dix églises grecques, dix-huit hans ou quartiers affectés aux négociants, vingt-huit caravansérails, vingt-deux bains publics, un arsenal et une fonderie; une promenade très agréable orne les bords de la Maritza ; Le sultan Suleiman a fait construire un aqueduc dont les eaux alimentent cinquante-deux fontaines, seize réservoirs pour les incendies, et beaucoup de bains et de mosquées. Plusieurs maisons particulières sont belles. On compte dans cette ville cent mille habitants, dont cinquante mille Turcs, trente mille Grecs et vingt mille Arméniens et Juifs. Il n'y a pas de pacha : l`autorité est partagée entre l'aga des janissaires qui a le commandement du château, le mollah qui dirige les affaires de la religion et de la justice, et le bostangi-bachi qui a l'administration de la police; ces trois officiers sont nommés par la Porte, et correspondent directement avec elle. Andrinople fut jadis la capitale du pays des Besses, peuple de Thrace ; elle se nommait alors Uscudama. Adrien, qui fut son second fondateur, lui donna son nom. Les plaines voisines sont célèbres dans l'histoire. par la grande bataille livrée par Constantin II Licinius, dans laquelle ce dernier fut vaincu. Valens y fut aussi vaincu par les Goths et brûlé vif dans une cabane où il avait été porté blessé. 

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Mourad Ier [Murat Ier] prit Andrinople sur les Grecs en 1360 ; elle devint le siège de son empire en 1366, et continua d'être la résidence des sultans jusqu'à la prise de Constantinople par Mahomet II [Mehmet II], en 1453. Andrinople est maintenant la seconde ville de l’Empire Ottoman; Constantinople en est la première et la capitale. La population y est évaluée de cinq à six cent mille habitants. Elle se compose de Turcs, d’Arabes, de Grecs, d'Arméniens, d'Européens et de Juifs. Les Turcs y sont les plus nombreux et dispersés dans la ville et les faubourgs. Ils occupent les emplois du gouvernement, ou font le commerce. Les Grecs qui n'habitaient que le quartier du Fanar, sur le port, se sont aussi répandus dans tous les autres; cependant le Fanar est toujours la résidence du patriarche grec, des douze évêques appelés synodaux, et des plus nobles familles de cette nation. Avant la révolution, les Grecs formaient le sixième de la population, une partie se livrait au commerce, quelques uns étudiaient la médecine ou les langues étrangères pour exercer l'emploi de drogman; un grand nombre servait dans la marine. Les Arméniens, au nombre de trente mille, sont tous commerçants; les Juifs, à peu près aussi nombreux, ont un quartier particulier, et s'occupent de tout genre de commerce, même des métiers les plus vils.

Constantinople, bâtie sur les ruines de Byzance, et que les Turcs appellent Stamboul [Istanbul], ne s'offre point, d'abord, comme le remarque un voyageur anglais, de manière à satisfaire l’étranger qui arrive à ses portes; mais dès qu'on est entré dans le canal, qu'on a dépassé les pointes du Sérail, et que la ville assise sur le penchant d'une vaste colline, se découvre avec son amphithéâtre de maisons élevées les unes au dessus des autres ;

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dès que la vue embrasse les faubourgs de Péra et de Galata qui n'en font pour ainsi dire qu'un seul, et le cimetière dont une sombre forêt de cyprès ombrage les sépultures, on est frappé d'étonnement. Ce n'est pas que toutes ces maisons,  la plupart construites en bois, et percées d'une multitude de fenêtres aient par elles-mêmes rien d`imposant, mais la couleur gracieuse des arbres dont elles sont entourées, les innombrables minarets et leurs dômes dorés qui réfléchissent les feux du soleil, les principales mosquées qui dominent la ville entière, tous ces objets, d'une grandeur inconnue en Europe, saisissent fortement l'imagination du voyageur qui les a pour lu première fois en perspective. Il est vrai que dans l'intérieur on est un peu désenchanté par l`aspect des baraques turques formant des rues sales et tortueuses. Par les cris des chiens et des chats qui s'y promènent en liberté, et par l'air hautain des musulmans, contrastant avec l'air rampant des Juifs et des Arméniens.

[Istanbul]

Constantinople, proprement dit, c'est-à-dire sans ses faubourgs, occupe sur un promontoire composé de sept collines qui s'élèvent en amphithéâtre, une surface triangulaire, dont la base est déterminée par une double muraille flanquée de tours, et garnie d'un fossé qui sépare la ville du reste du continent. Les deux autres côtés du triangle sont tracés l’un par le rivage de la mer de Marmara, l'autre par un bras du canal de Constantinople qui pénètre fort avant dans les terres, en séparant Constantinople de ses faubourgs, et au fond duquel se jettent le Cydaris et le Barbyssa.  

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Les murailles qui défendent la ville à l'ouest sont en général assez hautes, et construites en briques plates, et en pierres d'une épaisseur double de celles des briques; on les doit à Théodose, et elles sont assez bien conservées. On y comptait plus de sept portes; le surplus a été bouché. La plus remarquable, quoique la plus dégradée, est Top Capousi [Top Kapi], ou porta sancti Romaní. Le dernier empereur grec, Constantin Paléologue y fut tué, et elle a vu les Turcs faire leur entrée dans la capitale de l`empire d'Orient. Une double muraille, aussi flanquée de tours, se lie à la précédente et entoure Constantinople du côté de la Propontide et du canal ; elle porte l'empreinte des réparations faites par les Turcs, et présente çà et là, des débris d'édifices romains et grecs. Elle offre sept entrées du côté de la mer, et dix du côté du canal. 

Ce canal forme un des ports les plus beaux et les plus sûrs de l'Europe. L'entrée en est éclairée par deux phares, et défendue par des forts et des batteries placés d'un côté à la pointe du sérail, extrémité du promontoire sur lequel Constantinople s'élève, et de l'autre, à l'arsenal de Top-Hana [Tophane], sur la côte orientale du faubourg de Galata.

Ce vaste bassin, couvert d'une multitude de navires de toutes les nations, continuellement sillonné par des caïques ou bateaux turcs élégamment décorés, offre un tableau très animé, encadré, pour ainsi dire, par des édifices de formes agréables et variées.

Galata, Péra et Cassim-Pacha [Kasımpaşa]  sont les faubourgs que le port sépare de la ville.

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Celui d'Eïoub [Eyüp] touche au nord aux murailles de Constantinople. On remarque dans ce dernier le mausolée d'Eïoub, porte-étendard du prophète, érigé par Mahomet II, ainsi qu'une belle mosquée où sont déposées l'épée dont on arme le sultan à son avènement au trône, et toutes les reliques du prophète, excepté l'étendard ou sandjak-chérif qui est conserve dans le sérail. Il y a aussi dans ce faubourg plusieurs palais des princesses de la famille impériale. Dans une riche vallée voisine se trouve le kiaatkhaneh [Kağıthane], beau palais construit par Ahmed Ill, sur un plan fourni par un ambassadeur de France. Le faubourg de Cassim-Pacha [Kasımpaşa] contient le grand arsenal de la marine, de vastes chantiers de constructions; le palais du capitan-pacha, des casernes, des logements pour les esclaves et ouvriers, et une mosquée. A l'est de Cassim-Pacha, est Galata, divisé en deux quartiers, Galata et Péra. Le premier est entouré de murs percés de douze portes, et a une citadelle très élevée appelée tour du Christ, et bâtie par l'Empereur grec Anastase. Il renferme plusieurs mosquées, une lointaine richement ornée, et un grand nombre de boutiques tenues par des marchands de toutes les nations. Le quartier de Péra s'étend sur une hauteur voisine, et a près d'une lieue de long. Il est mal pavé et bâti d'une manière peu régulière. Les ambassadeurs européens y résident avec leurs interprètes, dans des hôtels assez beaux et construits en pierres. Il y a quatre églises catholiques, une grecque, un monastère de derviches et un collège de jeunes gens destinés à être admis dans le sérail. Ce quartier est presque tout entier européen. 

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Retournons à la ville, nous y verrons quelques palais et un assez grand nombre d'édifices qui méritent l'attention du voyageur. Le principal est le  sérail ou palais du grand-seigneur, qui occupe l’emplacement de l’ancienne Bysance [Byzance]. Quoique dans l'enceinte de la ville, ce palais est entouré de hautes murailles percées de huit portes dont l'une est appelée la Sublime Porte ; elle est d'une construction lourde et a la forme d'un bastion. C'est à droite et a gauche de cette porte qu'on expose les têtes des criminels et celles de quelques uns des ennemis tués a la guerre : elle conduit dans une première cour où sont l`hôtel de la monnaie, le palais du grand-visir et l'ancienne église de sainte lrène, fondée par Constantin, dont on a fait un arsenal d'armes antiques. On arrive ensuite par la porte Orta-Capousi [Orta Kapısı] dans la seconde cour où se trouve la salle du divan; au fond est la porte de Félicité, prés de laquelle s`élève la colonne assez bien conservée de Théodose le grand. Cette dernière porte conduit à la salle du trône. à la bibliothèque du sérail, aux appartements du sultan, au harem, au trésor et a plusieurs autres édifices, dans lesquels règne une magnificence bizarre et désordonnée. Le reste du sérail, qui va jusqu'à la pointe du promontoire, se compose de jardins décorés de kiosques très élégants et d'où l`on jouit d'une très belle vue sur la mer et sur les cotes d'Asie.

Depuis quelque temps, le sultan habite ordinairement un beau palais situé à la pointe du sérail, en face de Scutari [Üsküdar]. Le sérail a été construit par Mahomet Il et embelli par ses successeurs. 

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Il forme a lui seul une petite ville qu'il est impossible à un étranger de visiter pleinement, et qui peut contenir six mille habitants. Dans la même direction est l'Atméidan (l'ancien hippodrome), place dont la belle mosquée d'Ahmed lll occupe un des côtés. De tous les monuments qui décoraient anciennement cette place, on n'y voit plus que l'obélisque égyptien de soixante pieds de haut, la colonne serpentine, depuis longtemps mutilée, et une colonne de quatorze pieds de hauteur, revêtue de bronze par Constantin Porphyrogénète. C'est sur cette place que les Turcs se livrent à l'exercice militaire du djérid, et c'est vers elle que se dirige la marche du sultan dans les grandes cérémonies ou les jours de réjouissances publiques. Au centre de la partie la plus populeuse de Constantinople est le vieux palais, entouré de hautes murailles, et occupé par les femmes du sultan décédé. On y voit aussi le palais des glaces, bâti par Ahmed III, assez près de la mer de Marmara, pour y placer les glaces dont les Vénitiens lui tirent présent. C'est dans ce palais que se lit la rectification du traité par lequel la Porte cédait la Crimée à la Russie. A l’angle de la ville, voisin de la mer de Marmara, est le château des sept tours, ancienne forteresse construite-par les empereurs grecs, et restaurée par Mahomet II ; elle est de peu de défense, et sert actuellement de prison d'état. Trois de ses tours ont été renversées par le tremblement de terre de 1786, et n'ont pas été relevées. C'est dans ce château qu'on a découvert un arc de triomphe érigé en l'honneur de Théodose, et qu'on nommait la porte dorée.  

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On voit sur la septième colline le palais de Constantin, qui n'offre plus que des restes de construction et quelques colonnes de marbre. Il existe encore, dans d'autres parties de la ville, quelques monuments antiques, mais ils sont en général très dégradés ; un des mieux conservés est la colonne de porphyre, haute de quatre-vingt-dix pieds, autrefois surmontée d'une statue d'Apollon, mais qui a été tellement dégradée, qu'on lui a donné le nom de colonne brûlée. On remarque aussi la ménagerie qui est une ancienne église grecque dédiée à saint Phocas. Dans le nombre des mosquées de Constantinople, il en est une où, pendant les fêtes du Beiram [Bayram] surtout, les derviches dansent en tournant sur eux-mêmes. L’intérieur est simple et élégant; dans le milieu se placent les derviches. La cérémonie commence par quelques versets du Coran. A mesure que la voix du derviche chanteur augmente, les autres s'avancent les bras croisés sur la poitrine ; la musique s'anime; alors les danseurs, en chemise, les bras étendus, les yeux fermés, pirouettent avec une rapidité toujours croissante, pendant plus d'une heure, sans s'arrêter, hormis deux ou trois repos de cinq minutes chacun. Presque tous ces derviches sont, dit-on, des hommes dissolus très adonnés aux plaisirs ; il n'y a que ceux qu'on nomme santons qui soient vénérés, parce qu'ils mènent une vie austère. On compte dans cette capitale quatorze mosquées impériales, près de deux cents mosquées, ordinaires, et plus de trois cents chapelles turques.

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Les premières s'élèvent presque toutes au milieu d'une vaste enceinte, et sont remarquables par leurs dômes et par deux ou quatre minarets, elles renferment des chapelles sépulcrales ou sont déposées les cendres de leurs fondateurs, et sont environnées de divers bâtiments consacrés a des institutions d utilité publique, telles qu'hôpitaux, khans, collèges, écoles et bibliothèques. Les mosquées ordinaires ont été érigées ou par des visirs ou par des pachas, ou par des sultanes Validé, et sont moins belles que les premières. En général, les mosquées ressemblent plus ou moins à celle de Sainte-Sophie, la plus magnifique de toutes. Sainte-Sophie est un ancien temple grec construit sous le règne de l'empereur Justinien, par Anthémius de Tralles, assisté d'lsidore de Milet. Sa forme est celle d'une croix grecque. Deux vestibules la précèdent, et on y entre par neuf portes de bronze; on y admire le principal dôme, de forme très aplatie, et la galerie qui l'environne composée de soixante-sept colonnes dont huit de porphyre provenant du temple du soleil à Rome, et six de jaspe tirées du temple de Diane à Ephèse. Le pavé en mosaïque de porphyre et de vert antique est entièrement couvert de riches tapis. Les quatre minarets qui accompagnent cette mosquée en sont détachés, et remarquables par leur légèreté. Après Sainte-Sophie, on cite la mosquée d'Ahmed III, la seule de l'empire qui soit ornée de six minarets; et celle du sultan Selim ou la Solimanie, qui renferme le mausolée de Soliman et de Roxelane. Bien moins grande que Sainte-Sophie, elle a des beautés particulières, et il est des personnes qui la regardent comme la plus magnifique de toutes. 

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Plusieurs de ces mosquées sont d’anciennes églises grecques, ou sont décorées des dépouilles de monuments antiques. On compte en outre dans cette ville, des églises grecques, catholiques, arméniennes, et des synagogues. Il y a autant de fontaines que de rues ; toutes sont d une construction simple et se font remarquer par l’élégance de leurs ornements; elles sont alimentées par de beaux aqueducs parmi lesquels on distingue celui construit par l'empereur Valens, qui est un des plus beaux monuments d'antiquité.

Le grand bazar, appelé le Bézestan est le rendez-vous des marchands. Chacun des marches a sa rue; un toit circulaire qui donne entrée à la lumière, abrite eu même temps contre la chaleur. On y voit une étrange variété de costumes : persans, arméniens, nubiens, tartares. hadjis ou pèlerins revenant de la Mecque, derviches qui courent le monde, les uns presque nus, les autres vêtus d'une manière bizarre et même efféminée. Le marchand turc arrive au bazar de bonne heure ; il s'installe dans sa boutique, s'accroupit sur ses coussins, sa longue pipe à la bouche, et de temps en temps boit une tasse de café, que lui vend le cafetier établi dans le marché même. Jamais il n'appelle un chaland, il attend avec tranquillité qu'on vienne acheter sa marchandise. Lorsque le soleil est couché, il sort du bazar. Dans le jour, il arrive souvent qu'un marchand laisse sa boutique ouverte, et ses marchandises en évidence pendant son absence, sans qu'il perde jamais rien, ce qui prouverait à cet égard la probité des Turcs. Il règne dans Constantinople un silence qui n'est troublé ni par les carrosses, dont on ne fait pas usage, ni par les habitants qui sont en général très peu communicatifs.  [58] Quoique tous portent à peu près le même costume, les Turcs se distinguent par la couleur du turban et des pantoufles; par des vêtements en général plus riches que ceux des autres, et par une démarche grave et un air de fierté que n'imitent pas les autres habitants. Les femmes ne sortent jamais que voilées, et habillées de manière a ne pas fixer l'attention; il n'est pas permis de les aborder dans les rues. L'usage de l'opium est assez généralement répandu en Turquie. Il existe à Constantinople une classe d'hommes, appelés thériaquistes, qui en prennent avec excès; ils sont jaunes et livides, leurs yeux sont ternes, et ils vivent rarement plus de trente années. Au lever du soleil ils arrivent dans un vaste café près de la grande mosquée, et des qu'ils ont avale leur potion, ils s'étendent sous un portique ombrage d'arbres; une fois dans cette posture, ils demeurent immobiles et les plus ravissantes extases viennent saisir leur esprit. Mais le soir éteint ces brillantes illusions; ils éprouvent en se levant un sentiment de misère et d'abandon, et retournent chez eux, en proie à de vives souffrances, pour recommencer le lendemain leur ivresse. On ne fait pas un pas dans cette capitale sans rencontrer des cafés ou des boutiques de confiseurs. Les premiers sont remplis de monde depuis le lever jusqu'au coucher du soleil. Chacun y porte avec soin son sac de tabac, qu'il est toujours dispose à offrir à celui qui en manquerait. En quelque lieu qu'entre un voyageur, soit chez un prince.  

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Soit chez le dernier paysan, la première politesse qu'on lui fait est de lui présenter une pipe remplie d'un tabac doux et parfumé, et une tasse de café, sans y ajouter ni sucre ni crème. Les cafés reçoivent l'air de tous cotés, et sont le rendez-vous des gens oisifs de toutes les professions. Il y a aussi les mêmes où l’on vend secrètement des liqueurs spiritueuses défendues par le coran. Les Turcs regardent le jeûne comme de précepte divin surtout pendant toute la lune du mois qui est consacré à Dieu, sous le nom de ramadan. Ils demeurent alors depuis le lever jusqu'au coucher du soleil sans rien manger, n'ayant pour toute distraction que leur pipe, appelée tchibouk ou narghileh, et leur café, ou la fève de l’yemen Quand le jeûne est fini, ils se livrent il la joie; ils dansent au son de la guitare et du tambour, les uns les autres, el partent avec une sorte d'attendrissement de cette nuit si impatiemment attendue, où les premières clartés de la nouvelle lune annoncent l'ouverture du beiram, c'est à dire du mois nouveau où commenceront les réjouissances. D'innombrables rangées de lampions illuminent les grandes mosquées; les imans, du haut des minarets, les yeux fixés sur le ciel, épient les premiers rayons de la lune. Aussitôt qu'ils l’aperçoivent, des cris d'allégresse s'élèvent dans les airs, et sont répétés par tous les échos de Constantinople. L'heure du plaisir a sonné, on va se dédommager des jours de privation. Le lendemain, tous les regards semblent pleins de bienveillance et de fraternité; le pauvre serre la main du riche, l`embrasse comme un frère; le bonheur est peint sur toutes les figures ; tout le monde est vêtu de ses plus beaux habits; et les doux sons de la musique mêlés aux chants de gloire en l'honneur du prophète, se font entendre de toutes parts. 

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Le climat de Constantinople est tempéré, l'air qu'on respire dans cette ville est généralement sain, et les maladies y sont rares. La mortalité y devrait être moins considérable qu’ailleurs, toutes proportions gardées, car l’atmosphère y est sans cesse renouvelée et rafraichie, tous les dépôts des égouts et des eaux pluviales sont emportés par les courants qui se précipitent du port dans la mer de Marmara ou Propontide, unie par le détroit des Dardanelles ou I'Hellespont, à la mer de l'Archipel ou mer Egée, comme le canal du Bosphore unit la Propontide et la mer Noire; aucun terrain marécageux n'existe à Constantinople, et sa température n'offre jamais de froid à plus de quatre à cinq degrés, ni une chaleur de plus de vingt-six degrés du thermomètre de Réaumur. Mais la peste qui y est apportée des autres parties de l'empire y cause souvent de grands ravages; on y a aussi ressenti plusieurs fois des tremblements de terre. Les incendies y sont fréquents et détruisent souvent des quartiers entiers. La police est chargée de l'approvisionnement de la ville en grains, et rarement la disette se fait sentir ; mais cette police paraît s'occuper peu de ce qui contribue à la salubrité publique; car c'est à un nombre considérable de chiens errants et d'oiseaux de proie qu'elle laisse le soin de débarrasser les rues des immondices qu'on y jette. Les environs de Constantinople sont remarquables par la beauté et la variété de leurs sites, ils le sont aussi parle grand nombre de cimetières qui s’y trouvent, et qui, vu la quantité d'arbres qu'ils renferment, ressemblent à des parcs.  

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Ceux des Turcs sont les plus beaux, tant par leur étendue que par le luxe des tombeaux. Les deux champs des morts ou cimetières, situés au près de Péra, sont des lieux de promenade d'où l'on jouit d'une très belle vue.  Parmi les promenades de Constantinople, on cite comme une des plus agréables la route qui mène aux aqueducs de Justinien, qui procurent les eaux à tous les quartiers de la ville, où existent un grand nombre de bains publics et de fontaines. On cite aussi la forêt de Belgrade, environ quatorze milles plus loin; et le lieu, appelé les eaux douces, résidence d'été du sultan. C’est une vallée parfaitement de niveau, ombragée par de beaux arbres, et arrosée par une rivière limpide. La, on rencontre des Turcs qui, avec des cuillères de bois, mangent du riz bouilli, dans la même écuelle. Le plus grand honneur qu'ils puissent vous faire est de vous offrir leurs pipes, après en avoir essuyé le bout avec leur pelisse. Ils croiraient s'abaisser s'ils vous parlaient dans une langue autre que la turque ou l`arabe.

 Constantinople est bâtie sur l’emplacement de l'ancienne Byzance, qui avait été fondée par le chef d'une colonie de Mégariens appelée Byzas, et qui lui donna son nom. Byzance, après la défaite de Xercès, fut augmentée et fortifiée par Pausanias de Sparte. Après avoir beaucoup souffert de la deuxième irruption des Perses, elle fut prise par les Athéniens. Sous la domination romaine, Vespasien lui ôta ses franchises, et l`attacha ti une province. Dans les guerres civiles, elle suivit le parti de Niger, contre Sévère, qui la détruisit entièrement, et en dispersa les habitants.  

 [62] Constantin, de qui elle tient son nom actuel, déterminé sans doute par sa belle situation, la fit rebâtir avec une magnificence extrême et y fixa le siège de l'empire Romain. Elle devint dans la suite le siège de l'empire des Grecs jusqu'en 1553,  époque à laquelle elle tomba au pouvoir des Turcs commandés par le sultan Mahomet II.

 

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