Article sur Edirne (Andrinople), à la fin du XIXe siècle, écrit par Edmond Dutemple, paru dans "La Grande encyclopédie, inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts, etc", Paris, Lamirault, 1886
ANDRINOPLE (en turc Edirneh). Ville de la Turquie d'Europe chef-lieu du vilayet d'AndrinopIe.
I. Géographie. Population. Monuments. Lat. N. 41° 41' 26"; long. E. de Paris, 24° 16' 43" Située au confluent de la Toundja et de l'Arda, et sur la Maritza, Andrinople s'étend sur une longueur de près de 4 kil. au nord d'une grande plaine, entourée de collines. Population 12 1,060 hab., ainsi réparlis Turcs, 38,000; Grecs rayas, 33,000; Bulgares, 22,000; Israélites, 14,000; Arméniens, 11,000; Tsiganes, 1,000; étrangers, 2,060. Ces derniers comportent 1,000 sujets helléniques, 300 autrichiens, 200 italiens, 100 français, 30 russes, 30 anglais. La ville offre de loin un très bel aspect et apparat comme un amoncellement de jardins luxuriants qui tranchent sur la monotonie de la plaine; malheureusement de près les rues offrent l'aspect de toutes les rues turques, c.-à-d. se présentent sales, étroites, tortueuses. Andrinople possède cependant des monuments dignes d'être remarqués parmi les 40 mosquées qui ornent la ville, la plus belle, et une des plus belles de l'empire ottoman, est la mosquée de Selim II, dont la coupole, de 20 pieds plus élevée que celle de Sainte-Sophie de Constantinople, est soutenue par des colonnes de porphyre; le bazar d'Ali Pacha est également un des plus beaux de la Turquie et ne le cède en rien au Bezestein de Constantinople; 24 médressés et 3 établissements spéciaux, destinés à la lecture du Coran, donnent l'instruction à de nombreux étudiants les chrétiens, des divers rites, possèdent 28 chapelles et 10 églises ; 28 khans ou caravansérails, sont ouverts aux commerçants importateurs; 18 hans ou quartiers particuliers, sont affectés aux négociants; l'aqueduc de Soliman amène l'eau dans toutes les parties de la ville et dessert 46 réservoirs, 52 fontaines, 22 bains.
Armée. Andrinople n'a pas d'enceinte fortifiée, mais est entourée de 24 ouvrages en terre établis sur les collines qui dominent la ville et situés à une distance de 500 à 5,000 m. de celle-ci. Pour obtenir l'étagement des feux èt le pointage des pièces dans toutes les directions, le génie turc (istihkiam) a construit à l'intérieur de ces ouvrages des tours en terre faisant l'office de réduit et pouvant recevoir de 1 à 14 pièces. Andrinople est le chef-lieu du 26 corps d'armée turc. Sur le pied de paix, les troupes du 2e corps comportent 35 bataillons d'infanterie de ligne (nizamé), soit 15,800 hommes et 2,500 officiers; 29 escadrons de cavalerie (souvari), soit 2,800 hommes et 195 officiers; 12 batteries montées, 2 batteries de campagne, au total 65 pièces à feu, desservies par 1,264 hommes et 114 officiers d'artillerie (topdjou). La gendarmerie du vilayet d'Andrinople est composée de 3 bataillons et de 3 escadrons, soit 3,270 zaptiés et 450 chevaux. Andrinople renferme un des principaux hôpitaux militaires de l'empire ottoman.
Voies de communication. Située à 40 lieues au N.-O. de Constantinople, et à 30 lieues E.-S.-E. de Philippopoli, Andrinople est la ville de la Turquie d'Europe qui est le mieux pourvue de voies de communication. Les trois rivières au confluent desquelles elle se trouve lui assureraient, à défaut d'autres voies, des débouchés faciles; la Maritza la met en rapport avec l'archipel par Enos il faut toutefois tenir compte que le trajet d'Enos à Feredjik ne peut être franchi que par des barques de faible tirant d'eau et que la Maritza n'est navigable, jusque dans l'archipel, que pendant les mois de mars, juin, oct., nov. et déc. Andrinople est la station la plus importante de la grande voie férrée qui part de Constantinople et se dirige sur Philippopoli et Tatar Bazardjik; lorsque cette voie ferrée sera continuée sur Belgrade, par Sofia et par Nisch, Andrinople sera reliée au réseau des chemins de fer européens. Une voie ferrée spéciale, qui passe par Demotika, au S.-O., relie Andrinople au port de Dédéagatch, sur l'Archipel, qui reçoit presque tout le commerce de transit d'Andrinople-. Cinq routes carrossables mettent Andrinople en communication avec les principales villes de la Turquie d'Europe; au N., sur Boiouk-Dervent et an N.-O., sur Karabounar, dans la Roumélie orientale au S. sur Demotika et Enos, au S.-E. sur Hafsa, Luli, Bourgas et Rodosto, au S. et à l'E. sur Kirk-Kilissa et Constantinople.
Vilayet d'Andrinople. Le vilayet dont Andrinople est le chef-lieu est divisé en six arrondissements ou sandjaks ce sont les sandjaks de Kirk-Kilessi, Demotika, Gumuldjina, Gallipoli, Rodosto et Andrinople. La population totale du vilayet est évaluée à environ 3,000,000 d'hab. Chaque sandjak est administré par un mutessarit (préfet) qui relève du vali (gouverneur général) d'Andrinople.
II. Histoire. Sur l'emplacement actuel d'Andrinople s'élevait anciennement la capitale du pays des Besses, peuple de Thrace; elle portait le nom d'Uscudama. Adrien, qui la rebâtit, lui donna son nom qu'elle a depuis toujours conservé (Adrianopolis ; en grec moderne Adrianopil). Grâce à sa situation, Andrinople a été le théâtre d'événements nombreux et importants. Les plaines qui l'entourent ont vu de grandes batailles. Voici, par ordre chronologique, et succinctement, les principaux faits historiques qui se rattachent à l'histoire d'Andrinople 323, victoire de Constantin sur Licinius 378, défaite de l'empereur Valens par les Goths; 551, victoire des Slavons sur l'empereur de Constantinople; 586, siège d'Andrinople par les Avares 922, prise d'Andrinople par les Bulgares 1189, entrée des Croisés allemands à Andrinople; 1190, traité conclu à Andrinople entre Frédéric Barberousse et l'empereur grec; 1205, Beaudoin Ier, fait prisonnier à Andrinople par les Bulgares; 1360, prise d'Andrinople par Suleiman 1er. Andrinople devient la capitale de l'empire ottoman et garde ce titre jusqu'à la prise de Constantinople; 1420, le prétendant Mustafa est vaincu par Amurat II, près d'Andrinople; 1511, traité de paix conclu à Andrinople entre Bayezid II et Selim; 1829, prise d'Andrinople par les Russes 14 sept. 1829, traité de paix entre le tzar et Sultan Mahmoud, signé à Andrinople; ce traité assure aux Russes pleine et entière liberté de commerce, il rectifie les frontières de l'empire ottoman, en Asie, à l'avantage de la Russie, il règle la situation de la Moldavie, de la Valachie et de la Serbie et reconnaît l'indépendance de la Grèce; en juin 1854, pendant la guerre de Crimée, Andrinople est occupé pendant quelques jours par le corps d'armée commandé par le général Bosquet; 20 janv. 1878, pendant la guerre turco-russe, le général Gourko entra à Andrinople, pendant que Skobelev coupait l'armée de Suleiman de cette ville et la forçait à battre en retraite.
III. Commerce. Productions. Les environs d'Andrinople, ainsi d'ailleurs que la généralité des terres du vilayet, sont très fertiles et pourraient donner des rendements très avantageux s'ils étaient bien cultivés. Les céréales (maïs, blé, seigle, avoine, orge), la vigne, le tabac, la soie et les laines sont les principales productions. Les céréales sont d'excellente qualité et forment la principale source d'exportation. Malheureusement les procédés de culture et l'exploitation sont encore trop primitifs ce n'est guère que depuis 1882 que l'on a commencé de faire venir d'Angleterre des instruments aratoires perfectionnés, des batteuses et des moissonneuses mécaniques. Une école d'agriculture a été fondée à Andrinople, en 1882, sous les auspices du gouvernement turc. Cette école, qui compte aujourd'hui plus de 200 élèves, presque tous fils de musulmans émigrés de Serbie et de Roumélie orientale, est affectée à l'enseignement des cultures des terres d'après les dernières expériences scientifiques. On apprend aussi à la plupart des enfants un métier manuel. Le gouvernement, turc espère, par ces mesures, relever le travail agricole dans ces contrées. La production des laines suit une progression très sensible; mais l'exportation diminue le gouvernement turc achetant la plus grande partie de ces laines pour les besoins de l'armée. Une certaine quantité est cependant expédiée en Bulgarie et sert à fabriquer des draps d'excellente qualité, connus le nom de chaïak. Le tabac que l'on récolte dans les environs d'Andrinople n'est pas d'une qualité supérieure, ce qui fait qu'il est assez déprécié sur les marchés d'Europe, où l'on recherche surtout les produits d'Yenidjé, de Cavalla et d'autres localités renommées d'Asie. Aujourd'hui que le système de la régie est en vigueur dans l'empire ottoman pour les tabacs, la direction de la régie cherche à-encourager la culture du tabac dans le vilayet d'Andrinople en faisant des avances aux paysans qui s'adonnent à cette culture et en leur procurant des plantes de bonne qualité. Les essais déjà tentés font espérer que, dans un avenir prochain, le tabac d'Andrinople pourra rivaliser avec les meilleurs produits d'Asie. Les vignes donnent un très bon vin, pouvant facilement supporter le voyage; il s'en fait aujourd'hui un commerce assez considérable, surtout avec le midi de la France où les vins de la Roumélie sont travaillés en vue de l'exportation. La soie était autrefois la principale richesse du vilayet d'Andrinople la production a sensiblement baissé par suite de la coupe d'une grande quantité de mûriers.
Mines. Les environs d'Andrinople renferment des mines qui, bien exploitées, pourraient devenir très importantes. De 1865 à 1884, il n'a pas été délivré moins de 31 permis de recherches par le gouvernement turc. Ces permis de recherches se divisent ainsi plomb argentifère, 8; cuivre, 5; antimoine, 3; chrome, 2; manganèse, 4; fer, 1 houille, 7; naphte, 1.
Industries. L'industrie est assez active et florissante à Andrinople et dans le vilayet. Il faut citer en première ligne les fabriques d'étoffes de soie, de laine et de coton; puis les teintureries, les manufactures de tapis, les tanneries, les fabriques de maroquin les distilleries d'essences de roses sont également un commerce assez important. Exportations, importations. Les principaux articles d'exportation d'Andrinople sont les mais, les laines, le blé, les cotons secs, le seigle, l'avoine, l'orge, la sésame, la graine de lin, le tabac, les soies, les déchets de soie, les peaux de chevreau, d'agneau et de lièvre. Les principaux articles d'importation sont, par ordre d'importance, les tissus de coton, les tissus de laine, le coton fil, les cuirs tannés, le fer aciéré, les draps, les soieries, le sucre, le café, les bougies, le pétrole, les vins et liqueurs, les drogueries.
Commerce général d'Andrinople. (Importation et exportation réunies).
1859 : 14,726,000 fr.
1868 : 12,600,000
1875 : 28,000,000
1876 : 25,683,500
1877 : 22,197 215 fr.
1878 : 41,050,380
1879 : 22,520,838
1882 26,968,021
Part des principales puissances dans le commerce général d'Andrinople.
On voit par les tableaux précédents que les nations qui trouvent le plus facilement, dans le vilayet d'Andrinople, un débouché pour leurs produits sont la France, l'Autriche et l'Angleterre. Cela tient à l'avantage de leurs moyens de communication, résultant de leurs bateaux à vapeur faisant le service régulier de toutes les échelles du Levant et leur permettant de livrer leurs marchandises à des prix assez bas; dans toute cette partie de la Turquie d'Europe la concurrence ne peut s'établir que sur la question du bon marché.
Edmond Dutemple.