[584]
[Gemlik, Iznik, Bursa]
Ghemlik [Gemlik] occupe une postion analogue à celle d'Ismid ; située à l'extrémité orientale d'un golfe qui s'ayance profondément dans les terres et sur les dernières pentes de collines tournées vers le midi, elle est aussi entourée de beaux ombrages et se trouve en communication facile avec la vallée du Sakaria par la dépression qui renferme les eaux du lac de Nicée. Ghemiik fait, comme Nicomédie, un petit commerce de détail et construit des embarcations d'un faible tonnage. Isnik ou Nicée [Iznik], qui jadis avait sa « marine » là où s'élève aujourd'bui la petite bourgade grecque de Ghemiik, n'est plus qu'un pauvre village perdu dans sa double enceinte romaine, et presque entièrement abandonné pendant la saison des fièvres. La « Ville de la Victoire », résidence des rois de Bithynie, lieu de naissance d'Hipparque, ne se compose que d'une cculainc de masures et de décombres à demi cachées par les broussailles. De loin pourtant on croirait Nicée une grande cité ; ses hautes murailles, que flanquent de grosses tours, sont assez bien conservées ; mais en approchant on remarque les bouquets d'arbrisseaux qui naissent entre les brèches. Les mosquées sont abattues, il ne reste rien des monuments romains ; la seule curiosité est une petite église grecque renfermant une grossière peinture du concile de Nicée, qui proclama en l'an 325 presque tous les articles de foi connus sous le nom de « Symbole des Apôtres ». Nicée est l'une des villes fameuses de l'histoire des Croisades : en 1096, l'armée catholique laissa plus de vingt mille cadavres dans les défilés voisins ; l’année suivante, elle s'empara de Nicee, en la bloquant au moyen d'une flottille transportée par terre dans le lac d'Isnik.
La capitale du vilayet de Houdavendighiar, Brousse [Bursa], est l'une des grandes villes de l’Anatolie ; elle en est aussi l'une des plus gracieuses. Très vaste et divisée en quartiers distincts, que des vallons, ombragés de platanes et parcourus d'eaux vives, séparent les uns des autres, elle domine la campagne fertile de l'Oulfer-tchaï de ses maisons à toits rouges, de ses coupoles dorées et de ses minarets blancs ; il n'est pas un groupe de constructions que n'embellisse la verdure : Brousse est un parc en même temps qu'une cité. Les puissants contreforts de l'Olympe, rayés de plis convergents, font ressortir par leur verdure sombre l'éclat des édifices ; immédiatement au-dessus de la ville s'étend la zone des châtaigniers, puis viennent les forêts d'essences variées, noisetiers, charmes, hêtres et chênes, et plus haut les sapins et d'autres conifères ceignent la montagne d'un cercle noir. La plaine qui s'étend au pied des terrasses de la cité est un immense jardin où les sentiers et les routes serpentent à l'ombre de noyers gigantesques ; les chèvrefeuilles et les jasmins suspendent leurs guirlandes aux branches des cyprès et des arbres fruitiers.
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Brousse, qui garde, légèrement modifié, le nom de Prusium que lui donna son fondateur, le roi Prusias de Bithynie, n'a plus de débris de l'antiquité romaine ; mais elle a toujours, malgré les tremblements de terre qui ont secoué ses édifices et détruit ou incliné ses minarets, quelques restes précieux de l'époque où elle fut la capitale de l'empire ottoman ; dès 1528 elle appartint aux Osmanli, et c'est là qu'Orkhan « le Victorieux » reçut le titre de padichah des Osmanli. Brousse est la ville où les Turcs ottomans prirent la conscience de leur force, où la tribu se changea en nation et où le chef de bande se fit chef d'empire» (1). Après avoir succédé à sa voisine Yeni chehr comme résidence des sultans, elle fut remplacée à son tour par Andrinople, puis par Constantinople, mais elle reste toujours cité vénérée et l'on y visite religieusement le cénotaphe d'Osman, ainsi que les tombeaux de Mahomet II et des autres premiers souverains de l'empire. Parmi les « trois cent soixante-cinq » mosquées de Brousse, presque toutes lézardées par les tremblements de terre, plusieurs se font remarquer par la richesse et l'élégance de leurs faïences émaillées ; l'une d'elles, le Yechil Djami ou « Mosquée Verte », a été réparée dans le goût primitif de l'art persan par un artiste français. Brousse est un centre de commerce et même une cité industrielle, grâce à ses minoteries, à la culture des mûriers ; mais depuis 1856 les maladies qui ont attaqué les vers à soie ont diminué des deux tiers la production séricicole du Houdavendighiar ;
1. G. Perrot, ouvrage cité.
la valeur moyenne de la récolte, qui était de 28 à 50 millions de francs par an, n'atteint plus 10 millions (1). Les fabriques, au nombre de 45 environ, ne filent guère la soie que pour la ville de Lyon ; c'est uniquement avec la France, par l'entremise de maisons arméniennes, grecques et turques, que Brousse entretient des relations commerciales. Après la culture du mûrier, celle de la vigne est la plus importante du district (2). Le raisin sert principalement à préparer un jus épais que l'on emploie pour les confitures ; une petite partie de la vendange est transformée en vin par des négociants grecs.
La colonie européenne de Brousse ne se compose pas même d'une centaine de personnes, mais elle augmente temporairement en mai et en septembre, mois recommandes pour l'usage des bains médicinaux.
1. Production séricicole de la province, dans la saison 1880-1881 : 435 040 kilogrammes.
Soies grèges : 928 balles, ou 85 520 kilogrammes
Valeur des soies et déchets : 9 049 500 francs
(Edm. Dutemple, En Turquie d’Asie.)
2. Production des vignobles dans la région littorale du golfe de Ghemlik, jusqu'il 40 kilomètres de distance :
780 000 kilogrammes de raisin noir ; 10 600 000 kilogrammes de raisin blanc
(Edmond Dutemple, ouvrage cité.)
Les sources deTchekirjeli, ferrugineuses et sulfureuses, d'une extrême abondance, offrent la plus grande variété de composition et toute la série des températures entre 55 et 80 degrés. Dans le fort de Télé, la saison des bains est interrompue par la chaleur ; les habitants aisés et les visiteurs se retirent dans les villas parsemées sur les pentes de l'Olympe, ou bien se rendent sur la plage de la mer, à Moudania [Mudanya], à Arnaout-kôi et autres endroits. Moudania, lieu de villégiature pour les habitants de Brousse, est aussi leur principal marché d'expédition, mais la rade est exposée aux vents du large et pendant les tempêtes du nord-est les navires vont se réfugier dans le port de Ghemlik. Des spéculateurs ont proposé de construire un port artificiel devant la plage de Moudania, et même on a déjà démoli dans le voisinage le théâtre grec de l'ancienne Apamée pour en employer les matériaux à la fondation d'un môle, resté presque inutile. Bien plus, un chemin de fer, long de 42 kilomètres, construit depuis 1875 entre Moudania et Brousse, n'a jamais été ouvert au public ; la rouille en détruit les machines, rails et traverses sont emportés par les paysans et les pluies ravinent les remblais. Exemple de la sollicitude qui, dans les régions du pouvoir, préside au développement du bien public !
[Balıkesir]
La vallée du Sousourlu-tchaï, le plus grand affluent de la mer de Marmara, pénètre au loin dans l'intérieur ; les campagnes qu'arrose cette rivière sont parmi les plus fertiles de l'Asie Mineure et produisent en abondance le pavot, le tabac, le chanvre ; les pentes des collines sont couvertes de chênes à vallonée, dont Smyrne expédie les cupules. Des bourgs importants et même des villes se succèdent dans la vallée. Près du lac d'où jaillit la source, déjà considérable, du Sousourlu, s'élève Simaou, voisine de l'ancienne Ancyre de Phrygie. Plus bas, près du grand méandre que forme la rivière en se reployant vers le nord et le nord-est, se groupent les demeures de la bourgade ou cassaba au nom slave de Bogaditch ou Bogaditza ; Balikesri ou Balak-hissar [Balıkesir], qui se voit ensuite à l'ouest du fleuve, dans une large plaine, jadis lacustre, est un lieu de foire très fréquenté ; enfin Moualitch, située sur un renflement insulaire du sol, dans la région basse, où les eflluents des lacs Manyas et Aboullion viennent rejoindre le courant principal, est une grosse bourgade, enrichie par les récoltes de sa plaine d'alluvions , mais très exposée aux miasmes des marais. Aboullion, l'ancienne Apollonie, recouvre complètement, de ses maisons pittoresques serrées les unes contre les autres, un îlot du lac rattaché à la terre ferme par un pont branlant et sinueux qu'ombragent les ramures avancées des platanes. Un château byzantin, construit en partie de fragments d'édifices antiques, commandait le passage. La population de cette ville de pécheurs et de marins est presque entièrement grecque (1). Les Cosaques des environs sont hellénisés.
[591]
Il ne reste plus que d'insignifiaiits débris de la somptueuse Gyziquc vaotée par les anciens, et les substructions des édifices déblayés ne sont pas de ce beau travail grec que l'on admire à Pergarae, à Ephèse, à Milet : les Turcs donnent à ces ruines le nom de Bal-Kiz ou « Fille de Miel », appellation dans laquelle Hamilton voit un calembourg involontaire, provenant de l'abréviation du nom grec Palnia Kysieos ou « Vieille Cyzique ». La cité hellénique occupait une position admirable sur la plage méridionale d'une île montueuse, transformée de nos jours en péninsule, et possédait deux ports bien abrités, s'ouvrant l'un vers l'Hellespont, l'autre vers le Bosphore ; le détroit s'est comblé, et au lieu des deux ponts qui, du temps de Strabon, unissaient l'île à la terre ferme, s'est formé un isthme de plus d'un kilomètre de largeur. Actuellement, le port oriental de Cyzique est remplacé par celui de Pandermos [Bandırma] ou Panormos, petite ville turque, grecque et arménienne, que visitent régulièrement les bateaux à vapeur de Constantinople. Au port occidental a succédé celui d'Erdek, l’ancienne Artaké, entourée de vignobles, qui produisent d'excellents vins, le meilleur de l’Anatolie. En face, sur la rive continentale, la grosse bourgade d'Aï-dindjik montre de nombreuses inscriptions trouvées dans les ruines de Cyzique ; près de là sont les carrières de marbre, d'où furent retirées les dalles qui recouvraient les édifices en granit de la cité voisine. Les musulmans émigrés de la « Vallée des Roses», dans le Balkan, se sont portés en grand nombre vers Cyzique et sa péninsule. Un gisement de boracite en blocs d'une grande richesse est exploité dans les environs.
[Dardanelles, Çanakkale]
A l'ouest du golfe d'Erdek et du groupe des îles de Marmara, la côte, en grande partie marécageuse, n'a que de pauvres villages ; la seule ville, Bigha, est à une vingtaine de kilomètres dans l'intérieur, à l'endroit où le Kodja-tchaï ou Granique échappe à la région des montagnes et où Alexandre remporta sa victoire décisive, au passage du fleuve. Le rivage asiatique de l'Hellespont n'est guère mieux peuplé. Lamsaki [Lapseki], l'ancienne Lampsaque, donnée par Xerxès à Thémistocle exilé, pour lui fournir son vin de table, n'est qu'un petit bourg perdu au milieu des olivettes et des vignes ; Abydos n'est plus même indiquée par des ruines et l'on n'y voit que des casernes et des batteries, pareilles à tant d'autres ouvrages militaires qui défendent l'entrée. Le château des Dardanelles, point central de toutes ces fortifications, s'élève sur la rive méridionale du détroit, à côté de l'embouchure du Tchinarlik [Çınarlık], l'ancien Rhodius, petite rivière qui coule à l'ombre des saules et des platanes. Une ville, que peuplent des gens de toute race, Turcs, Grecs, Juifs, Arméniens, Tcherkesses, Tsiganes, s'est bâtie au nord de la forteresse, entre la rivière et l'Hellespont, et souvent des équipages de toutes les nations commerçantes de l'Europe ajoutent à la confusion des langues. Sur la plupart des maisons qui bordent la grève, flottent les drapeaux de différents États, car Kaleh-Soultanieh [Kala-i Sultaniye, Çimenlik Kalesi] ou le « Château du Sultan », ainsi que s'appelle officiellement la ville des Dardanelles, est comme la porte d'entrée de Constantinople, et tous les bâtiments sont tenus d'y jeter l'ancre avant de remonter vers la capitale. On donne aussi aux Dardanelles le nom de Tchanak-kalessi ou « Ghâteau des Poteries », à cause de ses fabriques de poteries vernissées, pour la plupart de formes bizarres. Les montagnes des environs sont riches en gisements métallifères, dont le gouvernement s'est en grande partie attribué le monopole.
[595] Au sud du château des Dardanelles le détroit s'élargit ; sur un promontoire se voient les talus réguliers d'une acropole qui fut celle de l'antique Dardanus, dont les marbres brisés parsèment les sentiers. Plus loin, le gros village d'Eren-koï [Erenköy] ou Itghelmez, tout peuplé de Grecs, maigre ses noms turcs, s’élève sur une haute terrasse qu'ombragent les noyers et les chênes, et déjà l’on aperçoit dans le lointain la plaine de Troie et les tertres coniques érigés sur les collines des alentours. Une vallée, parcourue par un ruisselet que Schliemann croit être le fleuve Simoïs, sépare les hauteurs d'Eren-kôi d'un chaînon de collines dont la dernière, dominant les campagnes marécageuses du Mendereh, est la fameuse terrasse de Hissarlik ou du « Châtelet », identifiée par la plupart des archéologues avec la nouvelle Ilion ; l’heureux fouilleur y voit, contrairement à Strabon, l’llion d'Homère, et l'on comprend que ses travaux de déblai prodigieux sur le coteau le portent à exagérer la valeur de ses découvertes : quand on approche de Ilissarlik, on croirait, à la vue de ces énormes tranchées, de ces puissants amas de débris, qu'on se trouve au pied d'une citadelle labourée par les obus.
[Troie]
En cet endroit, la roche dure est recouverte de décombres ayant une épaisseur totale de 16 mètres et disposés en couches provenant de différents âges. Les débris de six villes successives se seraient amassés en un immense remblai. La couche supérieure appartient à la période historique du monde grec ; au-dessous, une strate très mince recèle des vases de provenance lydienne ; puis viennent deux assises dont les maisons, de médiocre apparence, étaient construites en petites pierres unies par de la boue et badigeonnées d'argile à l'intérieur. C'est plus bas que se trouverait la Troie de l'Iliade, ville brûlée, dont les cendres renfermaient des milliers d'objets attestant l'origine hellénique des Troyens et leur culte spécial pour Athéné. Enfin, la couche inférieure indiquerait le séjour d'un peuple antérieur même à la légende. D'après la forme des objets que l'on a trouvés dans les ruines, l'incendie célébré par l'Iliade aurait eu lieu, il y a trente-six siècles environ, à l'époque du cuivre pur et des dieux à faces d'animaux. Toutefois la terrasse de Hissarlik, d'environ 79 hectares (1), est trop étroite pour que la ville bâtie en cet endroit ait jamais pu être considérable et fortement assise ; en outre, elle manque d'eau, à peine un léger suintement d'humidité se voit au pied de la colline en temps de pluie. D'après Lechevalier et Forchhammer, l'emplacement de l'ancienne Ilion devrait être cherché sur la colline de Bounarbachi ou « Tête de l'Eau », au sud de la plaine alluviale : là s'élève une haute colline, toute parsemée de pierres brisées, qui domine à l'ouest le cours du Mendereh par des escarpements inexpugnables de 100 mètres en hauteur ; de longues pentes douces où sont éparses les masures du Bounarbachi actuel, descendent an nord vers la plaine ; enfin à la base des rochers naissent « quarante sources », qui s'unissent en deux ruisseaux, puis en un seul courant, désigné par Lechevalier comme le vrai Scamandre de l'Iliade. On n'a point fait de fouilles profondes à Bounarbachi et les débris d'édifices qu'on y a trouvés n'appartiennent pas à l'antiquité proto-bellénique.
1. Emile Burnouf, Archives des Missions scientifiques, tome VII.
II existe une troisième Troie, celle que bâtit Alexandre le Macédonien sur un promontoire de la mer Egée qui fait face à la grise Tenédos ; elle fui aussi considérée pendant longtemps comme ayant été la résidence de Priam, et le nom qu'elle porte, Eski Stamboul ou « Vieille Constantinople », témoigne de l'illusion qui faisait chercher tians toute la contrée une grande cité datant des origines de l'histoire. Alexandria Troas présente en effet des ruines imposantes, des fragments d'enceinte, des restes de thermes, de palais, de temples, d'aqueducs ; dans le voisinage, une colline de granit est entaillée par des carrières où se voient encore des colonnes semblables à celles qu'ont mises à découvert les fouilles de Bounarbachi et de Hissarlik ; une des colonnes monolithes a plus de 11 mètres de long. De nos jours, les principaux centres de population de la Troade se sont formés à l'angle même du continent, dans l'espace insulaire limité d'un côlé par le Mendereh [Menderes], de l'autre par le canal de Besika. Au sud, le grand village grec de Neo khori, — en turc Yeni köi [Yeniköy], — s'élève au sommet de l'abiupte falaise ; plus au nord, à l'extrémité du chaînon de hauteurs, Yeni chehr [Yenişehir] ou la « Nouvelle Ville » a succédé à l'antique Sigée ; enfin au pied de la crête, signalée de loin par sa longue rangée de moulins à venl, la forteresse et la |}etite ville de Koum-kaieh [Kumkale] ou « Château des Sables », occupent la pointe basse qui sépare la bouche du Mendereh de la haute mer. De vastiis cimetières sont épars dans la plaine, et des buttes funéraires, avec lesquelles se confondent d'aspect quelques cônes Iraehy-liques, rompent de leur brusque saillie l'uniformité des pentes et des croupes. Ces buttes, que la légende désigne sous les noms d’Achille, de Patrocle, d'Antiloque, d'Ajax, d'Hector, n'ont probablement aucun droit à ces désignations, puisque les objets révélés par les fouilles datent seulement de l'époque macédonienne ou de l'ère impériale. Le plus haut des tertres artificiels, l'Udjek-tepe, fièrement posé sur le plateau qui domine à l'est la baie de Besika, était jadis consacré au prophète Élie, et tous les ans les Grecs des alentours s'y rendaient en pèlerinage. Lorsque Schliemann vint y faire ses fouilles, éventranl la terre sacrée, grande fut la colère, mais on n'osa l'arrêter ; seulement, les fêtes religieuses sont interrompues : on ne revient plus honorer le saint sur le sol profané (1).
[Babakale, Ayvalı]
Baba-kaleh [Babakale] ou le « Château du Père », à l'angle aigu du promontoire méridional de la Troade, est un bourg pittoresque, étageant ses maisons grises sur une pente rapide et sans arbres ; c'est à une petite distance à l'est que s'élève sur une roche escarpée l'ancienne ville d'Assus, « l'idéal parfait de la cité grecque », disait l'explorateur Leake en parlant de l'amphithéâtre de ses murailles de trachyle admirablement conservées ; du théâtre, le peuple assemblé voyait la mer s'étendre à ses pieds et se dresser en face les montagnes de Mytilène. Edremid, l'Adramytti des Grecs, située dans la plaine alluviale que dominent au nord les prolongements du mont Ida, est restée cité populeuse, mais elle a perdu son port, comblé par les boues des torrents, qui convergent de toutes parts vers la baie voisine. La ville la plus commerçante sur la côte est Cydonie, l'Aïvali [Ayvalı] des Turcs, — c'est-à-dire, dans les deux langues, la « Ville des Coings », — bâtie sur le rivage d'une baie que l'archipel des « Cent Iles » sépare du golfe d'Edremid et rattachée par un port à la ville insulaire de Moskhinisia. Peuplée surtout de Grecs, cette ville a beaucoup souffert pour la cause nationale pendant la guerre de-l'Indépendance ; en 1821, les Turcs la détruisirent en partie et massacrèrent les habitants. Longtemps elle resta presque déserte, mais d'autres Grecs la rebâtirent, et maintenant elle se distingue, comme autrefois, parmi les cités helléniques du littoral par son initiative, son amour de l'instruction, son activité commerciale.
1. Villes du versant des détroits et de la mer de Marmara, avec leur population approximative : Scutari et autres faubourgs constantinopolitains du Bosphore . . . . 110 000 habitants.
Brousse (Perrot) . . . . 35 000 hab.
Balikesir (Kiepert) . . . . 12 000
Dardanelles, Kaleh-Sultanieh ou Tchanak-Kalessi (Battus) . . . . 9 000
Manyas (Hamilton) . . . . 7500
Ghemlik (Kiepert) . . . . 6500
Pasormos (Perrot, Hamilton) . . . . 6000
Erdek ou Artaké (Perrot, Hamilton) . . . . 6 000 hab.
Bigha (Kiepert) . . . . 6000
Bogaditch (Hamilton) . . . . 5000
Ismid ou Nicomédoie . . . . 3000
Aboullion (Perrot) . . . . 2700
Moudania . . . . 2000
Koum-kaleh . . . . 2000
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Nulle part dans l'Asie Mineure on ne voit un contraste plus saisissant entre les deux races qui se disputent la prépondérance. A une quinzaine de kilomètres au sud d'Aïvali, près de la mer, s'élevait naguère la ville turque d'Ayasmat, dont les habitants se firent, en 1821, les bourreaux de leurs voisins aïvaliotes, et leur succédèrent comme propriétaires des vignobles et des olivettes. De nos jours, Ayasmat, déchue, ne se compose que d'une vingtaine de misérables huttes, à côté d'un vaste cimetière, tandis que les habitants grecs de Cydonie ont triplé leur nombre et racheté leurs anciennes propriétés (1). Le port ayant été partiellement ensablé, les négociants ont fait creuser un canal de 4 mètres en profondeur, donnant accès aux navires qui viennent charger des huiles, des vins, des raisins secs.
Le port de Mytilini, qui fait un grand commerce avec Aïvali et les autres marchés de la terre ferme, est situé sur la côte occidentale de Mytilini ou Lesbos, l'ile fameuse qui vit naître Sapho, Alcée, Terpandre, Arion. Cette terre des poètes, cette île d'Or, a pour capitale une ville des plus agréablement situées. Une colline de faible élévation, qui fut jadis ilôt, cache à demi la cité ; sa crête, jusqu'à mi-pente, est couverte de fortifications irrégulières du moyen âge, qui semblent avoir été construites pour le plaisir des yeux, tant les massifs de murailles et de tours sont heureusement distribués et embellis par le contraste des bouquets d'arbres. Derrière ce vieux château gris, enchâssé dans la verdure, apparaît l'amphithéâtre de la cité, prolongeant sa base sur les quais de deux ports que sépare un isthme étroit, jadis « un canal que traversaient des ponts de pierre blanche » (2) ; les maisons, peintes de couleurs tendres, s'é-tagent sur les pentes comme par une succession de gradins ; où cessent les constructions commence la forêt d'oliviers que dominent les escarpements de rochers à pic. Mytilini ou Castro, comme on l'appelait naguère à cause de son château, renferme plus du tiers de la population lesbienne ; les habitants, presque tous Grecs, ont le génie mercantile très développé, et leurs navires portent à Constantinople des vins, des figues, des huiles, du goudron et autres denrées ; un cabotage très actif se fait entre Mytilini et Smyrne. Malheureusement les grands navires doivent mouiller en rade, à distance de la côte ; les bâtiments d'un faible tirant peuvent seuls toucher quai. Il est vrai que l'ile possède deux ports incomparables, le port des Oliviers et le port Kalloni, véritables mers intérieures ne communiquant avec le large que par d'étroits goulots, mais ils ne sont pas situés au bord de la route suivie par les navires, entre le golfe de Smyrne et celui d'Edremid ; c'est donc sur une baie moins propice de la rive occidentale qu'a du se fonder le port commerçant de Lesbos. Mytilini n'a que des vestiges de monuments antiques ; sa plus belle ruine romaine est un aqueduc franchissant un ravin de ses hautes arcades, mais en diverses parties de l'île se voient des restes de temples et d'acropoles.
1. Humann, Zeitschrift der Gesellschaft fur Erdkunde zu Berlin, 1877.
2. Longus, Daphnis et Chloé.
Entre Lesbos et le golfe de Smyrne, le golfe de Tchandarlik [Çandarlık], redouté des navigateurs, s'avance au loin dans les terres : la rivière Bakir, le Gaicus des anciens, s'y déverse en formant un petit delta. Sa vallée, de population relativement très dense, se distingue par son industrie. Kirkagatch ou les « Quarante Arbres », dans le bassin qui se trouve à l'origine de la vallée, est entouré de champs de cotonniers qui donnent la meilleure fibre de l'Anatolie, utilisée en partie dans quelques ateliers locaux ; Soma, que domine une forteresse byzantine, est aussi une ville considérable, le marché central de la vallée pour les céréales ; plus bas, mais dans un vallon latéral, Bergama, où la population grecque l'emporte déjà sur l'élément turc, prépare les maroquins, et des tanneries nombreuses bordent le torrent de Bokloudjeh, le Selinus des Grecs.
[Bergama, Dikeli]
Bergama est l'ancienne Pergame, jadis l'une des cités les plus puissantes de la Grèce d'Asie. Bâtie dans les temps mythiques, par « Pergamos, fils d'Andromaque », elle devint à l'époque macédonienne la propriété de Lysimaque et la capitale d'un royaume, que la dynastie des Attalides légua aux Romains : le temple appelé « Basilique » et les autres monuments dont on admire les restes datent de cette période. A plus de 300 mètres au-dessus de la plaine, se dresse la colline de l'acropole, très escarpée de trois côtés, et ne s’inclinant en pente accessible que du côté méridional, où serpente un sentier qui monte entre les débris des murs. Limitée à l'ouest par le Selinus, à l’est par un autre torrent, la roche de l'acropole, où jaillit une fontaine, est taillée en parois verticales qui se continuent par des murs se rattachant en une multiple enceinte ; sur la face méridionale de la colline, des palais et des temples s'étageant en amphithéâtre unissaient la ville basse à l'acropole, elle-même couverte de monuments, dont les débris gisent sur le sol, recouverts de terre ou cachés par les broussailles. Dans la ville se voient des restes de temples, de quais, de ponts et un double tunnel, long d'environ 200 mètres, dans lequel passent les eaux du Selinus. Au nord-est, à la base des hauteurs qui font face à l'acropole, un stade, un théâtre, un amphithéâtre décorés jadis avec une grande splendeur, indiquent l'emplacement de l'Asklépeion, ancienne ville de bains et de plaisir, renommée dans le monde grec pour la salubrité de l'air et l'abondance des eaux. Enfin Pergame possède aussi des monuments antérieurs à la période historique : des galeries creusées dans le roc, qui servaient d'habitations et de sanctuaires, et quatre touibelles, dont l'une se compose de deux cônes juxtaposés, entourés d'un large fossé ; c'est là qu'aurait été enseveli le fondateur de la cité avec sa mère Andromaque'. Une des \nti\e< ; funéraires, le Maltepeh, ou « Tertre des Trésors », situé au sud, près de la route de Dikeli, s'élève à 32 mètres de hauteur ; les fouilles ont prouvé que la butte avait été remaniée pour servir de tombe aux souverains de la dynastie des Attale.
Jusqu'en 1878, on ne connaissait qu'un petit nombre d'antiquités retirées de l'acropole de Pergame ; on avait remarqué des bas-reliefs, des inscriptions, des fragments de statues dans les remparts byzantins, mais on ne s'était pas donné la peine de les extraire des murs où ils étaient solidement engagés, et l'on pensait que presque tous les marbres épars avaient été recueillis et portes dans les fours à chaux pour être transformés en ciment.
1. Humann ; — Ernst Curtius, Beiträge zur Geshichte und Topographie Klein-Asiens.
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Divers indices ayant révélé à l’ingénieur Humann l’existence de sculptures du plus haut intérêt, le gouvernement germanique se fît accorder par la Porte l'autorisation de procéder à une exploration complète de l'acropole, et pendant quatre années consécutives les escouades d'ouvriers, dirigées par Conze et autres savants, fouillèrent la terrasse supérieure : environ la moitié du terrain, qui s'étend sur un espace de sept hectares et demi, a été retournée dans tous les sens, et le plan des édifices qui couronnaient la colline est désormais connu en détail. Au sud se dressait un autel de plus de 40 mètres de côté, entouré de colonnades ; vers le milieu de l'acropole, le temple de Minerve Poliade s'élevait au bord de l'escarpement occidental, et plusieurs autres temples s'étaient groupés autour du sanctuaire, protecteur de la cité ; plus loin, à la partie culminante de la colline, les Romains avaient bâti un Augusteum, et le promontoire septentrional se terminait par un temple de Julie. C'est autour de l'autel et du temple de Minerve que les fouilles ont mis à jour les bas-reliefs les plus précieux, devenus, avec ceux d'Olympie, la gloire du musée de Berlin ; environ deux cents statues et piédestaux sculptés de la meilleure période ont été retirés des décombres ; on a retrouvé aussi une frise admirable, longue d'une centaine de mètres, représentant une gigantomachie, la lutte suprême des Titans contre les Dieux ; il n'est pas dans toute la sculpture grecque de sujet héroïque traité avec une plus grande variété d'invention, avec plus de puissance dans la conception de l'ensemble, plus d'habileté dans l'exécution (1) ; ces Titans, pense-t-on, symboliseraient les Gaulois qui furent vaincus près de Pergame, en 168 de l'ère ancienne (2). Une autre découverte, à peine moins intéressante, est celle d'une maison grecque de vingt siècles d'existence ayant encore sa distribution et ses peintures murales. Désormais le nom de Pergame aura dans l'histoire de l'art la même célébrité qu'il eut dans l'histoire des sciences, grâce à ses hommes illustres, tels que Galien, et aux manuscrits précieux écrits sur les « peaux de Pergame ».
1. Conze, Humann, Bohn, Atugrabungen zu Pergamon
2 ; W. C. Perry, ForinighUy Review, 1881.
[Foça]
Une route de 28 kilomètres, construite par Humann, l'explorateur des ruines, mène de Pergame à son nouveau port, Dikeli, devenu depuis quelques années une petite ville grecque prospère. Tchandarlik, sur la rive septentrionale du golfe de ce nom, dépérit depuis qu'elle n'est plus le port d'exportation de la vallée du Bakir-tchaï [Bakırçay]. De l'autre côté du golfe, un simple hameau, Lamourt-koï, indique l'emplacement de l’ancienne Gumes (Cymé), mère de cette autre Cumes d'Italie, où l’Énéide a placé une entrée des Enfers. Plus loin, sur la côte, au bord d'une rade ouverte aux vents du nord, s'est fondée Yenidjé Fokia [Yeni Foça] ou la « Nouvelle Phocée » ; ses habitants. Grecs en majorité, construisent un môle pour la protection des navires.
Karadja Fokia, ou simplement Fokia, Foudgès ou Foglerié [Foça], est la célèbre Phocée, dont les hardis émigrants fondèrent Marseille et tant d'autres colonies. La vieille Phocée, humble cité en comparaison de son opulente fille, ne lui est point inférieure pour la beauté du site et son port naturel est bien autrement vaste. Un groupe d'îles, les Péristérides ou « Colombes », protègent la rade au nord et au nord-ouest, ne laissant que deux entrées aux navires, celle du nord, peu profonde, celle du sud, large et praticable aux bâtiments du plus fort tonnage ; un promontoire, occupé par une citadelle ruinée, défendait autrefois l'entrée du port. Le bassin circulaire, que les hauteurs des iles et de la terre ferme semblent enserrer de toutes parts, se divise lui-même en deux ports secondaires, au nord et au sud de la presqu'île qui porte la citadelle démantelée et la cité proprement dite. Naguère ce rocher était une île ; mais les décombres tombés des murailles voisines, le lest des navires et les déblais de toute espèce, les allu-vions d'un ruisselet, peut-être aussi, comme l'affirment les indigènes, un lent soulèvement du sol, ont asséché le détroit, et des maisons s'élèvent où mouillaient les embarcations. Le quartier moderne, habité presque exclusivement par les Grecs, s'arrondit autour de la grève, le long de la baie septentrionale. Des olivettes, entremêlées de cyprès, occupent la plaine ovale qui continue le golfe, enfermée de tous les côtés par des monts pierreux et nus, calcaires au sud et volcaniques au nord. Les restes d'une ville, qui fut l'acropole de Phocée, se voient au sud-est, dominant un autre port que le golfe de Smyrne projette dans l'intérieur des terres : c'est Varia, appelé Hadji Liman [Hacı limanı] par les Turcs.
La population grecque de Phocée, devenue la plus nombreuse, montre moins d'initiative que n'en manifeste ordinairement la race hellénique : la cause en est sans doute aux conditions de leur travail ; presque tous sauniers dans les marais salants qui bordent la mer au nord du Hermus, ils ont été maintenus dans la servitude par la surveillance continuelle des employés du fisc. Le seul commerce de Phocée est d'expédier les sels ; dans le voisinage du quai, s'élèvent d'énormes entassements de cristaux, véritables collines dont une suffit au chargement de plusieurs navires. Pourtant la ville serait bien placée pour le grand trafic international, comme avant-port de Smyrne : située à l'entrée du golfe, offrant aux embarcations un excellent mouillage et un parfait abri, elle n'a qu'un inonvénient, celui d'être séparé du Hermus par d'âpres collines, et Smyrne lui refuse un embranchement de chemin de fer qui détournerait au profit de Phocée une partie du commerce. Quoique très fiers de la ville fondée par leurs aïeux sur la côte de Provence, les Phocéens d'Asie ne sont pas représentés parmi les Grecs émigrés à Marseille.
[Gördes, Akhisar, Kula]
La vallée du Ghediz [Gediz Nehri], dont les alluvions s’avancent au loin dans la mer, immédiatement au sud des collines de Phocée, est, comme celle de Caîque, très populeuse relativement à son étendue. La ville qui lui a donné son nom n'est pas considérable : située dans un cirque que dominent les escarpements neigeux du Mourad dagh et de l'Ak dagh, elle groupe ses maisons non loin d'une coulée de basalte qui s'est divisée en masses colum-naires par l'effet du refroidissement et dans laquelle la rivière s'est ouvert un passage. Du haut de ces roches on voit à ses pieds les toitures plates, toutes surmontées d'un rouleau de marbre, fragment de colonne dont on se sert pour niveler et durcir la terre (1). Ghediz est peut-être l'ancienne cité grecque de Cadi, mais les grandes ruines se trouvent «n dehors de ce bassin, dans une haute vallée du Rhyndacus, affluent du Sousourlu-tchaï [Susurluk Çayı] ; c'est là, près du village actuel de Tchardou-hissar, que s'élevait l'Aizani des Grecs ; on y voit les restes d'un stade et d'un théâtre. A l'ouest, Demirdji [Demirci], Gördiz [Gördes], Ak hissar, que traversera prochainement un chemin de fer, occupent des positions géographiques analogues à celle de Ghediz, dans les hauts vallons qui s'ouvrent à la base méridionale des montagnes faîtières limitant au nord le bassin du Hermus ou Ghediz. Gôrdiz est une ville industrieuse ; ses « tapis de Smyrne » sont ceux qui ressemblent le plus aux tapis persans pour la précision du point et le charme du coloris (2). Ak hissar [Akhisar], l'ancienne Thyatire, n'a conservé de ses palais et de ses temples que des fragments de sculptures. Elle est dépassée aujourd'hui par Mermereh [Gölmarmara], bâtie sur un col qui domine au nord la profonde cavité dans laquelle se trouve le lac de même nom.
Au sud du Ghediz-tchaï, Koula [Kula], située au milieu de la région « Brûlée », que parsèment les « encriers » ou cratères de cendres noirâtres, expédie à Smyrne des « tapis de prière », d'un prix très modique, à cause du mélange de chanvre avec la laine. D'autres étoffes, d'un style original et d'une excellente qualité, que tissent des ouvrières de choix, sont réseiTées pour les trousseaux des mariages ; on en voit rarement dans le commerce, à cause de l'élévation du prix (3). Koula est un centre agricole, d'où l'on expédie de l'opium et d'autres denrées au chemin de fer du Hermus.
1. Hamilton, Researches in Asia Minor.
2. Industrie des tapis à Gôrdiz : 5000 ouvrières, 400 métiers. Ensemble des tapis : 10000 mètres carrés (Ed. Dutemple, En Turquie d'Asie.)
3. E. Dutemple, ouvrage cité.
[Alaşehir, Sardes]
La station terminale de cette importante voie, qui doit un jour se rattacher, près d'Afioum Kara hissar, à la future ligne maîtresse de l’Asie Antérieure, est actuellement Alachehr [Alaşehir], connue à l'époque hellénique et romaine sous le nom de Philadelphie, dû à son fondateur, Philadelphos, de la dynastie des Attale. Jadis cité considérable, Alachehr occupe dans la plaine du Cogamus ou Sari kiz-tchaï [Sarıkız Çay], affluent du Ghediz, la base d'un contrefort du Tmolus ou Boz dagh ; la terrasse est couverte de jardins et d'ombrages, la plaine est un vaste champ où se ramifient à l'infini les canaux d'irrigation. Philadelphie fut une « petite Athènes » par ses monuments et par ses fêtes ; quoique les tremblements de terre, très fréquents dans cette région de l a Katakekaumène, l'aient souvent bouleversée, on y voit les restes de plusieurs temples, d'un stade, d'un théâtre et de deux enceintes, celles de l'acropole et de la cité. Philadelphie fut, au temps de Jean l'Apocalyptique, l'une des « sept églises » fameuses ; mais, malgré toutes les recherches, on n'a point trouvé de débris qui se rapportent à cette première période du christianisme (1). Philadelphie, la dernière ville de l'Asie Mineure conquise par les Ottomans (2), ne succomba qu'en 1590. De nos jours, elle croit rapidement en activité commerciale ; la communauté grecque, qui se composait naguère d'un millier d'individus, augmente avec le trafic et l'industrie.
Sardes ou Sart, l'ancienne capitale de la Lydie, n'est actuellement qu'une station de chemin de fer, entourée d'humbles hangars et de deux ou trois cabanes ; on y traverse sur une planche le fameux Pactole, étroit ruisseau qui coule au milieu des prairies ; les contreforts qui dominent la vallée sont en entier composés de conglomérat et de terre rouge, que ravine la moindre pluie, partout où les radicelles entremêlées des plantes ne forment pas un tapis imperméable. Déchiquetées par les érosions, taillées en pyramides, en obélisques, en châteaux forts, les collines de Sardes ont un aspect bizarre et charmant, grâce au contraste de la verdure et des escarpements rougeâtres ; c'est dans les débris entraînés de ces parois que se trouvent ces parcelles d'or qui ont servi à frapper les premières monnaies (3) et qui ont fait du nom de Pactole un synonyme de trésor inépuisable, mais il n'est plus de berger, turc ou grec, qui se donne la peine de laver les sables du ruisseau. Les terres, éboulées des collines ou portées par les eaux courantes, ont recouvert une grande partie de la ville antique, située entre la chaîne de Boz dagh et la colline de l'acropole ; cependant on y voit encore les restes d'édifices.
1. Humann ; Emst Curtius, Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften zu Berlin, 1872.
2. Fellows, Travels and Researches in Asia Minor.
3. Andree, Ethnographische Parallalen.
[607]
La plus belle ruine, celle d'un temple de Cybèle, — peut-être d'un sanctuaire de Jupiter olympien élevé par Alexandre, — dresse deux hautes colonnes au-dessus de la pelouse inégale ; lors du voyage de Chishull, en 1699, la porte, précédée de six colonnes, avec leurs architraves, existait encore ; il est probable que des fouilles méthodiques entreprises dans la cité de Crésus révèleraieut des sculptures précieuses. Au nord de Sardes et de la plaine du Hermus, non loin du lac de Gygès, — aujourd'hui lac de Mermerch —, des tombelles s'élèvent, en assez grand nombre pour former toute une nécropole, le Bin Bir Tepeh [Bin bir tepe] ou les « Mille et une Buttes ». Le plus vaste, que la légende dit avoir été celui d'Alyatte, père de Crésus, n'a pas moins de 1100 mètres en circonférence ; les fouilles qu'on y a faites récemment n'ont servi qu'à prouver la visite d'anciens explorateurs qui ont emporté les trésors.
La ville moderne de Durgutli, située à l'ouest de Sardes, et plus connue sous le nom de Cassaba - c'est-à-dire la « Bourgade », - est entourée de melonnières, de jardins, de cliamps de cotonniers et de céréales ; occupant une sorte de baie dans la large vallée du Hermus, entre les contreforts de Boz dagh et les monts escarpés du Manissa-dagh, elle doit à la fertilité de sa plaine l'importance de ses marchés ; son activité commerciale lui venait surtout de sa position relativement à Smyrne. C'est là que vient aboutir la route la plus facile menant de la capitale de l'Ionie à la vallée du Hermus ; avant la construction du chemin de fer qui contourne à l'ouest le massif du Sipyle [Spil Dağı], tout le trafic de la haute vallée vers la mer se faisait par cette échancrure de la montagne, dont le seuil a seulement 200 mètres d'altitude (1) ; on y voit de nombreux vestiges d'une route antique.
1. G. Weber, Le Sipylos et ses Monuments.
[Carte 101]
Non loin de ce col, mais déjà sur le versant du Hermus, des conquérants ont taillé dans une paroi de calcaire gris un bas-relief qu'Hérodote décrit comme une figure de Sésostris ; c'est la stèle, dite de Nymphi ou Nymphio (Nif), d'après un village voisin où se trouvait un nympheum antique. Les pluies ont usé la pierre, et maints détails de l'armure et du vêtement ne sont plus reconnaissables ; cependant il paraît certain que ce bas-relief ne portail point d'inscription hiéroglyphique, et le style de la sculpture n'est nullement égyptien ; dans ce remarquable monument, d'origine lydienne, — ou peut-être hittite, — l'influence de l'art assyrien se fait sentir comme dans les autres bas-reliefs préhelléniques de l'Asie Mineure (1). En 1875, l’ingénieur Humann découvrit sur un roc de la même vallée les vestiges d'une deuxième « stèle de Sésostris », dont parle également Hérodote ; les feux allumés par les Yuruk au pied de ce bas-relief l'ont rendu presque méconnaissable.