Un court, mais intéressant témoignage sur la cuisine turque à la fin du XVIIIe siècle où l'on parle déjà de sorbet et de kebab. L'auteur ne semble cependant pas apprécier le yaourt...
extrait des Lettres de l'abbé Sestini... traduites de l'italien par M. Pingeron... Paris, 1789
D'après le résumé que Votre Seigneurie pourra faire de toutes ces autorités, elle verra combien l'usage de boire, pendant l'été, de l'eau de neige, ou de l'eau glacée , est ancien, soit chez les Grecs, soit chez les anciens Romains. Les Turcs ont aussi conservé cette antique coutume, savoir, celle de boire de l'eau de neige, quoiqu'en petite quantité. Ils mettent donc un petit morceau de neige dans leurs boissons, pour les rafraîchir.
Ces peuples tirent leur neige du mont Olympe, se la font venir par la voie de Brussa [Bursa]. On la transporte toute au serrail, et on la conserve dans de vastes magasins ou glacières, pour la consommation de la cour du Grand Seigneur. Lorsqu'il y a une très grande abondance de neige, on en vend à tous ceux qui veulent en acheter. Cette neige ne sert point, chez les Turcs, à rafraîchir le vin, parce que ces peuples n'en boivent qu'en cachette ; mais ils le remplacent par diverses boissons qu'ils appellent Scierbets [şerbet]. Or, celles-ci sont un mélange du suc de différens fruits, avec du sucre et différens aromates, du musc et de l'eau rose. Ces scierbets que l'on imite dans nos cafés, et que nous connaissons sous les noms de limonade, d'eau de groseilles et de verjus, sont encore de diverses couleurs. Ces boissons sont celles qui font en usage vers la fin du repas chez les Seigneurs Turcs , et chez les personnes aisées de leur Nation, qui veulent faire une certaine figure. Je remarquerai, en passant, que ces peuples ne font point dans l'usage de boire pendant leur repas, mais seulement à la fin, comme les poules. Or, ils ont coutume de mettre dans leur verre un morceau de neige, pour qu'il rafraichisse leur boisson, en s'y fondant. Ces boissons se vendent publiquement, soit dans les rues, soit dans les boutiques ; ceux qui les préparent, sont chez les Turcs ce que les Limonadiers font en France, et les Marchands d'Aqua cedrata ou de liqueurs fraîches en Italie. Les boissons que vendent les Turcs font encore plus simples que les nôtres, parce qu'au lieu de sucre ou de sirops, ils n'y employent que le miel. Ayant eu l'occasion de boire de ces Scierbets, ayant extrêmement soif, je les ai trouvés fort agréables, surtout lorsqu'on en boit une petite quantité.
[...]
Nous entrâmes dans une boutique Turque , lavoir dans celle d'un Kebab-Gi [kebabci], pour y manger du kebab ou rôti de mouton, ou de toute autre chair ; ce qui devait nous servir de déjeûné.
Avant d'aller plus loin, il faut que je vous fasse, une fois pour tout, la description de ces Kebab-Gi, ou Rôtisseurs, parce qu'ils font tous les mêmes. Leurs boutiques ressemblent aux nôtres, et sont fermées par des auvents. On y voit d'un côté un petit four pour y faire rôtir, et de l'autre une crédence ou dressoir, avec différens plats et vases de cuivre étamés. Il se trouve au-dessus des herbes coupées très-menues dans des plats, et qui sont destinées à faire des salades. On y voit encore des limons. Au-dessus de cette crédence font attachés à certains crochets disposés par rangées, différens vaisseaux longs de cuivre étamé, qui ressemblent à de petits seaux ; ceux-ci font remplis de scerbiet, sorte de boisson douce qui est pour ainsi dire le vin des Musulmans. On trouve dans quelques coins de la boutique d'autres ustensiles, tels que des plats, des écuelles. Après avoir traversé cette dernière, on passe dans quelques chambres pour y manger. On y trouve des nattes, avec de petits tabourets et des banquettes.
Après cette description, je vais vous rendre compte de notre déjeûné. Nous ordonnâmes du kebab, que les Turcs font très-promptement. Ils ont pour cet effet un assortiment de petites broches dans lesquelles ils enfilent de petits morceaux de viande. Les Kebab-Gi prennent alors ces broches, et les suspendent en branle à deux fers qui font dans leur four à reverbère. Ils enduisent ces morceaux de viande avec du beurre, et dans un moment le rôti se trouve prêt et très-bon ; en effet, la chaleur à laquelle on l'expose se trouvant concentrée dans ces fours, qui font de forme ronde, celle-ci ne se dissipe point.
Je ne négligeai pas de voir toute cette manipulation, et je tâchai de me rappeler les détails de cette manière de faire rôtir les viandes, parce qu'elle me parut aussi expéditive que singulière.
Nous mangeâmes donc notre rôti; étant presque assis à terre,avec du pidè ou galette, et une écuelle de Joghurt [yaourt] qui est un met qui ne me plaît guères, nous ne bûmes point de scierbet.