Après le Vekāyi-i Mısriyye (1244/1828) et le Takvîm-i Vekāyi‘den (1247/1831), le Cerîde-i Havâdis, que l'on peut traduire "registre ou gazette des nouvelles", fut le troisième journal en langue turque, mais le premier journal privé. Il fut publié par un anglais, William Northworthy Churchill (1796-1846), puis par son fils Alfred Black Churchill (1825-1870).

On ne connaît pas la formation de William Churchill. Né à Londres, il arriva à Izmir en 1815 à l'âge de 19 ans. Il y apprit probablement le Turc, devint drogman (interprète), puis vice-consul des Etats-Unis en 1831.

A la suite d'un accident de chasse à Kadiköy où il blessa un enfant, il fut emprisonné. Sous la pression et les menaces du gouvernement anglais et d'autres gouvernements occidentaux, le ministre Akif Paşa le libère et "Churchill obtint, entre autres choses, la décoration du Nichâni-Iftikhâren en brillants, une indemnité de quatre cent mille piastres et l'autorisation de fonder le journal turc Djéridéï-Havâdis (Le registre des nouvelles). Il était le correspondant du Morning Herald et d'une autre feuille tory, circonstance qui ne contribua pas peu à donner à l'incident des proportions démesurées." (voir Akif Paşa, Un diplomate ottoman en 1836, 1892, sur les circonstances et les conséquences de cet incident). Le sultan Abdulmecit décida par ailleurs d'appuyer ce journal en le finançant. 

William Churchill épousa Béatrice Belhomme, fille d'un marchand français d'Izmir, en 1824.

Il mourut en 1846 et fut enterré au cimetière protestant de Feriköy (Istanbul). Son fils Alfred Black Churchill (1825-1870) lui succéda à la tête du journal.

Le Cerîde-i Havâdis, le premier "vrai" journal en langue turque

Le Cerîde-i Havâdis était considéré comme une publication semi-officielle. C'est aussi le premier journal à publier en Turquie des informations économiques, et des informations sur l'étranger. "[...] On y lisait des nouvelles sur divers sujets : les événements diplomatiques, les États-Unis, les bizarreries de l’Inde et de la Chine, la paléontologie, les nouveaux moyens de transport et de communication, les assurances, les régimes parlementaires, les incendies, les catastrophes naturelles, l’économie, le commerce, les inventions, l’ordre public, l’éducation, l’agriculture, la santé (l’hygiène publique, la médecine, les hôpitaux, les maladies, la vaccination, les médicaments, etc.), la météorologie, le théâtre, le ballon (montgolfière), la vie sociale dans la capitale ottomane, les faits divers (cambrioleurs, voleurs, faux-monnayeurs, objets perdus ou trouvés) etc" (Özgür Türesay, Être intellectuel à la fin de l’Empire ottoman : Ebüzziya Tevfik (1849-1913) et son temps, thèse, 2008). On y écrivait aussi sur les mariages de dignitaires ottomans, les ambassadeurs étrangers à Istanbul, les visites royales, des faits divers comme un incendie dans le quartier de Amina Hatun près de Demir Kapi, le séisme de 1841 à Istanbul, les cadeaux envoyés à La Mecque et à Médine, l'arrivée de bijoutiers français dans le Valide Han d'Istanbul; les réformes des tanzimat pour lutter contre la pauvreté grâce à des réformes agricoles. L'étranger n'est pas oublié : des articles sur les royautés européennes, la politique de la France dans le Pacifique (occupation des îles Marquises), les ambassadeurs ottomans, la politique russe dans la Baltique, la France en Afrique du Nord, le traité de Nankin entre les Anglais et les Chinois, et la querelle entre l'Angleterre et les Etats-Unis sur l'abolition de l'esclavage… Le journal publiait également des lettres de lecteurs.

Le sultan Abdülmecit voulait ainsi, en diffusant ces informations, ouvrir et moderniser son pays.

Le journal pouvait être lu dans les mosquées. Il fut imprimé à 300 exemplaires car, bien qu'il souhaitât que les fonctionnaires fussent abonnés, William Churchill ne réussit pas, malgré un prix peu élevé du numéro, à atteindre le tirage de 800 exemplaires qu'il visait. Le premier numéro date du 31 Juillet 1840 (1 Cemazeyilahir 1256) et le dernier est le numéro 1212 du 24 Rabiulahir 1280 (26 Septembre 1864).

Pendant la guerre de Crimée (1854-1856), Alfred Churchill envoie un correspondant. Mais, face à la concurrence d'un nouveau journal, Tercüman-i Ahval, et malgré la publication d'un supplément quotidien, le Rüzname Cerîde-i Havâdis, il n'arrive pas à accroître durablement sa diffusion.

A l'occasion de certains événements, il connut cependant un certain succès comme en témoigne cet article paru dans La Presse, 26 novembre 1853 : 

"Nous lisons dans la correspondance de Constantinople du Journal des Débats :

« L'imprimerie du journal turc le Djéridei Havadis, qui publiait hier le bulletin de l'affaire d'Oltenitza [victoire des Ottomans sur les Russes], a été littéralement prise d'assaut par une multitude ivre de joie qui s'arrachait le supplément du journal. Lorsque les soldats de police qu'on avait envoyé chercher pour établir un peu d'ordre au milieu de la foule ont appris ce dont il s'agissait, ils sont devenus aussi ardens que les autres, et le préfet de police de Stamboul, Haïreddin-Bey, qui était venu en personne pour commander son monde, n'a pas eu d'autre parti à prendre que de chercher, comme les autres, à attraper un bulletin. Je n'ai pas assisté à la scène, mais je tiens du directeur du journal lui-même que, malgré le tumulte, tous les numéros pris ont été régulièrement payés. X. Raymond. »"

Le journal est souvent cité dans la presse européenne comme dans Le Constitutionnel du 4 juillet 1860, à propos de l'incendie de plusieurs quartiers :

"Turquie. Constantinople, 22 juin. - 

Voici, d'après le journal turc le Djéridéi Havadis, le relevé officiel des maisons, boutiques et établissemens incendiés ou démolis dans la malheureuse journée du 10 juin :

Quartier d'Ishak-Pacha : 48 maisons incendiées, 4 démolies. 
Quartier Gun-Gueurmez : 53 maisons incen diées, 1 magasin, 1 établissement de bains. 
Quartier de Kabba-Sokkal : 108 maisons in cendiées, 1 mosquée, 1 école publique, 17 magasins, 1 fontaine, 1 hospice. 
Quartier de Capou-Aghassi : 11 maisons Incendiées.
Quartier de Seid-Husséin : 24 maisons incendiées. 
Quartier de Ak-Beïck : 105 maisons appartenant à des familles musulmanes, 13 maisons appartenant à des familles chrétiennes, 1 mosquée, 1 école publique, 7 magasins. 1 établissement de bains, 4 établissemens  pour les étrangers, ont été la proie des flammes. 1 maison a été démolie. Ce qui forme un ensemble de 404 maisons, magasins et établissemens divers brûlés ou détruits dans le sinistre du 10 juin."

L'orientaliste français Thomas-Xavier Bianchi (1783-1864) fait l'éloge du journal dans un article du Journal asiatique paru en 1859 et intitulé  "Notice des ouvrages publiés dans les imprimeries turques de Constantinople, et en partie dans celles de Boulac, en Egypte , depuis les derniers mois de 1856 jusqu'à ce moment" :

"Dans un avant-propos du Khaihthy Hamâioun du 18 février, que nous publiâmes en 1856, nous avions déjà signalé le Djèridèï Havâdis (ou le registre des nouvelles), journal turc qui paraît depuis l'année 1843, à Constantinople, comme la feuille qui, sous le double rapport de la clarté et de la précision du style, justifiait le mieux la faveur que lui accorde le public.
Un autre avantage de ce journal, et qui est de nature à fixer l'attention particulière des orientalistes, c'est l'indication qu'il donne régulièrement, en tête de ses colonnes d'annonces, des ouvrages turcs, arabes et persans, qui sortent annuellement, soit des presses de l'Imprimerie impériale, soit des autres établissements typographiques et lithographiques de la capitale, soit même en partie aussi de l'imprimerie de Boulac, en Egypte.
Si depuis la fondation du Djèridè nous avions pu recevoir avec plus de suite et de régularité les numéros de ce journal, nous aurions pu peut-être en tirer, en grande partie, les éléments d'un catalogue complet et détaillé de la bibliographie ottomane, document que réclament, dans ce moment encore, les études orientales en France, les vides regrettables, à cet égard, de nos bibliothèques publiques, et les intérêts mêmes de notre librairie."

Nous n'avons pas trouvé de témoignages sur la manière dont était géré le journal : qui choisissait les sujets, qui les corrigeait, qui s'occupait de l'imprimerie, du papier, du routage etc

Les auteurs des articles du Cerîde-i Havâdis et du Rüzname Cerîde-i Havâdis étaient tous turcs et souvent eux-mêmes fonctionnaires : Münif pacha (1830‑1910) sur les sujets économiques et financiers (il devint un écrivain célèbre), Ahmed Tevfik (secrétaire syrien du cabinet du grand-vizir, gouverneur de Jérusalem, directeur du harem-i sheriff), Emin Firdevsî, İsmet Bey, Râmizpaşazâde Mehmed İzzet Bey (Akkâ mutasarrıf, directeur du harem-i sheriff, auteur de Harîta-i Kapûdânân-ı Deryâ), de Karslızâde Cemâleddin (auteur d'une histoire de l'Empire ottoman), de Ahmed Nazif Efendi (mort en 1858), de Sahaflar Tekke Şeyhizâde (1789-1848, correcteur, Takvimhâne nâzır vekili, juge kadi de Jerusalem), Said Bey (1830-1914, grand Vizir sous le nom de Küçük Said Paşa), Salih Bey (poète, secrétaire du vilâyet de Shkodra). Au cours des années suivantes, Ahmed Râsim, Ahmed Zarîfî, Enderunlu  Alî (1831-1899, poète, élève du célèbre cheikh de Kuşadalı Ibrâhim Efendi), Ebüzziyâ Tevfik (1849-1913, journaliste-écrivain, ministre  - Şûrâ-yı Devlet âzası, député de Konya), Emin Hâfımalahu. Hüseyin Sîret Bey, Nüzhet Efendi, Rızâ Bey (Pacha), Süreyyâ Bey (1845-1909, procureur général, auteur de "Sicill-i Osmânî"). Bohor et Khachadur Oskanyan s'occupèrent eux des articles traduits. (liste extraite de Ziyad Bebuziziya, "Ceride-i Havadis", Türkiye Diyanet Vakfi Islam Ansiklopedisi, 1993)

Le journal de format  40 x 27 cm était imprimé en typographie comme le montre le foulage (relief provoqué par la pression des caractères sur la feuille), sur un papier d'assez bonne qualité, puisqu'il a résisté aux presque 200 ans qui se sont écoulés. On ne trouve aucun ornement dans sa mise en page austère, à part les palmettes qui encadrent le titre. Le texte est composé en caractères arabes sur 3 colonnes et se lit de droite à gauche.

Numéros reproduits du Cerîde-i Havâdis

Numéro 708, 1271 / 1854

Numéro 725, 1271 / 1854

Sources

  • Akif Paşa, Arthur Alric, Un diplomate ottoman en 1836. Affaire Churchill, E. Leroux, 1892. Mémoire du ministre ottoman sur l'incident de Kadiköy et ses conséquences.
  • Site "Levantine heritage" : http://www.levantineheritage.com/testi58.htm : élements biographiques
  • Ziyad Bebuziziya, "Ceride-i Havadis", Türkiye Diyanet Vakfi Islam Ansiklopedisi, 1993, https://islamansiklopedisi.org.tr/ceride-i-havadis : notice sur le journal
  • Hamza Çakir; “Türkiye’de Serbest Gazeteciliğe Adım: Yarı Özel Gazete Ceride-i Havadis", İstanbul Ünv.İletişim Fakültesi Dergisi, 1998, 20 pages
  • Özgür Türesay, Être intellectuel à la fin de l’Empire ottoman : Ebüzziya Tevfik (1849-1913) et son temps. Thèse dirigée par M. François Georgeon, présentée pour obtenir le grade de docteur de l’INALCO  soutenue le 18 octobre 2008, page 89
  • Notice Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/William_Nosworthy_Churchill
  • Généalogie : https://gw.geneanet.org/marmara2?lang=en&n=churchill&oc=0&p=alfred+black

 

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