L'Administration des Phares de l’Empire ottoman fit la fortune d'un personnage assez singulier, Marius Michel, aussi appelé Michel Pacha (1819-1907).

"Ayant débuté dans la carrière maritime comme mousse à bord des bâtiments de l'Etat, Michel Pacha fut ensuite employé, vers 1852, comme officier et comme commandant sur les paquebots de la ligne du Levant. Cette navigation lui permit de regretter l'absence totale de phares dans la mer Noire et l'archipel ; dès lors il étudia très minutieusement les points sur lesquels devaient être établis des feux et, pour son édification personnelle, résuma ses observations dans un mémoire" qu'il eut l'opportunité de présenter au général de Montebello (Armée et marine, revue hebdomadaire illustrée des armées de terre et de mer, 27 juillet 1902).

Ainsi ce capitaine au long cours des Messageries impériales (françaises), obtint en 1855, du gouvernement ottoman, grâce à Napoléon III et au gouvernement français, la Direction générale des Phares (ottomane) et la mission de construire 36 phares.
Pour améliorer le fonctionnement de cette Direction, et surtout pour assurer ses gains, Marius Michel eut l'idée de créer, avec un associé, Michel Collas, une société concessionnaire, l'Administration générale des Phares de l'Empire ottoman, et obtint, en 1860, toujours avec l'appui du gouvernement français, un pourcentage important sur les droits payés à l'Empire ottoman par les bateaux.
En 3 ans, 96 phares furent construits. Comme ils touchaient 78 % des recettes, les deux associés firent d'importants bénéfices dont ils prêtèrent par ailleurs une partie au gouvernement ottoman dont le budget était alors largement déficitaire.
En 1879, ils signèrent un nouveau contrat pour 15 ans, leur pourcentage diminuant un peu pour passer à 72 %.

En 1879, Michel Pacha obtint la concession des quais de la Corne d'or à Istanbul qui généra aussi d'importants revenus. C'est aussi cette année qu'il reçut le titre de pacha. Il séjourna d'ailleurs souvent dans la capitale ottomane.
En 1891, il fonde, avec des associés, la "Société des quais, docks et entrepôts de Constantinople". Les concessions des quais provoquèrent des incidents avec les bateliers privés de leur gagne-pain et l'intervention à fort relent colonialiste de la marine française (voir ci-dessous, un extrait d'un article de 1895). Le sultan voulut même les nationaliser en 1900, mais, devant la réaction du gouvernement français, renonça à ce projet.
M. Constans, alors Ambassadeur de la République française à Constantinople, écrit à M. Delcassé, Ministre des Affaires étrangères, le 4 juillet 1900 :
"Je fis observer à Sa Majesté que le rachat des quais ne me semblait pas pouvoir être pour son Gouvernement une brillante affaire; que, d'autre part, le Gouvernement français ne verrait pas cette opération avec plaisir ; que toutefois, et s'il était bien entendu que la Société actuelle ou une Société française nouvelle devait être chargée à titre de Société fermière, pendant la durée de la concession actuelle, de l'administration des quais de Galata et de Stamboul, je ne voyais aucun inconvénient à l'aider dans sa négociation ; je l'avertissais, toutefois, que mon crédit ne pouvait être que fort mince dans une affaire engagée entre un vendeur cherchant à obtenir le plus haut prix et un acquéreur qui indiquait peut-être trop clairement son vif désir d'acheter."

Après avoir été décoré de l'ordre impérial du Medjidié en 1859, il reçut le Grand Cordon de l'Ordre du Medjidié en 1895 (La Revue diplomatique, 1895). "Le sultan Abdul-Hamid l’élève au grade honoraire de miralaï (capitaine de vaisseau) dans la marine ottomane qui lui confère, de droit, le titre de bey héréditaire" pour ses descendants mâles que l'on retrouve mentionnés dans certains documents (F. Pourcelet, p. 6).
En 1907,  Marius Michel décède, mais l'Administration des Phares de l’Empire ottoman perdure en Turquie jusqu'en 1938. Les rapports avec le gouvernement turc ne furent pas les mêmes cependant, le temps des canonnières étant fini et le gouvernement français refusant de compromettre ses bonnes relations avec la Turquie pour sauvegarder les bénéfices des sociétés concessionnaires ou créancières de ce pays.

Document : requête de l'Administration des phares ottomans, vers 1920

Le document que nous présentons est postérieur à la mort de Michel Pacha. C'est la copie d'un mémoire dactylographié écrit en Anglais et adressé à la Grande-Bretagne pour obtenir l'autorisation d'augmenter substantiellement les tarifs de la Société des phares.


Un iradié (décret) du 17 mai 1919 avait prévu le triplement des tarifs, mais il n'avait pas été appliqué et ne satisfaisait plus l'Administration des phares.
H. Rumbold (1869-1941), qui est mentionné à la fin du document, fut ambassadeur britannique et, de 1920 à 1925, Haut-commissaire à Istanbul occupée par les alliés. Il participa à la signature du traité de Lausanne en 1923.
Le document porte la mention manuscrite "M. [nom rayé] le C[om]te de Pierredon". C'était un titre que Marius Michel avait reçu du pape Léon XIII en 1882 et qui fut porté par ses descendants. Il doit s'agir d'Hubert de Pierredon (1885-1960) dont le nom apparaît dans des archives (Voir "Courrier du comte Hubert de Pierredon à Paul Anger, secrétaire général des Phares de Turquie, 1923- 1928." In Pourcelet, p.26).

NOTE ON THE SUBJECT OF THE QUINTUBLING ON THE DUES OF THE OTTOMAN LIGHT HOUSE COMPANY

The "ADMINISTRATION GENERALE DES PHARES DE L'EMPIRE OTTOMAN" desires to urge upon his Britannic Majesty’s Government the immediate necessity for its agreeing to an increase in the tariffs of the above-mentioned Company.

It wishes to emphasize the fact that it, alone amongst the "Concessionary Companies of Public Services", continues to work on its pre-war tariffs, besides which, the said tariffs, being paid in paper-money, are consequently only nominally pre-war tariffs, by reason of the depreciation in the Turkish currency.
The losses, which it thereby incure, weigh heavily on the working budget of this French Company, which as always, even under the most difficult circumstances, carried on its services in a thoroughly efficient manner.

The "ADMINISTRATION DES PHARES" had the honour of submitting, last November, to the High Commissioner of the French Republic at Constantinople a table (a copy of which is annexed to the present note) showing that the disproportion existing between expenditure and receipts at the present moment amounts to over 310%, in spite of the fact at its expenditure has been reduced to the lower possible minimum, and that it has been obliged, of necessity, to defer maintenance work mich must be
undertaken immediately its financial situation permits.

Further, it desires to point out that the High Commissioners at their meeting in november 5th, adopted the following resolution:
"As from the 5th november 1920 the lightship salvage due payable by shipping above 5 tons net register navigating in the Black Sea shall be 100 paras paper-money."

Now this due, which was originally fixed as 22 paras, had been, before the war, reduced to  12 paras for ships up to 500 tons and to 6 paras for ships above that tonnage. he new tariff of 100 paras per ton represents, therefore, on the pre-war tariff, an increase of 733%, if no account be taken of the reduction now suppressed in the case of ships above this tonnage,
but if this is taken into consideration, his increase goes on multiplying and even reaches 960 ⅗ % in the case of a ship of only 1400 tons, and even the smallest mail-boat displaces from 1800-2000 tons.

This goes to show, therefore, that, of only in the case of one particular light ship, did the High Commissioners agree to a very substantial increase, even higher than a five-fold one, but, further, that the decision was taken at Constantinople even before it was ever referred to the Allied governments.

The "ADMINISTRATION DES PHARES", in support of its case,
desires to remind His Britannic Majesty’s Government that an
increase in their tariffs has been put into force by the following companies:

I- RAILWAYS - The Inter-allied military Commission on Railways has decided that on all lines, those financed by enemy (capital) as well as by allied capital, as for instance the Smyrne-Cassaba (French) Lines, and the Smyrne-Aïdin (British) Line, the tariffs may be quintupled by reason of the depreciation in the paper-money in its relation to gold.
The same Commission is about to obtain from the High Commissioners a fresh increase of 25% which will bring its total increase up to 625 %.

II- ELECTRIC LIGHT.- The present increase for lighting amounts to 850%.

III- TRAMWAYS.- The average increase per passenger amounts to about 480%.

IV.- WATER COMPANY.- The tariffs have been quadrupled recently an the demand of the Allied High Commissioners at Constantinople.

V- SOCIETE DES QUAIS.- The Wharfage dues have been tripled and the Warehouse charges quintupled.

VI- TELEPHONES.-  For a subscriber paying for 1000 calls per annum, which is about the average, the tariff is now 40 turkish pounds in place of 8, and 5 times the former rate, and every call above that number is paid at the rate of a further 5 piastres per call.

In view of the foregoing precedents, and taking into account the situation as regards its receipts and expenditure, the "SOCIETE DES PHARES" considers that the quintupling of its dues is entirely justified, and, furthermore, it holds that this alteration should take effect as from the date of the armistice.

It should be noted that the imperial Ottoman government, by an Imperial iradé of the 17th May 1919, instructed the "ADMINISTRATION DES PHARES" to triple its tariffs, but this decision was never able to be carried into effect, and moreover to-day, with the altered conditions, it would prove entirely unsatisfactory to the above-mentioned "Administration".

In conclusion the "ADMINISTRATION DES PHARES"  desires to point out that His Excellency, Sir H. Rumbold, British High Commissioner at Constantinople, expressed himself, on the 26th November 1920, entirely in favour of the quintupling of the dues which was then, and is again now, demanded.

Essai de traduction

NOTE AU SUJET DU QUINTUPLEMENT SUR LA COTISATION DE LA COMPAGNIE DU PHARE OTTOMAN

L'ADMINISTRATION GENERALE DES PHARES DE L'EMPIRE OTTOMAN désire insister auprès du Gouvernement de Sa Majesté Britannique sur la nécessité immédiate de son accord sur une augmentation des tarifs de ladite Compagnie. Elle tient à souligner qu'elle, seule parmi les "Entreprises Concessionnaires de Services Publics", continue à travailler avec ses tarifs d'avant-guerre, et que, par ailleurs, les dits tarifs étant payés en papier-monnaie, ne sont par conséquent que nominalement les tarifs de guerre d'avant-guerre, en raison de la dépréciation de la monnaie turque. Les pertes qu'elle encourt de ce fait pèsent lourdement sur le budget de fonctionnement de cette Compagnie française qui, comme toujours, même dans les circonstances les plus difficiles, a assuré ses services d'une manière parfaitement efficace.

L'ADMINISTRATION DES PHARES a eu l'honneur de remettre, en novembre dernier, au Haut Commissaire de la République française à Constantinople un tableau (dont la copie est annexée à la présente note) montrant que la différence existant entre les dépenses et les recettes au moment actuel s'élève à plus de 310%, bien que ses dépenses aient été réduites au minimum possible, et qu'elle ait été obligée, par nécessité, de différer les travaux d'entretien qui doivent être entrepris dès que sa situation financière le permet.

En outre, il tient à signaler que les Hauts Commissaires, lors de leur réunion du 5 novembre, ont adopté la résolution suivante :
"A partir du 5 novembre 1920, la taxe du phare due par les navires de plus de 5 tonnes de jauge nette naviguant en mer Noire sera de 100 paras papier-monnaie."

Or, cette redevance, fixée à l'origine à 22 paras, avait été, avant la guerre, réduite à 12 paras pour les navires jusqu'à 500 tonneaux et à 6 paras pour les navires supérieurs à ce tonnage. Le nouveau tarif de 100 paras par tonne représente donc, sur le tarif d'avant-guerre, une augmentation de 733%, si l'on ne tient pas compte de la réduction maintenant supprimée dans le cas des navires au-dessus de ce tonnage, mais si l'on en tient compte, son augmentation ne cesse de se multiplier et atteint même 960 ⅗ % pour un navire de 1400 tonnes seulement, et même le plus petit bateau postal déplace de 1800 à 2000 tonnes.

Cela montre donc que, pour un seul navire léger en particulier, les Hauts Commissaires ont accepté une augmentation très substantielle, voire supérieure au quintuple, mais, en outre, que la décision a été prise à Constantinople avant même qu'elle ne soit renvoyée aux gouvernements alliés.

L'ADMINISTRATION DES PHARES, à l'appui de sa cause, tient à rappeler au gouvernement de Sa Majesté britannique qu'une augmentation de leurs tarifs a été mise en vigueur par les sociétés suivantes :

I- CHEMINS DE FER - La Commission militaire interalliée des chemins de fer a décidé que sur toutes les lignes, celles financées par du capital ennemi aussi bien que du capital allié, comme par exemple les lignes Smyrne-Cassaba (françaises) et la ligne Smyrne-Aïdin (Britannique), les tarifs peuvent être quintuplés en raison de la dépréciation du papier-monnaie par rapport à l'or. La même Commission est sur le point d'obtenir des Hauts Commissaires une nouvelle augmentation de 25 % qui portera son augmentation totale à 625 %.

II- LUMIÈRE ÉLECTRIQUE.- L'augmentation actuelle pour l'éclairage s'élève à 850%.

III- TRAMWAYS.- L'augmentation moyenne par passager s'élève à environ 480%.

IV.- COMPAGNIE DES EAUX.- Les tarifs ont été quadruplés récemment à la demande des Hauts Commissaires alliés à Constantinople.

V- SOCIETE DES QUAIS.- Les droits de quai ont été triplés et les frais d'entrepôt quintuplés.

VI- TÉLÉPHONES.- Pour un abonné payant 1000 appels par an, soit à peu près la moyenne, le tarif est désormais de 40 livres turques au lieu de 8, et 5 fois l'ancien tarif, et chaque appel au-dessus de ce numéro est payé au tarif de 5 piastres supplémentaires par appel.

Au vu des indicationsprécèdentes, et compte tenu de la situation de ses recettes et de ses dépenses, la "SOCIETE DES PHARES" considère que le quintuplement de sa cotisation est tout à fait justifié et, en outre, elle considère que cette modification doit prendre effet à compter de la date de l'armistice.

Il est à noter que le gouvernement impérial ottoman, par un iradé impérial du 17 mai 1919, a chargé l'ADMINISTRATION DES PHARES de tripler ses tarifs, mais cette décision n'a jamais pu être exécutée, et d'ailleurs aujourd'hui, avec les conditions modifiées, elle s'avérerait tout à fait insatisfaisante pour l'"Administration" susmentionnée.

En conclusion, l'"ADMINISTRATION DES PHARES" tient à signaler que Son Excellence, Sir H. Humbold, haut-commissaire britannique à Constantinople, s'est prononcé, le 26 novembre 1920, entièrement en faveur du quintuplement des cotisations qui était alors, et est de nouveau maintenant, exigé.


Texte
Les Nouvelles d'Orient, 03/10/1895
Les Incidents des quais de Constantinople
Depuis le mois de janvier, la partie des quais, depuis Tophané jusqu'à une soixantaine de mètres du pont de Qara-keuï est achevée et livrée au public. Seulement, quand les bateaux des compagnies françaises ont voulu accoster les quais pour débarquer leurs passagers et décharger leurs marchandises, les mahonadji [bateliers qui déchargent les bateaux] du port sont intervenus et s'y sont opposés.
[La marine française est intervenue et l'ambassadeur de France a négocié avec les autorités ottomanes jugées peu coopératives et peu pressées d'aider la compagnie française.]
[...]
A peine les pontons venaient-ils d'être amarrés aux quais, qu'un message de M. Cambon arrivait au consul général, lui disant de prescrire au Pétrel [navire français, stationnaire] de regagner Thérapia, le sultan ayant pris, vis-à-vis de l'ambassade, l'engagement formel que les bateaux pourraient dorénavant accoster les quais en toute liberté et sécurité et demandé le retrait du stationnaire. M. Gazay — à qui son énergie dans la défense des intérêts français a depuis longtemps conquis le respect et l'affection de la colonie française de Constantinople — envoya à l'ambassadeur une note dans laquelle il faisait ressortir que, en présence de l'attitude hostile des mahonadji [bateliers turcs qui déchargeaient les marchandises], dont le nombre grossissait à vue d'oeil, il ne serait pas prudent de rappeler le Pétrel. La réponse fut que le stationnaire demeurerait, non à Galata, mais un peu plus loin à Top hané, où il resterait sous vapeur jusqu'à l'arrivée du Memphis et que les précédentes instructions étaient maintenues.

Sources

Pour compléter

  • Jacques Thobie, L'Administration générale des phares de l'empire Ottoman et la société Collas et Michel : 1860-1960, Editions L'Harmattan, 2004, 300 pages.
    "Ce livre retrace le cheminement d'une entreprise française dans l'Empire ottoman et dans plusieurs Etats successeurs, pendant un siècle. Cette longévité est ponctuée de phases dans lesquelles les deux guerres mondiales et la montée des nationalismes jouent un rôle d'importance. La grande époque - du milieu du XIXè siècle à 1914 - tient à l'action de Marius Michel l'initiateur et Camille Collas l'associé, mais aussi à une période qui voit le développement de l'impérialisme des puissances industrielles, où la France joue un rôle de premier plan. L'entreprise connaît à la veille du deuxième conflit mondial un déclin inéluctable."
  • Jacques Thobie, Phares ottomans et emprunts turcs, 1904-1961, Publications de la Sorbonne, 1972, 218 pages
  • Sur Michel Pacha : texte de Marius Autran, Michel Pacha (1819-1907), http://jcautran.free.fr/oeuvres/tome2/michel_pacha.html
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