Un diplomate au service des relations entre la France et l'empire ottoman, dont la carrière fut exceptionnellement longue.
Pierre Jean Marie Ruffin naît le 17 août 1742 à Salonique. Son père, venu en 1712 dans le Levant, comme élève en langues orientales était premier drogman et était mort à Salonique lors d'une altercation avec un janissaire.
Etudes
A l'âge de 6 ans et demi, en 1750, Ruffin est envoyé dans une pension de Marseille.
Il est placé, un an plus tard, au collège Louis-le-Grand de Paris.
L'un de ses frères obtint du roi qu'il intègre l'école dite des Jeunes de Langue (cette école fut fondée le 18 novembre 1669 par Louis XIV) où il suit les cours de Petis de la Croix , Legrand, Cardonne... et apprend le Turc, l'Arabe et le Persan.
Il est envoyé en août 1758 à Constantinople pour se perfectionner auprès du comte de Vergennes, ambassadeur de France.
En Crimée
Il le recommande pour le consulat de Crimée. Il y accompagne le baron de Tott en qualité d'interprète du roi à Kapucham et pendant la campagne de l'armée tartare contre les russes.
Après le départ de Tott pour Constantinople, il suit de nouveau l'armée tartare qui essaie d'aider les polonais.
Il est pris par les Russes et gardé prisonnier un an à Saint-Pétersbourg. Il est libéré et revient à Paris en décembre 1770, d'où il repart un an après pour Constantinople. avec le titre d'interprète du roi auprès de la Porte.
Sa captivité le fait accueillir favorablement par la Porte et M. de Saint-Priest ambassadeur de France l'utilise pour finaliser des négociations importantes.
Retour en France
En 1774, il se marie et est rappelé à Paris où il devient secrétaire-interprète du roi pour les langues orientales. Il est chargé, jusqu'en 1779, de toute la correspondance avec la Turquie, les pays du Maghreb et de l'Inde, d'accompagner des envoyés de Tripoli (1775), de Tunis (1776) et de l'ambassadeur du Maroc (1778).
En 1784, il est nommé professeur de Turc et de Persan au Collège royal (titre qui lui sera conservé jusqu'en 1822) et, en 1788, le gouvernement le charge de négocier avec les ambassadeurs de l'indien Tippu-Sultan. Il y parvient avec habileté et pour le récompenser, le roi lui donne des lettres d'annoblissement, le 22 septembre 1788 et le décore de l'ordre du cordon de Saint-Michel.
Retour à Constantinople
La Révolution ne le chasse pas de son poste, et en 1793, à la demande de Marie Descorches, marquis de Sainte-Croix, envoyé en Turquie, on lui propose de représenter la république française. Il devient, le 2 novembre 1794, premier secrétaire d'ambassade et premier secrétaire interprète à Constantinople.
Ruffin ne conserve que la place de premier secrétaire interprète, lorsque le général Auber Dubayet est nommé ambassadeur de France à Constantinople le 8 février 1797, celle de premier secrétaire ayant été donnée au général Carra Saint-Cyr, alors en mission dans la Valachie, et obtient officiellement ce titre par arrêté du Directoire du 6 ventôse an VI (24 février 1798).
La crise égyptienne
La nouvelle de l'invasion de l'Egypte, par les Français, entraîne le refroidissement des relations entre la France et la Porte. Ruffin s'efforce alors de protéger les Français résidents dans l'empire ottoman à qui la population turque ne pardonne pas l'invasion française. Le 2 septembre 1798, après la défaite française d'Aboukir, il est enfermé au château des Sept-Tours avec tout le personnel de l'ambassade.
Il tombe malade et sa femme, accompagnée de sa fille et de son gendre M. de Lesseps obtient de le rejoindre. Il sort le 16 août 1801, après trois ans qu'il occupe en étudiant les écrivains orientaux. Il est transféré dans une maison particulière, l'ambassade de France étant occupée par l'ambassadeur d'Angleterre (et le restant jusqu'au 1er janvier 1802). Comme il est très apprécié des ministres ottomans, il réussit à faire libérer plus de 2000 prisonniers et leur permet de regagner la France.
"Je n'ai jamais été en peine de ma personne ; je trouve dans mon habitude de souffrir pour mon pays des motifs de résignation, et j'ose dire de consolation intérieure ; toutes mes sollicitudes, et elles sont très vraies, ne portent que sur tant de mes concitoyens que je ne puis ni défendre ni protéger comme je le désirerais." écrit-il.
Rapprochements
Il organise l'accueil du général Sébastiani qui arrive le 10 août 1806, comme ambassadeur à Constantinople.
Il bénéficie d'un grand prestige chez les Français et les Turcs.
"Il s'en faut de beaucoup, écrit-il, que je sois à la hauteur de cette renommée : s'il y a quelque chose de bien fait, on me l'attribue ; arrive-t-il un malentendu, c'est parce que je n'ai pas été consulté ou écouté. Cependant, le plus souvent je ne me mêle de rien ; je ne sors pas ; je n'entends presque plus. Peu importe, le père Ruffin, disent les Turcs, est un homme vrai, juste, désintéressé ; il sait mieux le turc que nous ; son expérience est consommée. En un mot, je suis le Médecin malgré lui."
En 1807, il vit la crise entre l'Angleterre et l'Empire ottoman : une flotte anglaise menace la capitale et fait pression sur la Porte pour qu'elle s'allie à l'Angleterre et à la Russie contre Napoléon et qu'elle chasse les Français de Constantinople. Les Français aident les ottomans qui organisent leur défense et la flotte anglaise repart précipitamment.
Le 11 avril 1807, Ruffin reçoit l'ordre ottoman du Croissant.
Il a connu de nombreux ministres ottomans, entre autres Hadji-Ahmed et Vassif-Effendi qui avait été aux affaires étrangères (reis-effendi) en 1805, qui était historiographe de l'empire.
Les dernières années
Fatigué, Ruffin demande son congé, mais ne l'obtient pas.
"Ce respectable vétéran de la diplomatie, écrit Sébastiani, désire depuis longtemps rentrer dans sa patrie pour y terminer ses jours. Sa longue carrière de travail, de talents et de vertus lui donne droit à toutes les récompenses et à toutes les distinctions."
Il collabore avec le général Andréossi envoyé par Napoléon au mois de juillet 1812, puis, après la Restauration, avec le marquis de Rivière. Il a le titre de chargé d'affaires qu'il garda un temps après les Cent-jours. Mais il tombe en disgrâce pour n'avoir pas pris ouvertement parti contre Napoléon.
A la demande du marquis de Rivière, il est , le 11 février 1818, nommé premier secrétaire-interprète pour les langues orientales. Il redevient secrétaire-interprète et conseiller d'ambassade le 26 octobre 1819 et continue ses études d'auteurs orientaux.
Il meurt le 19 janvier 1824, à l'âge de 82 ans et ses obsèques sont célébrées dans la chapelle Saint-Louis à Péra.
Bilan
C'était un fin connaisseur de la Porte, très influent et respecté à la cour du sultan.
Il maîtrisait parfaitement et pratiquait couramment le Turc et le Persan.
Il a laissé des mémoires manuscrits, mais aucun ouvrage.
On ne connaît de lui que la traduction en Arabe d'une Adresse de la Convention au peuple français, du 18 vendémiaire an III, Paris, 1795, in-folio de 24 pages. C'est un document précieux pour l'histoire de la typographie orientale puisque c'est le premier ouvrage imprimé avec les caractères arabes de l'imprimerie royale (ceux qui avaient été créés par Savary de Brèves ), retrouvés après avoir été oubliés pendant plus d'un siècle.
Il est aussi l'auteur d'une correspondance importante qui avait été conservée à Constantinople.
Sources :
Joseph Fr. Michaud, Louis Gabriel Michaud, Biographie universelle, 1825
Bianchi, Notice historique sur M. Ruffin, Journal asiatique, 1825