Relation de l'ambassade de Mohammed Effendi (texte turk)
Paris, Firmin Didot, 1841, in-8
Cette présentation est extraite de la Revue de bibliographie analytique par Miller et Aubénas, 1842, Tome 3, p. 145
Cette relation est tirée du manuscrit turk n° 99 de la Bibliothèque royale, qui contient aussi la traduction française avec ce tire : "Traduction de la relation que Mehemet Effendi, cy devant plénipotentiaire à la paix de Passarowitz, a fait de son ambassade en France, corrigé par luy même".
Voci maintenant sur cette relation les détails que nous donne le traducteur : "Mehemet Effendi, ambassadeur du grand seigneur en France, a fait trois relations de son ambassade qui ont paru à Constantinople. La première n'était proprement qu'un extrait ou journal de son voyage qu'il fit les premiers jours de son arrivée pour satisfaire à l'empressement que le grand seigneur et le grand vizir témoignèrent d'en savoir les particularités.
La seconde, qu'il donna quelque peu de temps après au public, étoit une relation plus complète ; mais comme il y avait inséré plusieurs choses qui se sentaient de l'aigreur qu'il avait conçue contre le cardinal Dubois et diverses autres qui, lui faisant du tort à lui-même, pouvaient être désagréables à la nation, le marquis de Bonnac, après m'avoir chargé de les traduire, les ayant examinées avec attention, lui fit témoigner qu'il n'était pas content de quelques endroits de sa relation dont il lui communiqua la liste, et lui fit entendre qu'il serait convenable qu'il réformât les uns, qu'il adoucît les autres et qu'il en supprimât même entièrement quelques-uns. Mehemet Effendi eut d'abord quelque peine à se rendre aux représentations du marquis de Bonnac, mais il le fit enfin, et après avoir reformé sa relation d'une manières presque entièrement conforme à ses désirs, il lui envoya lui même une copie en turc.
C'est sur cette copie que j'ai fait cette traduction, et comme j'avais fait précédemment les deux autres, j'ai observé la même méthode, c'est-à-dire que, sans m'attacher trop scrupuleusement au génie de notre langue, j'ai rendu le plus exactement qu'il m'a été possible le tour de la langue turque, et j'ai exprimé les choses dont j'avais connaissance, non pas selon l'idée que j'en avais, mais selon les idées que Mehemet Effendi en avait conçues en les voyant, cette relation ne pouvant être intéressante pour les Français que par la manière dont y sont dépeintes par un voyageur d'une nouvelle espèce plusieurs choses qui leur sont d'ailleurs suffisamment bien connues.
La première relation fut envoyée à M. le cardinal Dubois, la seconde à M. le comte de Morville, avec des remarques qui pourraient être un jour de quelque utilité, si les Turcs envoyaient un ministre en France ; on n'a laissé à la marge de celle-ci que les remarques nécessaires pour expliquer quelques termes."
Nous pensons que nos lecteurs ne liront pas sans intérêt un extrait de cette curieuse relation. Nous donnerons un passage de circonstance, celui où il est question de la remise des lettres de créance par Mehemet Effendi au roi lui-même âgé de onze ans, et devant le régent, duc d'Orléans. Cette citation ne peut manquer d'avoir de l'à-propos dans un moment où le régent actuel d'Espagne a élevé des prétentions qui ne peuvent être justifiées par aucun précédent.
"Il y avait, dit Mehemet Effendi, des deux côtés de la salle, plusieurs centaines de sièges en amphithéâtre rangés en ordre qui régnaient jusqu'au trône du roi et que je ne saurais mieux comparer qu'à ceux qu'on met ici dans les chambres de noces. Sur ces sièges étaient assises les princesses de sang et les femmes et les filles de la première distinction, toutes avec des habits brillants de pierreries. Elles se levèrent lorsque j'entrais ; le roi se leva pareillement lorsque je fus près de son trône. J'avais devant moi la très magnifique lettre impériale. Je mis d'abord les mains sur la poitrine, ensuite m'étant approché du roi tenant toujours la lettre impériale, je m'inclinai et je lui dis : "Voilà la magnifique lettre impériale de leurs majestés le très généreux, très grand et très puissant empereur de la foi, mon bienfaiteur, mon seigneur et mon maître le sultan Ahmed Khan fils de Sultan Mehemed Khan." Je la remis entre les mains de son vizir (le cardinal Dubois), et ayant pris celle de leurs grandeurs le très fortuné, je la présentai aussi au roi en lui disant que c'était la très haute lettre de leurs grandeurs le très puissant et très fortuné grand vizir Ibrahim Pacha, l'honoré gendre du grand seigneur ; après quoi je la donnai pareillement à son vizir. J'ajoutai que leurs majestés le très magnifique, très grand et très puissant empereur de la Foi mon maître m'avaient envoyé en ambassade pour affermir l'étroite et ancienne amitié des deux empires, et pour déclarer la bienveillance, l'amour, l'estime et la considération qu'elles portaient à leurs majestés le très puissant, le très magnifique empereur de France.
Le roi à peine sorti de sa onzième année ne faisait que d'entrer dans sa douzième. La beauté nonpareille accompagnée de l'éclat de ses habits qui étaient chargés d'or et noyés dans les diamants lançait des rayons de lumière dans l'assemblée. Il n'eut pas assez de fermeté pour me répondre, mais le maréchal de Villeroy son gouverneur y suppléa et me dit que leurs majestés le roi étaient très satisfaites de la lettre de leurs majestés le très généreux et très puissant empereur ottoman et du choix qu'elles avaient fait de ma personne pour l'ambassade. Pendant tout ce temps le duc d'Orléans régent se tenait debout auprès du roi de même que les autres princes du sang à droite et à gauche."
Dans cette relation nous avons remarqué d'autres passages intéressants, tels, par exemple, que le récit
furent bientôt contraints de se dérober à la fureur de sept ou huit mille copistes qui n'ont pas d'autres passage intéressants tels, par exemple, que le récit d'une soirée passée à l'Opéra ; la description de Versailles, de l'Observatoire, etc. Du reste, tout le fruit que Mehemet Effendi rapporta de son ambassade se réduisit à des présents pour son maître, et à des plans des châteaux et des jardins de Versailles et de Fontainebleau, dont Ahmet tâcha d'imiter quelques détails dans son sérail de Darud-Pacha et dans celui des Miroirs, deux maisons de plaisance qu'il aimait plus que tous les autres.
Mehemet Effendi, amateur de lettres, amena encore de France quelques imprimeurs qui firent à Constantinople une édition du Coran, une autre de la Sunna, une autre d'une grammaire turque ; mais ces ouvriers, qui auraient pu être si utiles à un peuple susceptible de s'éclairer, furent bientôt contraints de se dérober à la fureur de sept ou huit mille copistes [NDLR : ceci est faux, voir les articles sur l'imprimerie] qui n'ont pas d'autre profession à Constantinople et dans les autres grandes villes pour se tirer de la misère, et dont le travail lent et incorrect ne peut communiquer qu'un très petit nombre de connaissances et un plus grand nombre d'erreurs. Tous les musulmans regardent comme un devoir de conserver un Coran et une Sunna. D'ailleurs quelques historiens et quelques poètes, dont le style, aussi enflé que métaphorique, est presque inintelligible, composent toute la littérature des Turcs. Un de ces manuscrits est chez eux un meuble très précieux, mais dont peu de personnes peuvent faire usage ; car si l'on excepte les membres de l'Uléma, le nombre des Turcs qui savent lire est très petit.
Dans le même manuscrit turc dont nous avons parlé au commencement de cet article, on trouve aussi une traduction de la relation de l'ambassade de Doury Effendi, ambassadeur de la Porte en l'année 1720.