Extrait de Boppe, les peintres du Bosphore au XVIIIe siècle, 1911. Chapitre consacré à Jean-Baptiste Van Mour, peintre originaire de Valenciennes, dans le Nord de la France.

Si, de nos jours, les artistes vont encore chercher dans un Orient devenu pourtant bien banal la lumière et la couleur, le charme de la nature, l'éclat des costumes et le pittoresque de la vie, quel ne devait pas être, dans les siècles passés, l'attrait de Constantinople pour un peintre qui, dans le cadre merveilleux du Bosphore, trouvait réuni sous ses yeux le spectacle d'une cour impériale alors si magnifique, d'une armée aussi étrange que celle des Janissaires, et de la foule chaque jour renouvelée des Orientaux venus des coins les plus reculés des pays musulmans ! La liste serait longue des peintres qui ont voyagé en Turquie, depuis Gentile Bellini, qui en 1480 faisait le portrait de Mahomet II, depuis Pierre Cock d'Alost, l'auteur des précieux dessins qui nous font connaître les Turcs de 1533, jusqu'à Melling, le peintre incomparable du Bosphore, qui, au moment où l'ancienne Turquie disparaissait sous les réformes de Mahmoud, a su nous en conserver les derniers souvenirs. La plupart de ces artistes n'ont fait qu'un court séjour à Constantinople ; un seul, Van Mour, y a vécu et y est mort. Son nom est tombé dans l'oubli. 

Mariette, toujours si bien informé, le cite, il est vrai, dans son Abecedario (1), mais cette mention n'a été relevée dans aucun répertoire d'art, dans aucune biographie française. Une courte nécrologie dans le Mercure de 1737 (2), deux pages parues en 1844 dans une revue flamande (3), quelques lignes publiées en 1898 dans la Biographie nationale belge (4) sont les seules notices qui lui aient été consacrées.

1. P.-J. Mariette, Abecedario, V, p. 388. 
2. Mercure de France, juin 1737, p. 1173-1175. 
3. A. Dinaux, Un artiste valenciennois ignoré (Archives historiques et littéraires du Nord de la France et du Midi de la Belgique, 1844, nouv. série, V, pp. 453-456). 
4. Biographie nationale publiée par l'Académie royale de Belgique, 1898, t. XV. Notice sur Van Mour, par Emile Van Arenbergh. 

 « Aucun tableau de cet artiste n'est parvenu jusqu'à nous », disent les auteurs de ces deux derniers articles. Nous avons été assez heureux pour retrouver un certain nombre d'œuvres intéressantes de Van Mour et pour recueillir quelques documents qui nous permettront de retracer rapidement la vie du peintre ordinaire du Roi en Levant. 

Jean-Baptiste Van Mour naquit le 9 janvier 1671 à Valenciennes (1) dans cette ville de la Flandre française qui s'honore d'avoir donné le jour à tant d'artistes célèbres ; son père, Simon, y exerçait la profession d'escrinier, c'est-à-dire de menuisier d'art, et les comptes de la ville font souvent mention des travaux qui furent exécutés par lui ou par d'autres escriniers de sa famille.

1. Nous devons à l'obligeance de M. Henault, archiviste municipal à Valenciennes, la communication de l'acte de naissance de Van Mour : Actes de l'état civil, reg. N° 62, paroisse Saint-Géry. « 9 janvier 1671 : Jean-Baptiste fils de Simon Vamour et de Marie Lebrun ; parin, Claude Lebrun pour et au nom de Jean Vamour, grand perre ; Marine, Marie-Jeanne Lebrun, tante. » 

Comment le fils du menuisier de Valenciennes fut-il amené à quitter sa patrie? Aucun document ne nous renseigne à cet égard. A-t-il été l'un des élèves de l’Académie fondée à Lille par Arnould de Vuez, et a-t-il pris le goût des choses de l'Orient aux leçons du maître qui aurait été, selon nous, le compagnon du marquis de Nointel et pourrait être le véritable auteur des fameux dessins du Parthénon? Ou bien, les récits de quelques-uns de ces peintres flamands qui sillonnaient l'Orient au xviie siècle ont-ils enflammé son imagination? Les premiers ambassadeurs envoyés par l'empereur au sultan, les Shepper, les Rym, les Busbecq, étaient originaires de Flandre ; ils avaient emmené en Turquie des artistes de leur pays dont les traces furent suivies plus tard par d'autres de leurs compatriotes. Il ne serait pas étonnant qu'imitant cet exemple, le jeune Van Mour eût voulu, lui aussi, chercher la fortune sur les rives du Bosphore. 

Quoi qu'il en soit, nous le trouvons établi à Constantinople dès la fin du xviie siècle. Mariette dit qu'il y fut attiré par l'ambassadeur du Roi, M. de Ferriol. Il est certain que c'est à Ferriol qu'il doit ses premiers succès. 

Il y eut de tout temps à Constantinople des artistes dont le talent se bornait à dessiner et à peindre les étranges costumes que les voyageurs aimaient à rapporter en Europe comme souvenir de leur séjour en Orient. Pietro della Valle y avait trouvé en 1614 un peintre qui, à la vérité, n'était pas excellent, « car les Turcs ne réussissent qu'à peindre sur des cruches et des gobelets », mais qui cependant lui avait assez habilement composé « un livre de figures peintes où se voyaient au naturel toutes les diversités d'habits de toutes les conditions d'hommes et femmes de la ville (1) ». Cent cinquante ans plus tard, l'un des officiers français envoyés par Louis XVI, pour instruire l'armée ottomane, le lieutenant Monnier, se faisait faire pour une somme des plus modestes, par un artiste grec, une collection analogue (2).

1. Les fameux voyages de Pietro della Valle. Paris, 1661, 4 vol. in-4°, t. Ier, p. 147 et 175. 
2. Journal inédit de Gabriel Monnier, officier du génie. Le Recueil des costumes orientaux rapporté par Monnier est conservé, avec le Journal de son séjour à Constantinople, à la Bibliothèque de Bourg-en-Bresse, où nous l'avons vu sous le n° 65. 

Il semble qu'à ses débuts dans la carrière artistique Van Mour n’ait été qu'un enlumineur de ce genre. A la demande de M. de Ferriol, il peignit plus de cent petits tableaux représentant les costumes les plus intéressants de l'empire ottoman. Successivement défilèrent sous son pinceau le Sultan et les différents officiers du Palais, le Selictar « qui porte le sabre du Grand Seigneur », les eunuques noirs, les eunuques blancs, les pages peiks ou icoglans, et la foule des serviteurs, capidgis, chaouchs, baltadjis. Parmi ces fonctionnaires du sérail, quelques-uns n'étaient que de bien petits personnages, l'artiste s'excusait presque de les avoir dessinés : ils n'étaient là « que pour faire voir leurs coiffures et leur habillement ». A côté du Capitan Pacha, du Grand Vizir et des pachas de toute espèce, il avait montré les imans, les muftis et les cadileskiers dont « les turbans dépassaient en largeur ceux de tous les autres musulmans ». Les janissaires avec leurs multiples costumes avaient fourni une ample matière à son observation. Mais les Turcs n'étaient pas les seuls dont les accoutrements méritassent d'être reproduits; il avait fallu montrer les Hongrois, les Tartares, les Valaques, les Grecs, sans oublier les habitants des îles et les marchands francs qui, avec la longue robe orientale, avaient conservé le chapeau à corne et la perruque. Sans quelques costumes féminins la collection n'eût pas été complète ; aussi y trouvait-on, « de quoi plaire et amuser », nombre de dessins représentant, dans la rue, au bain, dans leur intérieur, jouant, fumant, dansant ou dormant, les femmes des différentes nations de l'Orient. 

Dès son retour en France, l'ambassadeur avait fait graver cette précieuse collection. Jusqu'alors le public, dont le goût s'est toujours porté vers les images exotiques, n'avait connu de l'Orient que les dessins rapportés au xvie siècle par l'Allemand Lorichs (1) ou par le Dauphinois Nicolay. Aucun des dessins des costumes orientaux exécutés depuis n'avait été gravé. 

1. Le graveur Melchior Lorichs dessina et grava, en 1559, un plan monumental de Constantinople qui est un document singulièrement exact. Une édition de luxe, tirée à petit nombre, en a été publiée par M. Oberhummer, à Munich, chez l'éditeur Oldenbourg. 

La Chapelle, le peintre qui avait accompagné M. de la Haye, n'avait, dans son Recueil publié en 1648 (1) montré que des costumes de fantaisie. Les dessins rapportés par les peintres de Nointel s'étaient perdus ou étaient restés enfouis dans les carions de Lebrun (2). Grelot, le dessinateur si exact (3), et les voyageurs hollandais, en général si bien documentés (4) n'avaient guère publié dans leurs relations que des vues de paysages ou de monuments. On en était donc resté pour les costumes aux illustrations qui accompagnaient les pérégrinations de Nicolay (5) ou les différentes éditions de l'histoire des Turcs de Chalcondyle (6). 

1. Recueil des divers portraits des principales dames de la porte du grand Seigneur, tirés au naturel par Georges de la Chapelle, peintre de la ville de Caen, à Paris, chez Antoine Estienne, imprimeur ordinaire du Roi. 
2. D'après l'inventaire dressé le 10 mars 1690, on trouva aux Gobelins, après la mort de Lebrun, « 66 dessins de vues de Constantinople et habits étrangers. C'est un nommé Carrey qui les a donnés à M. Lebrun », (H, Jouin, Lebrun, p. 738). 
3. Grelot, Relation nouvelle d'un voyage de Constantinople, 1680
4. La traduction française de l'ouvrage de Corneille de Bruyn, Voyage au Levant, ne parut qu'en 1714. 
5. Les quatre premiers livres des navigations et pérégrinations de H. de Nicolay, Dauphinois, seigneur d'Arfeuille. Lyon, 1567. L'ouvrage de Nicolay eut un grand nombre d'éditions en France, en Allemagne et en Hollande. 
6. Chalcondyle, L’Histoire de la décadence de l'empire grec et établissement de celui des Turcs. Traduction de B. de Vigenère. Paris, 1620, in-folio.

Pour des yeux qui s'étaient accoutumés aux Turcs de Molière, ces dessins devaient paraître bien archaïques. 

Aussi lorsqu'en 1712 fut publié le Recueil de cent estampes représentant différentes nations du Levant, le succès en fut si grand « à la cour, à la ville, dans le royaume et dans les pays étrangers », qu'en peu de temps trois éditions en furent faites (1). 

1. Les estampes gravées d'après les tableaux de Van Mour furent publiées d'abord en 1712 et 1713 par les soins de « Le Hay, ingénieur et époux de la célèbre mademoiselle Chéron ». Ces planches devinrent ensuite la possession de Laurent Cars, qui en donna en 1714 une nouvelle édition, précédée d'un titre et d'une préface gravés par Baisiez. Cette seconde édition avait pour titre : Recueil de cent estampes représentant différentes nations du Levant, gravées sur les tableaux peints d'après nature, en 1707 et 1708, par les ordres de M. de Ferriol, ambassadeur du Roi à la Porte, et mis au jour en 1712 et 1713 par les soins de M. Le Hay, à Paris, chez L. Cars, rue Saint-Jacques, vis-à-vis le collège du Plessis, avec privilège du Roi, 1714. — La troisième édition, précédée d'une préface et d'un texte imprimé donnant pour chaque planche un commentaire quelquefois assez étendu, parut en 1715, sous le titre : Explication de cent estampes qui représentent différentes nations du Levant avec nouvelles estampes de cérémonies turques qui ont aussi leurs explications, à Paris, des caractères et de l'imprimerie de Jacques Collombat, imprimeur ordinaire des Bâtiments, Arts et Manufactures du Roy, rue Saint-Jacques, au Pélican, mdccxv avec privilège du Roi. Cette troisième édition était accompagnée d'un Avertissement : « Comme il s'est trouvé plusieurs personnes qui, non contentes de connaître par les estampes de ce recueil la véritable forme des habits du Levant, ont souhaité aussi d'en connaître la couleur, on a fait enluminer avec soin et avec le plus d'intelligence qu'il a été possible plusieurs recueils de ces estampes d'après les tableaux originaux. » Les planches de cet ouvrage portent, dans le coin à gauche, le monogramme J.-B., initiales du prénom de Van Mour. 

Ce prodigieux succès enregistré par le Journal de Trévoux (1) fut consacré par l'apparition de contrefaçons en Allemagne, en Espagne, en Italie (2) et la vogue resta aux estampes de Van Mour jusqu'au moment où parurent les illustrations qui accompagnaient les ouvrages de Choiseul-Gouffier et de Mouradja d'Ohsson (3), et les recueils de costumes publiés en Angleterre au début du xixe siècle (4). 

1. Journal de Trévoux, avril 1715, p. 655-684. 
2. En Allemagne : Wahreste and neueste Abbildung des Tuerkischen Hofes welche nach denen Gemàhlden so der Königliche Franzosische Ambassadeur, Mans, de Ferriol, zeit seiner Gesandtschaft in Constantinopel im Jahr 1707 und 1708 durch einen gesehickten Mahler nach dem Leben hat verfertigen lassen. Nurnberg, Ch. Weigel, 2 vol. in-8, 121 planches. Deux éditions de 1719 à 1723. - En Italie : Viero (Th.), Raccolta di 120 stampe che rappresantano Figure ed abiti di varie Nazioni.... Venetiis, in-fol., 1783. - En Espagne : Trages turcos yleva. Coleccion de trages de Turquia. Un exemplaire à la Bibliothèque de l'Opéra, n° 655. 
Ces publications ont fourni les modèles des statuettes turques des fabriques allemandes de porcelaine : E.-W. Braun, Die Vorbilder einiger « Turkischen » Darstellungen im deutschen Kunstgewerbe des XVIII Jahrhunderts. Jahrbuch der K, Preussischen Kuntsammlungen. Berlin, 1908. 
3. Choiseul Gouffier, Voyage pittoresque de la Grèce (1782). - Mouradja d'Ohsson, Tableau général de l'empire Ottoman (1787). 
4. Voir notamment : The costume of Turkees, London, William Miller, 1802. 

Tandis que la publication des Estampes orientales établissait en Europe la réputation de Van Mour, son talent s'était développé. L'ancien enlumineur d'images était devenu un véritable peintre. « Il s'était beaucoup fortifié », disait un de ceux qui l'ont le mieux connu (1). « Il réussissait également, disait un autre (2), dans la portraiture, les tableaux d'histoire, la perspective, l'architecture. » 

1. Lettre du marquis de Bonnac à M. de Morville, 25 septembre 1723 (archives des Affaires étrangères). 
2. Mercure de France, juin 1737. 

Un peintre ne pouvait manquer de jouer un rôle au milieu de la société élégante qui s'agitait alors sur le Bosphore. Van Mour connut successivement cinq ambassadeurs de France, et il suffira de citer les noms de Ferriol, de Des Alleurs, de Bonnac, de d'Andrezel, de Villeneuve, pour évoquer aussitôt le souvenir d'une des périodes pendant lesquelles le palais du Roi à Péra brilla du plus vif éclat. Les ambassades étrangères n'étaient pas moins élégantes. Après les Montagu, dont la mémoire est inséparable du Bosphore au xviiie siècle, l'Angleterre avait envoyé à Constantinople le comte de Stagnian qui, comme un d'Andrezel ou un Des Alleurs, était tout disposé à se ruiner pour faire honneur à son souverain. 

Les internonces ne menaient pas grand train ; mais de temps en temps un ambassadeur extraordinaire venait jeter quelque lustre sur le nom de l'Empereur : le comte de Virmond, par la pompe et la richesse qu'il déploya pendant sa mission, éclipsa un instant l'ambassadeur du Roi. Dans cette lutte où le crédit et le bon renom des Etats étaient en jeu, les Vénitiens, les Hollandais ne voulaient pas se laisser distancer. Ce n'était toute l'année que fêtes, bals, comédies, dîners, parties de campagne. 

La vie que l'on menait dans les quelques villages de la forêt de Belgrade où il était alors de mode de se retirer pendant les mois d'été, nous a été décrite par un voyageur hollandais (1) : 

« Tout ce qu'il y a de plus considérable parmi les Anglais et les Français s'y trouve réuni. Les dames surtout, qui sont fort captives dans la ville, y viennent donner l'essor à leurs plaisirs ; elles sont l'âme de toutes les fêtes qui se succèdent les unes aux autres de telle manière que le temps s'écoule sans que l'on s'en aperçoive. Tantôt ce sont des promenades sur le bord de la mer Noire, où, sous de magnifiques tentes qu'on dresse exprès, on voit des tables somptueusement servies, et le Pont-Euxin qui, toujours agité, pousse ses ondes sur le rivage avec un murmure qui, se mêlant aux doux accords de plusieurs instruments, semblent aiguiser un appétit qui ne l'est déjà que trop par la délicatesse des mets. Tantôt on va sur le bord des réservoirs de Belgrade où, nonchalamment couché sur des sofas mols et commodes, on sent de doux zéphirs qui, avec le murmure de l'eau, vous entraînent dans un sommeil agréable. Les aqueducs sont un autre divertissement ; on y passe des jours entiers à se réjouir, la bonne chère et le jeu se succèdent sans cesse, le jour s'envole sans s'ennuyer. »

Le soir, quand il n'y avait pas bal, — et il y avait bal quatre fois par semaine, — on se promenait dans les prairies ; mais il ne fallait pas trop s'éloigner ; sans parler « des lions et des ours qui peuplaient la forêt », les Turcs étaient fort redoutés : ils avaient fait « de belles captures sous les auspices de Cupidon ».

1. Saumery, Mémoires et Aventures secrètes et curieuses d'un voyage du Levant. Liège, 1702; 3 vol, in-12, I, p. 140 et suiv. 

Aussi point de rendez-vous, point de tête-à-tête. 

La vie était d'ailleurs réglée, chaque heure avait ses divertissements et ses occupations : 

« A huit heures du matin, on donne de six cors de chasse ; alors tout le monde s'assemble dans une grande salle pour y boire le thé, le café ou le chocolat. A neuf heures, chacun se retire et fait ce qu'il juge à propos jusqu'à midi. A onze heures et demie, les cors de chasse avertissent qu'il faut dîner. On se met à table, d'où l’on ne sort qu'à quatre heures après avoir bu le café. On joue ensuite jusqu'à sept heures ; à huit heures les cors de chasse redonnent pour avertir d'aller souper ou d'entrer au bal. On y danse jusqu'à onze heures ; alors une table bien pourvue paraît. A minuit, on recommence les danses jusqu'à deux heures, et tout est fini. »

Je laisse à penser, dit l'auteur en terminant, s'il y a peu de personnes, surtout celles qui aiment la vie voluptueuse, qui ne désirent d'être dans ce lieu. 

Dans toutes ces fêtes Van Mour avait sa place marquée. On le recherchait pour « son humeur égale et gaie », pour « les vertus morales qu'il possédait ». Au milieu d'une société de diplomates se renouvelant sans cesse, il était comme le gardien des traditions, le témoin des époques disparues. Que de souvenirs pouvait raconter celui qui avait vécu dans l'intimité de tant d'ambassadeurs ! Il gardait dans ses récits une grande réserve, car « il était ennemi de la médisance », et ce n'est certainement pas lui qui a contribué à ébruiter la fâcheuse aventure arrivée à cette ambassadrice qui, poussée par la curiosité, avait pénétré sous un déguisement dans le sérail où le Grand Seigneur l'avait retenue pendant deux jours, au grand déplaisir du mari (1). 

Van Mour ne fréquentait pas seulement chez les Européens, il était également reçu chez les Orientaux, qui ne craignaient pas à cette époque d'entrer en relations avec la société étrangère à Constantinople. Les Turcs, qui avaient fait partie des ambassades envoyées par le Grand Seigneur à Vienne ou à Paris, avaient rapporté dans leur patrie le goût de la civilisation occidentale ; ils avaient recherché la société des ambassadeurs, qui s'étaient prêtés à ce rapprochement avec d'autant plus de complaisance qu'ils avaient eux-mêmes la curiosité de l’Orient et qu'ils trouvaient ainsi le moyen de pénétrer plus intimement dans un monde si nouveau pour eux.

1, L'aventure serait arrivée aune ambassadrice de France, s'il faut en croire le récit du secrétaire du comte de Virmond, Historische Nachricht von der röm.-kayserl. Gross-Botschaft nach Constantinopel welche Graf von Virmondt rühmlichst verrichtet, Nürnberg, 1723. 

Le long règne d'Achmet III fut, avec le règne du sultan Sélim, le moment où les Turcs connurent le mieux la culture européenne. L'un des plus hauts fonctionnaires de l'empire en avait apprécié tout le charme pendant son ambassade à Paris ; il voulut faire profiter ses compatriotes de son expérience ; par les soins de Méhémet Effendi, l'imprimerie fut introduite en Turquie, les sciences, les arts furent encouragés, et, comme par enchantement, Versailles se trouva un beau jour transporté dans la vallée des Eaux-Douces, dans un des sites les plus charmants des environs de la Capitale. 

Le délicieux vallon de Kiathané vit en quelques semaines ses coteaux se couvrir de kiosques. A côté du palais qu'avait fait construire le Sultan, s'élevèrent d'élégantes habitations de bois peint ou doré bâties par les principaux fonctionnaires de la Cour. Il n'y avait pas d'enjolivements qu'ils ne cherchassent : le topdji bachi, ou grand-maître de l'artillerie, plaçait au-dessus de sa porte un canon de bois peint en bronze ; les officiers de la Fauconnerie mettaient des oiseaux sur leurs maisons ; quant au capitan-pacha, il embellissait sa galerie en y installant une galiote d'où l'on tirait le canon. 

Les bords de la petite rivière qui coulait paisiblement au milieu de la prairie étaient recouverts de plaques de marbre blanc ; des ponts faisaient communiquer les deux rives de ce nouveau canal et, pour compléter la ressemblance avec Versailles, l'ambassadeur de France offrait au Sultan quarante beaux orangers qu'il faisait placer dans leurs caisses autour du 

kiosque impérial. 

La vallée des Eaux-Douces ainsi transformée plut tellement à Achmet III qu'il décida d'en changer le nom ; au lieu de Kiathané, on dut dès lors l'appeler Sadiabath, ou séjour de félicité (1). 

1. Sur la création de Sadiabath, voir une lettre de M. de Bonnac au Roi, du 30 septembre 1722 (Aff, étr., Turquie, vol. 64, fol. 199). Le Mercure de juin 1724 a publié une Description de Sadiabath, maison de plaisance du Grand Seigneur. Lettre écrite de Constantinople par M. de V. à M. de la R. le 20 janvier 1724. — Voir aussi Saumery, Mémoires et aventures secrètes et curieuses d'un voyage du Levant, I, p. 134. Tollot, Nouveau voyage fait en Levant, es années 1131 et 1732. Paris, 1742, in-12, p. 317. 

Tout le monde y va, écrit un contemporain, il y a des jours où ce lieu est aussi fréquenté que le Cours-la-Reine et les Champs-Elysées. Les ministres des princes étrangers ont la facilité et l'agrément d'y trouver de temps en temps le Grand Vizir et les autres ministres de la Porte toujours de belle humeur et en disposition de leur faire plaisir. 

Quelques semaines avaient suffi pour édifier Sadiabath, il ne fallut que quelques heures pour l'anéantir. Par une de ces révolutions subites si fréquentes dans l'histoire de l'empire ottoman, Achmet III fut détrôné. Le flot populaire traversa le vallon de Kiathané, ne laissant derrière lui que des ruines. 

Dans son beau livre sur l'ambassade du marquis de Villeneuve, M. A. Vandal (1) a raconté cette sédition et les aventures vraiment extraordinaires de ce levanti ou simple soldat de marine, Kalil Patrona, chef des révoltés. Un tableau de Van Mour, conservé au musée d'Amsterdam, illustre d'une manière précieuse ces scènes historiques. 

1. Une ambassade française en Orient sous Louis XV. La mission du marquis de Villeneuve, p. 147-182. 

L'artiste a groupé au premier plan de son tableau Kalil Patrona et ses deux principaux lieutenants : Musla, qui vendait des fruits sur le port, et Ali, le marchand de café. Ces faiseurs de sultans, qui, pendant quelque temps, furent les maîtres de l'empire, appartenaient à la lie de la populace de Constantinople. Vêtus de la petite veste et du pantalon bleu des hommes du peuple, avec leur gilet largement ouvert sur la poitrine nue, leurs jambes nues, leurs babouches, ils semblent faire partie d'une de ces bandes que les touristes étonnés regardent accourir au feu lorsque le cri de Yangvar [Yangin var] ! retentit dans Stamboul, ou de l'une de ces hordes sauvages que quelques Européens ont vu récemment dans les rues de la capitale se livrer au massacre des Arméniens. Kalil Patrona élève en l'air le cimeterre qu'il tient à la main ; ses lieutenants, armés jusqu'aux dents, portent l'un une pique, l'autre un drapeau, lambeau de soie dérobé au bazar des étoffes. 

Derrière ces trois personnages, Van Mour a représenté sur la grande place de l'Atmeïdan les principales scènes de la révolution du 28 septembre 1730. Les tentes des séditieux sont dressées sous les murs du sérail. Plusieurs cadavres sont étendus sur le sol. Ce sont ceux du Grand-Vizir et des ministres que le Sultan a sacrifiés. Des chars viennent les enlever. Plus loin, un groupe de femmes du Palais se portent au-devant de Kalil Patrona qui entre en triomphateur dans la résidence impériale. 

Ce tableau du musée d'Amsterdam est certainement l'un des documents les plus curieux qui nous aient été conservés pour l'histoire de la Turquie au xviiie siècle, et si Van Mour a peint d'autres scènes du même genre, il est très regrettable qu'elles ne soient pas connues. 

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Arrivé à la notoriété, Van Mour avait vu son atelier devenir le rendez-vous de la société élégante de Constantinople. Les ambassadeurs « allaient souvent le regarder travailler », leurs secrétaires, les gentilshommes attachés à leur suite se rencontraient chez lui avec les personnages de distinction qui visitaient l'Orient, hommes de cour ou savants. L'artiste peignait leurs portraits, et il devait bien souvent les représenter dans un costume oriental. La mode à cette époque était de se vêtir à la turque. La Condamine, qui passa quelques mois à Constantinople où il fut l'hôte du marquis de Villeneuve (1), s'amusait, à son retour à Paris, à intriguer ses amis en leur rendant visite habillé en turc; il soupait ainsi un soir à côté de Voltaire qui, ne le reconnaissant pas, se félicitait de rencontrer « un musulman si honnête et qui entendait si bien le français » (2). 

La Morlière, le premier secrétaire du vicomte d'Andrezel, s'était procuré un costume de chef des huissiers du Palais, et c'était sous les traits d'un capidji-bachi qu'il se faisait peindre par Latour et par Aved (3). Nous ne connaissons qu'un portrait de Van Mour, celui de l'ambassadeur hollandais Calkoen; peut-être cependant serait-il possible de lui attribuer celui de milord Montagu, qui est reproduit dans une des éditions (4) des lettres de l'ambassadrice d'Angleterre. 

1. Sur le voyage de la Condamine, voir : Mémoires de l'Académie des Sciences, 1732 ; Mercure de France, octobre 1752, et Tollot, Nouveau voyage fait en Levant es années 1731 et 1732. Paris, 1742, in- 12. 
2. Œuvres de Voltaire, éd. Lequien, t. LVI, p. 277. 
3. Ces deux portraits de La Morlière sont reproduits dans notre article de la Revue de l'Art ancien et moderne : La mode des portraits turcs au xviiie siècle. 
4. L'original appartient à lord Wharncliffe. La gravure par W. Greatbatch est publiée (I, p. 102) dans The Letters and Works of Lady Mary Wortley Montagu. London, George Bell, 1887, 2 vol. in-8°. 

Qu'ils se fussent fait ou non peindre par Van Mour, ceux qui avaient visité son atelier tenaient à conserver quelque souvenir de leur passage. « Tous les ministres ou seigneurs étrangers, dit Mariette, qui abordaient à Constantinople, étaient bien aises d'en rapporter de ses ouvrages. » Quelquefois le peintre recevait la commande d'un tableau ; c'est ainsi qu'il représentait pour le marquis de Bonnac la fête offerte à l'ambassadrice de France par le Grand Vizir au nom du Sultan (1) ; mais la plupart du temps il se livrait à sa propre inspiration. L'un de ses sujets favoris était la vue de l'entrée du port de Constantinople. Que de peintres ont été séduits par l'admirable panorama qui, du haut des collines de Péra, des terrasses des Palais de France ou de Hollande, se déroule au-dessus des quartiers de Galata et de Top-Hané au-delà du Bosphore, vers la côte d'Asie, au-delà de la Corne d'Or, vers la Pointe du Sérail, les îles des Princes et les sommets neigeux de l'Olympe de Brousse ! 

1. Ce tableau appartient au marquis de Luppé et se trouve au château de Beaurepaire. 

Van Mour a bien souvent reproduit (1) ce point de vue, mais il a peint bien d'autres sites du Bosphore. Il cherchait à grouper dans ses tableaux différents personnages qui pussent représenter les spectacles qui s'offraient le plus souvent aux yeux des voyageurs : il montrait tantôt un enterrement turc dans le cimetière de Scutari, tantôt des femmes grecques pleurant à côté de tombeaux sur les hauteurs du Taxim ; sur d'autres toiles, on voyait figurées les cérémonies des mariages des Arméniens et  des Grecs. 

1. Nous connaissons trois vues de la Pointe du Sérail par Van Mour. L'une est au musée d'Amsterdam, les autres faisaient partie de la collection Guys et de la collection de la Couronne. 

Son long séjour en Orient lui ayant donné accès dans bien des endroits fermés d'ordinaire aux Européens, il avait pu peindre, dans de petits tableaux de genre, des scènes d'intérieur. Ses femmes turques au bain ou à leur toilette étaient recherchées par tous les amateurs; il avait toujours sur son chevalet quelqu'une de ces petites toiles, et c'était les premières qu'il montrait lorsqu'un ambassadeur nouvellement arrivé à Constantinople le mandait à son Palais. « Un peintre français — écrivait dans son journal, le 17 octobre 1719, le secrétaire du comte de Virmond — est venu montrer à Son Excellence les esquisses de quelques tableaux représentant des femmes turques au bain et d'autres dansant. L'ambassadeur lui commanda aussitôt de terminer pour lui ces tableaux (1). » 

1. Historische Nachricht..., p. 280. Les deux gravures qui, p. 79, représentent des femmes turques au bain, ont sans doute été faites d'après ces tableaux de Van Mour ; elles rappellent en effet beaucoup la manière de l’auteur des Estampes du Levant. 

Plus curieuse était la scène que l'ambassadeur hollandais Calkoen avait fait représenter par Van Mour. A quelques mètres des palais des résidents étrangers, sur la colline de Péra, habitaient les derviches tourneurs. Malgré la grande vénération dont leur tékké était l'objet, quelques Européens réussissaient, sous un déguisement oriental, à y pénétrer et à assister aux étranges cérémonies auxquelles accourait la foule des musulmans. Que de fois Van Mour dut regarder ce spectacle, pour arriver à le rendre avec l'exactitude si parfaite que nous montre le tableau conservé au musée d'Amsterdam ! Rien n'a changé dans le tékké de la rue de Péra; pendant que les révolutions se succédaient dans l'empire, les derviches ont continué à tourner, et, si Van Mour les voyait aujourd'hui, il ne les peindrait pas autrement qu'il ne l'a fait il y a deux cents ans. Les spectateurs, il est vrai, se sont modifiés : à côté des Turcs, toujours immobiles, mais, hélas ! vêtus à l'européenne, se tient la bande bruyante des touristes; les derviches, eux, sont restés les mêmes, le chef qui préside à leurs exercices semble être descendu de la toile où Van Mour l'avait placé, et, du haut de la légère tribune où sont logés les musiciens, partent ces sons discordants et si bien rythmés que M. de Ferriol avait fait noter et que l'on retrouve gravés dans le recueil des costumes du Levant (1). 

1. « L'air des derviches a été noté par le sieur Chabert, très savant en musique, qui était avec M. de Ferriol et qui prenait souvent plaisir à le faire jouer par les derviches musiciens ; il en a fait la basse. » 

L'art avec lequel étaient reproduites toutes ces scènes orientales donna à M. de Bonnac l'idée d'utiliser le talent de Van Mour. Le ministre de la Marine s'occupait alors de réorganiser le service des pêches. En demandant aux ambassadeurs de lui adresser un mémoire sur les pêcheries de leur résidence, il les avait invités à faire faire, d'après un modèle qui leur était communiqué, des dessins destinés à « orner le traité général des pêches ». 

« Comme ces sortes de dessins — écrivit l'ambassadeur à M. de Morville, le 25 septembre 1723 (1) — coûtent presque autant de temps qu'un tableau, j'ai pensé qu'il serait plus à propos de les faire faire au pinceau qu'à la plume, pour profiter du talent admirable que le sieur Van Mour a pour représenter les habillements et les manières des Turcs. C'est sur les tableaux de ce peintre que feu M. de Ferriol a fait graver les cent estampes qu'il a données au Public. Le sieur Van Mour s'est beaucoup fortifié depuis et, quoiqu'il ne finisse pas volontiers ses ouvrages, il représente si naïvement et avec tant de vivacité les objets, que j'espère que les tableaux que je lui fais faire ne se trouveront pas indignes de votre cabinet. Je lui en ai commandé douze de vingt-quatre pouces de longueur sur une hauteur proportionnée ; ils sont tous sur des sujets de pêche, mais avec une telle variété de fonds de tableau et de personnages, qu'ils contiendront, quasi, une idée générale de tout ce qu'il y a d'agréable dans ce pays-ci en fait de paysage. De cette manière, son travail ne sera pas perdu, comme il le serait, s'il n'était qu'à la plume. Peut-être même se trouvera-t-il quelqu'un qui aura envie de mettre ces tableaux en tapisserie, pour varier les sujets qu'on y traite ordinairement. J'espère que je pourrai faire partir ces tableaux vers le mois d'avril de l'année prochaine. »

1. Arch. Aff. étr., Turquie, vol. 5, fol. 228. 

En attendant, l’ambassadeur en envoyait immédiatement deux « pour servir seulement d'échantillons ». Les tableaux furent tous exécutés ; nous en trouvons l'indication dans une lettre écrite au secrétaire d'Etat des Affaires étrangères, le 8 juillet 1723, par le successeur du marquis de Bonnac, le vicomte d'Andrezel : « J'ai adressé à M. de Vaucresson deux tableaux représentant la manière de prendre le Pesche Spada pour vous les faire tenir. Ce sont les septième et huitième des douze demandés (1). » 

Que sont devenues ces peintures ? Il serait bien curieux de les retrouver. Quant aux tapisseries que Bonnac désirait voir exécuter d'après ces tableaux, il ne semble pas qu'elles aient été faites (2) ; aucun document de la manufacture des Gobelins ne fait allusion à ce projet, qui ne fut réalisé que longtemps après, par Amédée Vanloo, dont les tableaux, la Sultane Favorite avec ses femmes, servie par des esclaves noirs et blancs (Salon de 1773), la Toilette d'une Sultane, la Fête champêtre donnée par les Odalisques en présence du Sultan et de la Sultane (Salon de 1775), furent exécutés en tapisserie. 

1. Arch. Aff. étr., cartons Constantinople. 

2. Nous possédons deux dessins que nous attribuons à Van Mour et qui sont recouverts d'un quadrillage en carrés comme s'ils étaient destinés à être convertis en tapisserie. L'un de ces dessins représente une audience du Grand Vizir ; l'autre, la visite d'un ambassadeur chez un grand personnage de l'empire. Ce dernier dessin est très soigné et d'une composition charmante. 

* * 

De tous les tableaux de Van Mour, les plus recherchés étaient certainement ceux qui rappelaient les pompes si étranges du cérémonial ottoman. Les visites des ambassadeurs chez le Grand Vizir, leurs audiences chez le Sultan, donnaient lieu à des cortèges somptueux, à des réceptions brillantes ; leur reproduction permettait à l'artiste de déployer sa science de l'attitude et du costume des Orientaux. Au pittoresque de ces tableaux s'ajoutait l'intérêt historique. Ces cérémonies étaient en effet assez rares; il fallait un événement important pour qu'un étranger visitât le Grand Vizir ou le Caïmakan de Constantinople ; quant au Sultan, il ne recevait les représentants des Puissances qu'à leur arrivée et à leur départ. 

Aussi n'étaient-ce pas seulement les ambassadeurs qui tenaient à conserver le souvenir de ces audiences ; chaque chef d'escadre, chaque gentilhomme attaché à la mission, voulait rapporter en Occident un tableau qui pût plus tard évoquer à ses yeux les scènes glorieuses auxquelles il avait pris part. Certains ambassadeurs avaient amené avec eux des peintres chargés de retracer leurs actions (1) ; c'était là une coûteuse précaution, que la présence de Van Mour à Constantinople rendit pendant longtemps inutile. 

1. Virmond, par exemple, avait amené deux peintres, « Jean Semler, un Suisse, et Joseph-Ernest Schmid, un Autrichien, dont la réputation est aussi grande à Vienne qu'au dehors ». Ils firent du cortège du Sultan au Baïram un grand tableau : « On ne peut sans doute en voir de plus beau, écrit le secrétaire de l'ambassadeur, ni en Allemagne, ni dans aucun pays d'Occident, et à cause de l'art avec lequel il est peint, de sa beauté et de sa rareté, il mériterait d'être conservé dans un musée princier. » Historische Nachricht..., p. 219. 

Van Mour avait peine à suffire aux commandes ; et pourtant sa tâche avait été singulièrement facilitée par les formes du cérémonial ottoman qui, depuis la première audience accordée au XVe siècle par le Grand Seigneur à un ambassadeur français jusqu'à la réforme introduite dans les mœurs ottomanes par Mahmoud, ne subirent aucune modification. Ce fut dans la même salle du même palais que pendant près de trois siècles furent reçus les ambassadeurs étrangers par des vizirs et des officiers dont les traditions avaient réglé d'une manière immuable les costumes, les attitudes, les gestes et les paroles. Dans ce décor où rien ne variait, seul, le sultan changeait, et Van Mour eut la rare fortune de vivre sous Achmet III, qui régna près de trente ans. L'artiste ayant donc ses personnages turcs posés une fois pour toutes, dans le fond de sa toile, n'avait plus qu'à y grouper, au milieu de leur escorte de capidjis, les membres de l'ambassade qu'il était chargé de représenter. Les attitudes de ces derniers étant également réglées par des précédents auxquels il eût été impossible de manquer, ces tableaux d'audience devaient se 

ressembler beaucoup, et, en effet, ils paraissent, à première vue, tous identiques : ce n'est qu'après un examen détaillé que l'on aperçoit les particularités qui distinguent par exemple l'audience de l'ambassadeur hollandais Calkoen (musée d'Amsterdam) de celle de M. de Bonnac, que M. le marquis de Luppé a bien voulu nous montrer au château de Beaurepaire, ou de celle du vicomte d'Andrezel, conservée dans la salle des actes de l'Université de Bordeaux. 

Van Mour, que les ambassadeurs emmenaient à toutes ces cérémonies (1) notait avec soin les différents incidents qui pouvaient s'y produire. Les relations officielles déposées aux Archives du ministère des Affaires étrangères prouvent la minutieuse exactitude de ses compositions. Que l'on compare les tableaux des audiences de M. d'Andrezel et de M. de Bonnac. On voit, dans le premier, un personnage à longue robe et à bonnet fourré, qui manque dans le second ; les dépêches nous apprennent en effet, que le premier drogman de l'ambassade, Fornetti, qui avait accompagné M. d'Andrezel dans la salle du trône, s'était vu « couper à la porte » quand il avait voulu pénétrer chez le sultan à la suite de M. de Bonnac. 

1. Van Mour accompagna M. de Bonnac à son audience d'arrivée à Andrinople, et il dessina de la cérémonie un croquis que l'ambassadeur envoya au ministre des Affaires étrangères. La relation de l'audience accordée à Cornelis Calkoen, le 14 septembre 1727, nous apprend que l'ambassadeur hollandais avait fait introduire dans la salle du trône un peintre pour « dessiner » la cérémonie. La Haye, Archives de la Direction du Commerce du Levant (Levantsche Handel), 

Un incident piquant de l'audience du marquis de Bonnac est indiqué dans le tableau de Van Mour. L'ambassadeur avait obtenu la permission d'amener avec lui ses deux fils ; au dernier moment, cependant, il n'avait pas cru devoir profiter de cette faveur. Pendant le repas qui précédait l'audience, le Grand Vizir s'étonna de ne point voir les enfants ; « il fit demander à M. de Bonnac pourquoi il ne les avait pas menés, et, le marquis ayant répondu que c'était parce qu'il avait trouvé qu'ils avaient encore les yeux trop petits pour contempler tant de magnificence et que madame de Bonnac y avait suppléé en envoyant M. l'abbé de Biron, son frère, le Grand Vizir répondit que l’abbé de Biron était le bienvenu et qu'il le voyait avec plaisir, mais qu'ayant parlé aux princes des enfants, il souhaitait qu'on les fît venir pour entrer dans la chambre du Grand Seigneur et qu'il ferait durer le divan trois heures s'il le fallait pour les attendre. Cela détermina le marquis de Bonnac à les envoyer chercher et ils arrivèrent précisément comme le repas était fini. » On distribuait alors les cafetans (pelisses à manches larges, couvertes de drap d'or). « On accommoda sur le corps des enfants deux cafetans du mieux qu'il fut possible (1). » Van Mour nous les montre en effet ainsi affublés, tenant gauchement sur leur bras la longue traîne d'un vêtement bien trop grand pour eux. 

1. Arch. Aff. étr., Turquie. Mém. et doc, vol. I. 

Aucune relation de voyage, aucun compte rendu officiel ne donne aussi exactement qu'un tableau de Van Mour la représentation des diverses phases d'une audience impériale. L'un des moments les plus curieux de la cérémonie 

fait le sujet d'une des toiles conservées à Amsterdam. L'ambassadeur, qui vient de descendre de cheval à l'entrée de la seconde cour du Sérail, pénètre avec son cortège dans cette mystérieuse enceinte. Tandis que majestueusement il s'avance, précédé de son drogman, du drogman de la Porte, entouré des tchaouches et des capidjis tenant à la main de grands bâtons garnis d'argent avec lesquels ils frappent par intervalles sur le pavé de marbre, la foule des janissaires, « comme un essaim d'abeilles », se rue sur les plats de pilaw que le Sultan a fait déposer par terre à l'intention de son armée. 

Le spectacle barbare de la générosité du Grand Seigneur n'était que le prélude d'autres largesses. Avant d'être admis en présence du souverain, les ambassadeurs devaient, d'après le protocole ottoman, être nourris et vêtus aux frais du Trésor impérial ; Van Mour a peint avec complaisance les belles pelisses d'hermine, de samour, les longs cafetans fourrés dont les ambassadeurs et leur suite étaient contraints de s'affubler ; et il a décrit dans deux de ses meilleurs tableaux le repas offert par le Grand Vizir, au nom du Grand Seigneur, avant l'audience solennelle. 

La scène se passe dans la salle du Divan, immense pièce voûtée, couronnée d'un fort beau dôme doré et recouverte entièrement d'épais tapis persans. Sur le banc, orné d'étoffes et de coussins d'or et d'argent, qui fait le tour de la pièce, sont assis les grands officiers de l'Empire. Devant eux, sur de petits tabourets, sont placés d'énormes plateaux de métal. Cinq tables sont ainsi dressées. A celle du milieu, en face du Grand Vizir, s'assied l'ambassadeur ; les drogmans sont debout auprès d'eux. A la gauche du Grand Vizir (on sait que la gauche est en Turquie la place la plus honorable), on voit les deux Cadi-el-Asker ou grands juges d'Anatolie et de Roumélie ; ils mangent seuls « parce que, étant hommes de lois, ils affectent avec plus d'exactitude de ne pas manger avec des chrétiens ». Le personnel de l'ambassade est réparti entre les autres tables dont les honneurs sont faits parle Capoudan Pacha ou grand amiral, par le Nichandgi-bachi, « dont la fonction est de faire le paraphe du Grand Seigneur sur les expéditions », et par le Defterdar, ou grand trésorier. 

* * 

Le 27 novembre 1725, Van Mour reçut un brevet de « peintre ordinaire du Roi en Levant ». M. de Bonnac avait, dès son retour en France, obtenu en faveur de son protégé ce titre qui n'avait encore jamais été porté par un artiste français. Quoique Van Mour se fût empressé de remercier le ministre et de lui envoyer une de ses œuvres en témoignage de sa reconnaissance, ce brevet ne lui parut qu'une bien médiocre récompense de ses peines et de ses travaux. Ses doléances sont exposées dans une lettre du 28 février 1728 : 

« J'ai eu l'honneur d'écrire à Votre Grandeur le 9 novembre 1726 et d'accompagner ma lettre d'un tableau de l'entrée du port de Constantinople que j'ai pris la liberté de Lui présenter pour La remercier des bontés qu'Elle a eues de m'honorer d'un brevet de peintre du Roi au Levant. J'en ai appris la réception par M. le marquis de Bonnac qui me fit espérer qu'après un examen plus exact, j'apprendrais l'opinion qu'on en avait eue. J'attends encore cette satisfaction. Je supplie très humblement Votre Grandeur de vouloir bien m'accorder la grâce d'en marquer son avis lorsqu'Elle écrira à M. de Fontenu (1). Je souhaite que cette reconnaissance de vos bontés puisse mériter l'approbation de Votre Grandeur et me procurer le moyen de n'être pas inutile à Constantinople. » 

La pension tardant à venir, Van Mour crut trouver une occasion d'en hâter la délivrance dans le zèle dont il fit preuve au moment des fêtes données par M. de Villeneuve pour célébrer la naissance du Dauphin.

1. Gaspard de Fontenu, consul de France à Smyrne, avait été chargé de la gérance de l'Ambassade à la mort de M. d'Andrezel. 

L'ambassade de France à Constantinople a toujours déployé, dans ces réjouissances officielles, le faste le plus grandiose ; mais il est difficile de croire, que dans la série des fêtes qui se sont succédé jusqu'à la Révolution, celle du mois de janvier 1730 ait pu jamais être égalée. Dans les salons du palais, superbement décorés de tapisseries, de lustres, de miroirs, de girandoles, les invités se pressèrent pendant trois jours et trois nuits autour de six tables, toutes « servies, malgré la saison, avec la même profusion de tout ce qui se pouvait imaginer de plus rare et de plus exquis ». Mais ce fut surtout la décoration extérieure de l'ambassade qui excita l'admiration et la surprise des ministres étrangers de toutes nations, et la curiosité du Grand Seigneur et des Sultanes qui, du sérail, voyaient les terrasses du Palais de France s'étager sur la colline de Péra. Ce n'était partout que machines d'une élévation prodigieuse, édifices de cartons, charpentes de bois léger, « couverts de feuillages et ornés à la turque, c'est-à-dire éclairés de quantité de lampes de verre, peints de diverses couleurs et enjolivés de cent sortes de colifichets dans le goût du pays, faits de bois fort mince, couverts de coton de bandes de papiers de toutes couleurs et de clinquant d'or en lame et découpé. Pour relever par quelques morceaux de goût ces petits ornements si agréables aux yeux des Turcs », Van Mour avait, de place en place, peint des tableaux allégoriques, dont le Mercure de France publia quelques mois plus tard une ample description (1). Ces allégories avaient été répandues à profusion dans la chapelle attenant à l'ambassade. 

Les capucins avaient voulu bien faire les choses, et la relation conservée dans les archives du couvent de Saint-Louis de Péra montre que « le fameux peintre » auquel ils s'étaient adressés n'avait pas ménagé son talent (2). 

1. Mercure de France, mai 1730. 
2. Relation des fêtes pompeuses que M. le marquis de Villeneuve, ambassadeur, a données pour la naissance de monseigneur le Dauphin, avec l'explication des tableaux et inscriptions qui ont paru de la part des Capucins de Saint-Louis à Péra, à l'occasion du Te Deum chanté dans leur église à la suite de cet événement. — Archives de Saint-Louis, ch. vi. A. 46. Le P. 

Laurent, des capucins de Saint-Louis, a bien voulu copier pour nous ce curieux document. 

En rendant compte au ministre de ces réjouissances, l'ambassadeur, M. de Villeneuve, n'avait pas manqué de signaler le concours que lui avait prêté l’artiste. « Le sieur Van Mour, écrivait-il le 15 janvier 1730, a été chargé des principaux arrangements de cette fête. Quoiqu'il ait lieu d'être satisfait de moi dans cette occasion, je ne saurais cependant me dispenser de vous rendre un témoignage favorable de son mérite et du zèle qu'il a pour le service de Sa Majesté. » 

Un mois après, le 14 février 1730, Van Mour s'adressait lui-même au Ministre : 

« Monseigneur, je prends la liberté de rappeler aujourd'hui à Votre Grandeur qu'en m'accusant la réception du tableau que j'avais eu l'honneur de lui envoyer, Elle eut la bonté de me promettre qu'Elle se souviendrait de moi dans l'occasion. Le bonheur que j'ai eu d'employer avec assez de succès mon zèle et mes soins à la conduite et à l'exécution des fêtes que M. le marquis de Villeneuve a données ici au sujet de la naissance de monseigneur le Dauphin, me parait être une conjoncture favorable pour me faire sentir les effets de la protection dont Elle m'a flatté qu'Elle m'honorerait, en me procurant une petite pension pour accompagner le brevet de peintre ordinaire du Roy en Levant, qu'il a plu à Sa Majesté de m'accorder depuis 1725. Si je pouvais obtenir ce secours, il me mettrait en état de subvenir aux dépenses que je ne puis éviter de faire pour m'instruire à fond de toutes les particularités qui concernent les mœurs et les usages des Turcs, dont j'ai déjà donné plusieurs fois des tableaux au public qui en ont été bien reçus, et dont je pourrai en donner encore sur bien des manières plus curieuses, surtout s'il plaisait à Sa Majesté d'agréer l'idée qu'avait eue M. le marquis de Bonnac de me faire traiter des sujets choisis pour les mettre après en tapisserie des Gobelins, ce qui composerait une tenture d'une beauté aussi nouvelle que singulière.  

J'ose ajouter, Monseigneur, qu'aucun peintre avant moi n'a travaillé avec soin dans ce goût et que me trouvant seul dans ce pays-ci et dans un âge à ne pas espérer de pouvoir encore fournir une longue carrière, je ne serais peut-être pas indigne de la faveur que je demande pour les derniers ouvrages qui sortiraient de mes mains. »

Il ne semble pas que le désir du peintre ait été accueilli. Nous n'avons, en effet, trouvé aucun document qui indiquât qu'une pension ou un secours du ministre soit venu soulager les dernières années de Van Mour. Le peintre du Roi en Levant mourut à Constantinople, le 22 janvier 1737, à l'âge de soixante-six ans. 

« M. l'ambassadeur de France, écrivait le correspondant oriental du Mercure de France, envoya toute sa maison à son convoi funèbre, où toute la nation française assista; il fut enterré dans l'église des RR. PP. Jésuites à Galata, tout proche le tombeau de M. le Baron de Salagnac (1). » 

1. Mercure, juin 1737. Extrait d'une lettre écrite de Constantinople le 24 janvier 1737, Malgré toutes les recherches qu'a bien voulu faire faire dans l'église de Saint-Benoît, et dans les archives de la Mission, M. Lobry, visiteur des Lazaristes, il n'a pas été possible de retrouver le tombeau de Van Mour, 

* *

*

L'œuvre de Van Mour forme la plus curieuse réunion de documents que l'on puisse trouver pour l'histoire des costumes et des mœurs en Turquie pendant la première moitié du xviiie siècle; nous avons cru qu'il ne sérail pas sans intérêt d'en dresser ici, pour la première fois, le catalogue. 

I. — Le Sultan Ahmed III reçoit en audience de congé le Marquis de Bonnac, le 24 octobre 1724. 

H. 871/2. L. 1,20. 

Signé : J. B. Van Mour pinxit, Constantinople, 1725. 

II. — Fête donnée à Constantinople par ordre du Grand Seigneur à Madame la Marquise de Bonnac, née Gontault Biron. 

H. 871/2. L. 1, 18. 

Sur le canal du Bosphore, une fontaine turque ombragée par de grands arbres ; devant la fontaine, assise sur des tapis d'Orient, Madame de Bonnac ; à sa droite, derrière elle, l'ambassadeur; à côté de Madame de Bonnac, plusieurs femmes en riches costumes orientaux. Ce groupe regarde danser une tzigane et un petit enfant. Des musiciens tziganes jouent du tambour de basque, des cymbales, et divers instruments du pays. 

Sur les marches du bassin qui entoure la fontaine, un janissaire et un petit esclave debout, attendent les ordres. L'un tient le long tuyau d'un tchibouk. Tout autour de la fontaine, des Turcs couchés ou assis, d'autres puisant de l'eau. 

Au premier plan des serviteurs grecs étendent des tapis, d'autres préparent le café. A gauche, sous des arbres, l'escorte envoyée par le Grand Seigneur, janissaires, bostandgis. Deux personnages paraissent surveiller l'ordonnance de la fête. A droite, un groupe de femmes en costume oriental. 

Au second plan, des tentes sont dressées sur le rivage du Bosphore. On voit dans le lointain, la côte opposée et le développement du Canal. 

Ces deux tableaux appartiennent à M. le marquis de Luppé, au château de Beaurepaire ; ils sont dans sa famille, depuis la mort de Jean-Louis d'Usson de Bonnac, évêque d'Agen. L'inventaire dressé après le décès du prélat (11 mars 1821) les décrit ainsi: « Dans le Sallon (sic), deux tableaux dans leurs cadres de bois doré, l'un représentant la première audience de congé donnée par le Grand Seigneur à M. le marquis de Bonnac, le second, une fête donnée à Constantinople par ordre du Grand Seigneur à Mme la marquise de Bonnac... 100 francs. » Ce sont ces tableaux que M. Schefer a signalés dans son Introduction aux Mémoires de Bonnac et a attribués par distraction sans doute, à Martin le Jeune. 

III-IV. — Réception du Vicomte d'Andrezel par le Sultan Ahmed III, le 17 octobre 1724. 

1. L'audience du Sultan. 

H. 0, 90. L. 21. 

2. Le dîner offert par le Grand Vizir. 

H. 0, 90.L. 1, 21. 

Sur ces deux tableaux conservés dans la collection de l'Université de Bordeaux, voir l'article paru dans la Revue Philomathique de Bordeaux et du Sud-Ouest, 5e année, n° 6, ler juin 1902 : A. Boppe, Les deux tableaux « Turcs » du Musée de Bordeaux. 

V. — Audience accordée par le Sultan à un ambassadeur. 

VI. — Audience accordée par le Grand Vizir à un ambassadeur. 

Ces deux tableaux ont été acquis il y a quelques années par le musée de Versailles. On a voulu y voir l'ambassade de Nointel. « Après avoir minutieusement observé ces deux toiles avec M. de Nolhac l'éminent conservateur du musée, nous avons, dit M. A. Vandal, acquis la conviction qu'elles sont d'une date bien postérieure » (Les voyages du marquis de Nointel. 

Paris, 1900, in-8, p. 270). Ces tableaux peuvent être attribués à Van Mour, mais il est difficile de savoir à quel ambassadeur il faut les rapporter ; ils ont pu être commandés au peintre par M. Des Alleurs, M. de Villeneuve ou par quelque ambassadeur étranger. 

VII- VIII. — Audience accordée par le Sultan à un ambassadeur. 

1. Cortège de l'ambassadeur à travers la seconde cour du Sérail au moment où les plats de pilaw sont distribués aux janissaires. 
2. Dîner offert à l'ambassadeur par le Grand Vizir avant l'audience. 

Ces deux tableaux, maintenant en notre possession, ont fait partie sous le n° 12 d'une collection dont la vente a eu lieu le 30 mai 1903 à l'hôtel Drouot. Le catalogue (Paul Chevalier et Ferai) les attribuait à Jacques Carrey. 

IX. — Portrait de l'ambassadeur hollandais Cornélis Calkoen. 

H. 2, 23. L. 0, 91. 

Ce tableau, longtemps conservé au musée ethnographique de Leyde, faisait partie de la série de tableaux commandés à Van Mour par Cornélis Calkoen, l'ambassadeur des Pays-Bas auprès du Sultan. Celle collection était célèbre ; le Mercure de France de juin 1737 la mentionnait. A sa mort, Calkoen avait légué tous ses tableaux turcs, à la condition de ne jamais les vendre ni les séparer, à son cousin Abraham Calkoen et en cas de refus, à son autre cousin Joachim Rendorp. 

« En cas de refus renouvelé, ajoutait l'ambassadeur dans son testament (1), je lègue les tableaux turcs aux directeurs du commerce du Levant à Amsterdam, pour les pendre dans leurs bureaux dans l'Hôtel de Ville d'Amsterdam, et je prie ces honorables seigneurs de bien vouloir les honorer d'une inscription pour rappeler les grands services que mon ambassade a rendus au Commerce. » 

1. Le baron Calkoen qui a bien voulu nous communiquer le testament de son aïeul, possède un autre portrait de l'ambassadeur. 

Les tableaux devinrent la propriété de la Direction du Commerce du Levant (Levantsche Handel). Comment passèrent-ils plus tard d'Amsterdam à La Haye et entrèrent-ils au musée Maurilshuis (Cabinet royal de curiosités) ? Aucun document ne l'indique. On trouve quelques-unes de ces toiles portées sur l'inventaire dressé en 1810 des documents et objets ayant appartenu à la Direction du Commerce du Levant. Depuis cette époque la collection, qui comprenait 57 tableaux, a été divisée ; 9 toiles, concernant plus particulièrement l'ambassade de Calkoen, sont entrées au musée royal d'Amsterdam ; les autres ont été placées au musée ethnographique de Leyde. 

Nous ne saurions trop, ici, remercier le conservateur du musée d'Amsterdam, M. B. W. F. van Riemsdyk, qui nous a si gracieusement aidé à retrouver les traces des tableaux de Van Mour. Ses indications et celles qu'il a obtenues de son frère, M. van Riemsdyk, directeur des Archives royales de La Haye, nous ont été des plus précieuses, et nous aimerons à conserver le souvenir de la journée qu'il a bien voulu passer avec nous à Leyde, pour examiner les 48 tableaux de Van Mour que le conservateur du musée ethnographique, M. le Dr Schmelz, avait si aimablement mis à notre disposition. 

Désireux de se conformer aux intentions exprimées par Calkoen dans son testament, M. van Riemsdyk a, à la suite de nos recherches, demandé et obtenu des autorités compétentes, l'autorisation de réunir les tableaux turcs de Van Mour. Le Musée Royal d'Amsterdam, ainsi que le montre l’énumération suivante, possède depuis 1903 une collection unique et du plus haut intérêt pour l'histoire de la Turquie au xviiie siècle (1). 

X. — Réception de V ambassadeur hollandais Cornélis Calkoen, par le Sultan Ahmed III, le 14 septembre 1727. 

Passage du cortège de l'Ambassadeur dans la deuxième cour du Sérail au moment du repas des janissaires. 

H. 0,91 4/2. L. 4, 25. 

XI. — Réception de l'ambassadeur Calkoen. Le dîner offert par le Grand Vizir dans la salle du Divan. 

H. 0,90. L. 1,21. 

Sauf quelques différences dans les attitudes et les costumes des personnages, ce tableau est identique au tableau de Bordeaux. 

XII. — Réception de l'ambassadeur Calkoen: L'audience chez le Sultan. 

H. 0, 90. L. 1, 22. 

1. Catalogue des tableaux du musée de l'Etat à Amsterdam, publié en 1904 par M. B.-W.-F. Van Riemsdyk. 

XIII. — Audience de l'ambassadeur Calkoen chez le Grand Vizir dans son Yali du Bosphore. 

H. 0,93. L. 1,28 1/2. 

XIV. — Audience d'un envoyé hollandais chez le Sultan. 

H. 0,88. L. 1,20.

Dans ce tableau mal dessiné et mal peint, il est difficile de retrouver la main de Van Mour. Peut-être n'est-ce là qu'une esquisse de l'artiste, ou même la copie d'une de ses toiles ? 

XV. — Vue de Constantinople. 

H. 1,42 1/2. L. 2,26 1/2. 

Sur une terrasse de Péra, sans doute celle du Palais de Hollande, plusieurs personnages causent en regardant le panorama qui s'étend devant eux. Les uns sont vêtus à l'européenne, d'autres habillés à la longue comme des marchands francs, d'autres ont le costume des drogmans. Près d'eux, un cheval sellé, tenu en main par un serviteur grec. 

Au premier plan, Péra et Galata ; la Corne d'Or avec la pointe du sérail, la côte de Scutari. Plus loin, avec les îles des Princes et les montagnes de Brousse, tout un paysage qui dans la pensée du peintre, doit représenter la côte d'Asie, le golfe d'Ismidt et la mer de Marmara. 

XVI. — Le Palais de Péra; vue de la façade intérieure. H. 0,71. L. 0,92 1/2. 

Est-ce l'ambassade de France ou l'ambassade de Hollande que représente ce tableau ? L'importance de ce Konak fait supposer qu'il s'agit de la première. On y voit d'ailleurs un jardin qui rappelle beaucoup celui que Tournefort admirait du temps de M. de Ferriol. 

XVII. — Portrait de Patrona, rebelle. 

H. 0,43, L. 0,35. 

XVIII. — Kalil Patrona, chef des révoltés. 

H. 1,21 1/2. L. 0,90. 

Au milieu du tableau se dresse le chef du mouvement populaire qui déposa le Sultan Ahmed III et fit monter sur le trône Mahmoud Ier. A côté de lui sont ses complices, Musla qui vendait des fruits sur le port et Ali le marchand de café. Le fond du tableau représente la cour du Sérail dans laquelle l'artiste a voulu rappeler les divers incidents de la révolte de Kalil Patrona. On voit le héros à la tête des fanatiques qu'il avait soulevés entrer dans le sérail où les femmes du palais viennent le recevoir. Des cadavres sont répandus çà et là. Un charriot vient pour les enlever. Le long des murs, les tentes des révoltés. 

A gauche, au premier plan, sur une sorte de stèle la signature du peintre avec l'inscription : Kalil Patrona, chef de la révolte arrivée à Constantinople le 28 septembre de l’année 1730. J.-B. Van Mour pinxit. 

XIX. — La révolte de Kalil Patrona. 

H. 0,64. L. 1,09. 

XX. — Les Bends ou réservoirs dans la forêt de Belgrade. 

H. 0, 70. L. 0, 84. 

XXI. — Fête sur le Bosphore. 

H. 0, 84. L. 1, 09. 

Ce tableau ressemble par beaucoup de ses détails au numéro 11, conservé au château de Beaurepaire. 

XXII. — La place de l’Atmeïdan. 

H. 0,71. L. 0,92 1/2. 

Sur la place de l'Atmeidan, l'obélisque et la colonne serpentine. A gauche, la mosquée du sultan Ahmed, à droite, des konaks. Le cortège du Grand Vizir se déroule sur la place. 

XXIII. — Le tékké des derviches tourneurs à Péra. 

H. 0,76. L. 1,01. 

XXIV. — Derviches fumant et bavant. 

H. 0,44. L. 0,54. 

XXV. — Mariage grec. 

H, 0, 68. L. 1, 03. 

XXVI. — Mariage arménien. 

H. 0, 68. L. 1, 03, 

XXVII. — Cortège de femmes et d'enfants, conduisant un enfant à l’école pour la première fois. 

H. 0,45 1/2. L. 0,59. 

XXVIII. — Scène d'intérieur. 

H. 0, 68. L. 1, 03. 

XXIX. — Scène d'intérieur. Une chambre d'accouchée. 

H. 0,68. L. 1,03. 

XXX. — Autour du tendour. 

H. 0, 55 1/2. L. 0, 68. 

Le tendour est une table carrée sous laquelle on place en hiver le mangal ou brasero. Cette table est recouverte d'un tapis qui de tous côtés tombe jusqu'à terre, et d'un autre en soie plus ou moins riche qui pare le tendour autour duquel on s'assied sur le sofa ou sur des coussins. On peut mettre à la fois les pieds et les mains sous la couverture qui, enveloppant le brasier de toute part, entretient une chaleur douce et durable. C'était autour du tendour que l'on recevait les visites ou que l'on jouait. 

XXXI. — Grecs dansant dans la forêt de Belgrade. 

H. 0,55. L. 0,68. 

XXXII. — Sur les rives du Bosphore. 

H. 0,55. L. 0,68. 

XXXIII. — Repas de dames turques. 

H. 0, 55. L. 0,68. 

XXXIV. — Scène champêtre. 

H. 0, 68. L. 1 , 03. 

XXXV. — Le Grand Seigneur. 

H. 0, 43. L. 0, 35. 

Ce portrait du Sultan Ahmed III faisait partie de la collection de portraits et de costumes orientaux commandés à Van Mour par l'ambassadeur Calkoen. Tous ces petits tableaux qui, au nombre de 32, étaient conservés au musée de Leyde, devaient ressembler beaucoup à ceux que M. de Ferriol avait rapportés en France. Plusieurs sont en effet identiques aux estampes du recueil publié en 1714, d'autres n'en diffèrent que par quelques détails. 

XXXVI. — Oham Bassi, ou chef des Missionnaires de l'Empire. 

XXXVII. — Le capitaine Aga. 

Dans le recueil de Ferriol cette planche qui porte le n° 29 est intitulée : Le janissaire Aga ou commandant des Janissaires. Elle est reproduite dans Weigel, I, n° 29. 

XXXVIII. — Le Capoudji-Bachi. 

Planche n° 15 du recueil de Ferriol, intitulée Gapidgi Bachi ou Maître des Cérémonies. Weigel, n» 15. 

XXXIX. — Sultane. 

XL. — Le Grand Vizir. 

XLI. — Moufti ou serviteur de la loi. 

XLII. — Le Capou-Aghassi. 

Planche n° 5 du recueil de Ferriol, sous le titre : Capiaga ou Chef des Eunuques blancs. Weigel, n° 15. 

XLIII. — Janissaire ou gardien de la Porte du Grand Seigneur. 

Planche n° 32 du recueil de Ferriol : Janissaire en habit de cérémonie. 

XLIV. — Le Kislar-Agassi. 

Planche n° 4 du recueil de Ferriol : Le Kislar Agassi ou Chef des Eunuques noirs. Weigel, n° 4. 

XLV. — Le Selictar Aga. 

Planche n° 7 du recueil de Ferriol : Le selictar Agassi ou porte épée du Grand Seigneur. Weigel, 1, n° 7. 

XLVI — Tchaouch ou courrier. 

XLVII. — Tchoadar ou serviteur de V ambassadeur. 

XLVIII — Saraf ou changeur du Grand Seigneur. 

XLIX. — Un paysan de la Bulgarie. Weigel, II, n° 32. 

L. — Une femme bulgare de la côte. 

Planche n° 83 du recueil de Ferriol : Fille de Bulgarie, Weigel, II, n° 33. 

LI — Un prêtre grec. 

Planche n° 67 du recueil de Ferriol. Weigel, II, n° 5. 

LII. — Un Derviche ou Saint Turc. 

Planche n° 25 du recueil de Ferriol : Dervich ou moine turc qui tourne par dévotion. Weigel, I, n° 25. 

LIII. — Une femme de l'île de Tinos. 

LIV. — Un habitant de Vile de Tinos. 

LV. — Un habitant de l'tle de Myconi. 

LVI. — Une femme de Myconi. 

LVII. — Un habitant de Sérifos. 

Planche n° 70 du recueil de Ferriol : Grec des isles de l'Archipel jouant du taboura. Weigel, il, n° 11. 

LVIII. — Une femme de l'île de Therme. 

LIX. — Un homme de Vîle de Therme. 

LX. — Un soldat albanais. 

Planche n° 78 du recueil de Ferriol. Weigel, II, n° 28. 

LXI. — Une femme de la côte d'Albanie. Weigel, II, n° 31, sous le titre: Jeune fille de la Valachie. 

LXII. — Un homme de la côte d'Albanie. 

LXIII. — Un pâtre albanais. 

LXIV. — Un habitant de Patmos. 

LXV. — Une femme de l'île de Patmos. 

LXVI. — Sultane avec son ventail. 

Planche n° 73 du recueil de Ferriol, sous le titre : Fille de Largentière. 

A ces soixante-six œuvres de Van Mour que nous avons vues en France et en Hollande, nous croyons devoir ajouter quelques toiles dont nous n'avons pu retrouver la trace et quarante-six petites peintures de costumes qui se trouvent dans l'importante collection de tableaux rapportée de Constantinople au xviiie siècle par l'ambassadeur Celsing et conservée au château de Biby, dans la province suédoise de Sudermanie, par le descendant de l'ambassadeur, M. Elof de Celsing. 

LXVII-LXXVIII. — Douze tableaux représentant les différentes manières de pêcher les poissons en Turquie et envoyés en 1725 et 1726 par l'ambassadeur de France à Constantinople au Ministre de la Marine. 

LXXIX. — L'entrée du port de Constantinople : Tableau envoyé au Ministre de la Marine, le 9 novembre 1726. 

LXXX. — Un tableau signalé par Mariette comme faisant partie du Cabinet de M. de la Morlière. 

LXXXI-LXXXV. — Caravane turque : « un des meilleurs tableaux de Valmour (sic) » 

H. 16 pouces. L. 50 pouces. 

Les mariages arméniens et grecs, deux pendants. 

H. 13 p. L. 20 1/2. 

Femmes grecques pleurant sur les tombeaux. 

Vue des environs de Constantinople. 

Pierre Auguste Guys, l’auteur du « Voyage littéraire de la Grèce », possédait ces cinq tableaux dans le cabinet dont il se défît en 1783. — Voir notre article : Un amateur marseillais au xviiie siècle. Inventaire du cabinet de Pierre-Augustin Guys. 

Revue historique de Provence. 2e année, n° 6, Juin 1902. 

LXXXVI-CII. — Seize petits tableaux représentant les principaux dignitaires et fonctionnaires de la Cour du Grand Seigneur (Collection Celsing). 

CII-CXXXII. — Trente petits tableaux représentant divers costumes par lesquels se distinguent suivant leur état, leur fonction, ou leur nationalité, les habitants de la Turquie (Collection Celsing). 

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