M. Texier présente ce qu'il considère comme les caractéristiques des mosquées de Turquie : coupoles, minarets, mirhab, décorations..., influence de Sainte-Sophie [Ayasofya]...
Extrait d'une conférence prononcée par M. Texier, extrait de
Académie des inscriptions et belles-lettres. Compte-rendus des séances de l'année 1861 par Ernest Desjardins, Cinquième année, Tome V, Paris, Auguste Durand, 1862
Il y a longtemps qu'on a dit que les Turcs n'avaient point d'architecture originale, et que les descendants des tribus tartares élevées sous la tente du nomade s'étaient bornés à reproduire les types des monuments arabes ou byzantins ; mais, chez les Arabes eux-mêmes, Mahomet n'avait point prescrit de forme spéciale pour les lieux consacrés à la prière; aussi, les premiers djami [cami] (lieux d'assemblée) étaient-ils des enceintes carrées sur un côté desquelles était une pierre debout indiquant l'orientation vers la Mecque. Plus tard, ils firent autour de l'endroit consacré de vastes portiques entourés de pilastres ou de colonnes ; au milieu était une cour appelée harem (lieu fermé). La niche indiquant la direction de la Mecque était désignée sous le nom de mihrab. Ils imitaient, dans cette disposition et dans les ornements décoratifs, les monuments égyptiens et byzantins. Un grand nombre de mosquées arabes et turques, construites sur le mode primitif, subsistent encore au Caire, à Adana, à Tarsus, à Alger, à Tlemcem ; elles sont toutes antérieures à la prise de Constantinople, en 1453.
La seconde époque de l'architecture musulmane, qui commence avec l'empire des Seldjoucides, des églises chrétiennes byzantines ayant été converties en mosquées, on vit se multiplier les édifices du culte mahométan sur le modèle de ces anciennes églises ; le pendentif n'y est pas encore bien accusé, la coupole est basse et percée de fenêtres, les ornements sont de style arabe. Exemple : les mosquées d'Iconium [Konya], celles du sultan Mourad et du sultan Bayazid à Brousse [Bursa]. Cependant, Mahomet II s'étant emparé de Constantinople, une révolution importante se produisit dans l'architecture musulmane. Sainte-Sophie, appropriée au culte de l'Islam, devint le modèle unique de toutes les mosquées de l'empire. On ne peut citer aucune mosquée datant d'une époque postérieure à 1453 qui soit bâtie en portiques, et toute mosquée dont le dôme est percé de fenêtres est certainement postérieure à cette date.
Quant aux minarets, tours carrées ou rondes qui accompagnaient le corps principal de l'édifice, et qui donnent tant d'élégance et de caractère aux villes de l'Orient, ils sont d'une origine antérieure, et ils paraissent avoir été importés chez les Turcs par les architectes persans, qui les avaient imités eux-mêmes des minarets de l'Inde. Mahmoud le Ghasnévide (997-1028) passe chez les Orientaux pour l'inventeur de cette forme de minaret ; mais il régnait, comme on sait, en Perse. Les Mongols et le prince Djiham-Schah, qui bâtit à Tabriz cette magnifique mosquée émaillée, avaient transporté le goût de ces constructions dans toute la Perse, où elle ne cessa de dominer depuis. Les Turcs ont toujours suivi ce modèle.
Quant à l'arc aigu des Turcs, ce n'est pas une ogive engendrée par l'intersection des cintres, mais c'est un arc plein dont la partie aiguë est produite par deux tangentes. Ils ont rejeté l'arc en fer à cheval, c'est-à-dire à centre surhaussé, qui est si répandu dans le monde arabe et byzantin.
La grande mosquée Oulan Djami [Ulu camii], à Brousse [Bursa], fondée par le sultan Mourad (Amurat I, 1360-1389), continuée par Bayazid (Bajazet I, Ilderim, 1389-1402), et terminée par Mohammet I (Mahomet I, 1413-1421), forme un vaste quadrilatère de 500 mètres de côté, divisé à l'intérieur en 25 compartiments, chacun couronné par une coupole, à l'exception de celui du milieu, qui est à ciel ouvert et distribue la lumière dans tout l'édifice. Au milieu de cette petite cour intérieure est un bassin de marbre alimenté par une fontaine d'une eau limpide. Une grille de bronze en ferme l'entrée aux oiseaux. Les murailles du pourtour sont percées de fenêtres correspondant à chaque travée. Deux grands minarets s'élèvent à droite et à gauche de la porte principale. A l'intérieur, la chaire à prêcher, ou minaber, était l'œuvre d'un sculpteur renommé. Les piliers étaient décorés d'arabesques entrelaçant les suza du Coran qui célèbrent les vertus d'Allah ; ces ornements ont disparu sous le badigeon. Enfin, la niche appelée mihrab est orientée vers la Mecque. Tel est l'édifice qu'on peut considérer comme le type de l'architecture des Turcs pendant la période qui sépare la fondation de leur empire en Asie Mineure de la prise de Constantinople.