Les mythes survivent et sont célébrés. Quitte à subir des tansformations. Ainsi en est-il de Şahmeran (Shahmeran). C’est une divinité ancienne, connue chez les Scythes. Elle a un visage de femme et un corps de serpent. Ici, sur une place de Tarsus, près du vieux hammam, on dresse une statue au berger qui l’a rencontré. Pourquoi son corps ruisselant se couvre-t-il d’écailles ? Ecoutons l’histoire.
[Bir varmış, bir yokmış, eski zamanda birisi varmış… c'est ainsi que commence les contes en Turc].
Un jour, un paysan du nom de Djansab, descendit dans l’effondrement d’une cavité pour y recueillir le miel d’une ruche.
S’avançant au fond de la caverne, il découvrit par hasard l’entrée de la demeure de Şahmeran, la reine des serpents. Mais à peine tentait-il de se faufiler qu’il fut capturé , et conduit devant Şahmeran.
Elle laisse la vie sauve au jeune homme, à condition qu’il reste à jamais auprès d’elle.
Un jour pourtant, touchée par ses supplications incessantes, elle accepte de libérer Djansab et l’autorise à revenir sur terre. Mais elle lui fait promettre de ne rien révéler des secrets qu’il a pu apprendre dans le monde souterrain. Et surtout de ne plus jamais se rendre au hammam, où sa peau se couvrirait immédiatement d’écailles.
Revenu parmi les siens, Djansab reprit ses tâches quotidiennes et garda le secret.
Pendant ce temps, le sultan, maître des vivants, tomba malade.
Les médecins convoqués déclarèrent qu’il n’y avait d’autre remède que la chair de Şahmeran, la reine des serpents. Et l’astrologue, après avoir consulté les planètes, affirma qu’il y avait à la campagne, un homme qui savait où elle avait élu son empire.
Aussi les soldats furent envoyés dans toute la région pour trouver cet homme. Chaque paysan fut contraint de se plonger dans l’eau du hammam. Car on savait bien ce qui adviendrait à celui qui avait vu Şahmeran : sa peau se couvrirait aussitôt d’écailles. Et il suffirait alors de le faire parler pour découvrir la demeure secrète de la reine des serpents.
Djansab évita autant qu’il put de se faire arrêter. Mais les mains des soldats finirent par s’abattre sur ses épaules. Et lui aussi fut conduit de force au hammam. Ce qui devait arriver arriva. Sa peau se couvrit immédiatement d’écailles. Et sous la torture il finit par dire où se trouvait Şahmeran.
Alors les humains s’emparèrent de la reine des serpents. On la tua, on la découpa, et le sultan put en manger les morceaux. Au bout de trois jours et de trois nuits celui-ci fut guéri.
Aussi Djansab fut-il récompensé, et le sultan le nomma vizir.
Les serpents cherchent en vain leur reine. Ils ne surent jamais rien de la trahison de Djansab. Mais on dit que si un jour ils l’apprennent, alors ils sortiront de terre et tueront tous les hommes.
© JJB 06-2010