Des récits légendaires entoure les débuts de l'empire ottoman, récits qui ne sont pas sans rappeler les cultes chamaniques d'Asie d'où sont originaires les populations turques et où le cerf joue un rôle important.
Les babas et les abdals sont des personnages saints de l'Islam. Deux babas, Geyikli Baba [père des cerfs, 1275-1350], Doğlu Baba [père potier], ainsi que deux abdals, Abdal Murat et Abdal Musa, auraient accompagné le sultan ottoman Orkhan [ ou Orhan Gazi, 1281-1362] dans son expédition contre Bursa, en 1326, et on leur attribua le succès de l'expédition. Le conquérant manifesta sa reconnaissance par la construction, à Bursa, de tombeaux où auraient été déposés leurs restes.
Abdal Murat vivait parmi les cerfs et les biches tandis que Abdal Musa ne se nourrissait que de lait caillé. Selon la tradition, Geyikli baba aurait combattu à la tête de l'armée assiégeante, monté sur un cerf et armé d'un sabre de près de cinquante kilos ; Abdal Murat aurait fait des miracles avec un sabre de bois long de plus de trois mètres, et Abdal Musa aurait ramassé des charbons ardents avec du coton, allusion aux deux qualités dominantes du derviche, la force et la douceur.
Le père des cerfs, d'origine persane, vivait en ermite, au milieu des cerfs et les daims, dans les forêts de l'Olympe de Bithynie [Uludağ], d'où il ne descendait que sur l'invitation d'Orkhan. Suivant la tradition, il se rendit un jour au palais du sultan monté sur un cerf et portant sur l'épaule une branche de platane, qu'il planta dans la cour, comme symbole de la prospérité de l'empire, qui, disait-il, prendrait racine comme cet arbre, étendrait au loin ses rameaux et s'élèverait jusqu'au ciel. Le palais d'Orkhan, à Bursa, ainsi que le platane qui fut longtemps considéré comme sacré et protégé de Dieu, ont été détruits par des incendies.
Abdal Murat fut engagé par Orkhan et se mit à la tête d'un corps de ses troupes ; il fit des prodiges avec son sabre de bois, dont la longueur faisait écho au poids de celui du père des cerfs. Avec cette arme, il combattit les infidèles, mais aussi d'énormes serpents qui infestaient le pays.
Statue à Geyikkoşan, Mer noire
Geyikli baba est en quelque sorte le Saint-Georges et le Roland furieux des Ottomans. Lorsque, pour rendre un hommage public à la croyance populaire, Soliman le Magnifique visita le tombeau de ce religieux, il fit couper un tiers du sabre et déposer ce qu'il en avait coupé dans la trésor du palais de Topkapi, à côté des armes du Prophète, et de celles de ses successeurs. Quelques voyageurs européens, nous dit l'historien Hammer-Purgstall, ont cru reconnaître dans le sabre du derviche l'épée de Roland, et ont imaginé que cette épée, la terreur des Musulmans, était vénérée par eux.
D'après Hammer, Histoire de l'empire ottoman, 1827-1834