L'hygène est très importante pour les Turcs, et les bains "un besoin aussi indispensable que les fontaines et les cafés". Jusqu'à la fin du XXe siècle, c'est au hammam, les bains publics, que chacun va se laver et se détendre.

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Intérieur d'un hammam, carte postale colorisée du début du XXe siècle

"Le bain est pour l'Oriental, un besoin aussi indispensable que les fontaines et les cafés. Les bains de Constantinople sont construits dans le même style que ceux de Byzance, quelquefois même ils s'élèvent sur  le même emplacement. On compte environ deux cents Hammams ; le traitement auquel on s'y soumet est étrange, mais sain : on quitte ensuite la maison entièrement frais et dispos, comme animé d'une vie nouvelle. Mahomet II construisit les Bains Enfoncés sur le même emplacement que les Thermes de Constantin, près de la Shah-zadé ; c'est le bain le plus ancien de la ville, servant pour les personnes des deux sexes ; on y trouve encore la même disposition intérieure que dans les bains antiques : apodytérium, caldarium, tépidarium. Ainsi que l'indique le nom de Bain Enfoncé, il est situé beaucoup plus bas que le niveau de la rue. C'est une construction noircie par les siècles, à la porte d'un brun rouge, maintenant murée."
extrait de H. Barth, Constantinople, 1913.

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Homme portant des takunya (sandales de bois).

Ces hommes portent des  pestamal
autour de leur taille.

 

Le rituel du hammam

Extrait de A. Brayer, Neuf années à Constantinople..., 1836

L'auteur, qui est médecin, livre ici (dans les années 1830) une description très détaillée de son passage au hammam qu'il considère comme un modèle d'hygiène. Le rituel est de nos jours très proche de ce qui est décrit. Seuls les sandales de bois ont disparu au profit des sandales de plastique.

"Quel voyageur, ayant visité Constantinople, n'a pas été, au moins une fois, aux bains turcs, et n'en est pas sorti heureux d'une plénitude d'existence qu'il ne connaissait pas auparavant ? [...] Je le dis à regret, il règne dans tout l'occident de l'Europe un esprit de saleté incroyable. Ne pourrait-on pas en trouver la cause dans cet esprit de mélancolie religieuse qui, en présence du luxe, des désordres, des vices et des crimes dont la terre était couverte au temps de Tibère et de ses successeurs, fit consister la vertu dans l'abnégation de tous les plaisirs charnels comme indignes des hautes destinées auxquelles l'homme est appelé ? Les bains, regardés comme indécents, comme pouvant apprivoiser l'homme avec lui-même, semblent avoir été proscrits dans l'Occident depuis cette époque, c'est-à-dire depuis près de dix-huit siècles [NDLR : en réalité, au début du Moyen-Âge, les bains existaient] . Comment, en effet, pouvaient-ils s'allier avec la solitude, les macérations, la cendre, le cilice et la haire ? Aussi les salles de bain n'ont jamais, que je sache, fait partie des cloîtres et autres établissements anciens, pas plus qu'ils ne le font des congrégations, couvents et séminaires de notre époque. Essayons de vaincre les scrupules des uns en leur montrant que la plus grande décence peut accompagner l'usage des bains même publics, et l'insouciance des autres en leur rendant sensibles tous les avantages qu'en retirent les personnes qui, au lieu d'en abuser, en font un usage hygiénique.
[L'auteur annonce qu'il va, contrairement à ses contemporains voyageurs, décrire précisément les bains]
[...]

Je me rendais de préférence à un des bains de Péra, situé derrière Galata-Sèraï. Comme celui-ci servait alternativement aux hommes et aux femmes, il fallait y aller à trois ou quatre heures du matin en été, à cinq en hiver. Mon drogman m’y accompagnait toujours.

Préparation

Dès que nous sommes entrés dans la pièce, le hammandgi (chef du bain) indiqua à un des garçons de service les lits qu'il nous destine. On nous y conduit. Cette salle est vaste, ordinairement carrée. Une fontaine se trouve au milieu. Sur les côtés règne une estrade élevée de deux pieds au moins au-dessus du sol et large de quatre environ, sur laquelle sont étendus des coussins et de petits matelas. On y monte et l'on se déshabille. Les vêtements sont réunis et portés au dépôt. On se place ensuite autour des reins une serviette qui descend à mi-jambe [pestamal - voir l'illustration ci-dessous] ; le garçon vous en met une autre pliée en huit sur la tête. Au bas de l'estrade sont des sandales que de petits chevalets de bois élèvent à deux pouces du plancher [en Turc, takunya - voir l'illustration ci-dessous], et qui tiennent aux pieds au moyen d'une courroie.

Ainsi préparés on se rend dans une pièce de petite dimension où la chaleur est déjà plus forte. C'est là que l'on attend plus ou moins longtemps suivant que la peau est plus ou moins perméable. Elle se couvre peu à peu d'une rosée légère, dont les gouttelettes, à peine perceptibles, restent quelque temps isolées, se réunissent enfin, et la sueur ruisselle bientôt jusqu'aux pieds.

Alors on entre dans la pièce voisine, voûtée et éclairée par en haut au moyen de verres ronds et nombreux, placés dans la coupole. La chaleur en est beaucoup plus élevée que dans la précédente. Au milieu, à deux ou trois pieds au-dessus du sol, se trouve une grande plaque de marbre blanc, chauffée en dessous par un four dont l'ouverture est en dehors de la salle. On s'assied, et, en attendant son tour, on fume une pipe et l'on prend une tasse de café. A ce degré de température la fumée du tabac n'a plus le même goût ; il en est de même du café ; l'un et l'autre font éprouver une sensation qui me parut désagréable.

Un massage très énergique

Enfin le masseur arrive ; c'est ordinairement un Arménien, quelquefois un Grec, et presque toujours un individu très maigre, probablement à cause du pénible service qu'il fait ; il est nu jusqu'à la ceinture. Il pose sa main sur vos bras, vos épaules, et juge si la peau est au degré nécessaire d'épanouissement et de transpiration. On se met alors à la renverse sur la table de marbre. Si elle est trop chaude, on place sous sa tête la serviette pliée en huit dont j'ai parlé précédemment. Pour m'y être étendu sans précaution j'ai éprouvé pendant plusieurs jours une cuisson à l'angle inférieur de l'omoplate.

Vous voici maintenant dans les mains du masseur. La première chose qu'il fait généralement est de vous frapper la cuisse ou l'épaule de telle manière que l'air comprimé résonne dans la salle ; si le bruit est fort, c'est un bon signe ; il commence ses manoeuvres.

Le massage consiste à presser fortement en glissant, avec la main nue, les différents muscles du corps, à saisir les plus épais avec les doigts, à les malaxer, les pétrir pour ainsi dire. Cette opération est pénible surtout lorsque le masseur arrive au muscle sterno-cleïdo-mastoïdien. Au lieu d'agir suivant la longueur de ses fibres, il presse suivant la largeur de ce trousseau fibreux et en écarte les deux parties l'une de l'autre. J'avais beau lui recommander d'aller dans une direction contraire, il ne me comprenait pas ; il avait massé ainsi depuis qu'il était garçon de bain et personne ne s'en était plaint. Une autre manoeuvre m'a fait éprouver plus de douleur encore, c'est le coup de grâce. Après avoir tourné et retourné le patient sur le dos et sur le ventre et en avoir massé tous les muscles, le garçon lui croise les bras l'un sur l'autre, de manière que la main droite embrasse l'épaule gauche et la main gauche l'épaule droite ; ensuite il appuie à plusieurs reprises vigoureusement son genou sur l'entre-croisement des bras, et fait craquer toutes les articulations qui se trouvent intéressées. [...] Ces opérations durent un quart-d'heure, quelquefois plus, et, tout bien considéré, ne m'ont pas paru fort agréables.

Frictions

Il n'en est pas de même des frictions. Après quelques minutes de repos on passe dans une autre pièce et dans les mains d'un autre garçon ; il vous place auprès d'un des robinets qui donnent issue à l'eau chaude et à l'eau froide. Pour débuter, il verse sur la tête coup sur coup, une demi-douzaine d'écuellées d'eau chaude ; puis la main droite armée d'un gant de crin quelquefois assez rude, il frictionne successivement et avec force les bras, les cuisses et les jambes , la partie antérieure et postérieure du thorax, le front, le nez et les oreilles. [...] On est étonné de voir tant de saleté trouvée sur un individu en apparence très propre.
Cependant le garçon renouvelle ses aspersions d'eau chaude et ses frictions avec le gant de crin jusqu'à ce que les sels, la crasse, les vieux épidermes aient si bien disparu que le tissu qui reste suffit à peine pour empêcher le sang de franchir ses extrémités artérielles. [...]

Au bout de quelques instants on est mené dans une autre salle. Là, placé près d’un robinet, on est arrosé de la tête aux pieds avec de l’eau dans laquelle on a dissous du savon de Candie ; puis, avec une poignée de fine étoupe, le garçon vous frotte légèrement tout le corps et les articulations. Il remplit ensuite une écuelle de cette eau savonneuse, la dépose à vos pieds et s’en va sans dire mot. L'étranger qui n’en devine pas l’usage en est bientôt instruit en voyant un autre baigneur s’en servir pour se laver les parties secrètes, et il en fait autant.

Détente

A peine ces ablutions sont-elles finies qu’un autre garçon se présente avec six ou huit serviettes. Il en place une autour de vos reins, tandis que vous laissez tomber celle qui a servi jusqu’à présent et qui est toute mouillée. Avec une autre il enlève l’humidité de la tête, de la poitrine et des extrémités supérieures et inférieures. Ensuite il en pose une sur la poitrine, une sur le dos, une autre sur la tête, puis vous conduit à la grande pièce d’entrée. Là, sur l’estrade où vous vous êtes déshabillé, vous trouvez, outre le paquet qui contient vos vêtements, un lit préparé pour vous recevoir. Il est beaucoup trop court pour qu’en puisse s’y étendre ; on y est sur son séant, soutenu par des coussins plutôt que couché. Le but de cette forme de lit est de tenir la tête élevée pour éviter toute congestion cérébrale. Dans les premiers moments de repos la face est vultueuse,  les yeux injectés et brillants, le pouls fréquent et  plein, la transpiration abondante; bientôt ces phénomènes diminuent et un doux sommeil enchaîne les sens. Une demi-heure s’est à peine écoulée que le même garçon revient, enlève les serviettes humides qui vous entourent et les remplace par de nouvelles. On vous offre de nouveau la pipe et le café. Enfin, lorsque la chaleur du corps est à peu près redescendue à la température ordinaire, ce qui exige une autre demi-heure et quelquefois plus, on s’habille lentement, et l’on appelle le garçon de service à qui on remet le prix du bain sur le miroir qu’il présente pour qu’on s’y regarde.
Toujours la décence la plus grande préside aux divers actes des baigneurs, et quoiqu’ils soient souvent nombreux on entend à peine parmi eux le plus léger murmure.

Gratuité pour les pauvres

Le prix varie considérablement : le Musulman, qui n'y vient que pour la lotion, ne paie que cinq para ; les Grecs et les Arméniens, qui s'y rendent plus rarement et se font masser et frictionner, paient de cinquante à soixante para ; le Franc, que l'on y voit moins souvent encore, paie ordinairement mieux que les autres. Mais que fera le pauvre, celui qui n'a pas même un para à donner et qui plus que tout autre a besoin de se laver fréquemment ? La piété musulmane y a pourvu : il entre, se lave ; il est quelquefois massé, frictionné ; il prie Dieu pour le fondateur de l'établissement, salue le hammandgi et s'en va.
[...]

Un modèle pour la France

Les bains tièdes ordinaires usités en France et ailleurs ne remplacent que très imparfaitement les bains turcs ; on en sort à moitié décrassé. Quoique le prix en soit bien diminué depuis quelques années, ils sont encore beaucoup trop chers pour les classes ouvrières qui en ont le plus de besoin. Espérons que l'industrie, qui chaque jour fait des progrès si rapides dans les arts et les sciences, trouvera le moyen de populariser la propreté dans l'occident de l'Europe et de contribuer à la santé et au bonheur de ses nombreux habitants."

Extrait du Guide Joanne "De Paris à Constantinople", 1886

Bains turcs. — Les Orientaux ont construit partout des bains qui ont conservé les dispositions des thermes antiques. Ils se composent de plusieurs salles avec des fontaines ou bassins entretenus à des températures différentes au moyen d'un hypocauste et de tuyaux de chaleur disposés dans l'épaisseur des murailles. Ces salles sont souvent recouvertes de coupoles élégantes éclairées par le haut au moyen de nombreux verres ronds enclavés dans la coupole.

Ces établissements sont ordinairement composés de trois pièces. La première, appelée muchéllah, sert de vestiaire. Après s'être déshabillé, le baigneur, la tête entourée d'une sorte de turban de coton, couvert depuis la ceinture d'une pièce de cotonnade serrée à la taille, hissé sur des patins dont la semelle repose sur des planchettes de 6 à 8 centimètres de hauteur, soutenu par le garçon qui doit le servir, est conduit dans une seconde salle. Là, l'air est déjà saturé de vapeur d'eau à un degré élevé, et, dès cette première épreuve, quelques Européens éprouvent de la difficulté à respirer. Un séjour de quelques minutes habitue à cette température, et l'on est bientôt après conduit dans une troisième salle. La difficulté déjà éprouvée se présente ici plus forte ; mais, comme précédemment, les premiers instants donnent seuls quelque inquiétude. On est conduit progressivement dans la partie la plus chaude de la pièce, auprès du fourneau ménagé au centre du local, mais au-dessous du sol, et au moyen duquel l'eau se vaporise. Dans cette atmosphère, une transpiration abondante ne tarde pas à se déterminer. Le garçon vous plonge à plusieurs reprises le corps et même la tête dans un bassin d'eau brûlante. C'est à cette période que commence le massage. Ce n'est pas sans angoisse ni sans douleur que le baigneur inexpérimenté sent craquer, sous l'effort du masseur, les articulations de ses épaules et de ses bras, et enfin de ses vertèbres. Mais on se rassure bientôt, et la transpiration croissant, la friction commence. Elle se fait avec un gantelet de poil de chameau, et ne tarde pas à produire ces rouleaux longs et grisâtres que nous nommerons, après Théophile Gautier, des « copeaux balnéatoires ». Des immersions d'eau tiède et un lavage au savon suivent cette opération, après laquelle, traversant en sens contraire les transitions de température déjà décrites, on revient à la place où l'on a déposé ses vêtements. Là, entouré de chaudes couvertures, moelleusement allongé sur un lit, ranimé par la limonade glacée, le café, le narghilé, on éprouve cet état particulier auquel les Orientaux ont donné le nom de kief, sorte de rêverie somnolente, de jouissance négative, dont l'expérience seule peut faire apprécier les charmes. 

Les bains sont, à certains jours ou à certaines heures de la journée (l'après-midi), réservés aux femmes.

 

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