L'histoire terrible et merveilleuse de l'enlèvement d'Europe par Jupiter est l'une des très nombreuses fables racontée par le poète latin Ovide [43 av. J.-C.-17 apr. J.-C.], au deuxième livre du long poème épique Les Métamorphoses, du vers 847 au vers 867.  

Ovide reprend à son compte l'histoire, empruntée à la mythologie grecque, telle qu'elle avait été déjà racontée une centaine d'années auparavant, par un certain Moschos de Syracuse, poète bucolique grec, lui-même empruntant le sujet de son poème à un ouvrage longtemps attribué à Hésiode, écrivain très antérieur, du IXe siècle av. J.C.

L'ouvrage d'Ovide, qui deviendra vite très célèbre, commence à être rédigé tout à la fin du dernier siècle avant J.-C., avant que son auteur, alors proche des cercles du pouvoir, ne soit en l'an VIII, brutalement relégué au plus loin et à jamais, sur ordre de l'empereur Auguste, à Tomis en Scythie mineure [aujourd'hui Constanța, en Roumanie], sur les bords de la Mer Noire. 

L'impérieux désir de Jupiter

Tournant son regard vers la Phénicie [aujourd'hui le Liban] Jupiter a ordonné qu'on fasse descendre du gazon de la montagne des environs de la ville côtière de Sidon [aujourd'hui Saïda] le troupeau royal en train de paître.

C'est que des hauteurs du ciel, il a aperçu, jouant au bord de la mer, avec ses compagnes de la ville de Tyr [aujourd'hui Şūr], la plus ravissante des filles du roi Agénor, maître des lieux. 

Elle s'appelle Europe. Rien qu'en la voyant Jupiter a ressenti pour elle le plus violent des désirs.

L'apparence trompeuse du taureau

Alors, quittant les hauteurs de l'Olympe, dépouillé de tous les attributs de sa majesté, et se métamorphosant, Jupiter, revêtant l'apparence trompeuse d'un taureau blanc, se mêle au troupeau. Comme le dépeint Ovide : « Il mugit et promène sur le tendre gazon ses formes gracieuses. Sa blancheur égale celle de la neige […], son col est droit et musculeux ; son fanon pend à large plis sur sa poitrine. […]. Son front n'a rien de menaçant ; son œil rien de terrible ».

Europe apprivoisée

Europe, d'abord craintive, finit par s'approcher de la bête qui se couche, « faisant éclater sur le sable doré la blancheur de ses flancs ». Elle présente des fleurs à sa bouche. Peu à peu rassurée, elle va même jusqu'à flatter la poitrine de l'animal. Elle enlace ses cornes de guirlande de fleurs. Et, ignorant le travestissement, elle ose même se placer sur son dos.

L'enlèvement vers la Crète

Alors Jupiter, sous la forme du taureau, quittant les bords de la plage, avance peu à peu ses pas dans les flots, et finalement emporte sa proie en pleine mer.  

Cédant à la violence de son ravisseur, Europe « tourne ses regards vers le rivage qui s'éloigne ; sa main droite tient la corne du taureau, la gauche s’appuie sur son dos, et les plis onduleux de sa robe flottent au gré des vents ». 

Bientôt Jupiter et Europe, mille kilomètres plus loin à l'ouest, aborderont l'île fertile de la Crète.

Quelques références littéraires

L'Enlèvement d'Europe par Jupiter est un thème souvent exploité dans la littérature antique. Ovide lui-même le reprend dans les Fastes : « Jupiter autrefois se changea en taureau pour enlever sur sa croupe une jeune fille de Tyr; son front déguisé s'arma de cornes menaçantes. D'une main la jeune fille a saisi le cou de l'animal, de l'autre elle retient ses vêtements; sa crainte même la rend plus belle; le vent soulève les plis de sa robe; le vent se joue dans sa blonde chevelure ».

Horace [65-8 av. J.-C.], dans une de ses Odes, rédigée quelques années auparavant, en 23 av. J.-C., avait écrit « quand la blanche Europe eut osé s'asseoir sur le taureau perfide, bientôt l'aspect de la mer avec ses monstres bondissants, ses abîmes entr'ouverts, fit pâlir son audace. Naguère, dans les prairies, tout occupée des fleurs et du soin d'en former des couronnes pour s'acquitter envers les Nymphes, elle ne vit plus, à la sombre lueur de la nuit, que les astres et les flots ».

Déjà Hésiode, huit siècles av. J.-C., dans ses Fragments, évoque Europe « traversant l'onde amère domptée par les ruses de Zeus ». 

Et par dessus des milliers d'années, pour en venir à nos temps plus proches, jusqu'à Arthur Rimbaud, évoquant dans un poème au parfum érotique : « Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant / Le corps nu d'Europe, qui jette son bras blanc / Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague ». 

Des mosaïques en France

Depuis la représentation d'Europe chevauchant le taureau, sur une plaque de terre cuite ornant à l'origine l'architrave d'un temple à Sélinonte, sur la côte sud de la Sicile, au VI ème siècle avant J.-C., le thème de l'enlèvement par Zeus, chez les Grecs, ou par Jupiter chez les Latins, n'a cessé d'être repris de siècle en siècle.

Sur des vases et des coupes à figures rouges [Kunsthistorisches Museum, à Vienne en Autriche], sur des peintures murales [à Pompéi], sur des mosaïques. Pour ces dernières, on en connaît au moins une vingtaine.

On peut en voir certaines dans des musées en France. Ainsi au Musée départemental Arles antique, exposant une mosaïque d'une villa romaine des environs de Saintes-Marie de la Mer (environ 200 av. J.-C.). La mosaïque de la Villa San Marco (du 1er siècle ap. J.-C.) exposé au Musée Condé du château de Chantilly. Ou encore au Musée archéologique de Nîmes, où la représentation du taureau se termine par le corps d'un monstre marin.

Taureau et Néréides

Au fur et à mesure des siècles qui passent, la représentation de cet enlèvement évolue. Au début, il est décrit une traversée solitaire : après le rapt, Europe est seule, effrayée et cramponnée au cou de la bête. 

Mais peu à peu la mer se peuple de poissons et de dauphins. Ce qui s'apparentait à un viol, devient séduction partagée. Les Néréïdes, filles de Nérée, le Vieillard de la mer et de l'Océanide Doris, forment alors, au cours de ce périple maritime, un heureux cortège de divinités se mêlant aux monstres aquatiques. 

Lucien, écrivain latin, né  à Samosate [aujourd'hui en Turquie] vers 120 apr. J. -C., dans ses Dialogues marins, témoigne de l'évolution en ce sens. Lorsqu'il évoque le long voyage d'Europe, de la Syrie à la Crète, il ne songe plus à un viol, il dépeint au contraire le bonheur d'un cortège nuptial : « Les Tritons et tous les autres habitants des mers [...] dansaient autour de la jeune fille. Neptune, monté sur son char, ayant à ses côtés Amphitrite, conduisait cette troupe, le visage rayonnant de joie, et frayait la route à son frère qui fendait les flots. Enfin arrivait Vénus qui, portée par deux Tritons, et couchée dans sa conque, jetait des fleurs de toute espèce sur la jeune épouse ».

Sur cette mosaïque, datant du deuxième/troisième siècle apr. J.-C., placée au rez-de-chaussée du Musée des mosaïques, on voit, exceptée la totalité de sa bordure, l'ensemble des figures qui la composent. D'assez grande taille [1024x533], elle appartenait à une des maisons de la zone B. Elle a été déposée seulement le dernier jour qui a précédé la mise en eau du barrage. 

Ce détail nous donne à voir, à peine tourné sur notre droite, et donc en réalité sur sa gauche, le calme visage d'Europe. Selon le canon pictural, toujours respecté, quelle que soit l'époque, l'héroïne lève le pan de son himation, porté sans attache, que le vent du large fait gonfler comme une voile de bateau au dessus de sa tête.

Les cheveux, également selon la tradition, s'enroulent en chignon autour de sa nuque.

Attachée par une fibule, la tunique colorée qui l'enveloppe, légèrement décentrée laisse apparaître un sein haut placé.

Dans les versions anciennes de la fable, c'est vraiment le taureau le personnage principal. Puisque cette bête est l'incroyable travestissement derrière lequel se cache Zeus [autrement dit Jupiter pour les Latins], désireux d'approcher et de s'unir à la charmante Europe.

Ici il n'occupe qu'une place à la marge. Il a perdu de sa superbe. Il ne mâche plus des crocus odorants, ses cornes recourbées ne font pas songer à l'arc arrondi de la lune, il ne porte même pas sur son front les guirlandes de fleurs qu'on lui offrait jadis en hommage. 

Le dauphin bondissant, occupant à lui seul, tout un coin de la mosaïque, indique bien la place prise par l'élément marin dans la transcription tardive de cette Métamorphose.

L'animal est réalisé à partir de pierres verdâtres avec quelques rubans de tesselles rouges disposées pour accentuer la ligne sinueuse du corps.

La queue, en forme de lotus, s'épanouit, avec une alternance de lignes sombres, brunes, et rouges. Deux lignes de tesselles noires soulignent le contour de la bête. Les petits cubes de pierre, qui forment le corps, sont placées selon ma même courbe sinusoïdale renforçant l'impression d'un mouvement tout à la fois puissant et gracieux.

Dans beaucoup de peintures et de mosaïques le dauphin accompagne Neptune ou Vénus.

Certes le cartel apposé près de cette mosaïque indique seulement comme titre : L'enlèvement d'Europe. Mais la composition de l'ensemble met sur le même plan, sur la droite du visiteur, le personnage mythique d'Europe, et sur la gauche, une autre femme nonchalamment appuyée sur la croupe d'un animal fantastique. 

C'est, avec son pelage jaune tacheté de rosettes noires, prête à bondir et toute rugissante, une panthère ailée. La panthère, on le sait, a partie liée avec Dionysos qui la chevauche, ou la tient en laisse dans les cortèges, tandis que de sa peau il se fait un manteau.

Mais ici le personnage, tel qu'il est vêtu, resemble assurément plutôt à une femme. Ne pourrait-elle être pas Aphrodite [Vénus], déesse de l'amour, celle qui préside aux unions, sinon durables, tout au moins heureuses. Europe enlevée sera bientôt par Jupiter abandonnée.

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