Izzet Molla (ou Keçecizade Izzet Molla) (1785-1829) est considéré comme un des réformateurs de la poésie turque. Nombre de ses poèmes furent écrits dans une langue pure, contrairement à la poésie ottomane pleine de mots et de tournures persanes.

Nous présentons ici la notice publiée par Michaud en 1858 et des notes d'après Gibb.

Izzet-Mollah (ou Keçecizade Izzet Molla), poète turc (1785-1829), né à Constantinople sous le règne de Sélim III, appartenait au corps des ulémas ou des gens lettrés, et remplit plusieurs charges de la magistrature ottomane. Sa réputation de poète commença avec le règne de Mahmoud. Il reste de lui plusieurs vers adressés au sultan, car le sultan passait pour aimer la poésie, surtout lorsqu'elle chantait ses louanges. Izzet est l'auteur d'une longue inscription en vers, qui se trouve écrite en lettres d'or sur le Bend ou aqueduc de Belgrade, près de Stamboul. Cette inscription, dont plusieurs voyageurs ont parlé, n'est autre chose qu'un éloge emphatique du sultan Mahmoud.

« Passant, ouvre la clef de cette source pure et limpide qui ne tarit point, et prie Dieu pour le sultan Achmet. »

Les poésies d'Izzet l'avaient fait accueillir au sérail, et lui avaient donné un fort grand crédit; mais une circonstance dans laquelle il déploya un noble caractère lui fit perdre tout à coup la faveur dont il jouissait à la cour impériale.

Voici le fait : lorsque la révolution de la Grèce eut éclaté, les ministres ottomans voulurent détourner Mahmoud de déclarer la guerre à la Russie, et, pour réussir dans leur dessein, ils s'adressèrent au poète Izzet-Mollah, comme le seul qui fût capable de faire entendre la vérité au sultan. Izzet ne se dissimula point le danger, mais il n'en accepta pas moins la mission honorable qu'on lui proposait, et il adressa des supplications poétiques au trône impérial. Pour toute réponse, on lui envoya l'ordre de garder les arrêts dans sa maison. Lorsque, plus tard, la Porte publia son manifeste contre la Russie, le patriotisme d'Izzet-Mollah lui inspira un nouveau poème, le meilleur, dit-on, qu'il ait composé; il fut exilé à Sivas. Izzet, après être resté quelque temps dans l'exil, fit parvenir au sultan un poème dans lequel il déplorait sa disgrâce et sa misère ; dans cette élégie, il se plaint d'avoir perdu la présence du sultan et d'être jeté sur la terre lointaine de Sivas.

« Semblable au derviche en voyage, la tasse des offrandes à la main, il a couru longtemps les monts et les vallées, depuis qu'il a été arraché aux-douceurs (le sucre candi) de la présence impériale ; sa douleur est si grande qu'elle suffirait pour convertir en poison un champ de « cannes à sucre. »

« Ne pouvant plus me voir, ajoute le poète, au miroir de cette ombre de Dieu, il me semble que je n'ai plus rien de la noble face de l'homme. Ce qui est arrivé à Adam, le père du genre humain, m'arrive de même ; nous avons quitté tous les deux les délices du paradis pour une terre inculte et sauvage. »

Ces fragments peuvent donner une idée de la poésie et du talent d'Izzet-Mollah ; il finit son épître en s'adressant au pacha de Sivas, qui s'est montré plein d'humanité.

« Illustre vizir, lui dit-il, souviens-toi de ton prisonnier; avec le temps tu verras; le puissant Mahmoud est favorable aux désirs de ses ministres... que Dieu te conserve à lui, que Dieu te conserve aux musulmans ! »

Quel fut l'effet de cette poétique supplication sur l'esprit du sultan ? On ne l'a jamais su bien positivement ; si l'on en croit les bruits qui ont circulé, ces mots avec le temps tu verras auraient donné de l'ombrage à Sa Hautesse ; Mahmoud aurait trouvé dans cette phrase et dans celle qui suit un complot de ses ministres en faveur d'Izzet. Ce qu'il y a de certain, c'est que le poète ne fut point rappelé, et que, peu de temps après avoir envoyé son épltre, il mourut à Sivas. Les Turcs, qui ont conservé la plus haute estime pour le caractère et le talent d'Izzet-Mollah, l'ont placé comme homme parmi les martyrs de la vérité, et comme poète parmi les rossignols du paradis. On a fait un recueil de ses vers, et ce recueil est entre les mains de tous les amateurs de la littérature turque. M-o.

 

Ci-dessous : Gülşen-i Aşk, Istanbul, Suleyman Efendi Matba'asi, vers 1876

 

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Quelques notes d'après
Gibb, A History of the ottoman poetry, 1905, volume IV, page 304

Kecheji-zade Mehemed Izzet était le fils de Salih Effendi, un Qadi-asker de Abdul Hamid Ier. Il devient molla de Galata en 1822. Son protecteur Halet Effendi tombe en disgrâce la même année, entraînant dans sa chute ses protégés. Izzet écrit des satires sur les ennemis de son ami, ce qui lui vaut un exil à Keshan, près de Maritza. C'est dans cette ville qu'il écrit en février 1823 son célèbre poème, le Mihnet-Keshan [Mihnet-Keşân].
Peu après son retour à Istanbul, il obtient, en 1825, du sultan Mahmud le poste de molla de La Mecque et l'année suivante le poste de juge de Constantinople.
Allié du parti opposé à la guerre contre les russes, il est attaqué par le parti pro-guerre et exilé à Sivas où il meurt peu après son arrivée en 1829.
Izzet est l'auteur de deux poèmes mesnevi, le Gulshen-i Ashq [Gülşen-i Aşk] et le Mihnet-Keshan.
Le Gulshen-i Ashq est une oeuvre de jeunesse terminée en 1812 à l'âge de 27 ans. Ce court recueil s'inspire de la philosophie de Mevlana.
Le Mihnet-Keshan (Celui qui souffre, ceux qui souffrent à Keshan) raconte son exil à Keshan, son arrestation à Constantinople, les étapes de son voyage, les conversations avec les gardes, la vie et les notables de Keshan, les excursions dans les villages voisins, avec des détails sur la vie quotidienne. Une bonne partie du poème est consacrée à un incident curieux mettant en scène une femme grecque, un jeune musulman et le poète lui-même.  Ce recueil est un témoignage sur la vie provinciale dans la Turquie d'Europe et sur la vie d'une célèbre personnalité ottomane. Le poème fut édité en 1825 par deux amis d'Izzet, Husam et Wasid, et lithographié et imprimé en 1852.
Ce poème est l'opposé du Gulshen-i Ashq, c'est une oeuvre pleine de la personnalité de l'auteur.
Les poèmes lyriques furent publiés en deux diwans sous les titres de Behar-Efkar (poèmes écrits en 1824) et Khazan-i Asar (écrits en 1825).
La langue du poème comporte de très nombreux passages en "pur" Turc, ce qui met Izzet au nombre des réformateurs de la langue. Il réussit la synthèse entre langue turque et poésie perse, ce qui donne cette grande qualité artistique à son oeuvre.

 

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