Un sentier bien aménagé court dans la montagne, au milieu d’une végétation luxuriante. Partout l’eau suinte, le vert des feuilles est profond. Enfin apparaissent un aqueduc, des escaliers ; c’est l’entrée du monastère de Sümela, construit à flanc de montagne, au Sud de Trabzon (Trébizonte, ville de la Mer noire) à une altitude de 1200 mètres, au-dessus de la vallée d'Altındere.
Vue du monastère de Sümela vu depuis la vallée
Un musicien sur le sentier qui monte vers le monastère
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Montée vers le monastère
Le monastère
Fondation
Le monastère de Soumela (Sümela Manastırı, en turc ou Meryem Ana) aurait été fondé, selon la tradition, en 386, sous le règne de l'empereur Théodose le Grand, par deux moines qui trouvèrent dans une grotte une icône de la Vierge Marie, la Théotokos ("Mère de Dieu", selon la définition du concile de Chalcédoine, en 451), peinte par Saint Luc selon la légende. Il aurait été reconstruit au VIe siècle Bélisaire, l’un des officiers de Justinien.
Sumela viendrait de l’expression grecque “stou mela” (le grec “melas” signifie “noir” ou “sombre”). A cause peut-être de la couleur de l’icône de la vierge qui fait penser à la tradition des vierges noires que l’on trouve aussi en France.
Le monastère apparaît pour la première fois sous son nom de Sumela à l’époque des Comnène, la dynastie régnante de l’empire byzantin de Trébizonde et s’agrandit, y compris pendant la période ottomane. Alexis III Comnène (1349-1390) peut être considéré comme le véritable fondateur du monastère et renforça son rôle de centre religieux. Il lui fit de nombreux dons dont on a gardé la trace. Son fils Manuel III (1390-1417) offrit des reliques de la Croix. Plus de 40 villages lui fournissaient alors des revenus.
Epoque ottomane
Le voyageur anglais Palgrave cite une anecdote qui lui fut racontée par les moines et qui est parfois reprise (M. Bruneau, De l'icône à l'iconographie, du religieux au politique..., 2000, page 569) : après la conquête, le monastère n’aurait du son salut qu’à son isolement et le sultan Selim Ier (1512-1520), l’ayant aperçu lors d’une chasse, aurait souhaité le détruire. Les vives douleurs qu’il perçut comme un avertissement ainsi que l’apparition de la Panagia l’aurait fait revenir sur sa décision et aurait permis à l’édifice d’échapper à la destruction. Après ce miracle, Selim offrit même cinq flambeaux et ses successeurs protégèrent le monastère et lui firent des dons. [Ce récit est aussi cité par un historien grec, Ioannides, auteur d’une Istoria Trapezountos [Histoire de Trébizonde], Istanbul, 1870]. Les religieux racontaient aussi une anecdote du même type à propos de Murat IV.
En fait, les documents (des firmans vus au monastère par Palgrave) attestent la bienveillance des sultans.
Le monastère prospéra au XVIIIe siècle grâce aussi à la protection des voïvodes de Valachie, Ghikas, Stephan, et Ypsilantes des bâtiments furent restaurés. Les pèlerins aussi faisaient des dons importants.
L’abbé Ignatios fit orner les murs de fresques en 1749. L’âge d’or du monastère est le XIXe siècle, époque où ses moines parcouraient l’Anatolie, les Balkans et la Russie pour vendre ses icônes. Selon Fallmerayer (1840), un de ces moines fut assassiné et dévalisé à Kayseri, mais ses assassins furent arrêtés et exécutés par les autorités ottomanes et l’argent restitué.
Vue de l'église
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Récit de G. Palgrave, 1871
En 1860, de nouvelles constructions sont ajoutées, lui donnant son aspect actuel. Alors qu’il n’est pas cité dans les grands récits du XVIIe et du XVIIIe siècle, au XIXe siècle, des voyageurs occidentaux le visitent, dont G. Palgrave (1826-1888) qui en donna une description détaillée publiée en 1871 (dans le Fraser’s Magazine, puis dans un recueil) : il put consulter des documents disparus par la suite et décrivit la vie du monastère.
Les moines sont alors environ une quinzaine, auxquels se joignent les moines d’autres régions. D’autres s’occupent des possessions du monastère. Pendant la belle saison (le monastère est inaccessible pendant huit mois), de très nombreux pèlerins (8000 selon Palgrave) sont logés dans les bâtiments récents et nourris gratuitement parfois pendant leur séjour (de 24 heure à 2 semaines) grâce aux revenus du monastère.
Palgrave put voir les objets conservés à Sümela : des icônes, dont celle qui est à l’origine de la fondation, des chandeliers précieux, des ex-votos, les firmans, un Ancien testament en Grec.
Des ouvrages disparurent dans un incendie, selon les moines qui sont les seuls dépositaires de la mémoire du monastère de Sümela : il n’existe en effet aucune chronique.
Le grand évènement de l’année est le 15 août, jour de la fête de la Vierge.
Les musulmans aussi viennent pour demander à la Vierge de les aider à avoir des enfants.
XXe et XXIe siècle
L’invasion russe de Trabzon (18 avril 1916-24 février 1918) fit naître l’espoir de la création d’un état chrétien du Pont. Mais la guerre d’indépendance mit fin à ce projet.
La communauté monastique ainsi que la population chrétienne avoisinante quittèrent les lieux définitivement, en 1923, lors de l'échange de populations entre la Grèce et la Turquie décidé par le traité de Lausanne.
Le monastère fut abandonné, un incendie provoqua des dégâts en 1930, il fut aussi dégradé par des chercheurs de trésor, et des fragments des fresques furent volés probablement par des trafiquants d’art.
L’icône de la Viegre (Panagia) de Sümela est toujours l’objet d’une très grande ferveur de la part des Grecs originaires de la région du Pont qui ont construit un monastère dans le nord de la Grèce pour l’abriter et qui s’y rendent en pèlerinage par milliers.
Le monastère de Sümela est devenu un musée et est l'objet d'importantes restaurations. Tous les bâtiments ne sont pas accessibles.
Description
L’eau était amenée par un aqueduc composé de 10 arches (en haut, sur la photo ci-dessous). L’entrée est protégée : on y monte par un escalier puis, après une porte (il y avait un portier qui autorisait l'accès), on descend dans la cour.
A gauche, se trouve la cuisine et, plus loin, l’église qui est la partie la plus ancienne du monastère et qui est décorée de fresques datant du XVIIIe siècle, à l’intérieur comme à l’extérieur, à la manière des églises de Moldavie.
Les bâtiments semblent disposés un peu au hasard dans la cour.
A droite, se trouvent des pièces pour accueillir les visiteurs construites vers 1860, une bibliothèque et des petites chapelles. D’après des photos anciennes, les bâtiments avaient des balcons et des vérandas.
Le bâtiment principal est sobre et s’intègre bien au paysage.
L’église
L’église a été creusée dans la roche. Trois couches de fresques se superposent parfois. Des inscriptions datent les fresques de 1710 et 1732. On a également trouvé des traces de fresques datant d’Alexis III.
Jésus-Christ
Certaines parties du monastère, comme la fontaine (ci-dessous), montre une influence turque.
Documents
66 des principaux manuscrits du XVIIe et du XVIIIe siècle sont conservés au Musée d’Ankara.
Une centaine de tetraevangeliums (les Quatre Evangiles), ornés de miniatures et datant de l’époque byzantine sont conservés au Musée Ayasofya (Sainte- Sophie) à Istanbul, avec 150 livres imprimés .
Parmi les trésors de l’église se trouvent une croix en argent (stavrotek) offerte par Manuel III, prince de Trabzon, un manuscrit et de nombreux documents, qui sont conservés au Musée byzantin à Athènes.
Une des icônes du monastère, connue sous le nom de Notre Dame des Roses, est maintenant à la National Gallery de Dublin (??).
Les candélabres en argent du sultan Selim furent volés en 1877.
Une autre icône qui appartenait au monastère est maintenant dans une collection privée à Oxford.
Au musée Benaki d’ Athènes, se trouve un médaillon d’argent représentant la Sainte Trinité et un autre médaillon daté 1438, avec une cloche d’autel (epitaphios) datée 1438.
Symbole
Un office religieux a été célébré le 15 aôut 2010 par le patriarche de Constantinople, Bartholomeos Ier en présence de nombreuses personnes, signe que les douloureux échanges de populations entre les deux pays appartiennent maintenant à l'histoire.
Sources
- Ministère du tourisme de Turquie
- William Gifford Palgrave, Essays on Eastern Questions, Macmillan, 1872
- M. Bruneau, De l'icône à l'iconographie, du religieux au politique, réflexions sur l'origine byzantine d'un concept gottmanien, Annales de géographie, 2000
- F. W. Hasluck, Christianity and Islam Under the Sultans, 1929
- http://www.turkcebilgi.com/s%C3%BCmela_manast%C4%B1r%C4%B1/ansiklopedi
- http://www.karalahana.com/yeni/trabzon/sumela.htm
- Jakob Philipp Fallmerayer, Trapezunt, Munich, 1827 (Google books)
© jmb Turquie-culture, 08-2010