L'image du derviche, cet ascète musulman, fascine, en ce début du XXe siècle, l'Occident par son exotisme. Homme en marge de la société, vêtu de manière étrange et exhibant des ornements inattendus comme la hache, il symbolise un Orient très éloigné de la civilisation européenne.
Les derviches étaient des ascètes musulmans qui se retiraient de la société et parfois s'en remettaient à Dieu pour subsister grâce à la mendicité. "Dervis" signifie "pauvre" en Persan. Les plus connus sont les derviches tourneurs (mevlevis) qui pratiquent leurs cérémonies en groupe, mais il existait d'autres derviches.
Carte postale colorisée, début du XXe siècle
Le voyageur français Chardin les décrit ainsi : "Tous les derviches portent quelque chose à la main, tantôt un gros bâton, tantôt un sabre nu, tantôt une hache ; ils portent aussi la plupart une écuelle de bois à la ceinture."
La hache faisait partie de leur panoplie pour, dit-on se défendre des animaux, des bandits et couper le bois. Elle était l'arme d'Abu Muslim (mort en 755), le général qui renversa la dynastie omeyyade en 750, et était dotée de pouvoirs magiques, car forgée à partir de l'épée de l'imam Ali ou, selon un autre récit, d'une larme du prophète qui, depuis le Ciel, regardait Kerbala.
Derviche. Adjectif persan qui signifie pauvre. De même que son synonyme arabe faqir, le mot derviche s'applique à tout homme qui renonce aux biens de ce monde pour se livrer tout entier aux pratiques de la dévotion et gagner ainsi le Paradis. En Perse et en Turquie, les derviches forment des communautés ou confréries religieuses (V. Confréries) dont les membres vivent, soit isolément répandus dans la société laïque, soit réunis dans des couvents ou tekké; dans ce dernier cas ils sont astreints à plus de régularité dans leurs exercices, mais n'ont point d'obligations plus nombreuses. A certaines époques fixes, une fois par semaine en général, les derviches se réunissent pour faire une sorte d'assemblée générale où après un rituel consacré on prend les instructions du chef de l'ordre sur la conduite que l'on doit tenir, soit vis-à-vis du public, soit vis-à-vis des autres membres de la confrérie. Généralement la séance commence par des danses ou des hurlements ; de là le nom de derviches tourneurs et de derviches hurleurs donné par les Européens à certaines de ces confréries. Le vêtement des derviches s'appelle khirqa^ mot qui signifie haillon, et sa couleur est tantôt blanche et tantôt bleue.
La khirqa, ainsi que son nom l'indique, est le plus souvent une véritable loque. Selon Hassan et Basri, un bon derviche doit réunir les dix qualités suivantes qui sont également requises chez un chien : 1° avoir toujours faim ; 2° n'avoir point de gîte ; 3° veiller la nuit ; 4° ne point laisser d'héritiers après sa mort ; 5° ne point abandonner son maître, même si on en est maltraité ; 6° se contenter de la dernière place ; 7° céder sa place à qui la veut ; 8° retourner à celui qui l'a battu, quand celui-ci lui présente un morceau de pain ; 9° se tenir éloigné quand on apporte à manger ; 10° ne point songer à retourner au lieu qu'il a quitté lorsqu'il suit son maître. C'est, comme on le voit, l'obéissance passive la plus absolue et l'humilité la plus grande qui sont exigées du derviche. Les associations religieuses formées par les derviches ont souvent cherché à s'immiscer dans les affaires politiques, et les sultans ottomans n'ont pas toujours pu lutter avec avantage contre ces fanatiques. Les principales confréries de derviches sont celles des nakchbendis, des mevlevis, des bektaschis (V. Bektasch), des kadris, des khalvetis, des rufaaïs, des munasihis, des sadis, des eschrakis, des haïretis, etc. O. H.
(extrait de Extrait de "La Grande encyclopédie : inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts", 1886-1902)
"Les derviches (sur-tout les derviches bektachis) suivent l'armée en campagne, et aucun orta ou régiment de janissaires ne fait le moindre mouvement pour changer de garnison ou aller à la guerre, ou à quelque cérémonie, que quelques-uns de ces derviches n'ouvrent la marche. Ils ont ordinairement, dans de pareilles occasions, les pieds, les jambes, et une partie du buste nuds ; ils jettent en écharpe sur leurs épaules une peau de tigre, de lion, ou de quelqu'autre bête féroce : ils ont en main une hallebarde, une pique, ou une hache d'armes, et marchent en chantant des vers à la louange de l'orta, et des prières pour la gloire de la religion." (Charles Marie D'Irumberry de Salaberry, Histoire de l'empire Ottoman : depuis sa fondation jusqu'à la paix ..., 1813)
Derviches. — A cette sorte de clergé régulier se joignent les diverses espèces de derviches, qui sont à la religion musulmane ce que les ordres monastiques sont au catholicisme. On en distingue plusieurs variétés, désignées soit par le nom de leur fondateur, soit par l'exercice de dévotion auquel ils sont plus particulièrement adonnés. Les plus connus, depuis la disparition des bektachis, détruits en 1826 avec les janissaires, sont les derviches mevlévis, plus connus sous les noms de derviches hurleurs et de derviches tourneurs, par suite des bizarres pratiques auxquelles ils se livrent dans leurs tekkés (couvents). Ces derviches se reconnaissent aisément à leur étrange coiffure : un bonnet de feutre conique, épais d'un pouce, de couleur roussâtre ou brune et que l'on ne saurait mieux comparer qu'à un pot à fleurs renversé. Nous reviendrons plus loin sur les exercices de ces derviches. Cette sorte de confrérie possède des tekkés dans un grand nombre de villes de l'empire ottoman. (extrait du guide Joanne "De Paris à Constantinople", 1896)