Traduction de ce texte du XVe siècle par Belin parue en 1861.
Béni soit le suprême ordonnateur de ce verger qui, dans sa disposition, a voulu que les poètes fussent, en quelque sorte, les rossignols dont les chants mélodieux animeraient ce séjour !
Gloire à jamais à la plus pure et à la plus excellente des créatures passées et présentes !
Au reste, pour constater, aux yeux des hommes intelligents, le mérite et la valeur du beau langage [2], il suffira de dire que les écrivains arabes les plus éminents se sont plu à embellir leurs oeuvres poétiques de la parure de leur éloquence, et à les orner de leur talent; que le bruit de leur renommée a retenti jusqu'au plus haut des cieux, et qu'enfin c'est par l'entremise de l'ange Gabriel que le Très-Haut a fait descendre sa divine et merveilleuse parole sur la plus excellente des créatures, Conséquemment les poètes sont donc, pour ainsi dire, le vaste océan où se forment les perles précieuses de l'élocution, et la mine féconde où se produit le rubis éclatant des finesses du discours, et c'est en vue de ne pas laisser effacer de la page du temps les noms remarquables de ces hommes illustres, que les divers écrivains ont constamment décoré leurs propres oeuvres du nom de ces personnages éminents.
Au premier rang figure le cheïkh-ulislâm Noureddin-Abd-ur-rahmân-Djâmî [3] . Que l'ombre tutélaire de sa direction nous couvre à jamais !
Dès que la source de sa noble nature a commencé a répandre son eau douce et limpide, elle a aussitôt rempli le monde de l'eau, de l'immortalité
Dans son grand ouvrage, le Behâristân [4] , Djâmî a composé huit parterres de fleurs (revzè), qui font tellement honte à ceux du paradis, que ceux-ci se cachent derrière le rideau de l'occultation. Il a paré cette oeuvre de l'ornement du nom glorieux du prince actuellement régnant, et il l'a couronnée avec le diadème des surnoms de ce monarque. Le mélodieux arrangement de chacun de ces revzè suffit, à lui seul, pour exciter la jalousie et l'envie des plus belles peintures de Chine et du paradis lui-même.
Je dois citer encore Emir-Daulet-Châh [5] , issu des plus nobles familles du Khoraçan. Il s'est distingué par sa vertu et son savoir, et, de plus, il a posé sur sa tête la glorieuse couronne de la pauvreté et du qanâat [6]. Daulet-Châh est l'auteur d'un Tezhéret-uschouara «Galerie des poëtes, » qu'il a place sous les auspices de Sa Majesté [7]. Il a apporte beaucoup de soin à la rédaction de ce livre, qui du reste renferme un grand nombre de notices.
Il existe encore bien d'autres ouvrages sur cette matière; mais, comme ils ne concernent, pour la plupart, que les poëtes et les littérateurs des temps anciens, et, d'autre part, comme ceux d'aujourd'hui, grâce à la protectrice que leur accorde Sa Majesté, ont atteint, dans tous les genres et principalement dans le ghazel, le plus charmant, d'ailleurs, et le plus agréable` la grâce et l'élégance des temps passés, en ayant su réunir la pureté du langage à la délicatesse des expressions, je n'ai pu me résoudre à voir mes contemporains ne pas prendre place à la suite de leurs prédécesseurs, et leurs paroles exclues de ces sortes de recueils; aussi, ai-je conçu le projet d'écrire un opuscule destiné aux poètes et aux littérateurs de mon temps, qui ferait suite aux anciennes biographies, et rattacherait ainsi les derniers venus à la chaîne de leurs éminents devanciers.
D'après ce cadre, j'ai réuni dans ce livre, 1° les notices des personnages qui ont paru dans le monde , à partir du jour de la naissance de Sa Majesté, jusqu'à celui de son avénement;
2° Celles des personnages que j'ai connus, mais qui ont passé actuellement, de ce séjour de tribulations, à celui du repos éternel;
3° Enfin celles des contemporains qui célèbrent prêsentement les louanges de notre glorieux et vertueux monarque.
J'ai donné, comme spécimen, un fragment des oeuvres de chaque poète, et, mon but ayant été atteint, j'ai divisé mon travail en huit parties ou séances, sous le titre général de : Medjâlis-unnéfâïs, « Séances précieuses et agréables.»
Je suis heureux de commencer ce travail en chantant les louanges des littérateurs.
Puissé-je, en finissant ma vie, rendre le dernier soupir en priant pour le roi !
[1] Allusion au prix d'excellence que le poète Lebid, près lecture des premiers versets du chapitre du Coran Elbaqara adjugea à Mahomet, en détachant de la porte du temple de la Mecque la moullaqa, son oeuvre, qui y avait été suspendue. (Voy. d'Herbelot, Bibliothèque orientale, article Lebid.)
[2] L' arrangement, disposition, et, par suite, la versification.
[3] Voyez sur Djâmi, les notices du Tokféi-sâmi, du Tezkeret-ulkattattin, et les Notices et extraits des mss. t. IV, p. 246 ; Medjdâlis, de mon ms. livre III, p. 27 verso
[4] Voy. d'Herbelot, article Giami, et la traduction de M. de Schlechta, Vienne, 1846, dont quelques extraits ont paru, dans le Journal asiatique, octobre 1846, p. 308.
[5] Voy. Medjalis, livre V, p. 53.
[6] Le contentement de son sort. ( Voy. de Sacy, Pend-Nâme, p. 96.)
[7] Daulet-Châh a placé en tète de son livre l'éloge* de Sultân-Huceïn, et il consacre encore un, autre chapitre à Ali-Chir, auquel il a dédié son oeuvre. Ma. 165, supplément persan, de la Bibliothèque Impériale.)