La Turquie, tournée vers l'Europe, s'ouvre encore plus à sa culture et va mettre les grandes oeuvres littéraires à la portée du plus grand nombre.
Il n'y a pas que le monde latin qui tienne à coeur de célébrer cette année Virgile.
Voici que les Turcs, ces « barbares » que naguère l'on voulait chasser d'Europe, s'avisent d'apporter eux aussi leur hommage au vieux poète de la Rome impériale...
Sur l'initiative de Mustapha Kemal (car Kemal peut dire à juste titre : « La Turquie, c'est moi ! »), on a récemment traduit Les Bucoliques en turc, en turc moderne bien entendu, c'est-à-dire en caractères latins.
L'hommage à la latinité est donc double. C'est un journaliste et écrivain connu, Rouchene
Echrof [Ruşen Eşref Ünaydın, 1892-1959] qui a fait cette traduction. On lui devait déjà un livre qui glorifie l'épopée turque : "Damla, Damla" [Goutte à goutte], et qui est la première oeuvre littéraire écrite avec le nouvel alphabet.
Virgile en turc, c'est incontestablement un événement politico-littéraire. Il signifie que la culture turque, qui jusqu'ici était sous l'influence arabe et persane, s'oriente résolument vers l'Occident. La source spirituelle gréco-latine était complètement négligée du temps : des sultans, mais voici maintenant que l'on prépare une collection de classiques à l'usage de la jeunesse et que l'Université crée des chaires pour l'enseignement des langues européennes. Ex Occidente lux, dit-on aujourd'hui à Stamboul et à Ankara. Nous ne pouvons qu'en être flattés...
Le Milliet insiste là-dessus : « Cette traduction des Bucoliques a le mérite d'inaugurer glorieusement une ère nouvelle dans l'histoire de notre civilisation : l'initiation à la littérature classique gréco-latine et à l'humanisme. »
Article paru dans le journal L'Européen, 30 avril 1930