Le dictionnaire Français-Turc de Nassif Mallouf, paru en 1856, fut profondément remanié par Ohannès Saghirian, répétiteur pour la langue turque à l’École spéciale des langues orientales, dont Barbier de Meynard fait l'éloge. Il signale également, ce qui est assez rare, le travail du correcteur, M. Battifaud.
Dictionnaire français-turc, avec la prononciation figurée, par N. Mallouf, Paris, Maisonneuve et Cie, 1881. 1 vol. in-12, XIV et 1026 p.
Le texte en caractères arabes est accompagné de la transcription en caractères latins.
Préface au Dictionnaire Français-Turc
Il ne nous appartient pas de faire ici l'éloge des œuvres de M. Nassif Mallouf. Lors même que nous aurions qualité pour entreprendre ce travail, la faveur toujours croissante qui s'attache aux productions sorties de la plume du laborieux levantin, nous dispenserait de ce soin. Les ouvrages de M. Mallouf se trouvent dans toutes les mains ; ils sont consultés par les orientalistes qui poursuivent un but scientifique, aussi bien que par les modestes lecteurs qui se livrent, dans des vues purement pratiques, à l'étude de l'une des trois langues musulmanes; les uns et les autres ont donc pu les apprécier à leur juste valeur.
Nous croyons également superflu de nous étendre longuement sur l'intérêt que présente la langue turque au triple point de vue de la philologie, de la politique et des relations commerciales. La place que la Turquie occupe dans le concert européen, le rôle qu’elle est très-probablement appelée à jouer, un jour, dans l’Asie Occidentale, les relations de commerce qu’un assez grand nombre de maisons françaises entretiennent avec l’Anatolie et la Syrie, parlent assez haut pour qu’il soit inutile de rien ajouter à ce sujet.
Nous nous bornerons donc à rappeler, en quelques mots, dans quelles circonstances et dans quel esprit, fut composé le dictionnaire français-turc dont nous présentons aujourd’hui au public la troisième édition, et nous ferons connaître, aussi brièvement que possible, en quoi cette édition diffère de celles qui l’ont précédée.
Lorsque M. Mallouf conçut le plan de cet ouvrage, il existait déjà, depuis un certain nombre d'années, un dictionnaire français-turc qui avait pour auteur M. Bianchi, orientaliste distingué, ancien secrétaire interprète du Gouvernement, pour la langue turque.
Ce dictionnaire, aussi complet que le comportait l’époque à laquelle il avait été composé, est surtout un ouvrage de cabinet et d’étude ; il forme deux volumes de plus de deux mille pages et contient, outre tous les mots usuels de la langue française, un grand nombre de termes techniques de toute sorte. Ses dimensions le rendent peu maniable et d’un transport peu commode pour le voyageur qui désire étudier rapidement et sur place la langue ottomane. De plus, il est, rare et, considération qui n’est pas sans quelque intérêt pour beaucoup de personnes, son prix ne laisse pas que d’être assez élevé.
Ajoutons, enfin, que M. Bianchi, en composant cet ouvrage, avait surtout en vue le profit que pourraient en retirer les Ottomans pour l’étude de la langue française ; aussi, avait-il dû fréquemment expliquer le sens des mots français par des périphrases ou des à-peu-près, lorsque l’équivalent exact lui faisait défaut ou qu'il l'ignorait.
M. Mallouf pensa, avec raison, qu'à côté d'une œuvre de cette envergure, moins faite pour les Français que pour les Turcs, il y avait place pour un livre de proportions plus restreintes et destiné, surtout, à faciliter l’acquisition d’une langue si utile à tant d'égards, a tous ceux qui ne disposent que de ressources très-modestes, ou qui n'ont que peu de temps à consacrer à l’étude.
Pour atteindre le but qu’il se proposait, M. Mallouf ne fit entrer, dans la composition de son ouvrage, que les mots essentiels de la langue française, auxquels il joignit, quand il en était absolument besoin, quelques exemples généralement intéressants et bien choisis. Il s’attacha principalement à rendre chaque mot français par le mot propre turc, afin d’éviter autant que possible, l’emploi des périphrases qui sont, presque toujours, aussi inexactes que peu pratiques et peu élégantes.
M. Mallouf se trouvait dans d'excellentes conditions pour mener à bonne fin la tâche qu'il avait entreprise. Né dans le Liban et possédant à fond les trois langues arabe, persane et turque, il n'était pas moins versé dans la connaissance des langues européennes. Ses fonctions de professeur de langues orientales au Collège de la Propagande, de Smyrne, l'avaient familiarisé avec les méthodes de l'enseignement et lui avaient permis de donner à son œuvre un caractère tout spécial d'utilité pratique.
La nouvelle édition de cet ouvrage que nous publions aujourd'hui, n'est pas comme on pourrait le croire une simple réimpression. Le dictionnaire français-turc est entièrement refondu et considérablement augmenté, est réellement devenu un livre nouveau.
Depuis l'époque où parut la seconde édition, la Turquie a fait de grands progrès dans la pratique de la civilisation européenne, empruntant à ses voisins et aux nations avec lesquelles elle est en relations de politique ou de commerce, bon nombre, de pratiques et d’idées et d’inventions modernes. Elle a, par la suite, enrichi sa langue d’expressions nouvelles ou donné à des mots déjà existants, des sens nouveaux. Il devenait, dès lors, nécessaire, pour ne pas rester en arrière du mouvement, de combler les lacunes qui devaient forcément s'être produites, de ce chef, dans le dictionnaire français-turc. L’auteur n’étant plus là pour exécuter ce travail, nous avons dû chercher, pour le suppléer, quelqu'un qui offrit, au même degré, la garantie d'une parfaite connaissance de la langue turque.
Sur les bienveillants conseils de Barbier de Meynard, Membre de l’Institut et Professeur de langue et de littérature persane au Collège de France et de langue turque à l'École des langues orientales vivantes, nous avons confié à M. O. Saghirian, Répétiteur du cours de Turc à cette École, la délicate mission de revoir l’oeuvre de M. Mallouf et de la mettre au niveau des connaissances et des besoins actuels.
M. O. Saghirian est Arménien de naissance ; il a longtemps résidé à Constantinople où il a rempli des fonctions dans l’administration ottomane ; il connaît à fond toutes les richesses de la langue turque qui est son idiôme maternel, et la langue française lui est familière. Nous ne pouvions donc faire un meilleur choix.
Le travail auquel s’est livré M. Saghirian comprend deux opérations bien distinctes : la révision du texte imprimé et l’addition des mots nouveaux indispensables. La première opération n'était pas moins nécessaire que la seconde ; il convenait, en effet, de remplacer par des expressions plus modernes, celles qui avaient fait leur temps et qui auraient couru le risque de n'être plus comprises aujourd'hui ; il n’était pas, non plus, inutile de profiter de cette occasion pour faire disparaître les erreurs qui pouvaient s’être glissées dans l'ouvrage, malgré les soins que l’auteur avait apportés à sa rédaction.
Les additions qui constituent le principal intérêt de la présente édition, ne comprennent pas moins de deux mille articles renfermant ensemble environ six mille mots complètement nouveaux, qui se rapportent aux sciences, aux arts, à l`industrie, au commerce, à l’administration et au droit (1).
Dans son double travail de révision et d'additions qui a été fait avec beaucoup de soin, M. Saghirían s’est attaché à employer les expressions usitées dans la conversation courante de la bonne société de Constantinople, sans négliger cependant le style savant, ni ces mots du langage vulgaire qui intéressent particulièrement le philologue et qui sont d’une si grande utilité pour le voyageur.
1) La troisième édition du dictionnaire français-turc comprend environ quinze mille mots
Le système de transcription dont M. Mallouf s’est servi donne généralement la prononciation des mots turcs d’une façon suffisamment exacte. La présence des caractères orientaux dispensait, d'ailleurs, l’auteur d’une trop grande précision à cet égard. Il a, néanmoins, paru utile d'apporter à ce système de légères modifications dont nous allons dire quelques mots.
I. La langue turque possède un i sourd dont le son se rapproche de l'e muet français marqué de l'accent tonique, comme dans les monosyllabes te, de, le, me, se, etc. Bianchi et, après lui, M. Mallouf, avaient représenté cet i par un y. Plus tard, M. Mallouf, dans son dictionnaire turc-français remplaça l’y par le signe e. Cette innovation a paru heureuse et elle a été reproduite dans le présent ouvrage; car, bien que cet e ne soit, tout prendre, qu'un signe conventionnel comme l’y, il a, sur ce dernier, l'avantage de rappeler immédiatement l'esprit que le son qu'il représente est voisin de l'e français. L'y n'a été maintenu que dans un certain nombre de mots arabes dont la prononciation ne s’est pas suffisamment pliée aux lois de l’euphonie turque pour qu’on puisse y introduire franchement le son e.
II. La prononciation turque de la voyelle e se rapproche assez de l’e ouvert français et peut, à la rigueur, être assimilée. On avait cru, jusqu’à présent, inutile d’accentuer cette voyelle suivie d'une consonne ; on supposait l’influence de la consonne suffisait pour donner à la voyelle le son ouvert. Comme il n’en était pas toujours ainsi dans la pratique, et que cette absence d'accentuation pouvait occasionner quelques erreurs dans la prononciation de l'e, il a paru préférable de surmonter cette lettre de l'accent grave toutes les fois qu'elle doit avoir le son ouvert, quelle que soit, d'ailleurs, sa place dans le mot dont elle fait partie.
III. Enfin, le ç a, partout, été substitué à l's lorsque cette dernière lettre se trouvait entre deux voyelles, afin d'éviter qu'on lui donnât la valeur de z et pour uniformiser, autant que possible la transcription de la sifflante (1).
1) Nous joignons à cette Préface un Tableau des différentes formes des lettres composant l’alphabet turc et de leur valeur en transcription française.
La correction des épreuves, qui devait constituer un travail important et minutieux, a été plus spécialement confiée aux soins de M. Batifaud, Ancien élève diplômé de l’Ecole des langues orientales vivantes. M. Batifaud a pu mettre cette circonstance à profit pour introduire dans le texte, en cours d’impression, un certain nombre de mots, d’expressions ou d’exemples relatifs, surtout, à l’administration et à la jurisprudence, etc., et extraits, pour la plupart, de notes manuscrites laissées par le regretté M. Belin , naguère Secrétaire interprète de l'Ambassade de France, à Constantinople (1).
On voit, par ce qui précède, qu'aucun soin n'a été épargné pour rendre cette nouvelle édition du dictionnaire français-turc de M. Mallouf aussi correcte que possible, et aussi complète que le comportent le but de l’ouvrage et son format que nous tenions à conserver.
Nous ferons remarquer que, grâce à d’heureuses dispositions matérielles et aux types nouveaux employés dans la composition, toutes les améliorations que nous avons signalées ont pu être réalisées sans que les dimensions de l’ouvrage aient été sensiblement augmentées.
Nous espérons que le public nous saura gré de nos efforts et qu'il fera, à cette nouvelle édition, un accueil favorable.
1) L’exemplaire du dictionnaire de Bianchi qui contient ces notes est en notre possession.
Nous ne voulons pas terminer cette courte préface, sans exprimer ici toute notre reconnaissance à M. Barbier de Meynard qui a bien voulu nous encourager à entreprendre ce travail, qui l’a suivi pas à pas et qui n’a cessé de prodiguer ses savants conseils à nos collaborateurs.
Les éditeurs.
Compte-rendu de Barbier de Meynard, 1881
Article paru dans le Journal asiatique, volume 17, janvier 1881, page 85-87
Cette nouvelle édition d’un livre qui s'adresse surtout aux chancelleries du Levant el aux voyageurs» mais où les savants trouveront aussi à glaner, sera, nous n’en doutons pas, accueillie avec faveur. L’auteur, M. Mallouf, mort il y a quelques années, a rendu de réels services à la connaissance pratique du turc ottoman. Originaire du Liban, il enseigna au collège de la propagande de Smyrne les trois principales langues musulmanes, qu’il parlait avec facilité. Ses ouvrages, grammaires, dictionnaires, dialogues ont les mérites cl les défauts des travaux du même genre exécutés en Orient : d’une part, connaissance exacte de l’idiome usuel, de ses particularités, de ses idiotismes, de sa prononciation; de l’autre, peu ou point de critique, méthode empirique, en un mot, absence de ce qui ne s’apprend et ne s’enseigne bien qu’en Europe.
Le dictionnaire turc-français de Mallouf, malgré ses lacunes, constitue un progrès réel sur les ouvrages de ses devanciers, tels que Meninski, Bianchi et Hindoglou. L’élément turc y est plus richement représenté, au détriment, il est vrai, de l’élément arabe-persan; mais le plan que l'auteur s’est tracé justifie, jusqu’à un certain point, cette inégalité.
On peut en dire autant de son Dictionnaire français-turc, dont la première édition a paru en 1849 et la seconde en 1856.
Assurément, celui de Blanchi (Paris, 1843, 2 vol. in-8°) est, en un sens, plus complet et plus riche, puisque tous les termes usuels de notre langue y figurent ainsi qu’un assez grand nombre d’expressions techniques. Mais cet avantage est plus apparent que réel. Bianchi, préoccupé avant tout de faciliter aux Ottomans l’étude du français, a trop souvent recours aux périphrases et aux à peu près, soit que l'équivalent exact n'existe pas en turc, soit qu'il ait ignoré. Ajoutons que l'édition de ce dictionnaire, qui forme deux gros volumes, a péri presque entièrement dans les flammes, pendant la désastreuse semaine de mai 1871, et que les rares exemplaires qui ont échappé à la destruction se vendent à des prix de fantaisie, peu accessibles aux jeunes orientalistes. L'ouvrage de Mallouf est donc resté à peu près le seul qu’ils puissent utilement consulter, et on ne saurait trop approuver la librairie Maisonneuve et Cie qui a songé à en donner une nouvelle et meilleure édition.
Le professeur smyrniote qui avait horreur de la périphrase, et nous ne saurions d’en blâmer, s’appliquait à rendre le mot français par son correspondant turc, en y joignant quelques exemples propres à faire connaître le mécanisme et les nuances de la langue ottomane. Mais, sans parler des vocables qui ont échappé à son attention, d’autres termes plus modernes sont nés des rapports de plus en plus étroits de la Turquie avec l'Europe. Enfin des erreurs assez graves s’étaient glissées dans les deux précédentes éditions. Une refonte complète du livre était donc devenue nécessaire. Les éditeurs ont été bien inspirés en la confiant à un Levantin réunissant, comme Malloul, la connaissance du français à celle du turc ; il y aurait eu plus d’inconvénients que d’avantages à charger un érudit de ce travail d’une nature essentiellement pratique.
Nous ne pouvons qu’appuyer le choix qui a été fait, pour l’accomplir, de M. Saghirian, répétiteur pour la langue turque à l’École spéciale des langues orientales. Cette double tâche : d’une part, révision scrupuleuse du texte imprimé ; de l’autre, adjonction des mots omis dont l’usage est dûment constaté, a été bien comprise et bien exécutée par le nouveau collaborateur, Sur les quinze mille articles dont se compose cette troisième édition, on compte environ six mille mots nouveaux qui se rapportent aux sciences, aux arts, à l’industrie, au commerce, à l'administration et au droit. Tout en réservant la meilleure part à la langue vulgaire, on n'y a pas négligé pourtant le style mixte, déjà plus mêlé d'arabe et de persan, qui est celui de la bonne compagnie et de la correspondance d’affaires.
Par surcroît de précaution et pour donner à leur publication les meilleures garanties de régularité et de correction, les éditeurs en ont fait revoir les épreuves par M. Batifaud, ancien élève diplômé de l’École des langues orientales. Ce travailleur modeste autant que consciencieux a mis au service de l’œuvre collective l’application et l’exactitude scrupuleuses dont d’autres publications orientales ont déjà tiré grand profit. Sans doute, malgré tous ses soins et la sévérité de sa révision, quelques fautes se sont glissées encore, soit dans le turc, soit dans la transcription ; mais pouvait-il en être autrement d’un ouvrage hérissé de texte en lettres orientales et imprimé à l’étranger ? On doit regretter aussi qu’un certain nombre d’acceptions usuelles aient été oubliées ou mal indiquées, et qu’un plus grand choix d’exemples ne soit pas venu au secours du lecteur embarrassé au milieu d’une foule de tenues qu'il est tenté de prendre pour des synonymes techniques, et qui sont des acceptions quelquefois très différentes du même mot. Mais ici encore, en bonne justice, c’est au terrain mesuré trop étroitement, c’est aux exigences du format portatif qu’il faut adresser ce reproche, plutôt qu’à la révision. Si habile et économe qu'ait été celle-ci, il lui était bien difficile de faire tenir toute la langue ottomane dans un millier de pages de format in-12.
En résumé, collaborateurs et éditeurs, tous ont fait leur possible pour mettre aux mains du public une édition très supérieure à ses deux aînées, bien mise au courant du langage moderne et dont l’exécution typographique laisse peu à désirer. Nous sommes heureux de rendre ce témoignage à cette publication qui est presque une œuvre nouvelle, et nous lui souhaitons tout le succès dont elle nous paraît digne.
B. M.
A lire :
Marie Bossaert, La part arménienne des études turques. Enquête sur les subalternes de la turcologie en Europe, European Journal of Turkish Studies, 24 | 2017 : Transturcologiques. Une histoire transnationale des études turques, https://journals.openedition.org/ejts/5525