Ce courrier fut envoyé le 25 décembre 1891 au Consulat d’Italie à Constantinople / Istanbul par le Bureau d’exécution du Tribunal de Commerce de Constantinople. Il témoigne du statut juridique particulier des étrangers dans l’empire ottoman.

Dans ce courrier, le Bureau d’exécution du Tribunal de commerce de Constantinople demande au consul de communiquer un jugement à Jean Gardenghi, sujet italien, locataire d’une maison à Péra, le quartier européen de Constantinople / Istanbul. Ce locataire indélicat ne paie pas ses loyers depuis plusieurs mois. Le Tribunal l’a condamné à payer les loyers impayés, les loyers futurs tant qu’il occupe les lieux, les frais de justice, et à quitter le logement, ce qu’il n’a pas fait. La victime, le propriétaire s’appelle Alexandre Dékermandji-Oglou (cela correspond-il au nom en Turc moderne Kirmancıoğlu ?), à qui le locataire doit plus de 1400 piastres, ce qui correspond à plusieurs mois de loyer, peut-être un an.

Le courrier précise que, si le locataire ne répond pas à ces injonctions, le jugement sera exécuté sans qu’il soit précisé en quoi consiste cette exécution : expulsion, saisie de bien, prison ...

Une annotation en Italien a été ajoutée et demande la transmission du document à M. Gardenghi.

Le Bureau d’exécution du Tribunal de commerce était chargé de transmettre les citations et les jugements aux consulats qui, eux-mêmes, les transmettaient aux citoyens du pays établis dans l’empire ottoman.

Grâce aux traités conclus avec l’empire ottoman à partir du XVIe siècle, appelés Capitulations, les étrangers bénéficiaient d’un régime particulier dans les affaires judiciaires, en particulier commerciales, jugées sur le territoire ottoman. En cas de différend entre ottomans et étrangers, les dispositions capitulaires permettaient de régler les affaires par voie diplomatique et extra-judiciairement, en dehors des tribunaux de droit commun. Cette situation était justifiée par le caractère religieux des tribunaux ottomans qui n’auraient donc pas jugé équitablement un non-musulman ; elle persista jusqu’aux réformes de la seconde moitié du XIXe siècle (George Young, Corps de droit ottoman, 1905, vol. II). En 1879, la situation changea et  la surveillance de la juridiction commerciale revint au Ministère de la justice ottoman.

Comme le montre le texte ci-dessous, la Première Chambre du Tribunal de commerce est composée d’un président,  de deux juges ottomans et de deux assesseurs étrangers, situation que l’on ne trouve nulle part en Europe. La semaine est organisée en fonction des nationalités des justiciables. Le gouvernement ottoman tente, cependant, en cette fin du XIXe siècle, de récupérer peu à peu sa souveraineté et le contrôle de toutes les juridictions.

Avec la République, ces traités seront abolis et le système sera abandonné au profit d’une justice souveraine de l’Etat turc.

Le courrier

tribunal de commerce, Constantinople, 1891

tribunal de commerce, Constantinople, 1891

Première présidence du tribunal de commerce
Bureau d’exécution
N° 149

Constantinople, le 25/7 décembre 1891

A l’honorable consulat général d’Italie

Par un jugement rendu par le Tribunal Civil de Pera, en date du 31 sbre 1306, le sujet Italien Jean Gardenghi, a été condamné à évacuer la maison qu’il occupe, sise à Pera Bainos Sokak N°2 et à payer à Alexandre Dékermandji-Oglou les loyers montant à 1420 piastres et les loyers à courir depuis le 1er Nov 1306 jusqu’à l’évacuation de l’immeuble à raison de 20 piastres par jour plus les frais de justice.

Attendu que le susdit sujet Italien ne s’est pas jusqu’ici exécuté, 

Le Bureau d’Exécution vient sur la demande du créancier prier cet honorable Consulat Général de vouloir bien sommer le Sr Gardanghis de payer sa dette dans un délai de huit jours à partir signification de la présente et vouloir en même temps l’avertir que faute de s’y conformer et passé ce délai on procédera à l’exécution du jugement, conformément à la loi.

[Cachet]

Manda notificarsi copia del presente al Sig Giovanni Gardenghi con inginuzione di uniformarvin nel termine di giorni otto a scanso degli atti executivi.

[Traduction : Envoyez une copie de ce document à M. Giovanni Gardenghi avec une injonction de se conformer dans un délai de huit jours pour éviter toute procédure d'exécution. 8 janvier 1892]

Cospoli 8 Gennaio 1892

Il R ? Consule Gle

[signature]

Textes de référence

George Young, Corps de droit ottoman, recueil des codes, lois, règlements, ordonnances et actes les plus importants du droit intérieur, et d'études sur le droit coutumier de l'Empire ottoman, Oxford, At the Clarendon Press, 1905

[Ce texte reflète la situation après 1879]

Titre XIVA

Tribunaux mixtes

[...]

Ainsi la juridiction commerciale dans la Capitale est actuellement exercée par un Tribunal de Commerce divisé en trois Chambres, savoir :

La 3e Chambre ou Chambre de Commerce maritime, qui partage avec la Chambre la compétence en matière de faillites ainsi que pour les questions maritimes mixtes et autres questions maritimes et qui comprend un Président et deux juges ottomans assistés en matière mixte par deux assesseurs étrangers de la nationalité intéressée ;

La 2e Chambre, qui est la Chambre compétente pour traiter les questions commerciales entre sujets ottomans, et qui se compose d'un Président et de deux juges permanents ottomans, l'emploi de juges temporaires étant tombé en désuétude à la Capitale ;

Enfin, la 1ère Chambre, traitant des affaires mixtes, commerciales aussi bien que civiles, dans les limites fixées par le XIVD, qui se compose d'un Président et de deux juges ottomans, ainsi que de deux assesseurs de la nationalité intéressée. Les séances de cette Chambre sont partagées entre les diverses nationalités (2).

(2) Lundi, affaires françaises, belges, espagnoles, danoises, suédoises. Mardi, une semaine — affaires italiennes, l'autre — persanes, alternativement. Mercredi, une semaine — affaires anglaises, l'autre — autrichiennes, alternativement. Jeudi, affaires grecques. Samedi, une semaine — affaires russes, l'autre — allemandes et roumaines, alternativement.

[...]

Compétence des tribunaux mixtes

Texte XIVC

[...]

L'ancien Kitabet était chargé de l'exécution des sentences rendues sur les procès mixtes ; mais, depuis la création des  Bureaux d'exécution par la réforme de 1879 (v. XI), le Bureau d'exécution de la Chambre du Tribunal de Commerce doit notifier aux étrangers par l'entremise des Consulats les citations et les sentences (5) ; les délais légaux  pour recours en appel, etc., datent du jour où les actes sont remis au Consul (6).

(6) 
(a) La S. Porte aux Missions (Note verb. Circ.), 1874. (Arch. de l'Amb.) :

“La signification des jugements et autres actes judiciaires étant faite aux étrangers par l'intermédiaire des Consulats dont ils relèvent, c’est à ces derniers que revient toute la responsabilité vis-à-vis de leurs administrés des retards apportés dans l'accomplissement de ces formalités. Il importe également de ne pas perdre de vue les délais d’opposition, d’appel et d'exécution des jugements qui commencent à courir 24 heures après la remise aux Consulats des pièces à signifier, si les parties ont leur domicile dans le même lieu. Dans le cas où elles habitent une localité autre que celle de la résidence consulaire, il est accordé un délai d'autant de jours qu'il y a de journées de marche de six heures entre ladite résidence et celle des parties.”

(b) Attendu que les délais légaux commencent à courir depuis la date de la communication des actes judiciaires; attendu que les actes intéressant les étrangers sont communiqués par l’entremise des Consuls ou de leurs drogmans, et qu'en conséquence des retards ainsi apportés les délais ont été prolongés à discrétion des juges; les délais en question étant déterminés, il n'est pas de la compétence des Tribunaux de les prolonger . . . (Circ. du Min. de la Just. du 23 Redj. 1098 - 12 juin 1881, Kod., p. 2414).

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