Enfoncé dans la semi-obscurité des eaux peu profondes, ou au contraire, surgissant dans la lumière aveuglante du soleil, le dauphin bondissant poursuit dans les airs sa route imprévisible, pour bientôt s'immerger à nouveau. Nageoires déployées, puissante queue en spirale, battant l'eau écumeuse, c'est une force de la nature, impérieuse dans ses besoins toujours insatisfaits.
Mais un enfant nu, déjà robuste, le chevauche agrippé à l'une de ses nageoires, comme il le ferait d'une crinière. Emporté par la fougue de l'animal, il semble un instant désarçonné, mais pourtant se maintient et parvient même à guider la bête. Dans sa main droite levée subsiste le fragment d'un manche, qui pourrait être celui d'un trident.
Tel est "Éros chevauchant un dauphin". Ce "Yunuslu Eros", autrement dit Eros au dauphin, est un petit objet en bronze, daté du IIe siècle ap. J. -C. Exposé dans l'une des vitrines du Musée de Selçuk, il a été trouvé à Èphèse, dans le lieu dit Rue des Courètes, au début de la longue voie sacrée qui conduisait au temple d'Artémise.
Ce thème de l'Éros chevauchant est fréquent dans l'art antique. On le trouve dans tout le monde grec, au sud de l'Italie et même en Égypte. On en voit diverses représentations à Paris, au Musée du Louvre, au Musée de Cluny ; à Rome, au Musée du Capitole ; au Portugal, au Museu Nacional de Archeologia de Faro ; etc
Quant au dauphin, animal aquatique, les mythologues en ont fait le symbole d'une Grande-Mère primitive. Figure ambigüe, aussi bien porteuse de vie que symbole de mort.
Mais Éros peut aussi enfourcher un cygne, un coq, ou encore une panthère, et même un centaure. Il est très souvent associé à Aphrodite, déesse de l'Amour.
Tantôt il sert de fibule, illustre le médaillon d'une lampe à huile, orne une bague, contribue au décor d'une mosaïque.
Ce dieu de l'amour et de la puissance créatrice, lié à la thématique de la régénération, est aussi souvent mêlé à des rites funéraires, sous forme d'amulettes, de masques ou de décors sculptés au flanc des sarcophages grecs, latins et paléo-chrétiens. Ici, il semble avoir servi de pendentif.
JJB, juin 2015