Kemāl Pasha Zādeh [Kemalpaşazade], mort en 1534, est un des grands chroniqueurs du XVIe siècle, mais aussi un poète. De Soliman, il écrit : "L'ombre que projette sa tente est comme un grain de beauté sur la joue de la victoire. "
Kemal Pacha Zadeh (Schems ed-din Ahmed) était né à Andrinople vers la fin du XVe siècle de notre ère. Appartenant à une famille qui comptait parmi ses membres de hauts dignitaires, il fut d'abord destiné à la carrière des armes.
Lorsqu'il était encore tout jeune il accompagna sultan Bayezid dans une expédition entreprise contre Lepanto. Comme il était assis un jour dans la tente du grand vizir Ibrahim Pacha, fils de Khalil Pacha, il vit avec surprise quels honneurs excessifs étaient rendus à Lutfi, professeur à Philippopolis, aux appointements modestes de trente aspres par jour, qui prit rang avant Ahmed Bey, fils d'Evrenos Bey. Il eut une conversation à ce sujet avec un homme intelligent, qui lui fit comprendre combien la dignité des oulema était au-dessus de celle de tous les autres hommes.
C'est alors qu'il se résolut à embrasser une carrière qui offrait un si vaste champ à son ambition. De retour à Andrinople, il étudia sous Lutfi, professeur au collège des traditions, puis sous les molla Keçetli Khatib Zadeh et Mouerrif Zadeh. Lorsqu'il eut complété ses études, il enseigna Iui-même à Andrinople dans le collège d'AIi Bey, appelé aussi collège de la carrière puis à Uskoup, dans le collège d'lshak Pacha, puis encore à Andrinople, au collège des Halepins, puis dans des fondations d'un rang plus élevé, jusqu'à ce qu'il parvint à l'un des collèges dits des soixante, c'est-à-dire dont les professeurs reçoivent soixante aspres par jour, et enfin au collège impérial de sultan Bayezid Khan.
Après avoir mérité, dans ces différents postes, les applaudissements de tous les gens sensés, il fut nommé kadi d'Andrinople. Il était encore jeune lorsque, sur la recommandation du kasi-asker d'Anatolie, Muyid Zadeh Efendi, sultan Selim le chargea de rédiger en langue turque les annales ottomanes, comme Idris avait été chargé de les rédiger en langue persane; à reçut à ce titre une gratification de trente mille aspres. Plus tard, nommé lui-même kasi-asker d'Anatolie, il accompagna, en cette qualité, sultan Selim dans sa conquête de l'Egypte, et il était assez estimé de ce prince redoutable pour oser lui parler avec une franchise qui eût coûté la vie à tout autre. C'est ainsi qu'il se chargea de faire entendre au sultan que l'armée, fatiguée d'un trop long séjour en Égypte, soupirait après son retour à Constantinople. Toutefois, quand il fut rentré dans sa capitale, Selim, excité par des propos calomnieux, destitua le savant molla de ses fonctions de juge d'armée et l'envoya à Andrinople avec cent aspres de traitement par jour, comme administrateur du collège des traditions et plus tard du collège de sultan Bayezid. Kemal Pacha, attribuant sa disgrâce a son ennemi Hadji Haçan Zadeh, s'en vengea par ces vers :
Le fils d'Haçan, ce vilain homme, qui affiche la méchanceté, qui fait parade d'ignorance, cherche à me nuire, à moi, le soleil de la perfection. Quoi de plus naturel? les hommes capables ont toujours pour ennemis les gens sans moyens; pour chaque Ahmed se trouve un Abou Djehl.
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Sous le règne du grand Soliman , Kemal Pacha Zadeh fut enfin élevé à la dignité suprême de scheikh-ul-islam après le mufti Ali Tchelebi Efendi, qui mourut l'an 932. Il se distingua tellement dans ces hautes fonctions par sa sagesse et son équité, qu'à fut surnommé par excellence "le mufti des hommes et des génies , la mer des fetva, la mine de la piété, l'astre des cieux de la loi, le scheikh de la nation orthodoxe, le directeur du peuple croyant, l'ornement de la religion, la couronne des traditions". Les grands hommes qui l'avaient précédé s'étaient dîstingués chacun dans une science; pour lui, comme il possédait toutes les sciences, il a composé des ouvrages admirables sur les sujets les plus variés : tels qu'une foule de traités sur des questions de droit; une sorte d'imitation du Gulistan, intitulée Nigaristan, ou Galerie des images, rédigée en persan; des gloses marginales au Kouschaf; des commentaires du Hedayet, du Tedjrid, du Miftah et du Tohfet, etc. etc. Non moins recommandable comme poète,
il est auteur du poëme romantique d'Iousouf-ou-Zouleika. Le Schakaïkoun-Nomaniyeh rapporte une anecdote qui donnerait une haute idée de l'immensité de ses connaissances. Un jour un Arabe se présenta à lui, et, après lavoir salué de la part des oulema de l'Egypte, lui remit un livre qui contenait nombre de dîfficultés dont ces savants lui demandaient la solution. Kemal Pacha examina le livre pendant la nuit et le rendît le lendemain matin au messager, après avoir répondu à toutes les difficultés.
Ce savant homme mourut le deuxième jour du mois de schewal de l'année 940, et fut inhumé hors de Constantinople dans le couvent de Mahmoud Tchelebi. On fit sur lui ce chronogramme :
Le soleil de la constellation des perfections, l'astre du ciel des sciences est parti pour rentre monde; que le Très-Clément lui fasse miséricorde ! que le paradis soit à jamais son séjour; qu'il soit servi par de jeunes garçons et par les houris ! Une inspiration divine m'a dicté ce chronogramme : Que le tombeau d'Ahmed soit toujours brillant de lumière!
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extrait de la préface de
Histoire de la campagne de Mohacz, de Kemāl Pasha Zādeh [Kemalpaşazade], publiée pour la première fois avec la traduction française et des notes par M. Pavet de Courteille, professeur adjoint à l'Ecole annexe des langues orientales, membre de la Société asiatique, chargé du cours de Turc au Collège impérial de France, imprimé par autorisation de l'empereur, à l'imprimerie impériale, 1859