Peu connu en France, Ahmet Nedim (1680-1730) est un des poètes ottomans les plus célèbres dans la Turquie moderne.
Ces notes sont librement traduites de l'ouvrage de Gibb, A History of ottoman poetry, 1905 et complétées avec d'autres sources.
Edition parue en 1920 à Istanbul
On sait peu de choses d'Ahmet Nedim qui vécut sous le règne de Ahmet III, pendant l'ère des Tulipes**. Il naquit probablement en 1680, était petit-fils d'un kadi asker d'Istanbul appelé Mustafa Efendi, qu'il connaissait le Persan et l'Arabe, qu'il fit partie des oulémas et qu'il fut kadi (juge) du tribunal de la mosquée Mahmud Pacha. Il devint bibliothécaire et favori du Grand Vizir Ibrahim et mourut en même temps que son protecteur.
**[L'ère des Tulipes (Lâle Devri) est une courte période qui va de 1718 à 1730 et qui marque les débuts de la modernisation de l'empire ottoman. Les tulipes suscitèrent à cette époque un grand engouement.]
Cela arriva au début octobre 1730, au moment de la révolution qui coûta sa vie à Ibrahim Pacha et son trône au sulten Ahmet. Certaines sources racontent que Nedim qui se trouvait dans le palais du vizir, fut tué en essayant d'échapper à la foule en furie.
Selon Gibb, Nedim est le plus grand des poètes ottomans classiques. Il a ouvert une nouvelle voie pour la littérature ottomane.
Ses oeuvres les plus originales sont de courts poèmes destinés à être chantés à la cour. S'il traite des mêmes thèmes que ses prédécesseurs, il se fait plus léger, plus joyeux, sans grandiloquence, en évitant le style alambiqué de nombreux poètes ottomans.
"Les printemps de ce monde ne sont qu'une demi-joie
…
Y a-t-il donc un seul moment où le coeur ne songe pas,
O belle créature, aux jours écoulés à tes côtés ?
...
Le plaisir qui est complet ne se soucie pas des promesses du lendemain ;
Heureux celui qui aujourd'hui a découvert la cxréature amie."
La joyeuseté du ton et la fantaisie de l'expression sont les deux grandes caractéristiques de Nedim, et en cela il n'a pas de rival parmi les poètes ottomans. Il n'a rien de la passion de Fuziili, et ses vers n'ont pas la majesté des qasidas de Nefi, mais pour la grâce et la légèreté de la touche, et pour cette capacité heureuse d'évoquer en quelques mots bien choisis l'atmosphère d'un instant, ni Fuzuli ni Nefi ni aucun autre parmi tous les poètes turcs ne peuvent l'égaler.
Mais Nedim n'a jamais regardé sa poésie comme une affaire sérieuse.
"Chaque jour de ce siècle est un jour de jeunesse"
Son grand mérite est d'écrire dans un langage aussi proche du génie de la langue turque qu'il est éloigné de celle du Persan autant que cela était possible à cette époque. Pour cela, il mérite de prendre rang au-dessus de Fuzûlî (1483-1556) ou de Nefi (né en 1572) qui l'ont précédé ou de Şeyh Gâlip (1757-1799) qui est venu après. Chacun de ces poètes dépasse Nedim dans un sens ou un autre, mais il les a dépassés tous quand il réussit à donner à son oeuvre un ton national. Que cela ait été un acte conscient et délibéré, et non le résultat d'un manque de familiarité avec le Persan, est prouvé par les poèmes qu'il a écrits dans cette langue qui montrent qu'il était aussi bien versé dans celle-ci que pouvait l'être le plus savant de ses compatriotes.
Une légende raconte que, quand Nedim présentait à Ibrahim Pacha ses qasidas brillantes et délicates şarkı décrivant des gais pavillons et de beaux jardins, ces illuminations éblouissantes et ces joyeuses fêtes, le Grand Vizir remplissait la bouche du poète de pierres précieuses. Bien que, comme Ekrem Bey l'écrit, cette anecdote soit probablement apocryphe, elle fait écho à l'esprit de l'époque et à la munificence et à la fortune d'Ibrahim. Selon toute vraisemblance, ce n'est qu'une interprétation fantaisiste de la métaphore qui dit que la bouche d'un poète qui chante si doucement est un trésor de pierres précieuses.
On trouve peu de traduction de Nedim en Français, sauf dans des anthologies modernes.
Il ne figure pas dans l'anthologie de Servan de Sugny, "La muse ottomane" publiée en 1855.
"Il a été à la poésie ce que le rococo fut - précisément à son époque - à l'architecture et à l'art turcs : une exquise diversion", écrit Resad Nuri Darago, dans son ouvrage "Poètes turcs des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles", 1948 (avec la traduction de plusieurs poèmes de Nedim)
Oeuvres
Les oeuvres poétiques de Nedim sont regroupées intégralement dans son Divan qui est composé de trente ou quarante qasidas [en Turc, kaside, genre employé dans les sujets lyriques et élégiaques], surtout en l'honneur et à la gloire de son protecteur le Grand Vizir Ibrahim Pacha et du sultan Ahmed III, bien que quelques-uns des premiers poèmes soient en l'honneur du grand vizir Ali Pacha.
Ils sont suivis par quelques courts poèmes mesnevi [qui consiste à faire rimer ensemble les deux hémistiches d'un même vers, comparable à l'alexandrin des poètes français], et par un certain nombre de chronogrammes [ou tarikh ; les vers commencent par des lettres correspondant à des chiffres dans un système de numération de type littéral, comme la numération littérale arabe ou latine, et permettent de former la date d'un événement.].
L'édition imprimée de son livre contient cent quatorze gazels [forme utilisée pour les sujets érotiques, bachiques et allégoriques et doit avoir entre dix et quatorze vers] en turc et quinze en persan quelques quatrains et des couplets simples en turc et en persan, vingt şarkı.
En prose, il a fait une traduction de l'œuvre historique du Munejjim Başı (histoire universelle depuis Adam jusqu'à l'année 1672-1673 écrite en arabe par l'astrologue en chef Ahmet Dede), qui à sa façon est à peine moins méritoire que ses vers.
Il avait une grande réputation en tant que traducteur, ce qu'indique sa participation à l'un des comité nommé par Ibrahim Pacha pour traduire le grand ouvrage biographique connu sous le nom "Iqd-Juman" ou "Collier de perles", écrit au XVe siècle par l'Imam Bedr-ud-Din el-Ayni.
Hanif-Zada Ahmed, le continuateur de dictionnaire bibliographique de Hajji Khalifa, nous donne les noms des trente membres de ce comité, qui comprenait outre Nedim, trois autres poètes, Vehbi, Neyli et Asim.
En caractères arabes
- Dīwān-i Nedīm Efendī, Le Caire ?, [Būlāq Matbaʿasi], 1840, 107, 59 pages
sur Google : http://books.google.com.au/books?id=e8A-AAAAcAAJ&hl=fr&pg=PT3#v=onepage&q&f=false - Qaṣā'id we-ġazelīyāt-i Nedīm, Ahmed Nedîm, Ali Bey Maṭb., 1874, 140 pages
- Divan, Istanbul, Ikdam Matbaasi, 1919
- [Istanbul] Nefset Maba'asi, 1920, avec un portrait.
http://archive.org/stream/erinedm00nediuoft#page/1/mode/2up
L'ouvrage a été malheureusement numérisé à l'envers.
En caractères latins
- Nedim divanı : devrine, hayatına ve edebî şahsiyetiyle tesirine ait önsöz, kasideler, kıt'a ve tarihler, gazeller, terkipler, rubailer, beyit ve müfletler, sözlük / haz. Abdülbâki Gölpınarlı. Istanbul, Inkilâp Kitabevi, 1951, XL, 470 pages
- İstanbul, İnkilâp ve Aka, 1972, 432 p.-[6] p. de pl. : fac-sim
- Divançe : Nedim-i kadim ve divançesi, inceleme, tenkidli basım, İstanbul, Kültür ve Turizm Bakanlığı, 1987, VIII, 211 pages
Etudes et traductions
- Hammer, Geschichte der Osmanischen Dichtkunst bis auf unsere Zeit..., Volume 4, 1838 (en Allemand)
Traduit plusieurs textes de Nedim et lui consacre une notice et une bibliographie. - Gibb, A History of ottoman poetry, 1905, pages 30-57 avec des traductions en Anglais de la page 38 à la page 57
- Rechad Noury, Le poète Nedim et la société ottomane au XVIIIe siècle, article dans le Mercure de France, 15 juin 1921 (avec quelques vers traduits)
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k201891m/f19.image - Resad Nuri Darago, Poètes turcs des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, [Istanbul], Ari Matbaasi, Ankara üniversitesi, « Edebî incelemeler serisi » 1, 1948, 164 pages, épuisé. Cet ouvrage contient la traduction de plusieurs poèmes (10 pages) de Nedim.
- Kemal Silay, Nedim and the poetics of the Ottoman court. Medieval inheritance and the need for change. Bloomington, Ind., Indiana Univ. Turkish Studies, 1994, XIV, 183 pages