Un sultan que certains historiens considèrent comme incompétent, mais dont le règne fut marqué par des conquêtes.
SÉLIM II, onzième sultan des Ottomans, et fils de la fameuse Roxelane (Hürrem), succéda, en 1566, à son père Soliman le magnifique. Trois jours après qu'il eût été proclamé à Constantinople, il partit pour aller se mettre à la tête de l'armée ottomane, qui assiégeait Zigeth [en Hongrie]. Mais le grand vizir, qui était venu à sa rencontre, l'ayant trouvé à Sirmich [en Hongrie], lui représenta que la saison était avancée, et le fit consentir à recevoir dans cette ville les hommages de officiers de ses troupes qui suivirent leur souverain à Constantinople. L'événement le plus glorieux de son règne fut la conquête de l'île de Chypre, faite, par son ordre, sur les Vénitiens, en 1570. L'évènement qui présageait le plus de malheurs et qui en entraîna le moins fut la bataille de Lépante, gagnée en 1570 par don Juan d'Autriche, où la flotte ottomane fut presque entièrement détruite. Sélim s'en consola en lisant le Coran, mais surtout en voyant que ses ennemis ne profitèrent pas de l'effroi qu'avait jeté dans Constantinople une si grande victoire. « La perte d'une flotte, disait à ce sujet le grand vizir à l'ambassadeur de Venise, n'est pour mon sublime empereur que ce que serait la barbe à un homme qui se la fait couper et à qui elle repousse ; mais la perte de l'île de Chypre est pour les Vénitiens comme la perte d'un membre qui ne revient plus quand il a été retranché. » En effet, dès l'année suivante, Kilidj-Ali remit en mer, sous les yeux de Selim, une flotte nouvelle, et revint braver ses ennemis.
Conquête de la Tunisie et du Yémen
Le règne de Sélim II est encore mémorable par deux conquêtes importantes ; celle du Yémen, qui avait secoué le joug de la Porte, avant la mort de Soliman, et celle de la Goulette et de Tunis, que les Turcs enlevèrent aux Espagnols qui en étaient devenus maîtres, en entretenant la discorde entre les princes hafsides, rois de Tunis : ces deux conquêtes eurent lieu l'an 978 (1570). Sinan-Pacha commanda dans la première de ces expéditions et la seconde fut dirigée par le capitan-pacha Kilidj-Ali, dey d'Alger. Deux ans après, les Espagnols s'étant de nouveau emparés du royaume de Tunis sous prétexte d'y rétablir le dernier roi, Sinan-Pacha l'assujétit définitivement à la domination ottomane, l'an 988 (1574).
Sélim II mourut des suites d'une chute, le 13 décembre 1574, âgé de cinquante-deux ans.
La conquête de l'île de Chypre ajouta à l'empire Ottoman un accroissement de gloire ; et quelque difficile que fût la tâche de succéder à Soliman le magnifique, Sélim en supporta le fardeau avec éclat (1). Il eut de la fermeté dans les revers, de l'élévation dans l'âme, de la constance dans ses entreprises, de la grandeur dans ses projets. Il conçut la noble et utile pensée de réunir le Tanaïs [Don] et la Volga : des causes étrangères à ce sultan empêchèrent l'exécution, déjà commencée, d'un plan digne des plus grands monarques et des nations les plus civilisées. (2)
Sélim fut brave, prudent, ami de la justice, des sciences et des savants, clément et religieux. Il fut au niveau des circonstances difficiles au milieu desquelles il vécut ; et si l'éclat de son règne fut éclipsé par la splendeur que jetait encore la mémoire de Soliman Ier, son père, aucun des successeurs de Sélim II ne le surpassa à son tour, ni même ne mérita de lui être comparé. S—Y.
Notes
(1) Les succès qu'avaient obtenus les armes de ce sultan, et les vœux des Maures de Grenade lui inspirèrent le désir de réunir l'Espagne à son empire. Tout était disposé pour opérer une descente en Andalousie, l'année suivante, lorsque la mort de Sélim arrêta l'exécution de son projet. A-T.
(2) La reconstruction du temple de la Mecque, les abondantes aumônes distribuées aux pauvres des deux villes saintes (La Mecque et Médine), et plusieurs fondations pieuses, ont rendu le nom de Sélim respectable chez les Ottomans. On lui a reproché sa mollesse, et surtout sa passion pour le vin, qui le fit surnommer "l'ivrogne" [Sarhoş en Turc] ; mais on a, peut-être à tort, attribué à cette passion du sultan le but de la conquête de Chypre [L'historien Hammer évoque cette même idée]. Sous Sélim II, s'arrêtèrent les progrès de l'empire ottoman, dont la décadence politique date du règne de son fils Murat, quoique sa décadence morale ait commencé réellement à Sélim, qui le premier cessa de se montrer à la tête de ses armées. A-T.
extrait de Biographie universelle ancienne et moderne... de Michaud, 1811. Nous avons modernisé et unifié l'orthographe des noms propres.