Notices biographiques et portraits du plus célèbre des sultans ottomans.
Nous avons modifié quelques graphies pour les rendre plus proches des usages modernes.
Mehmet II, empereur des Turcs, surnommé Bouyouk,c'est-à-dire le grand [en général, on l'appelle plutôt le Conquérant, Fatih], naquit à Edrine en 1430. C'est sous son règne que l'empire grec fait place, en Europe, à l'empire turc.
Il y avait à peine un siècle et demi qu'Ottoman, ou Othman, d'abord simple soldat, puis général d'un sultan d'Iconium, avait jeté les premiers ibndemens de la grandeur de sa maison. Une partie de la Bithynie et de la Cappadoce fut le prix de son courage. Orcan, son fils, ajouta à cet héritage la Mysie, la Carie et toutes les provinces qui s'étendent vers l'Hellespont. Murat Ier acheva de soumettre l'Asie mineure, passa le Bosphore, en 1355 sur des vaisseaux génois, s'empara d'Andrinople, la seconde place de l'empire, et y fixa son séjour. Beyazit Ier, surnommé le Foudre, soumit la Thessalie, la Macédoine et la Bulgarie, et vint, en I393 assiéger Constantinople. L'empire d'Orient disparaissait alors, si Beyazit, obligé de voler en Asie pour repousser Tamerlan, n'eût été vaincu dans les plaines d'Ankara. La fortune des Ottomans résista à ce sanglant revers. En 1429, Murat II, petit-fils de Beyazit, reprend les projets de son aïeul ; vainqueur en Asie, il passe l'Hellespont, s'empare de Thessalonique, inonde de ses troupes les restes de l'empire grec, écrase, en 1444, l'armée chrétienne en Hongrie, donne, en 1448, un empereur à Constantinople, et s'affermit dans ses nouveaux états par ses vertus autant que par ses talents. Ce fut lui qui institua la milice si longtemps redoutable des Yeniçéris, que nous nommons Janissaires. Issu de tant de guerriers fameux, Mehmet II les effaça tous.
Deux fois, sous le règne de son père, il fut appelé au trône, et deux fois il le céda, sans résistance, à celui de qui il le tenait. Cette circonstance est remarquable dans la vie d'un ambitieux et d'un conquérant. En 1451, il reprit le sceptre une troisième fois, et ce fut pour ne plus le quitter qu'avec la vie. Ses premiers regards se portèrent sur Constantinople. Murat, fidèle à ses promesses, avait dédaigné ou différé cette facile conquête. Son successeur fut plus hardi ou moins scrupuleux. Au mois d'avril 1453, Constantinople fut investi par 300 mille hommes,et le 29 mai suivant les Turcs s'en emparèrent après un assaut général. Constantin Dragacès, dernier empereur d'Orient, lutta contre sa malheureuse destinée avec le courage d'un héros. Trahi par ses sujets, abandonné de l'Europe, il périt les armes à la main dans la mémorable journée qui vit disparaître à la fois la liberté des Grecs, le nom des Césars et la gloire d'un empire qui avait subsisté 15 siècles. Mehmet eut la politique de laisser à ses nouveaux sujets le libre exercice de leur religion ; il installa lui-même un patriarche. Constantinople devint la capitale Je son empire, et de là, comme d'un point central, il porta tout autour de lui ses armes victorieuses. L'Epire résista quelque temps à ses efforts, mais il finit par la conquérir; après la mort d'Huniade il s'établit sur les bords du Danube. Bientôt il soumit la Grèce et le Péloponèse ; acheva d'éteindre l'empire grec en s'emparant de Trébizonde et de la partie de la Cappadoce qui en dépendait ; se rendit maître de Caffa, l'ancienne Théodorie ; revint réduire Scutari, Négrepont, Zante, Céphalonie, et presque toutes les îles de l'Archipel ; courut à Trieste, à la porte de Venise, et s'en empara ; prit et saccagea Otrante, et établit la puissance ottomane au milieu de la Calabre, d'où elle menaçait le reste de l'Italie. Pendant 31 ans que dura son règne, Mehmet II marcha de conquête en conquête; il soumit deux empires, douze royaumes et deux cents cités, sans que les princes chrétiens songeassent à se réunir contre un si redoutable ennemi. Scanderberg, le héros de l'Epire, et le célèbre Huniade, gouverneur de la Hongrie, eurent quelque temps la gloire de contenir ce torrent débordé. Les Vénitiens, alors puissants, firent des efforts tardifs pour s'en garantir: mais les chevaliers de S. Jean de Jérusalem, ayant à leur tête le vaillant d'Aubusson, se couvrirent de gloire par la défense de Rhodes. Mehmet II, irrité de sa défaite, se préparait à la réparer; il menaçait à la fois l'Orient et le Midi de l'Europe, l'Asie et l'Afrique, lorsque la mort le surprit à Nicomédie, à 53 ans. Il ordonna que l'on gravât sur son tombeau ces mots : Je voulais prendre Rhodes et conquérir l'Italie : c'était probablement pour tracer à ses successeurs leur devoir.
Il y a loin sans doute de Mehmet II à Alexandre et à César ; mais à quelque distance qu'il soit de ces hommes célèbres, il occupe une place distinguée parmi ceux qui se sont illustrés en ravageant la terre. Il avait des talens remarquables pour son temps, et plus d'instruction que la plupart des princes contemporains. Il parlait avec facilité plusieurs langues, savait le grec et le latin, connaissait l'histoire et la géographie, cultivait les lettres, aimait les artistes et les savans. On peut douter qu'il ait porté la férocité jusqu'à la démence, ainsi que le disent quelques historiens ; et par exemple, qu'il ait fait fendre le ventre à quatorze de ses Icoglans ou pages, pour trouver un melon, et qu'il ait coupé la tête à sa maîtresse, devant ses soldats, pour se montrer supérieur aux faiblesses de l'amour ; mais il est certain qu'il était naturellement violent, qu'il fut quelquefois perfide, et que dans son palais comme sur le champ de bataille, il se montra souvent cruel et sanguinaire. On a remarqué que ses meilleurs ministres ou généraux étaient des chrétiens renégats.
Notice extraite de Galerie historique des hommes les plus célèbres de tous les siècles et ... par Charles P. Landon, 1805
A lire, la biographie très complète par Jouannin (1840) : Sultan-Muhammed-Khan, El Fatyh