Ce texte, préparé par Mahmud II, mort le 1er juillet 1839, est lu par Mustafa Rechid Pacha le 3 novembre 1839 sous le règne du nouveau sultan Abdul-Medjid Ier.  C'est le texte fondateur des réformes de l'empire ottoman.

Nous présentons ici la traduction et les commentaires par François Alphonse Belin de ce texte parus dans le "Journal asiatique" en janvier 1840.

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Le grand acte dont Constantinople vient d'être le témoin le 3 novembre dernier, à Gulkhanè (1), est de tous les pas faits vers la réforme, celui qui est le plus heureux pour l'humanité, et le plus honorable. pour le haut génie qui l'a conçu.
Jusqu'à présent les réformes dans l'empire ottoman s'étaient bornées au costume, à la manoeuvre et à l'organisation des troupes ; mais ces améliorations n'étaient que le prélude de celle qui vient de s'opérer aujourd'hui et qui fera briller d'une véritable gloire, jusqu'à la fin des siècles, le nom du sultan qui l'a exécutée.

(1) Gul-khanè (mot à mot : la maison des roses), est le lieu où la lecture solennelle du Khatti-chéryf a été faite par S. Exc. Rechid-Pacha. Gulkhanè est la troisième cour du sérail. On y tenait autrefois le divan, et c'est là que l'empereur reçoit, à la fête du Baïram, les hommages des grands de sa cour.
Le nom de Gulkhanè est donné à ce lieu parce qu'il y a là un office immense uniquement destiné à la préparation des sucreries, et principalement à celle de la conserve de roses.


Certes, la chrétienté doit se réjouir dé ne plus voir ses frères de Constantinople oser à peine avouer leur culte et leurs croyances, être marqués du stigmate de l'ignominie, et racheter pour ainsi dire leur vie par la honte d'un tribut permanent. Un changement comme celui qui vient d'avoir lieu était difficile à opérer : il a fallu toute la sagesse de Sultan Mahmoud pour en préparer les voies, et amener pas à pas, jusqu'à ce point, une révolution si grande dans les idées musulmanes.
Cependant, dans les siècles passés, l'empire ottoman a possédé des hommes expérimentés, qui, à différentes époques, le dotèrent de lois sages, dont l'établissement fut la cause de sa prospérité pendant de longues années ; mais cet empire devait se soumettre à la loi commune, c'est-à-dire que, toute sa puissance consiste dans les armes, l'autorité militaire dut y dominer l'autorité judiciaire. Les janissaires, qui devinrent, sinon les auteurs, au moins une des principales causes de la splendeur ottomane, furent aussi celle de sa destruction par leur nombre incessamment augmenté, leur puissance, et leur insolence envers la religion et le souverain.
Les premiers chefs de la dynastie ottomane n'avaient pas d'armée permanente ;  lorsqu'une expédition militaire était décidée, ils étaient obligés de convoquer, quelque temps à l'avance, des cavaliers turcomans nommés akindjy, ou aqindjy (coureurs), seules troupes alors en usage. Un tel mode de recrutement nécessitait naturellement beaucoup de lenteurs, et mettait le souverain à là merci du caprice de ces recrues. Pour y remédier Sultan-Orkhan créa d'abord une milice organisée de pyadèh (fantassins), qui recevaient une solde d'un aktchèh (aspre) par jour, somme considérable pour le temps. Mais l'insubordination et les prétentions orgueilleuses de cette milice s'élèverent à un tel point, que leur licenciement devint indispensable. Ce fut alors que Sultan Orkhan, suivant quelques historiens, ou, suivant d'autres, son successeur, Sultan-Mourad Ier, institua une milice nouvelle , composée entièrement de jeunes chrétiens enfants de tribut ou prisonniers de guerre, que  l'on instruisait dans la religion musulmane.

Janissaire, chef-archer, coman... Digital ID: 831309. New York Public Library

Les janissaires yeny-tchery (nouvelle troupe), dépassèrent en peu de temps les espérances de leur instituteur : ils apprirent, sous des maîtres habiles, à vaincre et à obéir; ils établirent sur des bases formidables, par leur courage et leur bravoure, la puissance de leur maître  et lorsqu'ils eurent renversé à Constantinople l'ombre du colosse romain, ils vinrent plus d'une fois faire trembler la chrétienté jusque sous les murs de Vienne, après l'avoir refoulée continuellement vers l'occident. Mais a ces prodiges de valeur venaient se joindre des séditions incessantes ; habitués à regarder leur prince comme leur égal, puisque le Grand-Seigneur recevait sa solde comme un simple janissaire, ils lui imposaient leur volonté, manifestaient hautement leur mécontentement, et si, dans les actes par lesquels le Sultan voulait montrer une apparence d'autorité, se trouvait une disposition  qui leur déplût, ils se révoltaient, brisaient ou renversaient leur marmite (2), incendiaient quelques quartiers de Constantinople, et venaient jusque sous les murs du palais dicter des lois à leur maître.

(2) Les grades des chefs des janissaires étaient désignés par des noms dérivant des emplois de la cuisine. Le sultan étant regardé comme le père nourricier de ses sujets, ceux qu'il préposait à veiller à leurs besoins étaient décorés de titres culinaires. Ainsi, l'officier le plus élevé en grade fut appelé tchorbadjy-bàchy  (premier distributeur de soupe) ; après lui venaient le achdjy-bachy (premier cuisinier) , et le saqqa-bâchyy (premier porteur d'eau). Les divers régiments même des janissaires étaient désignés par le nom de odjag (fourneau de cuisine). Par une conséquence rationnelle, la marmite (qazan) qui servait à la distribution de la nourriture fournie par le souverain était, pour  les janissaires, l'objet d'une vénération particulière.
C'était. autour de cette marmite quils tenaient leurs conseils, et sa perte était pour eux la plus grande humiliation qu'ils pussent éprouver. Lorsqu'ils se révoltaient contre les ordres du souverain, ils retournaient leur marmite sens dessus dessous, ou la brisaient devant le palais. (Voyez Turquie, par M. Jouannin, p. 26.)    


 Les pachas, janissaires eux-mêmes, finirent par se placer dans une position presque indépendante de leur souverain; ils gouvernaient leurs provinces en despotes et pressuraient leurs sujets, pour être pressurés eux-mêmes à leur tour par le sultan, lorsque les plaintes des opprimés   parvenaient jusqu'à son trône, ou bien lorsqu'il jugeait ces pachas assez gorgés d'or pour s'emparer de leurs dépouilles. Les peuples, cependant, n'étaient pas mieux traités à l'arrivée d'un autre gouverneur, et le commerce, l'agriculture, tout restait dans l'anéantissement.
Au milieu de ces exactions si universellement répandues, les chrétiens n'étaient pas ceux qui souffraient le moins, quoique déjà, à plusieurs époques, on eût tenté d'améliorer leur position. " Kupruli-Mustafa-Pacha, entre autres, fut " aussi juste envers les sujets chrétiens qu'il l'était envers les musulmans. et par son nizami-djedyd.  (nouveau règlement)(3) voulut délivrer les premiers du joug avilissant qui pesait sur eux (4)." Mais ce grand acte de tolérance et d'équité était réservé à Sultan-Mahmoud (5), qui, ayant nourri son fils dans ses principes réformateur, a légué à ses peuples un continuateur de ses grandes vues rémunératrices.
D'après les nouvelles institutions proclamèes dans le Khatti-chéryf  (6) par le jeune monarque, à peine assis sur le trône, non seulement une protection égale est assurée à tous les sujets de l'empire, quel que soit leur culte, mais encore la tyrannie des gouverneurs de province reçoit un frein salutaire ; les  opprimés cessent d'être livrés à la merci de l'arbitraire ; une sage comptabilité empêche toute spoliation cupide et illégale, et fait refluer au trésor de l'empire l'or des tributs, jusqu'alors destiné a gonfler les trésors particuliers; la justice du trône surveille et punit les injustices particulières ; légalité devant la loi est établie pour tous ; les abus de l 'administration, sévèrement interdits, deviennent presque impossibles ; les travaux de l'industrie et du commerce sont encouragés. protégés, et ne serviront plus le prétexte aux avanies les plus oppressives.

(3) Vers 1691 de l'ère chrétienne, sous le règne de Sultan-Ahmed-Khan fils de Sultan-Ibrahim-Khan.
(4) Voyez l'Univers Pittoresque ; Turquie, par M. Jouannin, p. 304.
(5) Il y a à peine quelques mois, Sultan-Mahmoud publia un firman dans lequel la liberté du culte était garantie, et qui mettait les chrétiens à l'abri de la juridiction musulmane, en les plaçant exclusivement sous celle de leurs patriarches; mais par ce Khatti-chéryf. ce n'est pas seulement la sécurité des chrétiens qui est assurée, c'est celle de tous les sujets de l'empire ottoman
(6) Personne n'ignore que le Khatti-chéryf est l'expression la plus auguste et la plus vénérée de la volonté souveraine du prince. Deux autres dénominations sont aussi employées pour exprimer les lois ou décrets des autorités gouvernementales : celles de fetva, dont nos écrivains ont fait, en l'altérant, fetfa, et celle de firman, plus vulgairement connue ; mais il y a entré elles cette différence :
Le fetva  est une décision religieuse ou juridique, émanée, soit du mufti, soit du qady-'l-qodat ou qady-'l-'asker c'est-à-dire du chef de la religion ou du ministre de la loi.
Le firman  est une décision politique et administrative émanée du divan suprême, c'est-à-dire du corps gouvernemental.
Le khatti-chéryf au contraire, acte de la volonté personnelle du sultan, émane de sa personne auguste elle-même, est ordinairement souscrit par sa propre mais, et porte sa signature impériale, accompagnée d'une formule exécutoire autographe, composée des mots : moudjibindjèh a'mel olounmaq babindèh, ou seulement du mot oloun soun C'est ce qu'indique la dénomination elle-même du décret ou de l'ordonnance, khatti-chéryf (écriture noble ou auguste)


Une ère nouvelle vient donc de commencer pour la Turquie. l'empire des lois et de la justice vient de s'établir par le concours de ministres habiles ; espérons que leur vie sera assez longue pour consolider les monuments qu'ils viennent d'élever à la postérité. 
  
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KHATTI -CHÉRIF.

Ceci est la copie du RESCRIT AUGUSTE ET IMPERIAL (auquel est attachée la puissance), qui a été manifesté et proclame comme un accroissement de justice.
Emanation de la volonté auguste. renfermant le bonheur, relative au renouvellement de la disposition et des bases des Canons sacrés (1), purement dans l'intention sincère et le but bienveillant de raffermir la religion et le gouvernement, et de rétablir les usages du royaume et de la nation, conformément aux bonnes intentions de clémence et de justice auguste, impériale et bienfaisante, qui sont les qualités innées de Sa Majesté l'asile du khalifat, qui possède les insignes de la puissance souveraine.
Ainsi qu'il est connu de tous, la puissance et la force de notre gouvernement, ainsi que la tranquillité et la prospérité de nos sujets (2), étaient parvenus au plus haut degré, à raison de ce que, depuis le commencement de l'apparition de notre monarchie, auguste, on avait observé avec une entière soumission les décrets sublimes du Koran, et les Canons légaux. Il a 150 ans que, d'après des malheurs successifs et des causes diverses, et comme on ne se conformait et ne s'attachait plus ni à la Loi sacrée, ni aux Canons augustes (1), la puissance et la prospérité primitives se changèrent en faiblesse et en pauvreté: cela est une preuve évidente que la stabilité d'un état ne peut se maintenir lorsqu'il n'est point administré d'après les lois.
Depuis le jour fortuné de notre avénement auguste, nos pensées impériales (qui répandent les traces du bonheur) se sont portées exclusivement vers les moyens de faire prospérer les contrées et les provinces, et d'amener la tranquillité des peuples, ainsi que l'amélioration de la position des pauvres.
En considérant la situation géographique des lieux de notre empire, la fertilité des terres, la capacité et l'intelligence des peuples, il est évident que, dans le cas où l'on emploierait les moyens nécessaires, l'on obtiendra, dans l'espace de cinq ou dix ans, avec le secours du Dieu très-haut, les résultats que l'on cherche à atteindre.
Or donc, après nous être confié dans le secours et la bienveillance du Dieu très-Haut, après avoir imploré la médiation de notre grand Prophète, et mis notre appui dans son assistance spirituelle ; nous avons regardé comme nécessaire et indispensable d'instituer et d'établir quelques règlements nouveaux, dans le but de donner une bonne administration à nos provinces et à notre gouvernement auguste.

(1) Mouradgea d'Ohsson nomme cher' la législation religieuse et qanoun, la législation civile et politique.
(2) Le mot que nous traduisons ici par sujets, est taba'ah. Ce mot n'existe pas dans les dictionnaires ; il est le pluriel de tâbi.
On l'a employé ici pour qualifier tous les sujets de l'empire musulman ; ce qui efface complètement la distinction qui existait jusqu'à présent entre les musulmans et les rayas (peuples conquis et infidèles)
 

En conséquence les bases fondamentales de ces règlements importants sont relatives à la sécurité de la vie, à la conservation de l'honneur, de la réputation et de la propriété, enfin à l'établissement de l'impôt. Pour ce qui regarde les troupes, ces règlements ont rapport au mode de recrutement et au temps de la durée de leur service.
En effet, comme il n'y a rien dans le monde de plus précieux que la vie, l'honneur et la réputation, lorsqu'un homme se verra sur le point de les perdre, il s'attachera certainement à quelque mauvais parti pour conserver sa vie et son honneur, quand même il n'aurait pas eu, dans ses inclinations naturelles et dans ses goûts innés, de penchant qui le portât au mal; et par cette raison il deviendra certainement nuisible au gouvernement et à l'empire.
Tandis qu'au contraire dans le cas où il serait en sûreté pour sa vie et son honneur, il ne s'écartera pas de la droiture et de la loyauté, et il est clair et évident que toutes ses actions seront une suite de bons services envers le gouvernement et la nation.
Dans le cas où cet homme serait prive de toute sécurité pour ses biens, il ne s'intéressera ni au gouvernement, ni à la nation, et ne s'occupera point à faire prospérer l'état, parce qu'il ne pourra être exempt de troubles et d'inquiétudes continuelles. Mais, au contraire, s'il a  une sécurité parfaite pour sa fortune et ses propriétés, s'occupant alors seulement de gérer ses affaires et d'élargir le cercle de son revenu, il est hors, de doute qu'il se livrera à des entreprises louables, et que, d'après cela, le zèle pour le gouvernement et la nation, ainsi que l'amour de la patrie, s'augmenteront en lui de jour en jour.
Quant à ce qui regarde les impôts, puisqu'il est absolument nécessaire, pour la conservation des états d'un empire, d'avoir des troupes, des armées, et de faire toutes les dépenses nécessaires; comme ces choses s'effectuent au moyen de l'argent, et que cet argent lui-même provient des impôts établis sur les sujets, il devient très-important de s'occuper de régler convenablement leur mode de perception.
Bien que, depuis peu de temps, les habitants de nos provinces, bien gardées, aient été delivrés (grâces en soient rendues à Dieu!) du fléau du monopole, qui était regardé autrefois comme une source de revenus annuels (3). Cependant le principe nuisible des iltizâm est encore aujourd'hui en vigueur, et en aucun temps on n'a vu le fruit de leur utilité, car ce sont des éléments de destruction. En effet, c'est pour ainsi dire livrer à l'arbitraire et à la main de la violence et de la brutalité d'un homme les affaires administratives et financières d'une province, quand même il ne serait pas un homme essentiellement loyal, et que, s'occupant seulement de son avantage, toute sa conduite et tous ses actes ne seraient composés que de tyrannie et d'exactions.

(3) Les iltizâm ou affermages de certaines portions du revenu public resemblent beaucoup aux anciennes fermes générales, qui, moyennant une somme convenue, percevaient à leur profit la plus grande partie des contributions du pays. Le mot  vâridât. est l'opposé de kharidjât (dépenses annuelles).
memleket (principauté). Ce mot d'après M. Quatremère, désigne une grande province, gouvernée par un prince indépendant ou par un vice-roi, qui, en l'absence du sultan, exerce toutes les fonctions inhérentes à la souveraineté. (Voyez la note des pages 98 et W. de l'Histoire des Mamlouks, 2° partie.)
On trouve dans le Canon de Soleiman, représenté à Mourad IV (p. 12), les mêmes règlements au sujet de l'établissement de l'impôt, pour qu il soit reparti d'une manière égale et proportionnée sur tous les sujets. Depuis l'établissement de la religion musulmans, les sujets asservis non musulmans, nommés du nom générique de rayas, étaient soumis au payement de la capitation, nommée djezyéh et kharadj. Cet impôt ne pouvait se percevoir sur les musulmans. Quant à ceux-ci, ils étaient seulement astreints aux diverses dimes établies par leur religion.


Il devient donc nécessaire pour l'avenir d'établir un impôt convenable, en rapport à la richesse et aux propriétés de chaque individu de nos états, bien gardés, et de ne rien demander en sus.
Il convient aussi que les dépenses pour nos armées de terre et de mer, et pour toute autre matière, soient effectuées d'après les lois spéciales qui auront été établies et déterminées.
Bien que les affaires relatives aux armées soient des plus importantes, ainsi qu'on l'a dit plus haut, et que, pour conserver le sol sacré de la patrie, donner des soldats soit une dette obligatoire pour les sujets, on ne s'occupait pas, suivant la manière employée jusqu'à présent, du nombre de personnes existant dans chaque province; on pourrait même dire que, ce. qui fut la cause, soit du désordre de l'empire, soit des atteintes portées aux affaires importantes du commerce et de l'agriculture, était le mode de recrutement des troupes, par lequel on prenait tantôt plus, tantôt moins de personnes que cette province ne pouvait en fournir.
Comme pour ceux qui venaient à l'armée, l'obligation de servir jusqu'à la fin de leur vie était une cause nécessaire de dégoût et d'empêchement à la multiplication de l'espère humaine (1), il devient nécessaire de poser et d'établir quelques règlements convenables aux soldats, qui seront demandés de chaque province, conformément au besoin, dans le but de fixer le temps du service à quatre ou cinq ans, a tour de rôle.
En résumé, tant qu'on n'aura pas acquis ces règlements organisateurs, on ne pourra obtenir ni force, ni prospérité, ni repos, ni bonheur, parce que le fondement de toutes ces choses est base sur les articles qui ont été énoncés.

(1) La plupart des Janissaires vivaient dans le célibat; on ne les empêchait pas cependant de se marier; mais ceux qui se mariaient ne devaient plus prétendre à être élevés à aucune charge, parce qu'on pensait que l'attachement pour leur famille ne leur permettrait pas de s'appliquer avec le même zèle à la guerre et au service du Grand-Seigneur. (Charte turque, par M. Grassi, t. 1, p. 63.)

Le mot ser-bestyyet est un des mots que les Turcs ont introduit nouvellement dans leur langue, quoique le primitif y existât déjà. Il dérive de  serbest, adjectif composé persan, qui signifie libre. auquel on a ajouté le [lettre arabe] pour en faire un nom abstrait ; puis les Turcs l'ont, pour ainsi dire, arabisé, en ajoutant un techedyd sur le ye, et le faisant suivre d'un hé.

Le commerce et l'agriculture sont au nombre des choses approuvée et encouragées par le Prophète, car il dit :  " le commerçant droit et juste est au "rang des âmes les plus élevées par la piété."  Et dans un autre endroit. "L'agriculteur est récompensé par son "Dieu." (Mouradgea d'Ohsson , tom. IV, 1re partie, p. 197)
Le mot djunkah, traduit ici par délit, ne se trouve pas ainsi écrit dans les dictionnaires; c'est probablement le mot ganah persan , qui signifie péché, faute, crime. On trouve des exemples de permutation de lettres du même genre pour eau de rose ; pour  douane, etc.
 

Or donc, à l'avenir, les procès des prévenus seront examinés avec soin, publiquement, et suivant les préceptes sacrés. Tant que le jugement n'aura pas été prononcé, il ne sera permis d'employer aucun moyen pour faire périr ou empoisonner, d'une manière cachée ou ostensible, quelque personne que ce soit.
Il ne sera dirigé d'attaque de la part de personne contre l'honneur et la réputation d'un autre.
Chaque individu sera possesseur et disposera de ses biens et de ses propriétés avec une entière liberté; on ne s'y interposera en aucune façon.
Dans le cas, par exemple, où une personne serait coupable d'une faute ou d'un crime, ses héritiers, étant innocents de ce délit, ne seront pas prives de leurs droits d'héritage par la confiscation (1).
Comme les musulmans, et les autres peuples qui sont sujets de ma Sublime-Porte sont l'objet, sans exception , de  ces concessions impériales, une sécurité parfaite pour la vie, l'honneur, la réputation et la propriété a été accordée par notre volonté impériale à tous les habitants , de nos états, bien gardés, conformément à la toi sacrée.

(1) La confiscation des biens de tous les officiers disgrâciés ou mis à mort était un des revenus du  khaznè (trésor particulier) du  sultan, ainsi que le droit qu'avait ce prince d'hériter des officiers du sérail, et de ceux de la  Porte ou de l'empire, à l'exclusion de leurs entants et de leurs parents ; il n'y avait que le corps des ulémas lui fût exempt de cette loi de spoliation. (Tableau de l'empire ottoman. par W. Eton, t. 1. p. 63.)


Pour  les autres points, comme il est devenu nécessaire de les établir par le concours des conseils, les membres de l'assemblée des décisions juridiques (Conseil de justice), qui seront portés au nombre requis par le besoin, ainsi que les ministres et les grands de l'état, se rassembleront au Conseil, dans certains jours qui seront indiqués, et parleront en toute liberté, en ne retenant aucune de leurs réflexions ni aucun de leurs avis. Ils s'efforceront, d'un commun accord, à établir les règlements importants concernant la sécurité de la vie, de la propriété, et la  fixation de l'impôt; les affaires relatives à l'organisation de larmée seront débattues au Conseil militaire, séant au palais du sérasker.
Lorsqu'une ordonnance aura été arrêtée, on la présentera à notre Trône Impérial, afin que la tête de cet acte soit sanctionnée et revêtue de notre visa impérial, pour qu'il soit regardé comme un ordre auquel où devra se conformer à jamais, suivant la volonté Dieu.
Comme ces règlements sacrés n'ont été établis que, dans l'unique but de faire revivre la religion, le gouvernement, la nation et l'empire, un pacte, engagement seront contractés par nous, afin qu'aucune atteinte n'y soit portée par notre pouvoir impérial.
En conséquence, un serment sera prononcé par Nous, en prenant Dieu même à témoin (1), lorsque tous les ulémas et les ministres d'état seront réunis dans la salle qui renferme le manteau (2) glorieux du Prophète. Puis, ensuite, on fera prêter aussi serment aux ulémas et aux ministres d'état.
Conformément à cela, un Code pénal sera rédigé, dans le but spécial de faire exécuter (sans avoir aucun égard pour le rang, la considération et le crédit) les châtiments mérités par le délit constaté de ceux qui commettraient des actes contraires aux lois sacrées, quand même ils seraient ulémas, vizirs, et en somme quelque personne que ce soit.

(1) Les musulmans sont dans l'usage habituel de prendre Dieu à témoin de ce qu'ils avancent. Ils emploient alors la formule ouallah qui est une sorte de serment. Lorsqu'ils affirment une chose, ils ajoutent le mot  billah et souvent celui de lillah, pour donner à leur assertion un dernier degré d'affirmation. (Mouradgea d'Ohsson, IV, 2° p., pag. 466 ; Dictionnaire français-arabe de M. Marcel.)
Ce qui donne au présent Khatti-chéryf le caractère d'une charte, est le serment par lequel le Grand-Seigneur s'engage à maintenir les garanties qu'il donne à ses sujets.
(2) Le manteau du Prophète dont il est question dans ce même paragraphe, se nomme bordah. C'est aussi le nom d'un poëme composé par Cherif-eddyn él-Boussyry en l'honneur de Mahomet, par lequel il prétendait avoir été guéri en songe de la cécité. (Contes du cheykh El-Mohdy, III, 359 ; voyez aussi d'Herbelot.)


Les traitements de tous les administrateurs sont, en ce moment, d'une quotité suffisante; si par hasard il y avait encore maintenant des fonctionnaires qui ne fussent pas rétribués d'une manière convenable, ils seront régularisés ; puis on s'occupera à établir fermement, au moyen d'une loi sévère, l'abolissement complet à l'avenir de l'usage honteux du richvet (1), qui est la cause principale de la destruction de l'empire, et qui est repousse par la loi.

Comme les dispositions qui viennent d'être expliqués sont, pour ainsi dire, un rétablissement et un renouvellement total des anciens usages, notre volonté impériale sera proclamée et notifiée aux habitants de Constantinople, ainsi qu'à ceux de tous nos états, bien gardés ; on en donnera aussi connaissance, d'une manière officielle, à tous les ambassadeurs qui résident à notre Cour de félicité, afin que les puissances amies servent de témoins pour la durée de ces institutions, jusqu'à la fin des siècles, s'il plaît au Dieu très-Haut.
Que le Dieu Suprême daigne nous être favorable à tous !
Que ceux qui agiront contrairement à ces Canons fondamentaux, soient l'objet de la malédiction de Dieu, et qu'ils ne jouissent d'aucun bonheur jusque dans l'éternité ! Amen !

(1) richvét. Ce mot signifie les présents qui servent à corrompre juges, et qu'on leur donne en sus des droits qu'ils prélèvent légalement. M. Marcel m'apprend que le mot richoud s'emploie aussi au Kaire pour indiquer le présent que l'on fait à tout administrateur, vizir ou autre, dans le but d'en obtenir une place. Ce mot est pour les supérieurs ce que le bakhchych (pourboire) est pour les inférieurs.
Dans le Canon de Suleïman, représente à Murad IV. le vizir, s'adressant à l'empereur, lui tient un langage en tout semblable au paragraphe ci-dessus, lorsqu'il dit, page 25 : " Les kadis ont leur temps  d'exercice et de non-activité. Lorsqu'il y a cinq ou six concurrents à la poursuite d'un kadilik, on les examine, et selon les canons, on devrait donner la préférence au plus savant ; mais très-souvent le kadileskiers la donnent à la sollicitation ou à l'intérêt, sans avoir  aucun égard au mérite, congédiant celui qui ne donne point de présents, et le remettant à une autre vacance (ce qui est très punissable) , lorsque V. M. en sera avertie.
Plus loin, on lit (p. 202), au sujet de la complaisance des grands dignitaires : "Les kadileskiers, de crainte d'être disgraciés injustement, ceux qui sont possédés d'ambition et d'avarice, entraînés par  le génie du temps, vendent les kadiliks à des personnes indignes a De plus, la vénalité s'était introduite parmi les mulazims, qui ne montent plus par degrés; de simples kiatips, des voïvodes, des soubachis et autres personnes du commun, se font mulazim (professeur dans le droit, aspirant au kadilik) pour de l'argent, et en peu de  temps deviennent, muderris et kadis, tellement que ces abus ont  donné lieu à l'ignorance qui règne aujourd'hui , sans qu'on distingue  les bons des mauvais sujets, De là viennent les injustices et les concussions."

REMARQUE
Aussitôt l'apparition de cet acte si important, les journaux français se sont empressés de le faire connaître au public, les uns par des extraits, les autres par la reproduction de la traduction, insérée dans le Journal de Smyrne. La haute importance de cette pièce fondamentale pour le droit politique de l'empire ottoman nous a fait penser que nos lecteurs verraient avec plaisir la publication du contexte authentique lui-même, accompagné d'une nouvelle version, faite le plus littéralement possible sur l'original.
Pour garantir l'exactitude de notre travail, il nous suffira de dire que nous nous sommes fait un devoir de le soumettre à l'examen de M. Bianchi, qui a bien voulu en faire la révision avec son obligeance ordinaire.

 

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