La mosquée et le tombeau de Gazi Süleyman Paşa à Bolayır, près de Gelibolu (Gallipoli dans les Dardanelles pour les Français), sont des monuments hautement symboliques pour les Turcs. C'est là qu'est enterré un des fils d'Orhan (un des fondateurs de la dynastie ottomane), Süleyman Paşa, qui fut le premier des Ottomans à s'installer sur la côte européenne des Dardanelles et qui connut une fin tragique. Les sultans ne manquèrent pas de lui rendre hommage.
La carte postale, qui date du début du XXe siècle, est légendée en Français et en Ottoman. Elle fut publiée par "Takvor J. Soukiassian, Gallipoli [Gelibolu] - Turquie".
Les bâtiments sont entourés d'une grille devant laquelle on aperçoit quatre personnages dont un religieux.
Le tombeau fut endommagé par un bombardement du navire britannique HMS Queen Elizabeth en mars 1915.
Une architecture originale
"Légèrement antérieur est le türbe de Gazi Süleyman Pacha [...]. Lorsque, au cours des années 1990, le hideux revêtement moderne de plâtre appliqué sur la maçonnerie originelle en briques fut décapé, celle-ci redevint visible. Les techniques de construction révèlent une persistante influence byzantine, mais la forme du monument se réfère directement à l’architecture et à l’esthétique des Seldjoukides du sultanat de Konya au XIIIe siècle."
Extrait de Machiel Kiel, « Un héritage non désiré : le patrimoine architectural islamique ottoman dans l’Europe du Sud-Est, 1370–1912 », Études balkaniques [Online], 12 | 2005, Online since 06 April 2009, connection on 31 August 2021. URL : http://journals.openedition.org/etudesbalkaniques/123
Localisation
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Nous reproduisons ci-dessous des textes publiées au XIXe siècle.
Hommage au héros
"Au commencement du printemps suivant (15 avril 1613), le Sultan [Ahmed Ier, 1590-1617] se rendit en chassant à Gallipoli. Il laissa les debedjis et les topdjis à Rodosto, et, accompagné seulement de quelques janissaires, il visita à Boulaïr le tombeau de son aïeul Souleïman Rischa, fils d’Ourkhan [Orhan] qui le premier porta en Europe les armes ottomanes. Il fit renouveler le cercueil de Souleïman, et ordonna de le revêtir d’une couverture de drap d’or. Puis il se rendit dans les Dardanelles, sur les deux rives desquelles on alluma la nuit des feux de joie, et dont les deux châteaux rivalisèrent de salves d’artillerie." extrait de Hammer, Histoire de l'empire ottoman, Vol. VIII, 1837
La conquête de Gallipoli
"La conquête de Gallipoli, qui ouvrait à l'empire ottoman une large entrée en Europe, fut notifiée par Urchan [Orhan, 1281-1362] à ses voisins et rivaux en puissance, les princes asiatiques ; les lettres destinées à la proclamation extérieure et officielle des triomphes et des conquêtes, restèrent ensuite comme des articles essentiels et permanents de la chancellerie ottomane, et leur rédaction, toujours plus emphatique, a formé, avec le progrès de cinq cents ans, le style de la diplomatie turque.
Le soin de protéger les nouvelles conquêtes en Europe fut partagé entre Suleiman-Pascha [Süleyman Paşa, Gazi Süleyman Paşa, Süleyman Gazi (1316 (?) - vers 1357/1360], fils et vesir [vizir] d'Urchan, et Hadschi-Ubeki, l'ancien vesir du souverain de Karasi ; Suleiman résidait à Gallipoli, d'où il pouvait s'étendre jusqu'à Demotika et llbeki se tenait à Koni, d'où il poussait ses courses jusqu'à Tschorli [Çorlu] et Hireboli. Adsche-Beg reçut en fief la vallée qui porte encore son nom ; mais pour Suleiman à peine jouit-il deux années de ses conquêtes. Entre Bulair [Bolayır] et Sidi-kawak (platane du Cid), suivant à cheval le vol de son faucon, qui poursuivait des oies, il tomba si malheureusement qu'il resta mort sur la place (1358)."
[Le tombeau de Gazi Suleyman Pacha]
Son corps fut déposé, non pas à Brusa, lieu de sépulture de la famille ottomane, où lui-même avait fait élever une mosquée, dans le quartier des confiseurs, mais près de la mosquée de Bulair [Bolayır] aussi fondée par lui. Son tombeau, sur la rive de l'Hellespont, resta plus d'un siècle le seul monument de ce genre élevé à un prince ottoman sur la terre d'Europe, et il appelait les habitants de l'Asie à un pèlerinage de conquérants. De tous les tombeaux de héros signalés jusqu'ici par l'histoire turque, il n'en est pas de plus célèbre et de plus fréquemment visité que celui du second vesir de l'empire, du fondateur de la puissance ottomane en Europe.
[La légende de Gazi Suleyman Pacha]
Peu satisfaite de l'éclat de ses exploits réels, la tradition attribue encore à Suleiman le miracle d'une victoire après sa mort ; elle le fait combattre et vaincre une armée d'infidèles, monté sur un cheval blanc, resplendissant de lumière, entouré d'une troupe de guerriers célestes. Malheureusement, le combat même dans lequel il aurait ainsi porté secours aux champions de la vrai foi, ce combat est de pure invention et n'a jamais été livré. Suivant ces récits imaginaires, trente mille chrétiens auraient paru dans l'Hellespont sur une flotte de soixante-un vaisseaux : la moitié serait débarquée à Tusla, l'autre partie à Sidi-Kawak; et ces quinze mille chrétiens de Sidi-Kawak auraient été anéantis par la petite troupe de vrais croyants, grâce à l'assistance de l'escadron éblouissant, conduit par Suleiman sur son cheval blanc, les historiens ottomans, parmi lesquels Seadeddin lui-même n'hésite point à raconter ce miracle, ont évidemment tiré cette flotte, dont la force est dans tous les cas fort exagérée, de la première ou de la seconde croisade des Européens ligués contre les Turcs, et, des eaux de Smyrne, ils l'ont amenée dans le détroit de Gallipoli pour décorer le front de Suleiman de nouveaux rayons de gloire. Sans le secours de ce miracle, dont on ne trouve aucune trace dans les historiens européens ou byzantins, le nom de Suleiman brille d'un assez vif éclat : c'est lui qui a implanté le premier la puissance ottomane en Europe; c'est l'heureux précurseur du grand Suleiman [Soliman le magnifique] qui l'a portée à la plus haute élévation."
Extrait de Hammer, Histoire de l'empire ottoman, Livre IV, 1844
Une biographie de Süleyman Paşa
"SOLIMAN [Süleyman Paşa], fils aîné du sulthan Orkhan-Ghazy [Orhan Gazi], fut célèbre par sa valeur brillante, et son heureuse audace. Il tenta, avec autant de succès et de gloire, le premier passage des Ottomans en Europe. Une loi de mort, publiée par l'empereur, retenait également sur le rivage asiatique et sur la côte d'Europe, les Musulmans et les Chrétiens. Le jeune prince, sous prétexte d'une partie de chasse, amena de nuit quatre-vingt hommes sur le bord de la mer. Il construisit deux radeaux soutenus par des vessies de bœuf (1), liées ensemble. Sur cette flottille d'une espèce étrange, il arriva, par un beau clair de lune, sous les murs de Sestos,dont il s'empara, et força les habitants d'aller avec leurs navires embarquer trois ou quatre mille hommes qu'il avait laissés sur la côte d'Asie. Lorsque cette petite armée eut passé le détroit, Soliman s'approcha de Gallipoli et, après avoir battu les Grecs, il investit cette clé de l'Hellespont, que la famine mit bientôt entre les mains des Othomans. Depuis cette conquête, faite en 1338 (2), et dûe plutôt à la ruse qu'à la force ouverte, Soliman ne cessa de presser les Grecs, et de les rejeter sur leur capitale. Il s'empara, de concert avec son frère Amurath, de Malzara, de Démotica, enfin d'Épibatos, située à huit lieues de Constantinople. Au milieu de ses sujets, le jeune Soliman trouva, dans un accident obscur, la mort qu'il tant de fois bravée sur le champ de bataille. Il périt d'une chute de cheval, dans un divertissement guerrier, sous les yeux de toute son armée. Sa fin malheureuse arriva en 1360, conduisit Orkhan son père au tombeau, par la peine qu'elle lui causa, et fit monter son frère, Mourad Ier, sur le trône othoman.
(1) Il est plus probable que ces radeaux étaient portés sur des outres de peaux de bœufs pleines de vent. C'est une manière de naviguer encore pratiquée aujourd'hui par les Arabes qui habitent les bords du Tigre et de l'Eufrate. A - T.
(2) Suivant Hadjy Khaltah, dans son Takouim al-Tawarik (Tablettes chronologiques), le passage du détroit eut lieu plus vraisemblablement l'an 758 de l'hégire, et la prise de Gallipoli, l'année suivante, c'est-à-dire en 1357 et 1358 de J.-C. Soliman soumit ensuite Bulair, Khairapoli, Thekuradji et Ipsalah ; mais non pas Adrianople. comme l'ont dit quelques compilateurs. V - T."
Extrait de Michaud, Biographie universelle, 1825
Pour compléter
Bolayır (en Anglais), Turkish Archaeological News, https://turkisharchaeonews.net/city/bolay%C4%B1r