Description par le très érudit historien autrichien Hammer des différents peuples turcs à partir des sources anciennes. On y reconnait les Turcs de Turquie (appelés ottomans), les Oghouzes, les Kirghizes, les Qiptchaqs, les Karlouks, les Ouigours, les Gagaouzes, les Khazars, les Karakalpaks, les Nogaïs, les Koumyks...
Cette description met en lumière les connaissances des origines et de l'unité des peuples turcs qu'avaient déjà les sources anciennes. Les recherches historiques et ethnologiques et les découvertes archéologiques nombreuses depuis 1850 ont quelque peu modifié certains points, surtout en ce qui concerne les origines.
Nous avons ajouté les noms tels qu'ils sont transcrits actuellement et des commentaires entre crochets.
Ce texte est à rapprocher des classifications des langues turques.
Aperçu des diverses tribus turques
extrait de l'Histoire de l'empire ottoman de Hammer-Purgstall traduite par J.-J. Hellert, 1841
Les sept tribus principales des Turcs, dont parle le grand historien persan Reschideddin, et qu'Aboul-Ghazi n'a fait que copier, sont les Oghouzes, les Ouighoures, les Kanklis, les Kiptschak, les Karlouks, les Kaladjs et les Aghatscheris. Nous voyons déjà dans Theophylacte (t. VII, p. 174) que, dans une lettre àl'empereur Mauritius, le khakan des Turcs s'intitule souverain de ces sept tribus. La première d'entre elles s'appelle :
I. les Oghouzes ou Ghouzes ou Ouzes, que les Persans et les Arabes désignent aussi sous le nom de Turcomans, et que les Byzantins nomment Koumans ; les Russes les nomment Polowzes (Polouzes ou Ouzes des champs), et les Allemands, par une mauvaise interprétation du mot Polowz, qu'ils considéraient être celui d'une couleur, Valvi, Valbi, Volani, Gualani, c'est-à-dire les Blonds ; enfin les Arméniens leur donnent le nom de Berziliens ou Barzeliens ; toutes ces dénominations paraissent d'autant plus arbitraires que cette tribu se donne à elle-même le nom de Kounes (1). Aboul Ghazi nous donne d'après Reschideddin la division des vingt-quatre peuplades qui composent la grande tribu des Oghouzes, lesquels se disent descendans des six fils d'Oghouzkhan, dont chacun eut à son tour quatre autres fils.
1 Thunman, dans son traité intitulé : De Comanis ab Hunnis plane diverso populo (voy. Act. societatis Jablonoviannae IV, p.142), présente les Chevalines ou Chevalisiens, comme étant le mêmepeuple que les Vaans : le même auteur confond ces derniers avec lesKanglis et les Petschenègues.
II. Les Kiptschaks [Kiptchaks ou Qiptchaqs], c'est-à-dire les Patzinokites des Byzantins (voy. les Annales de la littérature, t.LXV, p. 14). Cette tribu était divisée en huit districts ou peupladesdont il est fait mention dans Constantin Porphyrogénète.
III. Les Kaladjs ou Kharledsj des Byzantins. (Voy. Origines russes, p. 69, d'après le Djihannuma).
IV. Les Karliks [Karlouks], que les Turcs nomment, d'après Mirkhouand, les Kharliks.
V. Les Kanklis, c'est-à-dire les Kankar de Constantin Porphyrogénète.
VI. Les Aghatsch Eri [Ağaç eri ou Tahtacı], c'est-à-dire les hommes des bois, peut-être les Kotzagepoi de Theophylacte (liv. VII, ch. 8).
VII. Les Ouïghoures, qui parlent le turc ; il est cependant possible qu'ils aient perdu leur langue primitive à l'instar d'autres peuples, comme, par exemple, pour n'en citer qu'un, les Bulgares, et qu'ils aient adopté l'idiome de leurs vainqueurs.
Il faut classer parmiles Oghouzes ou Turcomans les tribus suivantes, qui toutes ont donné naissance à des états distincts en Asie ; 1. les Ghaznewides ; 2. les Seldjoukides ; 3. les Beni Ortoks ; 4. les Atabegs ; 5. les Turcomans du Bélier Blanc et du Bélier Noir ; 6. les Beni Akschids ; 7. les Beni Toulouns ; 8. et 9. les tribus des Mamlouks d'Egypte.
Quant aux Ottomans, queles historiens européens ont jusqu'ici généralement considérés, mais à tort, comme Turcomans, ils appartiennent,
VIII. à la tribu Kaï ; ce sont les Hoeiks ou Hoeihs des Chinois, et ils forment une race bien distincte des Oghouzes. (Origines russes, p. 106, 120, 121, d'après le Djihannuma). Les Hoeihs ou Kaïs régnaient aussi dans le Turkistan (le Touran du Schahnamé et des historiens persans) ; les Ottomans sont donc des Turcs originaires du Turkistan, et non pas des Turcomans.
Les historiens chinois connaissent les Turcs sous le nom de Hioungnou, c'est-à-dire de Kounes (Ghouzes, Turcomans), et de Tioukiou, mot chinois mutilé, et signifiant Turc ; ce nom ne doit donc pas être dérivé d'une montagne ou d'un casque qui s'appelle toughoulgha ou toulgha, et non pas terk, comme on l'a prétendu. (Voy. Annales de la littérature, t.LXVII, p. 14.)
IX. LesTioukiou des Chinois ne sont autres que les Turcsde l'Altaï, avec lesquels les empereurs de Byzance entretenaient desrelations dès le sixième siècle de l'ère chrétienne. Ils étaient divisés en Tioukious de l'est et de l'ouest (Deguignes, t. I, p. 224 et 227), de même que les Hioungnous étaient divisés en Hioungnous du nord et au sud (Deguignes,t. I, p. 215 et 218). Les deux dynasties des Lao ou Karakitan et des Karakhataïs ou Karachitans (Deguignes, I, p. 204 et 201), sont d'origine chinoise, bien qu'elles aient régné sur des Turcs.
X. Les Khirkhiz ou Kirkizes [Kirghizes] ; il en est question dans Reschideddin et Aboulghazi.
XI. Les Kimaks ou Komouks [Koumyks] habitent aujourd'hui le Daghistan aux bords de la mer Caspienne, et se subdivisent en Koumouks et Ghazi Koumouks ; le prince de ces derniers porte le titre de Sourkhaï, et celui des premiers s'appelle Schemkhal.
XII. Les Betschnaks, que les Byzantins confondent avec les Kiptchaks et les Patzinukites.
XIII. Les Toulasis (Origines russes, p. 107 et 123).
XIV. Les Taghazghaz [Gagaouzes] paraissent être les mêmes que les Taugas des Byzantins, de même que les Bazsarnes qui habitaient les pays des Koumouks (Origines russes), sont probablement les Bastarnae des Romains.
XV. Les Medjreks, dont les copistes ont fait Moharrika, sont les Metschtereks des Russes.
XVI. Les Sari ou Serdkeran [sari yugur, uygur, ouïghour jaune], c'est-à-dire les Kouwitschs, d'après Mohammed Eli-Aoufi, contemporain de Melekschah et la source la plus ancienne.
XVII. Les Kaïtaks ; ils se subdivisent en Kaïtaks et Karakaïtaks ; leur prince porte le titre d'Ousmaï [mais il s'agit d'un peuple du Caucase parlant une langue caucasienne et non turque],
XVIII. Les Karakalpaks [karakalpaks, au nord de l'Ouzbékistan], c'est-à-dire les bonnets noirs, sont les Tschernoklobouks des chroniques russes.
XIX. Les Odkeschs ; ilen est fait mention dans la relation du voyage de l'interprète Selam,comme habitant au nord de la mer Caspienne, parmi les peuples de Gog etde Magog.
XX. Les Monsoks, que quelques historiens persans prétendent être les aïeux des Ghouzes. (Voy. le Moukaddemé de Scherefeddin de Yezd, à la bibliothèque impériale de Vienne, et le Tarikhi Haïderi à la bibliothèque royale de Berlin.)
XXI. Les Berenditschs ou Berendeïs [ont fait partie de la confédération des karakalpaks], souvent cités dans les histoires de Russie.
XXII. Les Borosanes ou Barosites, qui habitaient aux bords de la Rhsa ou Rha (le Wolga), et que Lehrberg, dans ses Recherches sur l'Histoire ancienne de la Russie, p. 61, croit être le même peuple que les Bertases.
XXIII. Les Tatares de la horde d'Or [Tatares de la Russie actuelle], qui plus tard se subdivisèrent en Tatares de Wolhynie, de Sawolhynie, du Don, de Kesel, de Kasan, d'Astrakhan, de Crimée et du Boudjak.
XIV. Les Tatares Noghaïs [Nogaïs] ou Sayaïsk, appelés aussi autrefois Tatares Schibanski ou Tyioumenski, habitaient originairement les plaines de la Sibérie au-delà de l'Oural. Les noms des tribus tatares qui habitent la Crimée sont énumérés dans l'histoire ottomane d'après le Sebes-Seyar. On y trouve, outre les neuf tribus principales des Noghaïs, savoir : 1. les Edigous ; 2. les Manssours ; 3, les Orouks ; 4. les Mamïas ; 5. les Our Mohammed ; 6, les Kassais ; 7. les Toleouz ; 8. les Yedischeks, et 9. les Djembtâliks, les tribus suivantes ; 10. les Ischtouakoglis ; 11. les Youvarlaks ; 12. les Kataïs ; 13. les Kipdjaks et Yédisan ; 14. les Djariks ;15. les Yourouldjés ; Klaproth, dans son Asia Polyglotta, donne les noms des autres tribus turques qui errent dans les vastes plaines de la Russie, et Meyendorf, dans sa relation du voyage en Khiwa, ceux des tribus turcomanes qui habitent le Khiwa.
Tous les passages deshistoriens et des géographes turcs, persans et arabes, relatifs à l'origine des tribus turques, se trouvent réunis dans l'ouvrage intitulé : Origines russes (Saint-Pétersbourg, 1825). L'histoirela plus ancienne qui y est citée, est due au Persan Ahmed de Touz, et date de l'année 555 de l'hégire (1160). Mais, dans cette histoire, l'auteur ne parle que des Petschenègues comme de la seule tribu d'origine turque, et passe sous silence les Bulgares, les Khazares, les Bertases, les Baghradjes (Baghrations), les Tatares, les Russes et autres tribus inconnues. Trois siècles plus tard, en l'année de l'hégire 861 (1456). Schoukroullah écrivit sur le même sujet, et centvingt-huit années après lui, l'historien turc Mohammed, mais qu'il faut prendre garde de considérer autrement que comme copiste (1). Ce ne fut qu'après la publication des Origines russes, que je découvris un passage très curieux relatif à l'origine et la division des tribus turques, dans Djemaleddin Mohammed Aoufi, auteur de la Collection des histoires et des traditions (2) ; cet ouvrage a été écrit pour Nizamoul Mülk, le célèbre grand-vizir du Seldjoukide Melekschah.
(1) Origines russes, p. 51, 44, 61.
(2) Djamioul-Hikayat wé l'amioul riwayat, littéralement, le collecteur des histoires et celui qui brille dans les traditions, c'est-à-dire dans la connaissance des traditions.
Cette collection précieuse, qui contientquatorze cents contes ou histoires, a été traduite trois fois en turc : la première fois par Ahmet Ibn Arabschah, le célèbre auteur de l'histoire de Timour, mort en 854 de l'hégire (1450) ; la seconde fois par le grand poète Nedjati, mort en 914 (1508), et la troisième fois par Salih Ben Djelal, le frère du célèbre historien de Souleïman Kanouni, mort en 973 (1565). Cette dernière traduction est la meilleure et la plus complète, et c'est d'elle que la complaisance de M. le chevalier de Raab, interprètede l'ambassade d'Autriche, a tiré le passage suivant, relatif à l'origine des Turcs. Ce passage est assez complet et forme le documentle plus ancien et le plus digne de foi de tout ce que les Turcs savent eux-mêmes de leur origine et de leur ancienne division en tribus ; il se trouve à la fin de l'ouvrage, au chapitre 75, qui a pour titre : Aperçu sur le pays et le peuple des Turcs (1). Le voici dans toute sa simplicité.
« Les Turcs forment un peuple très nombreux dont les tribus s'étendent à l'infini. Les uns habitent les villes, les autres les déserts et les steppes voisins deslieux habités. L'une de ces tribus s'appelle les Ghouzes, qui se divisent en deux tribus, les Ghouzes proprement dits et les Ourighoures. Quelquesautres de ces tribus sont établies dans le Khowarezm, et embrassèrent l'islamisme en honneur duquel elles élevèrent un grand nombre de monumens. Par la suite, ayant été vaincues par les infidèles, elles quittèrent leur première patrie et vinrent habiter des villesmusulmanes. Depuis cette époque le nom de Turcs leur resta dans toutesces villes. Peu à peu ils se multiplièrent dans les pays habités parles Musulmans, au point qu'ils se soulevèrent sous le règne du prince Djaghartekin, et leurs armées prirent possession du monde entier. C'étaient les princes des Serdjouks (Seldjoukides), dont les armées furent invincibles pendant quelque temps. Une partie des Turcs s'appelle Kounes ; ils habitaient d'abord un pays stérile qu'ils quittèrent ensuite à cause de son exiguïté et du défaut de pâturages. Ils expulsèrent la grande tribu Kai, dont ils prirent la place ; plus tard ils se rendirent maîtres du pays de Sari (2), dont les habitans s'établirent dans le pays des Turcs.
(1) Turk wilayedinûn we ehlinûn sikrindedür. Récits 1294, 1295 et 1296 d'Ibn Arabschah.
(2) Sari, dans le Mazanderan, aux bords méridionaux de la mer Caspienne.
Les Ghouzes envahirent ensuite le territoire desPetschenègues, situé aux bords le la mer Noire (1). Un autre peuple desTurcs s'appelle les Khirkhir (Kirkizes) ; les Songeri habitent le territoire compris entre les Meschreks (Medjtereks) et les Petschenègues ; plus au nord, sont les Kimaks (Koumouks), et à l'ouest les Naama et les Sarih. Les Kirkizes ont la coutume de brûler leurs morts, car ils sont tous ignicoles. Il existait chez eux un homme du nom de Maaoun, quitous les ans, à un jour fixe, assemblait le peuple. On mangeait, onbuvait, on chantait au son de la musique ; puis au moment où l'assemblée s'échauffait, Maaoun tombait à terre privé de sentiment. Tout le peuple se pressait alors autour de lui pour le questionner sur l'avenir et s'il y aurait une année d'abondance ou de disette. Maaoun, toujours étendu à terre, répondait à leurs questions, et ils croyaient (que Dieu les ait en pitié!) qu'il disait vrai. — Conte. »
« Il existe dans le paysdes Kirkizes quatre vallées arrosées de quatre rivières qui se jettent dans un fleuve. Dans les montagnes inaccessibles on voit des cavernessombres. On raconte qu'un Kirkize, après avoir construit un petit navire, l'avait lancé à l'eau ; et que pour voir où aboutirait le fleuve il avait navigué pendant trois jours et trois nuits au milieu des ténèbres, sans voir ni les astres ni la lumière du soleil et de la lune ; qu'enfln, ayant revu le jour, il avait débarqué dans une plaine. Là, ayant entendu des pas de chevaux, il monta par précaution sur un arbre, d'où il pouvait voir ce qui se passait. Après avoir attendu quelque temps, il vit arriver trois cavaliers d'une taille gigantesque, suivis de chiens aussi grands qu'un bœuf. Les cavaliers, ayant vu l'homme perché sur l'arbre, le prirent pour un petit enfant, à cause de sa taille peu élevée, et en eurent pitié. Ils le descendirent de l'arbre, le mirent sur un cheval, lui donnèrent à manger, et ne purent se lasser de considérer sa petite taille : car ils n'avaient jamaisrien vu de semblable. Enfin, l'un d'eux lui montra de loin le chemin qui conduisait au fleuve, où il retrouva son navire ; le Kirkiz y monta et revint dans sa patrie par le même chemin qu'il avait pris naguère.Il raconta à ses compatriotes ce qu'il avait vu ; mais comme nul d'entreeux ne connaissait ce peuple de géants dont il leur avait parlé, ils crurent qu'il leur avait débité un mensonge. Et moi aussi je n'ajoute aucune foi à ce récit. »
(1) Ici les copistes ont horriblement mutilé le texte, car on lit, au lieu de Pedjnak, Yahkakiyé, et la mer méotide où s'établirent les Ghouzes ou Ouzas, y est appelée Ohine.
Une autre peuplade des Turcs s'appelle les Houwidjes (1) [Tchouvaches ?], qui habitent au pied de la montagne Burkes (Bours, c'est-à-dire le Caucase) ; cette montagne n'est autre que la montagne d'Or (Altountagh ou l'Altaï). Les Houwidjes s'étantrévoltés par la suite contre un de leurs princes, ils passèrent dans le Turkistan et vinrent dans les pays habités par les Musulmans. Ils sedivisent en neuf classes, dont trois sont des tschengelis (qui confectionnent des crochets), trois des hischeklis (peut-être fischeklis, artificiers), une des badawis (Bedouins), une des kehwaknew (mineurs) et la dernière des kimiaküus (mineurs pour l'exploitation de l'or (2)). Ces neuf classes du peuple des Houwidjes n'ont pas de maisons ; ils établissent leurs tentes dans les forêts et prèsdes rivières. Leurs troupeaux consistent en chevaux, en bêtes à corneset en moutons ; ils n'élèvent pas de chameaux, qui ne peuvent vivre dans leur pays, et ils sont obligés d'acheter à haut prix le sel que leur apportent les négocians étrangers. Durant l'été tous se nourrissent de lait de jument, et pendant l'hiver, de viande saléeséchée au soleil. La neige tombe avec abondance dans leur pays, et,pour s'en garantir, ils dressent des chaumières au milieu des forêts oùils se réfugient pendant l'hiver (3).
(1) Ce mot est mutilé dans le texte, où on lit Hounahen.
(2) L'auteur est ici plus complet que Schoukroullah et Mohammed Kiatib. (Orig. russes, p. 45 et 63), où on lit, au lieu de Kewaknew, Koukin, probablement du mot kouhken (les mineurs) ; et au lieu de Kimiakün, gumischken, les mineurs dans les mines d'argent.
(3) Ces Surilis ou Houwidjes qui habitent à droite des Koumouks, sont les Koubitschis que les géographes persans appellent sirhkiran (les fabricans de cuirasses) ; on les trouve quelquefois cités sous les noms de serieran et de serdkeran. (Voy. Klaproth, Description des provinces russes situées entre la mer Noire et la mer Caspienne, Berlin, 1814, p. 135 et 226.) Dans la traduction d'Ibn Arabschah, ils sont cités sous la dénomination de Kerdeher.
Le pays situé à la droite desHouwidjes est habité par les Kimaks (les Koumouks) qui formenttrois tribus distinctes. Lorsque les négocians leur apportent desmarchandises, ils ont coutume de ne point leur parler, ni en achetant ni en vendant. Les négocians déposent leurs marchandises, puis ils se retirent ; aussitôt les Kimaks viennent mettre la valeur à côté desmarchandises ; à leur retour, lorsqu'ils voient que le prix n'a pas été accepté, ils ajoutent quelque chose et se retirent de nouveau. Ainsivendeurs et acheteurs viennent et retournent alternativement, jusqu'à ce que des deux côtés on soit d'accord sur la conclusion du marché. Ilsadorent le feu et l'eau, et sont infidèles. Leur jeûne ne dure qu'un jour dans l'année, et ils brûlent les cadavres de leurs morts. Tout près d'eux sont les Marzarna (1), qui vivent sous un chef particulier. Cesont des nomades qui parcourent tous les pays environnans ; ils préfèrent ceux où il pleut le plus fréquemment. Le territoire qu'ilshabitent alternativement a sur un de ses côtés une étendue de trentejournées de marche. Ils sont divisés en nombreuses tribus très populeuses. Au nord des Mazsarnes demeurent les Khifdjaks (Kipdjaks) et à l'ouest les Khazares et les Slaves ; une tribu de ces derniers s'appelle les Toulas, une autre les Terghaz (2). Ilsconfinent à l'Arménie et habitent les forêts et les broussailles, où le voyageur ne trouve aucune route tracée ; aussi ne peut-il se dirigervers un endroit qu'en consultant les astres. Leur pays est vaste et très étendu, limité sur un de ses côtés par une grande chaîne demontagnes, le long de laquelle on trouve différentes tribus turques ; l'une d'entre elles s'appelle les Toulas, une autre les Gouz. Lorsqueleur prince monte à cheval, dix mille cavaliers le suivent, arméschacun d'une lance en fer longue de deux aunes. Si le roi descend decheval, tous descendent et se rangent autour de lui ; chaque cavalier plante sa lance en terre et y suspend son bouclier ; ainsi le roi setrouve en un instant entouré d'un rempart de lances de fer qui leprotége contre les attaques nocturnes de l'ennemi. Une autre tribu des Khifdjaks sont les Berdas. Nedjour est le nom d'une de leurs villes. Ils sont séparés des Tscher par des pays d'une étendue de quinze journées de marche, et reconnaissent pour leur roi celui des Khours (3) qui peut lever dix mille cavaliers indépendants et ne reconnaissantl'autorité d'aucun autre chef.
(1) Dans la traduction on lit Bazriyé, ainsi que dans Schoukroullah (Orig. russes, p. 63 ) ; ce sont probablement les Bastarnae des anciens.
(2) Les Origines russes, p. 47, ce nom est mutilé en Kerghara ; les Ghouzes ne sont autres que les Ouzes duKipdjak ; mais comme de nouveau il est question un peu plus bas desGhouzes, il paraît qu'il faut lire les Taghazghaz au lieu de Terghaz. (Origines russes, p. 64) ; ce sont les Taugas des Byzantins.
(3) Sans aucun doute les mots Nedjour, Tscher ou Tschour et Khour ne sont que les noms mutilés d'un même peuple.
Dans chacun de leurs villages, il y a unvieillard qui décide de leurs affaires litigieuses, et dont lessentences sont sans appel. Les Ehours vivent dans une inimitié perpétuelle avec les Bedjnacks qu'ils combattent sans cesse. Leur paysest riche en miel et s'étend dans toutes les directions à une distancede sept journées de marche. Ils sont divisés en deux castes ; l'une a l'habitude d'inhumer les morts, l'autre de les brûler. Presque tous les arbres qui couvrent le territoire sont de l'espèce des Haldj. Les Mahrikas (Medjterikèsou Medjtereks), autre tribu turque, habitent un pays qui d'un bout àl'autre présente une surface de cent farasanges. Leur roi peut entreren campagne avec 20 000 cavaliers, et aussitôt qu'il monte à cheval,tous le suivent avec leurs tentes. Leur territoire confine à la mergrecque (la mer Caspienne), mais leur siége principal se trouve au-delà de l'Oxus. Ils sont continuellement en guerre avec les Slaves, dont ils sont toujours vainqueurs ; ils conduisent leurs prisonniers dans le pays de Roum, pour les vendre. Les Slaves formentun peuple très nombreux dont le pays est éloigné de treize journées demarche de celui des Bedjnaks ; il n'y a aucune route tracée qui puissey conduire le voyageur, qui tantôt doit traverser d'immenses déserts, tantôt se frayer un chemin à travers d'épaisses forêts. Ils vivent dans le voisinage des rivières, sous des arbres touffus ; comme ils sont adorateurs du feu, ils livrent les cadavres de leurs morts aux flammes.Leurs terres ne produisent que du froment, et leurs boissons se préparent avec du miel. Ils sont armés de couteaux, de lances et deboucliers d'un travail exquis. Leur chef porte le titre de Swiat (1) et son substitut où lieutenant celui de Soundj. Dans leur ville principale, appelée Houran, se tient tous les ans pendant trois jours consécutifs une foire, et le peuple y accourt en masse de tous les points. Les russes habitent une île entourée des quatre côtés par la mer. Cette île s'étend dans toutes les directions, à une distance de trente journées de marche.L'intérieur est couvert de forêts et de broussailles. Le brigandage et le vol sont leurs principales occupations ; ils vivent de ce qu'ils gagnent à la pointe du sabre. Si l'un d'eux meurt et qu'il laisse un fils et une fille, le fils hérite du sabre et la fille de tout le reste de la fortune du père. Ils disent au fils : Ton père a gagné cettefortune avec le tranchant de son sabre ; c'est à toi de l'imiter ; puis on lui remet le sabre, unique héritage des biens du père.
(1) Origines russes, p. 48, et Charmoy, Relation de Masondy, p. 71.
En l'année 300 de l'hégire (912), tous embrassèrent lechristianisme ; dès lors, il leur fut défendu de faire fortune par lesarmes et ils remirent le sabre dans le fourreau ; mais comme ils neconnaissaient aucun métier pour assurer leur existence, la porte du gain se ferma sur eux ; ils furent en désarroi, car c'en était fait de leur bien-être. L'envie les prit d'embrasser l'islamisme et de se faire musulmans, afin de combattre les Infidèles et de s'enrichir par la vente des prisonniers de guerre, ces ventes étant légitimement autorisées par la loi du Prophète. Leur roi s'appelait Pouladmir (Wladimir), de même que les rois du Turkistan portent le nom de Khakan, et ceux des Bulgares Bataltar (1) ; le nom des rois russes est donc Pouladmir. Pouladmir dépêcha quatre ambassadeurs à son parent, le schah de Khowarezm, pour le prier de lui envoyer quelques légistes qui l'instruisissent dans la loi du Prophète et convertissent tout son peuple à l'islamisme. Lorsque les ambassadeurs eurent exposé l'objet de leur mission, Khowarezmschahse réjouit beaucoup de la demande des Russes ; il traita lesambassadeurs avec la plus grande distinction, les fit revêtir d'habits d'honneur, et envoya des légistes en Russie pour instruire le roi, l'armée et toute la nation dans l'islamisme ; en même temps, il leurpermit d'envahir le pays des Infidèles et de leur faire la guerre. Les ambassadeurs retournèrent dans leur patrie, et Pouladmir embrassa avectout son peuple l'islamisme. Aussitôt ils ne songèrent plus qu'à envahir par terre et par mer les pays des Infidèles ; sur mer ils capturèrent leurs vaisseaux, sur terre ils brûlèrent leurs villes et leurs villages ; peu à peu, s'étant fortifiés beaucoup, ils déclarèrentla guerre à toutes les nations voisines et leur pays devint un des pluspuissants parmi ceux des autres peuples. Il faut remarquer seulement qu'ils n'ont pas de chevaux et que leurs armées se composent uniquement de fantassins. S'ils avaient des chevaux, ils soumettraient tous lesautres pays, car c'est une nation très brave. Voici l'histoire abrégée du Turkistan ; entrer dans de plus longues explications exigerait trop de paroles. Les mœurs et les usages de ces peuples varient à l'infini ; le noble courage, la grandeur, la dignité et la puissance de leursprinces dépassent toutes les bornes de l'imagination. »
(1) Le betboyas des Byzantins. Engel, Histoire des Bulgares, p. 252 et 262.
La traductionfidèle de ce passage, tiré de l'ouvrage le plus ancien parmi ceux qui jusqu'ici ont été connus et quicontiennent quelques détails sur les tribus turques, complète les extraits puisés dans des ouvrages arabes, persans et turcs ayant rapport à l'origine des Russes ; on les trouve en entier dans les Origines russes. Le conte relatif à la conversion de Wladimir-le-Grand, l'Apostolique, à l'islamisme, a été inconnu jusqu'à ce jour et peut servir à étendre le cercle des traditions romantiques qui nous ont été transmises sur lui (1); ils méritent autant de foi que celles que nous possédons sur Charlemagne.
(1) Karamsin, Histoire de Russie, t.1, à la fin du chapitre IX.