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En 1876, G. Vapereau, auteur du Dictionnaire universel des contemporains, publie un Dictionnaire des littératures. Il y consacre des notices à des auteurs turcs et une sur la langue et sur la littérature turque.

TURQUE (Langue) ou Osmanlie parlée dans l'empire ottoman. On étend la dénomination de langue turque à l'ouïgour du Turkestan, à l'idiome d'Azerbaïdjan et au turkmen des populations voisines de la frontière persane. Née sous la forme d'un dialecte tartare, la langue turque était à l'origine barbare et pauvre comme les peuples qui la parlaient [sic]. Elle prit un grand nombre de mots au persan, puis, lors de l'introduction de l'islamisme dans les régions qui avoisinent la mer Caspienne, elle fit de larges emprunts à l'arabe.
Toutefois, dans le premier siècle de la monarchie Osmanlie, la langue littéraire des Turcs était le persan, comme l'arabe en était la langue sacrée. Le dialecte national ne se prêtait pas, à cause de sa pauvreté et de sa rudesse, aux recherches et aux combinaisons infinies de la poésie orientale. Peu à peu ce dialecte s'assouplit et s'enrichit par sa fusion avec les deux langues classiques de l'Orient. Il soumit les mots de ces langues à ses propres règles de construction et d'inflexion, et gagna cette régularité, cette harmonie, cette ampleur et cette aisance d'expression qui caractérisent aujourd'hui le turc. Le turc est actuellement la seule langue dont on use à la cour de Perse.
L'ouïgour ou turc oriental a moins participé que l'osmanli à ce travail de fusion et d'élaboration et est resté simple dans sa structure et rude dans sa prononciation. Il fut le premier fixé par l'écriture. La langue des livres turcs n'est pas parlée. Les journaux ottomans officiels, écrits dans le style de la chancellerie, ne sont guère compris que par les gens lettrés ou par les habitants de la partie orientale de l'empire lesquels, connaissant l'arabe, peuvent comprendre le sens de ce turc de convention rendu confus par l'emploi exagéré des mots arabes. La dénomination de langue ottomane, employée par quelques philologues, est tout à fait défectueuse : il n'y a pas de langue ottomane.
La grammaire turque est fort simple. Elle n'a ni genres ni articles. Le substantif se décline et a six cas. L'adjectif est invariable. Il y a peu de verbes irréguliers, le verbe substantif excepté. Les prépositions se placent après leur complément. La construction est très-inversive. L'accent tombe sur la dernière syllabe des mots, quand cette syllabe n'est pas une flexion grammaticale. Les règles de la versification des Turcs osmanlis ont été empruntées, de même que leurs formes poétiques, aux Persans et aux Arabes. L'alphabet turc est composé de vingt-huit lettres arabes, de quatre lettres tirées de l'alphabet persan, et d'un autre caractère qui représente nos voyelles nasales an, in, on. L'alphabet de l'ouïgour est d'origine syriaque et analogue au sabéen.

Les principales Grammaires de la langue turque à l'usage des Européens sont celles de Megiser (Leipzig, 1612, in-4), d'André Duryer (Paris, 1633, in-4), des PP. Bernard et Pierre (1667), de Holdermann (Constantinople, 1730, in-4), de Redhouse (Paris, 1846, in-4), de Zencker (Leipzig, 1848), de L. Dubeux (Paris, 1856, in-18), de Kellgrenn (Helsingfors, 1856). Il a été publié des Vocabulaires par Rhasis (Saint-Pétersbourg) 1828-29, in-4, franç.-turc), Bianchi (Paris, 1831, franç.-turc) ; Kieffer (1835, 2 vol. in-8, turc-franç.), Redhouse (Londres, 1856, in-8, angl.-turc), Zencker (Leipzig 1863 et suiv., turc-arabe, persan), A. Calfa (Paris, 3e édit., 1865, franç.-turc), etc. Il a été donné des Chrestomathies turques par Quatremère (Paris, 1841, in-8), E. Bérésine (Kazan, 1857, in-8), Vambéry (Leipzig, 1867), etc.

Cf. Meninski : Institutiones linguae turcicae (Vienne, 1756, in-fol.) ; - Julius Klaproth : Abhandlung über die Sprache und Schrift der Uiguren (Paris, 18420, in-fol.) ; Röhrig : Specimen des idiotismes de la langue turque (Breslau, 1843, in-8) ; - E. Bérésine : Système des dialectes turcs (Kazan, 1818, in-8).

TURQUE (LITTÉRATURE).
Les voyageurs européens, notamment le baron de Tott, ont avancé que les Turcs aimaient l'ignorance et qu'ils n'ont point de littérature, ou encore que les oeuvres de cette littérature ne méritent pas de fixer l'attention. Galland a pris leur défense. « Ils sont, dit-il, tellement décriés, qu'il suffit ordinairement de les nommer pour signifier une nation barbare, grossière et d'une ignorance achevée... On leur fait injustice, car, sans s'arrêter à les justifier de barbarie et de grossièreté, on peut dire qu'ils ne le cèdent ni aux Arabes, ni aux Persans, dans les sciences et dans les belles-lettres, communes à ces trois nations, et qu'ils cultivèrent presque dès le commencement de leur empire... On peut compter comme une marque de la délicatesse de leur esprit le nombre considérable de leurs poètes. » Avant même leur établissement en Europe, les Turcs avaient une littérature. Ils cultivaient particulièrement la poésie. Ils ont eu au XIVe siècle un grand poème mystique, dû à Aaschik, imitation du mesnevi du poète persan Djelaleddin Roumi, et qui ne lui est pas inférieur; c'est le Gulcherinas ou la Floraison des roses du mystère, du cheik Elvan. Viennent ensuite le remarquable poème religieux de Soliman, Meuloudij ou Anniversaire de la naissance du prophète, et l'Iskendernameh ou le Livre d'Alexandre, sorte d'épopée universelle, à la fois historique, religieuse, scientifique, du poète Ahmed-Daji. Au commencement du XVe siècle se place le poème héroïque et romanesque de Cheiki, emprunte aux annales de la Perse et ayant pour titre Khosrou et Schirin, puis dans ce même siècle les Merveilles du temps et curiosités pour les yeux et pour l'esprit, poème étendu, écrit à la gloire de l'islamisme par Ibn Katib.

Avec Mahomet II, poète lui-même, la littérature turque bénéficia de l'accroissement de puissance des Osmanlis. A cette époque, le persan était encore la langue littéraire des Turcs, comme l'arabe était leur langue sacrée. Les plus anciens chroniqueurs, Neschri, Mewlana, Idris, etc., ont écrit en persan. Avec leur langue, les Turcs empruntèrent aux Persans le rhythme, la prosodie, les sentiments, les images. L'empreinte étrangère demeura longtemps visible. Elle est surtout marquée dans les oeuvres des premiers écrivains qui se servirent de la langue indigène, les historiens Saad-Eddin Djelal, ladé, Selaniki, les poètes Djemali et Sinan. A partir de la prise de Constantinople, la poésie ottomane commença la première à se dégager de l'imitation et revêtit peu à peu ce caractère à la fois religieux et pratique qui fait son originalité. Les principaux poètes du règne de Mahomet Il sont Nedjati, Hamdi et surtout Ahmet dit le Pacha, le plus grand poète lyrique avant Baki. Sous Bajazet II, la poésie compte Firdousi, surnommé le Long, parce qu'il écrivit en 360 volumes un ouvrage intitulé Suleimannameh ou le Livre de Salomon ; Mescihi, le prince Djem, frère de Bajazet. Puis viennent, sous Selim ler, Sati, la femme-poète Mihri, Djafer, auteur du Livre du Désir (Hafesnameh), le savant historiographe Kemal, le licencieux Délibourader, l'Arétin des Ottomans.

Le grand siècle littéraire de la Turquie est celui de Soliman Ier. Les écrivains sont nombreux, Ali Vazi, nommé aussi Hussein Vaëz, traducteur en prose des fables de Bidpaï ; Khalili, auteur du Firaknameh ou Livre de la séparation ; le mufti Abou Sououd ; Fikri, qui reproduisit en vers la grande épopée persane de Firdousi, le Livre des Rois ; Sourouri et Djélili, traducteurs et commentateurs des chefs-d'oeuvre des principaux poètes de la Perse ; Lamii, imitateur plus original des persans; Fasli, auteur du poème allégorique la Rose et le Rossignol; enfin le grand poète lyrique Baki. Les règnes suivants nous donnent les poètes Attaji et Yahia, le satirique Néfii. Au XVIIe siècle appartiennent les poètes Nabi et Misri.

Le XVIIIe siècle fut pour la Turquie une époque de sommeil intellectuel. On peut toutefois citer avec distinction le grand vizir Raghib-Pacha, dernier des grands poètes turcs et protecteur des lettres. Enfin, au XIXe siècle, le sultan Sélim III, poète, représente à lui seul un mouvement littéraire presque nul. A part les historiens qui figurent parmi les noms précédents, il faut citer comme formant une suite d'annales de la dynastie des Osmanlis, depuis son origine jusqu'à la fin dit XVIIIe siècle, les ouvrages de Naïma, Reschid, Tchelebisade, Sami, Schakir, Subhi, Issi et Wasif. L'historien dont les écrits sont le plus répandus est Hàdji-Khalfa.

Les différentes formes de poésies usitées parmi les Turcs sont de petites pièces de vers ayant des règles spéciales et des noms particuliers, également empruntés aux Arabes. Tels sont : le mesnevi, le casside, le gazel, le terdchii, le glosse, le rubijat, le mokataat, le moferredat, la mimaa, le laghs, le mahloub, le tarikh. Les recueils, suivant les genres, portent le nom de divan, de khamse, de kulijat [voir Formes de la poésie ottomanes ]. La poésie ottomane se fait volontiers philosophique et didactique. Les poètes, en général, célèbrent la puissance et les bienfaits du Créateur, les voluptés de la science et de l'étude, l'instabilité des choses humaines. Cependant beaucoup de leurs poèmes ont pour sujet les événements politiques, les louanges de tel ou tel personnage, la glorification du fondateur de l'islamisme. Les dix-sept Tezkeretoul chouara ou grandes anthologies ottomanes, depuis l'anthologie de Sehi, qui mourut en 1525, jusqu'à celle de Nazmi, postérieure au règne d'Ahmed III (1703-1730), et la plus complète de toutes, mentionnent les noms de plus de 2000 poètes, parmi lesquels se trouvent plusieurs sultans, des vizirs, des muftis, des généraux, et un assez grand nombre de femmes.

Cf. Donado : Letteratura dei Turchi (Venise, 1688, in-12) ; - l'abbé Toderini : Letteratura turchesca (Ibid., 1787, 3 vol in-18) ; - Jenisch : De Fatis linguarum orientalium ; W. Jones : Poeseos asiaticae commentarii ; - Latifi et Aaschik : Biographie des poètes turcs, traduite en allemand par Thomas Chabert (Zurich, 1800); - Hammer-Purgstall : Geschichte der osmanischen Dichtkunst bis auf unsere Zeit (Pesth, 1836-38, 4 vol. in-8); - Servan de Sugny : la Muse ottomane, ou Chefs-d'oeuvre de la poësie turque, traduits en vers français (Paris, 1851, in-8) ; Barbier de Meynard : De l'Histoire philologique et littéraire de la Turquie, dans la Revue des cours littéraires, t. 1.