Ile de Candie. [Crète]

La Canée. — La Canée est située sur les lieux où quelques voyageurs prétendent que se trouvait la ville de Cydonie, une des plus puissantes de la Crète. Savary assure qu'elle se prolongeait une demi-lieue au delà, du côté de Saint Odero, où l'on voit sur le bord de la mer des restes d'anciennes murailles, construites avec beaucoup de solidité. Il fonde son opinion sur le témoignage de Strabon, qui la place au bord de la mer, du côté qui regarde la Laconie; témoignage qui s'accorde avec celui de Diodore, et qu'on est d'autant plus disposé à adopter, qu'aucune autre trace d'antiquités ne se trouve à plusieurs lieues à la ronde. La ville actuelle, bâtie par les Vénitiens, est éloignée de la rade de la Sude d'une heure de marche par terre, et de plus de six lieues par mer. On a peine à concevoir comment les Vénitiens, au lieu de s'établir à la Sude, rade belle, sûre et commode, ont préféré fonder leur ville dans l'emplacement où se trouve la Canée, dont le port est étroit, peu profond, et dangereux pendant les gros vents du nord de l'hi ver et des deux équinoxes.

La Canée n'a d'autres faubourgs qu'une petite rue de deux cents pas de longueur, qu'on trouve en sortant de la ville. Elle n'a qu'une seule porte du côté du sud-est, confiée à la garde d'un orta de janissaires, et qui se ferme exactement tous les soirs au coucher du soleil, et ne s'ouvre qu'à son lever. Une demi- lune, destinée à la couvrir, tombe aujourd'hui en ruines, [380] et ne sert plus que de clôture aux cimetières des Turcs. La forme de la forteresse est celle d'un fer à cheval, dont le port représente le vide. Ses murailles, solidement construites en belles pierres de roches, avec de larges fossés, sont encore en bon état, et peuvent avoir un mille et demi de circuit. La partie qui regarde la mer est défendue, à gauche, par un fort muni d'artillerie de gros calibre, et à droite par un long mur qui enferme le port, et qui est assis sur des rochers à fleur d'eau, et flanqué de deux tours, sur l'une desquelles s'élève un fanal.

Le port, dans son état actuel, peut à peine contenir une quarantaine de gros navires marchands. Chaque jour il se comble de plus en plus; et dans peu d'années, si les Turcs ne se décident à le faire curer, il ne pourra plus recevoir que des barques. Il est exposé à toute la fureur du vent du nord, qui élève les flots à une hauteur prodigieuse, et jusque par-dessus le fanal et le mur de clôture. Le seul abri qui pourrait alors s'offrir aux vaisseaux, la darse de l'arsenal, presque aussi vaste elle seule que le port lui-même, est tellement comblée, que les plus petits navires peuvent à peine mouiller à son entrée : le reste n'a que la profondeur nécessaire pour recevoir de simples bateaux. On peut juger de l'insouciance du gouvernement turc par le trait suivant. Depuis le mois de décembre 1806, époque à laquelle la Porte Ottomane déclara la guerre à la Russie, on retint à la Canée deux navires de cette nation ; on les laissa échouer et pourrir dans le port, et leurs débris obstruent encore aujourd'hui l'entrée de la darse de l'arsenal, sans qu'il soit question de les enlever, sous le prétexte qu'on n'a pas reçu d'ordres du Grand Seigneur.

Derrière les ruines des beaux arsenaux où les Vénitiens construisaient et remisaient leurs galères, on remarque le château, ou sérail du pacha, autrefois habité par le provéditeur de la république. C'est un misérable édifice qui s'écroule de toutes parts, et que les Turcs ont, suivant leur usage, défiguré par quelques kiosques de bois suspendus sur la tête des passants, qu'ils semblent incessamment menacer de leur chute.

Au-dessous du principal de ces kiosques, où le pacha vient ordinairement prendre l'air, et d'où la vue embrasse toute l'étendue du golfe de la Canée, on voit une vieille chapelle convertie en magasin : à en croire les habitants, elle renferme encore des provisions considérables de lentilles qui datent de la prise de la ville par les Turcs, c'est-à-dire de plus de cent soixante ans. Ils prétendent qu'au printemps, ces lentilles, s'échappant par les crevasses du mur, viennent régulièrement germer sur la terre : je laisse aux naturalistes le soin d'expliquer ce phénomène. Je n'ai jamais pu m'assurer de la vérité du fait, puisqu'il n'est permis à qui que ce soit, et surtout aux Francs, de pénétrer dans ce magasin; mais j'avoue que j'ai vu plus d'une fois des lentilles germer au pied de ses murailles. Venaient-elles réellement du magasin, ou bien étaient-elles semées à dessein, pour entretenir le peuple dans cette erreur, si c'en est une, c'est ce que je ne puis affirmer.

1. Un habitant de Candie m'a assuré avoir vu, dans les magasins de cette ville, des biscuits de mer portant l'empreinte du lion de Venise, parfaitement durcis et conservés, et qui datent du siège de Candie. 

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On s'aperçoit encore aujourd'hui que la ville de la Canée est l'ouvrage d'une nation européenne : ses rues sont larges et bien alignées, et l'on y trouve à chaque pas des restes de belles maisons de pierres, dont les ruines abandon nées attestent la barbarie des conquérants de cette île malheureuse. La façade d'un beau palais, voisin de celui du pacha, dans la grande rue du château, et les anciennes casernes de cavalerie, occupées aujourd'hui par un orta de janissaires, sont les bâtiments les mieux conservés parmi ces tristes débris, aux quels se rattachent de si glorieux souvenirs. La cathédrale, dédiée à saint Marc, patron de la république, et plusieurs autres églises, ont été converties en mosquées. La chapelle de Saint-Roch, sur la place, est devenue une école d'enfants turcs. Enfin, les portes de l'arsenal et celles du port sont encore décorées du lion vénitien, horriblement mutilé par les musulmans.

Au milieu de ces ruines, les Turcs ont soigneusement conservé les magasins souterrains, destinés, en cas de siége, à renfermer les approvisionnements nécessaires à la subsistance des habitants pendant plusieurs mois. Ces magasins ne sont autre chose que des puits creusés dans le roc vif, et revêtus intérieurement et extérieurement d'un ciment dur et de la plus grande solidité, composé de chaux vive, de cailloux, et d'une terre rougeâtre que produisent les environs. Les grains s'y conservent pendant deux ou trois ans, sans se détériorer en aucune manière : avantage que l'on doit peut-être en partie à la sécheresse de l'air dans l'île de Candie.

Je ne répéterai pas ici ce que plusieurs voyageurs, et notamment Savary, ont rapporté sur les événements qui ont fait tomber cette île au pouvoir des Ottomans. On sait qu'en l'an 1645, sous le règne du sultan Ibrahim, une flotte ottomane, sortie du port de Constantinople, et portant soixante mille hommes de débarquement et quatre pachas, parut, en pleine paix, à la vue de la Canée. Je me contenterai de citer à ce sujet deux particularités, dont la tradition, vraie ou fausse, s'est conservée parmi ceux de ses habitants qui descendent des Vénitiens, et que je tiens de l'un d'eux, aujourd'hui vice-consul d'Autriche a la Canée.

Plusieurs embarcations, détachées de la flotte, s'étant présentées à l'entrée du port, l'officier qui les commandait demanda à parler au gouverneur vénitien, pour le rassurer sur le but de cette expédition, qui, disait-il, était destinée à attaquer Malte, et pour lui demander un asile en faveur de quelques malades, qui furent admis sans défiance. On ne tarda pas cependant à s'apercevoir que ces prétendus malades n'étaient que des espions, qui, une fois assurés de l'état des lieux, trouvèrent bientôt le moyen de rejoindre la flotte. Leur évasion fut immédiatement suivie du débarquement des Turcs sur la côte nord-ouest de l'île, à trois lieues de la Canée, et du siége de la place, qui dura cinquante jours.

Les Vénitiens, qui se reposaient sur la foi des traités, surpris d'une attaque [383] aussi imprévue, opposèrent longtemps la bravoure à la force; mais obligés enfin décéder à la supériorité du nombre, et privés de munitions, ils demandèrent à capituler, et sortirent avec tous les honneurs de la guerre, après avoir fait éprouver des pertes immenses aux assiégeants. Ou ajoute que la perfidie des Grecs, et leur haine implacable coutre les Vénitiens et la religion romaine, ne contribuèrent que trop à la reddition de cette forteresse importante; mais si cette circonstance, est vraie, ils en ont été bien punis : leurs trahisons ne leur ont rapporté partout que la honte, l'avilissement et l'es clavage.

Trois ans après la prise de la Canée, commença le célebre siége de Candie, qui dura trente ans, et dont la conquête coûta aux Turcs autant d'hommes et de trésors que celle d'un empire. Cette capitale, réduite à la dernière extrémité, et ne recevant plus de la métropole aucuns secours en troupes ni en argent, se vit forcée de suivre le sort de la Canée et de l'île entière. Les Vénitiens y conservèrent encore, pendant plus de quatre-vingts ans, les forts de la Sude, de Karabouzo et de Spina-Longa, qu'ils abandonnèrent enfin d'eux-mêmes, faute de pouvoir suffire aux dépenses énormes qu'entraînaient ces inutiles possessions. C'est ainsi qu'en Candie, comme dans presque toutes les provinces de la Grèce, les Ottomans n'ont établi leur domination que par la ruse ou la violence.

Le Turc candiote est peu estimé dans les autres parties de l'empire. Cette mauvaise réputation est fondée, chez les musulmans, sur sa négligence à observer certains points du Coran ; et chez les chrétiens, sur sa férocité naturelle, les vexations et la tyrannie insupportables qu'il exerce contre les Grecs.

Cependant, comme à Scio, il s'allie fréquemment avec des femmes chrétiennes. Mais ce qui contribue dans cette dernière île à adoucir le caractère farouche des musulmans produit dans celles-ci un effet tout contraire. Quelle peut en être la raison? Comment deux causes semblables amènent- elles, dans deux pays situés pour ainsi dire sous le même climat, deux résultats si opposés? Il ne faut, ce me semble, en accuser que les dispositions naturellement vicieuses avec lesquelles naissent les Crétois de toutes les religions, dispositions dont ils semblent avoir hérité de leurs ancêtres.

Le mélange des sangs grec et mahométan influe, dans l'île de Candie, d'une manière bien plus sensible que partout ailleurs sur le moral et même sur le physique des Turcs candiotes. Ils réunissent éminemment la fourberie, l'intrigue, le mensonge, et tous les vices innés chez les Grecs, à l'intolérance, au ton de supériorité et d'arrogance des musulmans. Leur physionomie seule les fait reconnaître partout au premier abord ; leur langage et leur accent sont ceux des premiers ; et, pour un étranger qui a vu les vrais Osman- lis de Constantinople et de l'Asie, un Turc candiote ne paraîtra jamais qu'un Grec travesti. Sa gourmandise, et l'usage qu'il fait de certaines viandes et de plusieurs gibiers interdits par la loi de Mahomet, achèvent de le rendre [384] méprisable aux yeux des vrais sectateurs du Coran, qui le regardent comme un mauvais musulman, comme un demi-infidèle, comme un être dégénéré, indigne des grâces du Prophète. On a vu, depuis la guerre d'Egypte, et notamment pendant ces six dernières années, à quels excès peuvent se porter de tels hommes, lorsqu'ils ne reconnaissent plus d'autorité que celle de quelques chefs rebelles, toujours en guerre les uns contre les autres : suites naturelles et nécessaires du régime féodal, qui s'est maintenu jusqu'à nos jours dans l'île de Candie, où tout aga, possesseur du moindre fief, se regarde comme un petit souverain, et travaille sans cesse à augmenter son crédit ou sa puissance aux dépens d'un voisin plus faible ou moins intrigant que lui. Delà l'horrible tyrannie des subalternes, qui, ouvertement appuyés par le maître qui les soudoie, croient pouvoir piller et désoler avec impunité une nation plongée dans le plus vil esclavage, et qui n'a pas même conservé le droit de se défendre contre ses oppresseurs.

Presque tous les Turcs de Candie sont janissaires. La Canée seule en renferme cinq ortas ou régiments, qui ont chacun leur kichla ou caserne, où les chefs seuls résident habituellement. Ces officiers sont un oda-bachi, chef de chambrée ; un ousta, maître cuisinier; deux bach-kalfas, et plusieurs simples kalfas, sous-officiers, distingués des autres janissaires par une ceinture de cuivre d'une forme particulière.

On connaît le pouvoir redoutable de cette milice indisciplinée, qui s'arroge souvent le droit de changer et de déposer à son gré ses faibles souverains. La chute tragique de l'infortuné sultan Sélim III n'a fait qu'augmenter, dans ces dernières années, la terreur de leur nom. Tant qu'existera ce corps, aujourd'hui l'effroi de son pays et la risée des troupes européennes, jamais le prince ne sera tranquillement assis sur son trône. Les janissaires causeront un jour la ruine de l'empire, comme ils en ont jadis fondé la puissance. Leur régime et leurs priviléges sont, en Candie, les mêmes que partout ailleurs.

Le janissaire-aga (iénitcher-agasi), ou commandant de janissaires, est un officier que la Porte envoie de Constantinople, et renouvelle tous les ans dans chaque ville. On peut dire qu'il n'a qu'une ombre d'autorité sur cette soldatesque insolente, sans discipline, qui n'obéit qu'à sa propre volonté. Le janissaire-aga est, à la Canée, comme dans toutes les autres places, chargé de la police de la ville, et prélève à son profit un droit sur tous les comestibles qu'on y fait entrer par terre, sans compter les avanies qu'il ne manque jamais de faire aux Grecs. Le janissaire effendi (jénitcher-efendissi), intendant du corps des janissaires, les oda-bachi, et les ousta de chaque orta, viennent immédiatement après lui. Ces derniers ne peuvent se marier, ni découcher hors de leurs kichla, qui ne sont que des lieux de rendez-vous pour les individus d'un même corps; car les janissaires exercent ordinairement une profession ou un métier, et habitent leurs propres maisons avec leurs familles.

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Les kichla jouissent du droit d'asile; c'est-à-dire qu'un voleur, un assassin, un homme condamné au dernier supplice, lorsqu'il parvient à se réfugier dans le dépôt des marmites sacrées du régiment, ne peut en être enlevé que du consentement des chefs de la caserne; et ceux-ci, pour ne point compromettre ni perdre un privilége aussi révoltant, ont toujours soin de faire évader les criminels qui viennent se jeter dans leurs bras.

Aucun janissaire ne peut être puni ni emprisonné pour un délit ordinaire, que dans l'intérieur de son kichla. Lorsqu'un yoldach (frère d'armes) (1) a mérité la bastonnade, tous les janissaires du régiment sont invités à se rendre, vers le soir, coiffés de leurs bonnets de cérémonie, dans la salle du conseil du quartier. Là, le coupable est dépouillé d'une partie de ses vêtements ; et l'un des kalfa, détachant sa lourde ceinture de cuivre, en applique sur les épaules du patient un certain nombre de coups, suivant la gravité du casj Après cette correction fraternelle, il est remis de suite en liberté ; à moins que, pour quelque faute majeure, on ne le retienne en prison ou aux fers pendant quelques jours. Il a fallu, depuis deux années, toute la fermeté du gouverneur actuel; Hadji-Turk-Osman-Pacha, et la terreur qu'inspire son nom seul, pour parvenir à détruire une partie des abus, et à soumettre cette milice.

Quand un janissaire a mérité la mort, il est conduit par plusieurs de ses yoldach dans le fort nommé Sou-Koulé, bâti sur les rochers qui ferment le port. Pendant toute la journée son cachot est ouvert à sa famille et à ses amis, qui peuvent le voir et lui apporter à manger, jusqu'au moment de l'exécution, fixée à trois quarts d'heure après le coucher du soleil. La garde le fait alors sortir de sa prison, pour l'amener dans un vestibule où il doit faire sa dernière prière. On l'assied ensuite sur la terre, et on lui passe au tour du cou une corde à nœuds coulants, que deux Grecs ou deux Juifs tirent chacun de leur côté (2). Au moment où le coupable expire, un officier de la garde, placé sur l'esplanade du fort, élève son fanal en forme de signal, et un coup de canon annonce au pacha et à la ville que l'exécution est terminée (3).

Tous les ans, au mois de mars, la Porte envoie à la Canée un scéanédji, officier chargé d'effectuer la paye des janissaires de cette ville ; la cérémonie a heu dans la maison du douanier qui avance les fonds nécessaires. Chaque orta ou régiment s'y fait représenter par ses chefs et par plusieurs députés, ornés de leurs plus riches habits, qui rapportent aux kichlas des sacs d'argent qu'on distribue de suite aux janissaires jouissant de la paye.

1. Littéralement, compagnon de voyage. C'est le nom que se donnent entre eux les janissaires.
2.  La mort la plus ignominieuse pour un musulman est d’être étranglé de la main d'un infidèle. Un assassin condamné, il y a quelques années, au dernier supplice, par le pacha de la Canée, crut prévenir cette honte ineffaçable, en se faisant étrangler d'avance par deux Turcs de ses amis.
3. A Constantinople, et dans plusieurs grandes villes de l'empire, le supplice des seuls Janissaires est annoncé par le canon. En Candie, tous les musulmans indistinctement jouis sent de ce singulier privilége.

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Cette paye s'élève depuis trois jusqu'à quinze aspres (1) par jour, et rapporte par conséquent plus d'honneur que de profit. C'est une espèce de droit de présence dont sont prives les hommes absents de leurs corps.

Dans les solennités des deux baïrams, les janissaires de la Canée et de Candie marchent en grande cérémonie, armés d'une simple baguette blanche, recourbée par le haut, et ornée de fleurs et de fils d'or. Ce cortége, qu'ils nomment Alai, parcourt toute la ville et les remparts, précédé de plu sieurs derviches, la hallebarde en main, poussant des hurlements affreux ; et il est suivi d'une fou le d'enfants de janissaires, dont les plus jeunes sont portés sur les épaules de leurs esclaves. Le janissaire-aga, à cheval, ferme la marche, environné des différents chefs de corps, à pied, revêtus de longs et grotesques habits de cuir chargés de plaques et de grelots d'argent.

Une autre milice, qu'on nomme les yerlû, est aussi employée à la garde des forteresses de la Canée, de Candie et de Rétimo. Les yerlu ne sont point janissaires, et ils ont un chef particulier qu'on nomme le yerlû-agasi. Ce corps n'est composé que des Turcs de la dernière classe du peuple, et leur service se réduit à veiller pendant la nuit sur les remparts, en s'avertissant mutuellement par des cris prolongés, à peu près à la manière des sentinelles dans nos places de guerre. Les yerlû n'ont d'ailleurs ni kichla, ni priviléges, comme les janissaires, qui se croient en droit de les mépriser.

Le nombre des charges publiques est très considérable à la Canée, comparativement au peu d'étendue et de population de la ville, qui ne renferme pas plus de douze mille habitants. Tout particulier qui possède une petite fortune veut acheter, à quelque prix que ce soit, un titre qui lui donne entrée dans le conseil du pacha. Il en est de même à Candie et à Rétimo. Avant de faire l'énumération des plus éminentes de ces charges, je vais dire comment est gouvernée l'ile de Candie.

L'île est partagée en trois pachalik ou départements, savoir : celui de Candie, celui de la Canée et celui de Rétimo.

Le gouvernement de Candie est toujours confié à un pacha à trois queues (utch toughlû), sous le titre de vésir-sérasker. On peut le considérer comme le gouverneur-général de toute l'île. L'administration des finances, provenant du kharatchel autres impositions, est entre les mains d'un tefterdar, ou trésorier. Ce dernier est indépendant du sérasker.

Le département de la Canée est gouverné par un vésir, ou pacha à trois queues, qui ne relève que de la Porte. Il ne reçoit aucun ordre du sérasker de Candie ; mais, dans les affaires majeures, il doit seulement en référer à son avis. Quand le pacha de la Canée n'est décoré que de deux queues, il est alors sous les ordres immédiats du gouverneur général : ce cas est extrêmement rare.

1. II faut trois aspres (aktché) pour faire un para. Le para vaut aujourd'hui un peu moins de deux liards de notre monnaie.

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Le département de Rétimo, le moins étendu des trois, est toujours administré par un pacha à deux queues (iki toughlù), qui relève du sérasker. Le pacha actuel de la Canée est le premier qui depuis longtemps ait réuni dans sa personne ces trois gouvernements à la fois.

Chaque pacha a un kiaya-bey ou lieutenant qui le remplace, lorsqu'il vient à s'absenter; hors cette circonstance, ce Maya n'a aucun rang parmi les autorités de la ville.

Voici les titres des principaux officiers civils et militaires de la Canée et des autres villes de l'île de Candie:

Le janissaire-aga (jénitcher-agasi), commandant les janissaires;

Le yerlû-agasi, commandant des yerlû;

Le muphty;

Le cadi;

Le dizdar-aga, commandant de la forteresse;

Les agas particuliers, ou commandants des différents forts, tels que l'aga du sou-koulé, l'aga du fanal, etc.;

Le sipahilar-agasi, commandant des spahis on de la cavalerie, quoique ce corps n'existe pas;

Le toptehi-bachi, commandant de l'artillerie;

Le koumbaradji-bachi, commandant de bombardiers;

Le tersana-émini, intendant de l'arsenal;

Le kharatchi-bachi, percepteur de l'impôt nommé kharatch;

Le bach-tchaouch, chef de la police, sous les ordres du janissaire-aga.

Les autres charges sont de trop peu d'importance pour mériter une mention particulière. Je n'y comprends pas celle du grand-douanier geumruk-émini, ce fonctionnaire n'étant que le fermier d'une sultane, dont les douanes sont l'apanage le plus considérable.

A Candie, le tefterdar (trésorier) a la préséance sur toutes les autres autorités. Il ne cède le pas qu'au seul sérasker.

Candie ou Castro est la capitale du royaume. Cette ville est grande et bien percée; on n'y peut faire un pas sans rencontrer les ruines de beaux édifices, construits par les Vénitiens. Si elle était peuplée en raison de son étendue, elle contiendrait plus de trente mille habitants. Son port est sûr et commode, mais très resserré, et tellement comblé qu'il ne reçoit plus que les bateaux de la côte. Les navires marchands doivent charger et décharger leurs marchandises à Standié (l'ancienne Dia), petite île distante de cinq lieues, où les plus gros vaisseaux de guerre peuvent mouiller en toute sécurité. Les Turcs de Candie sont les plus intraitables de l'île.

Rétimo (Rhitymnia) est la troisième place de la Crète moderne: c'est une ville peu considérable et presque déserte. Comme Candie et la Canée, elle doit son existence aux Vénitiens et sa dégradation aux musulmans. Le [388] port est dans le même état d'abandon que les deux premiers ; cependant, si les Turcs entendaient mieux leurs intérêts, Rétimo serait l'échelle la plus commerçante de l'île. L'huile qu'on retire des oliviers de son territoire est réputée la meilleure de tout le pays.

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