Lettre LV. 

LE Temple de Minerve, dans la Citadelle d'Athènes, servoit aux Turcs de magasin à poudre ; un accident qui le fît sauter en l'air, renversa ces superbes morceaux de sculpture. 

Je voudrois bien qu'il me fût permis de ramasser tous les fragmens qui sont épars sur la terre, mais, hélas ! Je n'aurai pas même le petit doigt ou l'orteil d'une statue, car l'Ambassadeur qui a sollicité, depuis un an entier, la permission de faire transporter à Constantinople, un morceau qu'il avoit ramassé, aura le désagrément d'échouer, au moment où il se croyoit sûr de l'obtenir. Les Matelots avoient préparé des grues, & toutes les machines nécessaires pour conduire à bord du Tartelon ce superbe morceau : le Gouverneur de la Citadelle, Turc fort honnête, qui nous avoit bien reçus, prit à part M, de Truguet, & lui dit qu'il ne pouvoit lui permettre de toucher à rien sans s'exposer à perdre la vie, qu'il y avoit dans le serrail une intrigue qui travailloit à le déplacer ; & que s'il laissoit déranger la moindre chose, il donneroit à ses ennemis un prétexte suffisant pour lui faire trancher la tête. 

M. de Truguet, fâché de ce contre-tems, ne pouvoir, sans inhumanité, le presser d'exécuter la promesse. Nous revînmes donc chez le Consul, outrés de fin justice & de l'ignorance des Turcs, qui n'ont pas la plus légère idée des trésors précieux qu'ils possédent & qui les détruisent follement en toute occasion ; car ils ont détaché d'une des colonnes du Temple de Thésée, un morceau de marbre, pour en faire de la chaux pour la construction d'une fontaine Turque. Tel est le sort d'une infinité de chefs-d'œuvre des plus habiles Sculpteurs de l'ancienne Grèce. 

La Citadelle est bâtie sur une éminence très-élevée ;  & si la sagesse étoit la vertu dont les Athéniens faisoient le plus de cas, ils ne pouvoient mieux placer le Temple de la Déesse qui devoit diriger & surveiller leurs actions. — Je fus reçue avec l'épouse du Consul qui m'accompagnoit, par les filles du Gouverneur. On m’amena bientôt une de leurs parentes, malheureusement affligée d'une maladie interne qui détruit tous ses charmes : & l'on me pria de donner une recette pour la guérir ; quand notre visite fut finie, le Gouverneur & les fils surent aussi importuns que les femmes l'avoient été ;  je conseillai donc le petit-lait avec de la crème de tartre, persuadée que ce remède ne pouvoir lui faire aucun mal. — Vous riez, sans doute, en pensant que j'ai dans la figure quelque chose de singulier qui me fait prendre pour un Médecin : — mais le fait est que les Turcs demandent des recettes à tous les étrangers. Je ne vous parlerai pas de notre entrevue avec les femmes Turques : habillemens, manières, réception, c'est par-tout la même chose. Les habits & les bijoux sont plus ou moins riches, selon la qualité du mari. 

Vous trouverez dans plusieurs Auteurs la description du Temple de Minerve, celle d'un autre petit Temple, appelle la Lanterne de Diogène, bien conservé, celle du Temple des vents, dont l'intérieur n'est pas endommagé, mais dont l'extérieur est à moitié enseveli sous les ruines de cette Ville qui fut si souvent détruite ; de enfin de plusieurs  autres monumens, qui, comme les excellens Articles dont ils portoient l'empreinte, sont cachés dans la terre. 

Des fenêtres de ma chambre à coucher, j'apperçois les ruines d'un magnifique portique : on ne voit que la moitié des colonnes, dont la partie supérieure est fort endommagée : Trois grands nids de cicogne couvrent les chapiteaux ; les ordures de ces oiseaux, & leur lugubre habitation ajoutent encore à l'horreur que la main du tems, & l’affreuse ignorance des Turcs ont imprimés sur ces ruines. 

Le peu de colonnes qui restent du Temple de Jupiter Olympien, ou plutôt de celui que l'on suppose avoir contenu les statues de tous les Dieux, peut donner une véritable idée de la grandeur étonnante de cet édifice. 

Un Hermite qui ne croyoit pas pouvoir se mortifier assez sur la terre, s'étoit perché sur le haut de ces colonnes, où il resta plus de vingt ans : il est mort depuis long-tems ; mais son habitation étoit assez grande pour un homme seul. — Ces colonnes énormes sont d'ordre corinthien. 

Voici deux raisons qui me paroissent devoir faire cesser notre étonnement à la vue de ces ouvrages merveilleux. D'abord n'est-il pas naturel de supposer que les Athéniens, qui avoient des milliers d'esclaves, ne les nourrissoient pas sans les employer à de grands travaux? En second lieu, le climat & le sol d'Athènes ne permettoient pas aux habitans d'avoir des jardins ; l'on trouvoit, non-seulement à Paros, mais même près des murs de la ville, le marbre le plus beau & le plus blanc. — N’avons-nous pas droit de croire que les Athéniens faisoient tirer ce marbre des carrières par leurs esclaves qui le polissoient ensuite sous la direction des Architectes & des Sculpteurs. Ceux-ci se chargeoient probablement de la partie des ornemens, & finissoient les ouvrages que les esclaves avoient ébauchés. 

Les arbres que nous plantons dans nos parcs & nos jardins, exercent le pinceau de nos Peintres. Les Athéniens n'eurent pas cet avantage, mais ils portèrent au plus haut point de perfection un art qui leur procuroit des demeures & des promenades, à l'abri des rayons brûlans du soleil, en élevant des édifices de marbre, qui contribuoient autant à l'utilité publique qu'à la décoction de la ville. — On montre aujourd'hui à Athènes un petit jardin d'orangers qui n'a pas vingt pieds en quarré, comme un objet plus intéressant qu'un nouveau temple, une colonne consacrée, ou un prix remporté aux jeux olympiques. 

Si dans nos parcs nous faisons planter quelques touffes d'arbres, les Athéniens élevoient des édifices. La variété de ces monumens, le nombre des colonnes, destinées seulement à conserver le fou venir des choses les plus indifférentes, prouvent que c'étoit là la production naturelle de leur foi ; & leur génie ne pouvant s'occuper que d'Architecture & de Sculpture, il n'est pas surprenant qu'ils aient perfectionné ces deux arts, comme nous le voyons aujourd'hui. 

Un ouvrage de Guilleterre, que vous avez probablement, vous fera connoître le port d'Athènes ; les lions & plusieurs  autres objets qu'il y vit autrefois n'y sont plus. — L'Ilyssus n'est plus, cette rivière sur les bords de laquelle tant de Philosophes & de Héros se promenoient pendant la paix, lorsque les uns encourageoient les arts & les sciences que les autres protégeoient. 

— On l'a divisée en tant de canaux pour arroser les jardins d'Athènes, qu'il ne seroit plus possible de les distinguer d'avec le lit de la rivière. 

Ce fut Périclès qui bâtit le temple de Minerve. Les bas-reliefs, qui sont à l'entrée principale de la citadelle, sont autant de chefs- d'oeuvre. On y voit une figure de femme, qui, les rênes à la main, conduit deux fiers coursiers qui semblent hennir de se cabrer. 

Ce qui subsiste encore des bas-reliefs du temple de Thésée est mutilé, & représente les combats de ce Héros contre les Amazones. 

J'ai vu une partie de l'ancien théâtre, avec la douleur de ne pouvoir rétablir ce superbe monument. —  Il est impossible de fixer l’usage que l'on faisoit d'une multitude de loges & d'arcades placées les unes sur les autres, &: qui semblent dépendre du théâtre. C'est une recherche que je regarde comme inutile aujourd'hui : mais une chose qui feroit un grand honneur à l'Empereur, ce seroit de profiter du desir que la Porte a de l'obliger, pour recueillir les ruines du temple de Minerve, les offrir à nos artistes comme des modèles précieux à étudier, & les conserver pour les générations futures. — Adieu, on m'appelle pour aller voir les bains. 

Votre affectionnée Sœur, &c. 

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